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Plongée sous-marine et déficience motrice : état de l’art - 24/05/18

Doi : 10.1016/j.scispo.2018.03.005 
Pierre Trape, Dr 1,  : Président du comité départemental de la Fédération française d’études et des sports sous-marins (FFESSM) du Var, Moniteur fédéral MF1 et MFEH1, Moniteur Brevet d’état de plongée, Médecin fédéral FFESSM, DIU de médecine hyperbare et de la plongée, Vice-président de la commission médicale régionale FFESSM PACA, Ancien conseiller technique plongée Fédération française handisport Côte d’azur, Eric Watelain 2
1 France 
2 LAMIH UMR CNRS 8201, université de Valenciennes, 59313 Valenciennes, France 

Auteur correspondant.

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Résumé

La plongée sous-marine pour les PErsonnes en Situation de Handicap (PESH) est une activité relativement récente. Les premières pratiques de terrain, peu documentées, surtout dans la littérature scientifique, datent des années 1960 [1]. La Grande Bretagne et Israël sont des pays précurseurs en la matière. Ces pratiques ont beaucoup évolué et se sont codifiées dans différentes fédérations sportives nationales1 comme internationales2 . L’état de l’art qui va suivre se présente en trois parties :

– une revue narrative de la littérature scientifique ;

– une illustration des principales spécificités physiologiques à prendre en compte dans le cas d’une déficience de type blessures médullaires (BM) ;

– un état des pratiques de terrain, notamment en France, tant du point de vue de la formation des moniteurs, que des pratiquants ou encore des matériels spécifiques maintenant disponibles.

Revue narrative de la littérature scientifique

Une revue de la littérature a été réalisée à partir des bases de données scientifiques suivantes : sportdiscus, pubmed, cairn, sciencedirect, bib.cnrs.fr mais aussi scholar.google.fr, puis de la bibliographie des documents trouvés. Le nombre d’études obtenues est assez faible (un peu moins de cinquante) et la majorité de celles-ci sont publiées dans des revues de médecine physique et de réadaptation, mais aussi des revues spécialisées sur la déficience étudiée, par exemple visuelle (DV) [2] ou encore de médecine de la plongée [1]. Les études sont essentiellement centrées autour de deux groupes d’affections : motrices (BM, amputations/agénésie, infirmes moteurs cérébraux [IMC], poliomyélite, myopathie, hémiplégie) et maladie chronique (asthme, diabètes, épilepsie, troubles cardiaques…). Les objets d’études sont variés, avec notamment l’intérêt d’utilisation la plongée comme outil de rééducation, mais aussi l’étude de la motivation, les effets sur l’appareil locomoteur, la qualité de vie, les bénéfices psychosociaux (confiance en soi, prise de responsabilité…).

On ne relève cependant aucune étude de niveau de preuve 1 (grade de recommandation A), ni même d’étude comparative randomisée ; méthodologiquement le plus haut niveau de preuve concerne quelques rares études comparatives (déficients vs sains) portant, par exemple, sur la fonction respiratoire chez les sujets asthmatiques [3] ou les blessures et les bénéfices psychologiques de la plongée [4]. Quelques rares études comparent également les effets de la pratique de la plongée à d’autres pratiques sportives chez un public déficient. Par exemple, celle de Novak et Ladurner [5] relatant, chez des sujets paraplégiques, après deux semaines de plongée, des effets positifs sur la capacité vitale, le bien-être ressenti et les spasmes musculaires douloureux ; effets qui ne sont pas retrouvés après une pratique équivalente de voile olympique. Quelques études pilotes sont également disponibles, comme par exemple celle de Haydn et al., 2007 [6] évaluant les effets d’une semaine de plongée quotidienne sur 6 volontaires paraplégiques et montre une diminution de la spasticité et une augmentation de la qualité de vie. La grande majorité des documents scientifiques sont soit :

– des études de cas ou des descriptions d’expériences de plongée, menées sur des publics déficients en dehors d’une étude contrôlée (étude observationnelle de pratique de terrain), sans réelles mesures objectives, chez des PESH BM, par exemple [1] ou des PESH IMC [7]. Ces dernières montrant, le plus souvent, des bénéfices directes à la pratique, avec très peu/pas d’effets indésirables ;

– soit des approches cliniques reposant sur la transposition de connaissances propres à une pathologie, sur la pratique de la plongée avec cette pathologie, notamment dans le cas des maladies chroniques comme l’épilepsie [8] mais aussi le diabète, l’asthme, les troubles cardiaques… Ces dernières sont souvent dans l’optique de déterminer, discuter ou remettre en causes les interdictions faites aux PESH. Ainsi, plongée et handicap semble reposer encore très largement sur de l’observation de pratiques de terrain, du bon sens clinique et donc de l’empirisme… Cette activité offre ainsi un large champ d’études à mener.

Spécificités de la plongée chez le PESH BM : fatigabilité et vulnérabilité

Les points principaux de vigilance chez le PESH BM sont : cutanés, urinaires, thermorégulatoires, respiratoires, algiques, orthopédiques, cardiovasculaires, et médullaires.

Cutanés : escarres, plaies, hématomes, brûlures : en plongée la conjonction du déficit sensitif et de la mobilité réduite crée des situations à risque cutané du fait de la température, du milieu liquide qui modifie les propriétés cutanées et de la pression exercée sur les zones d’appui. Une escarre peut survenir en quelques dizaines de minutes et nécessiter des soins et un alitement de plusieurs mois. La prévention est primordiale. En plongée, on fait particulièrement attention aux moments de l’habillage, si la personne doit s’allonger, à tous les moments en position assise (conserver dans ce cas le plus possible le coussin anti-escarre), mettre des mousses et protéger plus particulièrement le sacrum pour la mise à l’eau et la sortie d’eau.

Urinaires : risque mécanique, risque infectieux (le plus fréquent avec l’escarre), déshydratation, hyper-réflexie autonome (risque vital par hyper-réactivité sympathique sous lésionnelle). Toute plongée doit débuter vessie vide, il est donc essentiel de disposer de WC accessibles à proximité du lieu de plongée ou au minimum d’un lieu d’intimité ou le plongeur peut effectuer dignement les gestes requis. L’intervalle entre 2 mictions dépend de plusieurs facteurs (prise hydrique, diurèse, spasticité vésicale…) mais on prévoit généralement 4 h. La logistique des plongées doit donc impérativement intégrer ce paramètre essentiel, y compris lorsqu’il s’agit de départ à la journée en bateau. Pour toutes ces raisons et la lutte contre l’hyperthermie, l’équipement des PESH s’effectue au dernier moment.

Hydratation : certaines personnes seraient tentées de limiter l’apport hydrique pour limiter les contraintes de vidange vésicale, pourtant l’hydratation régulière est essentielle notamment pour lutter contre la déshydratation mais aussi les risques d’infection urinaire et d’hyperthermie.

Thermorégulation : la prévention de l’hypothermie passe par des moyens techniques efficaces (combinaison intégrale épaisse ou sèche, gants, chaussons, masque facial…) et la limitation des plongées en eau trop froide. Il y a une grande variabilité individuelle, mais le problème concerne plus particulièrement les plongeurs tétraplégiques. Pour l’hyperthermie, la prévention passe par des protections solaires (casquette, abris…), un habillage au dernier moment et un maintien de l’hydratation qui contribue au refroidissement.

Respiratoires : la limitation respiratoire est d’autant plus importante que l’atteinte est haute : chez le sujet sain 65 % de la capacité vitale forcée est assurée par le diaphragme. En dessus de C4, l’atteinte diaphragmatique empêche toute activité de plongée. En dessous l’altération respiratoire dépend du niveau lésionnel et de l’atteinte des muscles intercostaux et abdominaux. Les risques principaux sont l’essoufflement plus rapide et ses conséquences. Ils sont gérés par l’apprentissage des techniques de déplacement, l’entraînement physique progressif, des matériels adaptés (masque facial, gants palmés, etc.) et une(des) aide(s) humaine(s) en conséquence.

Algiques : 46 % des BM souffrent d’épaule douloureuse. La prévention en plongée se fait par l’apprentissage d’une technique de nage adaptée et la limitation des sollicitations mécaniques en phase aiguë.

Orthopédiques : fractures, ostéoporose, troubles de la statique vertébrale, rétractions musculo-tendineuses, para-ostéo-arthropathie neurogène (10–50 %), luxation de hanche par spasticité. La prévention passe par la formation des encadrants sur ces points de vulnérabilité.

Cardiovasculaires : les principales conséquences hémodynamiques de l’immersion chez le plongeur valide sont : pression intrathoracique négative avec ascension du diaphragme, redistribution de la masse sanguine avec augmentation de la précharge cardiaque, augmentation de 10 à 25 % du débit cardiaque, vasoconstriction périphérique, augmentation de la postcharge, diurèse d’immersion (×4 par réactions ADH et FAN). Chez le BM>T6 l’atteinte de l’innervation cardiaque sympathique entraîne une FC max de 110–130 bpm déterminée par la seule activité sino-atriale. Ce déficit d’adaptation de la FC et la baisse du volume d’éjection systolique sont aggravés par un déficit de la réponse des catécholamines à l’exercice. Par contre, la vasoplégie des membres inférieurs n’augmente pas la postcharge.

Médullaire : la syringomyélie constitue une contre-indication formelle.

Organisation de la plongée pour les PESH

Les principales fédérations sportives françaises concernées : FFESSM3  – FFH4  – FFSA5 .

La pratique de la plongée sous-marine pour les personnes en situation de handicap est une activité en plein essor depuis la signature d’une convention en 2011 entre la FFESSM et la FFH, puis en 2012 entre la FFESSM et la FFSA. « Handisub »6 est une appellation déposée de la FFESSM recouvrant cette activité.

La plongée Handisub dépend de la commission technique nationale de la FFESSM et sa pratique est détaillée dans le manuel de formation technique fédéral7 . Quel que soit le handicap rencontré, toute personne est considérée apte à plonger, pour peu qu’elle produise un certificat médical d’absence de contre-indication à la pratique de la plongée sous-marine. Dans le cadre de cette activité, la formation amène le moniteur à adapter les moyens techniques aux capacités de la PESH qui font d’elle une personne unique. La législation précise que les PESH peuvent bénéficier d’une assistance adaptée en encadrement et/ou en matériel spécifique pour évoluer en palanquée8 .

Chaque PESH peut ainsi utiliser son potentiel physique différemment et afficher une motivation différente, ainsi, les aptitudes en plongée peuvent être fort variables d’un plongeur à l’autre, malgré l’équivalence des troubles fonctionnels. La qualification de la PESH est donc liée aux compétences personnelles réalisées et non à la nature de sa déficience. La pratique de la plongée Handisub est de fait un partenariat entre la PESH, le moniteur et le médecin fédéral (délivrant le certificat médical après un éventuel avis d’un médecin spécialiste du handicap concerné).

Des qualifications techniques sont progressivement acquises et permettent d’évoluer dans les différents espaces de profondeur tels qu’ils sont définis dans le code du sport : 0–6 mètres (PESH 6), 12 mètres (PESH 12), 20 mètres (PESH 20), et 40 mètres (PESH 40).

La formation des Encadrants Handisub (EH) pour la plongée chez les PESH est une réelle spécialité qui conduit à deux niveaux de qualification : élémentaire et supérieure7 :

– EH1, enseignant pour plongeur en situation de handicap modéré. Formation qui peut être complétée du module handicap mental, psychique ou cognitif ;

– EH2, enseignant pour plongeur en situation de handicap majeur.

Des matériels spécifiques existent et l’adaptation concerne tous les aspects de la plongée, depuis l’accessibilité aux clubs, aux piscines et aux bateaux avec les différents moyens et supports techniques de mise à l’eau et de sortie de l’eau (tir à l’eau, plateforme de mise à l’eau, potences…), jusqu’aux équipements personnels du plongeur (masques faciaux, combinaisons retouchées, gants palmés, lestages, palmes adaptées à une prothèse…).

L’Handisub occupe une place croissante dans les autres commissions fédérales : apnée, plongée sportive en piscine (PSP)… L’apnée peut être utilisée comme support pour illustrer cette tendance, une réflexion au niveau national pour une ouverture vers l’apnée se mettant en place au sein de la FFESSM. Il s’agit d’une pratique ludique sans esprit de compétition. D’autres disciplines, comme la PSP, discipline de plongée en scaphandre avec un objectif de compétition, intègre déjà des plongeurs en situation de handicap. Le 4e challenge de PSP Handisub est prévu en région Est en mai 2018.

Les pratiquants Handisub en France sont estimés à environ 1000 plongeurs (25 % de BM, 20 % d’amputés, 25 % autres déficiences motrices [polio, IMC, hémiplégie…], 25 % de DI et 5 % de DV). Le développement vers le handicap mental devient prépondérant. Il constitue un des objectifs au niveau national mais aussi pour certaines régions, comme pour le Comité régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour les années à venir.

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Mots clés : Plongée sous-marine, Handicap, Handisub, Adaptation, Milieu naturel


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