Chapitre 24Presbytie et qualité de vie

J.-J. Saragoussi

La presbytie induit un handicap visuel en distance rapprochée chez le sujet emmétrope ou emmétropisé ; sa compensation est donc indispensable afin de permettre au sujet vieillissant de recouvrer la lecture de près. L’étudier sous l’angle de la qualité de vie permet de mieux comprendre le retentissement de ce trouble acquis inéluctable de la réfraction et d’éviter de le minimiser par excès même si, étant toujours corrigible, il est bénin par rapport aux pathologies liées à l’âge.

La « qualité de vie » a été bien définie : elle explore le niveau de « bien-être » physique et psychologique d’un individu dans son environnement sociétal. Elle a une signification médico-sociale qui est de plus en plus prise en compte en sciences économiques et politiques mais, à l’évidence, elle concerne pleinement la science biomédicale. En effet, en dehors des pathologies aiguës appelant un traitement étiologique curatif définitif de courte durée, l’acte médical ne peut actuellement se réduire à l’établissement d’un diagnostic et au choix d’un traitement visant à faire disparaître ou atténuer des symptômes fonctionnels. La prise en charge d’un patient n’est pas complète si on omet d’évaluer au-delà des aspects physiques, le retentissement psychosocial d’une pathologie chronique ou d’un handicap fonctionnel. Cela inclut aussi l’impact des effets indésirables d’une thérapeutique au regard de ses bénéfices à long terme (rapport bénéfice/risque).

La qualité de vie est une notion globale et multidimensionnelle, qui correspond à la perception individuelle subjective de l’état de santé au sens le plus large du terme. La prise en compte de la notion de qualité de vie est stratégique dans l’évaluation du bien-fondé ou de la justification sur le plan éthique et économique des thérapeutiques médicochirurgicales proposées. Cela implique la nécessité de pouvoir la mesurer avec des instruments fiables et reproductibles, donc scientifiquement élaborés.

Échelles de qualité de vie
DÉFINITIONS : VALIDITÉ, FIABILITÉ, SENSIBILITÉ, STABILITÉ

Une « échelle » de qualité de vie est un outil ou instrument de mesure qui fournit des indices quantitatifs sous forme de scores. Comment transformer une valeur qualitative multifactorielle et subjective en score chiffré ? C’est à partir de questionnaires explorant différentes « dimensions » de qualité de vie qu’on y parvient. Chaque dimension est explorée par plusieurs items. La conception d’un questionnaire est complexe, faisant appel à différents spécialistes parmi lesquels figurent des médecins, des psychologues, des statisticiens et des méthodologistes [2]. Différentes étapes sont nécessaires pour aboutir à la version définitive d’une échelle grâce à des tests permettant de vérifier ses principaux facteurs de pertinence que sont la validité, la fiabilité, la sensibilité et la stabilité.

La validité interne est la traduction de la cohérence de l’échelle en termes de convergence des items et des dimensions pour mesurer au plus près ce que l’on souhaite mesurer. La validité (ou cohérence) interne est mesurée par des coefficients qui apprécient la part d’erreur aléatoire contenue dans le score de chaque dimension. La cohérence interne est appréciée en particulier par le calcul de l’alpha de Cronbach — il varie de la valeur « zéro » correspondant à la plus faible cohérence, à la valeur « un » correspondant à une parfaite cohérence interne. Un alpha de Cronbach de 0,70 est recommandé pour avoir une bonne cohérence, avec un minimum de 0,50.

La fiabilité signifie la capacité de reproduire les mesures dans des situations comparables.

La sensibilité traduit la capacité de discriminer différents états ou sous-groupes. La sensibilité au changement est la propriété de l’échelle à détecter les évolutions d’états.

Enfin, la stabilité signifie la capacité du questionnaire à mesurer les mêmes dimensions chez un même individu au fil du temps.

Les questionnaires sont établis pour obtenir des réponses traduisant le ressenti subjectif d’un patient. Ils sont le plus souvent autoadministrés (renseignés par le patient lui-même) ou bien renseignés par l’équipe soignante au cours d’un entretien. Les modalités de réponses peuvent être à choix multiples d’intensité croissante ou décroissante, de type « oui » ou « non », à type d’échelle visuelle analogique. Une grille de cotation et de lecture des réponses permet d’établir les scores pour chaque dimension étudiée et/ou un score global.

Les dimensions explorent, en fonction des objectifs de mesures prédéfinis, les symptômes fonctionnels, les capacités physiques à réaliser les activités quotidiennes (occupationnelles, sociales, de loisirs, professionnelles), les aspects psychologiques et émotionnels (anxiété, image et estime de soi), la perception subjective de l’état de santé, la satisfaction globale liée à la prise en charge médicale et aux résultats d’un traitement appréciés par rapport aux attentes ainsi qu’à l’information délivrée.

Il existe deux grands types d’échelles : les échelles génériques et les échelles spécifiques. Les échelles dites « génériques » fournissent des scores de qualité de vie quelle que soit la pathologie et peuvent être utilisées dans une grande variété d’indications. Leurs scores peuvent servir en économie de la santé pour calculer des « utilités ». Une utilité est la traduction chiffrée de la qualité de vie selon une gradation qui est comprise entre la valeur « zéro » (0 correspondant à la mort) et la valeur « un » (1 correspondant à une excellente santé). Ces coefficients sont utilisés lors des évaluations médico-économiques pour pondérer les bénéfices de santé individuels des thérapeutiques — un gain d’années de vie aura un retentissement économique différent selon qu’il s’agira d’années de vie en bonne ou en mauvaise santé. À la différence des échelles génériques, les échelles dites « spécifiques » fournissent des mesures ciblées propres à une maladie ou à un groupe particulier d’états pathologiques.

ÉCHELLES DE QUALITÉ DE VIE EN OPHTALMOLOGIE

En ophtalmologie, différentes échelles de qualité de vie ont été proposées, validées et utilisées. Nous en citons quelques-unes à titre d’exemples avant d’envisager plus en détail celles qui ont été appliquées dans le cadre particulier de la presbytie. Certaines des dimensions explorées par ces questionnaires sont particulières à la vision ou aux symptômes fonctionnels oculaires, tandis que d’autres explorent leur retentissement physique, psychologique et social.

ÉCHELLES GÉNÉRIQUES EXPLORANT LES CONSÉQUENCES DES ALTÉRATIONS VISUELLES LIÉES AUX PATHOLOGIES OCULAIRES

Le National Eye Institute Visual Function Questionnaire-51 (NEI-VFQ-51) mesure, en cinquante et un items, la qualité de vie des patients atteints de pathologies oculaires chroniques [20], telles que la cataracte, le glaucome, les dégénérescences maculaires liées à l’âge, la rétinopathie diabétique.

Le National Eye Institute Visual Function Questionnaire-25 (NEI-VFQ-25) est une réduction du NEI-VFQ-51 avec vingt-cinq questions relatives à la qualité de vie en lien avec la fonction visuelle. Cette échelle qui s’applique aux maladies oculaires chroniques semble bien adaptée au glaucome[13, 27]. Il en existe une version française [26]. Elle a été utilisée chez les adolescents et adultes jeunes atteints de cataracte congénitale [14], pour les implants intraoculaires pseudophakes asphériques [16] et pour comparer différents types d’implants multifocaux [1] (cf. infra).

Le Visual Function Index-14 (VF-14) explore les limitations fonctionnelles de quatorze activités quotidiennes liées à la vision. Il a été utilisé pour les maladies rétiniennes [17], les candidats à la greffe de cornée [3], la cataracte et sa chirurgie[32, 37].

ÉCHELLES SPÉCIFIQUES D’UNE PATHOLOGIE OCULAIRE

Le Visual Symptoms and Quality of Life Questionnaire (VSQ) a été proposé pour la chirurgie de la cataracte du second œil [7] ; il a été révisé pour améliorer le mode de calcul des scores par analyse de Rasch [10]. À ce propos, Lundström et Pesudovs [19] ont publié une revue générale très complète des questionnaires ayant été utilisés pour évaluer les résultats de la chirurgie de la cataracte, en analysant leurs propriétés psychométriques.

L’Adult Strabismus-20 (AS-20) a été utilisé chez les patients traités pour strabisme. Il s’est avéré plus sensible dans cette population que l’échelle NEI-VFQ-25 qui est générique, donc non spécifique [11].

ÉCHELLES DE QUALITÉ DE VIE ET RÉFRACTION

Plusieurs échelles ont été développées pour l’étude du retentissement des anomalies de la réfraction sur la qualité de vie et sur les conséquences des différents moyens de les corriger. Une approche globale permet d’évaluer tous les effets cliniques d’une technique — qu’il s’agisse de lentilles de contact ou de chirurgie — de manière bien plus complète que la simple prise en compte de la vision et de la réfraction. Certains patients atteignant les objectifs attendus en termes de correction réfractive et d’acuité visuelle sans correction peuvent être insatisfaits du résultat en raison de symptômes fonctionnels visuels ou oculaires limitant leur confort ou certaines de leurs activités, donc leur qualité de vie. Citons par exemple les halos, qui sont gênants pour la conduite automobile la nuit, ou la sécheresse oculaire chronique. Précisons que la chirurgie du cristallin est concernée puisque les propriétés optiques et réfractives des implants pseudophakes (asphériques, toriques, diffractifs) imposent de classer désormais la chirurgie de la cataracte, acte thérapeutique, parmi les techniques de chirurgie réfractive. Pour bien analyser un questionnaire de satisfaction ou de qualité de vie, il est souhaitable de pouvoir établir des corrélations avec les données cliniques de réfraction pré- et postopératoire, mais aussi d’acuité visuelle avec et sans correction. Les études de qualité de vie représentent un moyen de mieux préciser les limites d’indications d’une technique afin de prévenir l’apparition d’effets indésirables ou de complications, et d’orienter la recherche-développement technologique en ciblant des axes d’amélioration. Cela concerne l’exploration complémentaire et la chirurgie.

Dans une revue mondiale de la littérature scientifique étudiant les résultats du LASIK, Solomon [36] a sélectionné, pour leur niveau de preuve et leur méthodologie, trois cent neuf articles parus dans des revues à comité de lecture entre 1994 et 2008. Sur trois cent neuf articles, seulement quatorze (soit 4,5 %) étudiaient la satisfaction et la qualité de vie, dont une publication française [33]. C’est dire que ces études sont encore peu nombreuses en chirurgie réfractive et encore moins nombreuses, nous le verrons, pour l’exploration des différents moyens de compensation de la presbytie.

Quelles sont les échelles de qualité de vie corrélées à la réfraction ?

Citons le questionnaire Refractive Status and Vision Profile (RSVP), qui est un des premiers à avoir été appliqué à la chirurgie réfractive [35].

Le National Eye Institute Refractive Error Quality of Life Instrument (NEI-RQL-42) est une échelle qui explore l’impact de la réfraction sur la qualité de vie en quarante-deux questions explorant treize dimensions de qualité de vie[12, 22]. Les scores sont notés sur la valeur maximale de 100. Plus ils sont élevés, plus ils sont favorables à la qualité de vie. Cette échelle a permis de comparer des populations emmétropes à des populations amétropes corrigées par lunettes ou lentilles de contact [24]. Il a également été utilisé pour la chirurgie réfractive[22, 25]. Une traduction adaptée en langue française a été publiée (tableau 24-I et annexe) avec des arguments de validation [6] et appliquée à une population de patients opérée par LASIK [34]. Elle a permis de préciser les différents scores de qualité de vie postopératoires dans une population de trois cent sept sujets, toutes indications confondues. Nous reviendrons plus en détail sur cette échelle et sur ce qu’elle nous enseigne sur l’impact de la presbytie.

Le Quality of Life Impact of Refractive Correction (QIRC) a été développé et validé pour les populations nécessitant la correction d’une erreur réfractive par lunettes, lentilles de contact ou chirurgie [28]. Ce questionnaire de vingt items utilise une méthode psychométrique de mesure des différents scores, avec une pondération de leurs valeurs respectives en fonction du niveau d’importance ou de sévérité accordé à chaque item (analyse de Rasch). D’abord utilisé pour comparer des populations amétropes corrigées par lunettes ou lentilles de contact [9], il a été ensuite appliqué pour comparer les trois types de correction réfractive que sont les lunettes, les lentilles de contact et la chirurgie [30]. Les auteurs ont ainsi pu montrer que les patients opérés par chirurgie réfractive présentent des scores de qualité de vie significativement supérieurs que les porteurs de lunettes ou de lentilles de contact. Il est également utilisé pour évaluer les implants multifocaux [21].

Le Contact Lens Impact on Quality of Life (CLIQ) comporte vingt-huit questions. Cette échelle a été développée et validée pour les porteurs de lentilles de contact [29].

Le Myopia-specific Quality of Life Questionnaire (MQLQ) comporte trente-quatre questions étudiant quatre principales dimensions (fonction visuelle, symptômes visuels, vie sociale, psychologie). Il a été développé pour étudier l’effet du LASIK sur une population myope [15] et a confirmé que la correction de la myopie par la chirurgie réfractive améliore la qualité de vie des myopes.

Le Vision Quality of Life Index (VisQoL) est une échelle comportant six questions permettant de façon simple et rapide d’apprécier l’effet des traitements ou moyens de correction destinés à améliorer la vision [23]. Utilisant ce questionnaire, Chen [4] a comparé la qualité de vie de trois groupes de populations : soixante-quatre emmétropes, soixante-six myopes corrigés par lunettes ou lentilles de contact, soixante-cinq myopes corrigés par la chirurgie. La qualité de vie était comparable entre les groupes emmétropes et myopes opérés ; elle était significativement meilleure dans ces deux populations que dans le groupe myope corrigé par les moyens optiques.

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Tableau 24-I Dimensions de qualité de vie explorées par l’échelle NEI-RQL-42, traduite et adaptée en langue française.

Se reporter à l’annexe pour connaître les numéros et les libellés complets des 42 questions ou items, ainsi qu’à la publication de Djadi-Prat [6] pour la validation de l’échelle.

Qualité de vie et presbytie : échelles utilisées et résultats

L’âge supérieur ou égal à quarante-cinq ans permet généralement de définir la population presbyte. La presbytie est un trouble réfractif particulier qui reste encore mal exploré sur le plan de la qualité de vie. Cette dernière peut être abordée de façon très parcellaire sur la seule dimension de la satisfaction liée à la vision et aux moyens de l’améliorer, ce qui est intéressant mais insuffisant. Dans l’échelle NEI-RQL-42, par exemple, la satisfaction de la correction n’est qu’une des dimensions sur les treize explorées par le questionnaire (tableau 24-I).

QUELLES SONT LES PARTICULARITÉS LIÉES À LA PRESBYTIE ?

L’étude de la presbytie implique en premier lieu une bonne acuité visuelle de loin avec ou sans correction. Mais cette condition minimale n’est certainement pas suffisante. La réfraction influence l’impact de la presbytie qui sera ressentie différemment chez les emmétropes, les myopes et les hypermétropes. Par ailleurs, les comparaisons entre une population adulte non presbyte (âge inférieur à quarante-cinq ans) et une population presbyte (âge supérieur ou égal à quarante-cinq ans) peuvent être à l’origine de nombreux biais. En effet, les attentes et besoins de vision dans ces deux types de populations ne sont pas tout à fait comparables, de même que l’état psychologique. Au sein même de la population presbyte, des différences importantes apparaissent à l’évidence en fonction de l’âge. La réserve d’accommodation encore assez bonne avant cinquante ans, assure une bonne vision en distance intermédiaire (1 mètre) ; elle s’épuise rapidement chez les plus âgés, ce qui n’est pas sans conséquences pratiques sur les besoins visuels de la vie quotidienne (notamment le travail sur écran). Il conviendrait aussi de discerner sur le plan des attentes, les sujets presbytes encore professionnellement actifs des retraités et, de façon plus générale, prendre en compte le mode de vie individuel privilégiant par exemple la lecture (vision de près) ou les activités sportives (vision de loin). Le niveau d’éducation et le niveau socio-économique sont des facteurs potentiellement influençant. Il faudrait, enfin, différencier les sujets presbytes non encore atteints par les pathologies liées à l’âge, en particulier la cataracte, des autres. Au-delà de l’âge de soixante-dix ans, faire une étude de qualité de vie suffisamment discriminante sur un trouble réfractif aussi singulier que la presbytie devient très complexe dans une population de plus en plus affectée par les pathologies liées à l’âge, qu’elles soient ophtalmologiques ou générales.

Nous essaierons dans ce chapitre de dégager en pratique ce que nous enseigne une sélection d’études de satisfaction et de qualité de vie corrélées à la presbytie, qui ont été jusqu’à présent publiées dans la littérature scientifique.

LA PRESBYTIE A-T-ELLE UN RETENTISSEMENT SUR LA QUALITÉ DE VIE ?

Dans une étude prospective multicentrique utilisant l’échelle NEI-RQL-42, McDonnell [22] a comparé les scores des treize dimensions de trente-huit sujets emmétropes presbytes âgés de quarante-cinq à soixante et onze ans (moyenne : cinquante-quatre ans), à ceux de soixante-quinze sujets emmétropes adultes non presbytes dont l’âge est compris entre dix-neuf et quarante-quatre ans (moyenne : trente-deux ans). Le groupe plus âgé de sujets presbytes présente des scores moyens plus faibles de façon statistiquement significative dans sept des treize dimensions étudiées (100 représente pour chaque score la valeur maximale associée à la meilleure qualité de vie) : « netteté de la vision » (86,90 versus 93,32), « attentes » (53,95 versus 90,54), « vision de près » (81,52 versus 95,89), « fluctuations visuelles diurnes » (76,86 versus 87,44), « symptômes » (78,95 versus 86,15), « dépendance à une correction » (59,54 versus 96,11), « satisfaction de la correction » (82,11 versus 93,14). Un seul score augmente de façon statistiquement significative avec l’âge : il s’agit de la « dépendance à une correction ». Les auteurs de l’étude concluent que la presbytie a un impact défavorable sur la qualité de vie.

Dans une étude clinique transversale portant sur une population de cent dix sujets presbytes corrigés par lunettes, Luo [18] a réalisé une analyse d’utilité. Après les nécessaires explications d’usage et un temps suffisant donné à la réflexion, les patients devaient en particulier répondre à deux questions. La première question était : « Combien d’années estimez-vous qu’il vous reste à vivre ? ». La deuxième question théorique était : « En supposant qu’il existe une technique permettant de vous donner une vision normale de près sans lunettes de façon permanente et définitive mais que cette technique réduise votre espérance de vie, quel est le maximum de temps que vous accepteriez de sacrifier sur cette espérance de vie pour obtenir le bénéfice définitif d’une bonne vision de près sans correction ? » La valeur d’utilité individuelle était calculée en retranchant de 1,0 la valeur du rapport Temps accepté d’être sacrifié/Temps estimé restant à vivre. Par exemple, un sujet estimant avoir une espérance de vie de vingt ans acceptant de sacrifier une année de sa vie pour avoir définitivement une bonne vision de près sans correction permet de calculer une valeur d’utilité individuelle de 0,95 (1,0 – 1/20 = 0,95). Pour les cent dix sujets presbytes de l’étude, le temps moyen d’espérance de vie estimé était de 23,4 ans [21,3-25,5]. La moyenne de temps que les sujets acceptaient de sacrifier était de 0,46 an. Sur l’ensemble de cette population, 10 % des sujets étaient prêts à accepter de sacrifier au moins 5 % de leur durée estimée d’espérance de vie. Le score moyen d’utilité dans la population presbyte étudiée était de 0,98 ± 0,086 [0,964-0,996]. L’âge, le sexe, le niveau d’éducation, la situation matrimoniale, la réfraction et le degré de sévérité de la presbytie n’avaient pas de corrélation statistiquement significative avec le score. Avec une « utilité presbytie » de 0,98, un retour à une vision de près normale sans correction (correspondant à une utilité de 1,0), n’apporterait donc que 2 % d’amélioration de qualité de vie. Les auteurs concluent que la presbytie corrigée par lunettes est associée à une réduction modérée de la qualité de vie.

Une autre étude nous informe sur l’impact psychologique de la presbytie. Chen [4] a utilisé l’échelle Vision Quality of Life Index (VisQoL), qui comporte six questions, pour comparer deux groupes de sujets myopes : un groupe de quatre-vingt-seize sujets d’âge inférieur ou égal à quarante ans (non presbytes) et un groupe de quatre-vingt-dix-neuf sujets d’âge supérieur à quarante ans (prépresbytes et presbytes). Le groupe myope presbyte répond défavorablement de façon significative à deux des six questions, exprimant davantage d’appréhensions face au risque d’accident et moins de confiance dans la capacité ressentie à réaliser les tâches de la vie quotidienne.

Ces études cliniques fondées sur une méthodologie utilisant des instruments de mesure validés apportent des arguments scientifiques permettant d’affirmer que la presbytie est un facteur d’altération de plusieurs dimensions de qualité de vie. Elle crée une dépendance à une correction, des attentes particulières vis-à-vis de cette correction et modifie l’apparence physique. Elle semble induire de l’anxiété en réduisant le sentiment de sécurité et de confiance en soi.

QUALITÉ DE VIE DES PRESBYTES CORRIGÉS

Les moyens de compensation de la presbytie sont : les lunettes, les lentilles de contact et la chirurgie réfractive. La révolution des verres de lunettes progressifs et les innovations successives apportées par l’industrie de l’optique au fil des ans, ont permis d’apporter à la population presbyte, de plus en plus nombreuse et active, des solutions de correction bien adaptées en termes d’efficacité, de confort et d’esthétique, donc favorables sur le plan du maintien de la qualité de vie pour tout ce qui concerne les activités sollicitant la vision de près. Cependant, la dépendance aux lunettes crée une contrainte qui peut avoir, surtout si elle est récente, un impact psychologique. C’est pourquoi elle est mal acceptée par une partie de cette population qui demande d’autres solutions. Les concepts optiques généraux permettant de compenser la presbytie sans lunettes sont essentiellement représentés par la monovision et la multifocalité. Ces concepts sont exploités avec les lentilles de contact, la chirurgie réfractive cornéenne et les implants pseudophakes dans la chirurgie du cristallin.

Nous envisageons l’impact sur la qualité de vie de ces différents moyens de compensation dans le cadre de la monovision puis de la multifocalité.

PRESBYTIE ET MONOVISION

La monovision est un principe optique apportant une profondeur de champ par effet de bifocalité bi-oculaire. Le plus souvent, l’œil dominant est corrigé pour voir de loin et l’œil non dominant est laissé légèrement myope pour lui permettre de voir de près et/ou en distance intermédiaire — la différence réfractive binoculaire est toujours inférieure à 2 D. La monovision est largement utilisée, surtout chez les myopes, avec différents moyens de correction : lentilles de contact, photoablations cornéennes, implants intraoculaires pseudophakes.

La monovision a été étudiée sur le plan de la qualité de vie chez les sujets phakes. McDonnell [22], utilisant l’échelle NEI-RQL-42, a d’abord comparé les scores moyens des treize dimensions de qualité de vie étudiées par ce questionnaire dans deux groupes de sujets presbytes : un groupe de trente-huit sujets corrigés par monovision (lentilles de contact ou chirurgie) et un groupe de quatre cent quatre-vingt-six sujets amétropes isocorrigés. Les scores moyens étaient plus élevés de façon statistiquement significative (meilleure qualité de vie) dans le groupe monovision pour les trois dimensions : « attentes » (51,97 versus 37,86), « dépendance à une correction » (47,37 versus 25,57), « apparence » (87,98 versus 79,15). Les auteurs ont ensuite, dans la même étude, comparé les scores moyens des treize dimensions dans le même groupe de sujets presbytes corrigés par monovision (n = 38) et dans un groupe de sujets emmétropes non presbytes (âge inférieur à quarante-cinq ans) (n = 75). Des différences statistiquement significatives sont apparues dans onze des treize dimensions, mais sept d’entre elles présentaient des écarts importants avec des scores inférieurs (signifiant une moins bonne qualité de vie) dans le groupe monovision : « netteté de la vue » (77,41 versus 93,32), « attentes » (51,97 versus 90,54), « vision de près » (80,48 versus 95,89), « fluctuations diurnes » (66,34 versus 87,44), « brouillard ou halos » (67,76 versus 91,22), « dépendance à une correction » (47,37 versus 96,11), « satisfaction » (76,32 versus 93,14). Les auteurs concluent que la monovision améliore certaines dimensions de qualité de vie chez les sujets presbytes, sans pouvoir prétendre apporter la même qualité de vie que chez les sujets non presbytes.

Les effets de la monovision sur la qualité de vie ont aussi été étudiés chez les patients opérés de cataracte. Finkelman, dans une étude prospective [8], a étudié la satisfaction de vingt-six sujets (cinquante-deux yeux) opéré de cataracte avec implant pseudophake monofocal pour un objectif réfractif de monovision (myopie comprise entre – 1,00 D et – 1,50 D de l’œil non dominant). Sur une échelle allant de 0 à 10 (valeur maximale), le score moyen de satisfaction était de 9,54 [8-10] ; 69 % des patients ont noté leur satisfaction à la valeur maximale de 10 ; aucun patient n’a noté sa satisfaction en dessous de la valeur 8. Dans cette population, le score moyen de dépendance à une correction était de 2,77 sur une échelle allant de 0 (« totalement indépendant à une correction ») à 10 (« totalement dépendant d’une correction ») ; le score moyen était de 2,73 pour les besoins de vision de près et de 1,62 pour les besoins de vision de loin ; 27 % des patients ont signalé être totalement indépendants d’une correction.

Ces études ont confirmé tout d’abord que la monovision, en améliorant la vision de près sans correction tout en préservant une bonne vision de loin, permet de compenser la presbytie dans la vie quotidienne. Elles ont aussi confirmé ce qu’on avait déjà appris de l’impact de la presbytie sur la qualité de vie. Elles ont enfin permis de démontrer que la monovision améliore certaines dimensions de qualité de vie du sujet presbyte, en particulier la dépendance à une correction, l’apparence physique et l’estime de soi. La monovision apporte un bon niveau de satisfaction aux sujets qui en bénéficient. On peut supposer que l’acceptation des limites d’efficacité et des effets indésirables (réduction de la sensibilité aux contrastes et de la vision binoculaire) dépend de la qualité de l’information préalable. Il est conseillé de tester la tolérance de la monovision en lentilles de contact avant d’envisager une correction chirurgicale.

PRESBYTIE ET MULTIFOCALITÉ

La multifocalité est un concept optique de correction réfractive visant à apporter une bonne vision simultanée sans correction de loin comme de près, en préservant un bon équilibre de vision binoculaire. Elle peut être obtenue par photoablation cornéenne avec le LASIK hypermétropique et la technique du presbyLASIK, qui apportent potentiellement un assez bon continuum de vision sans correction à toutes distances. Mais elle a surtout été utilisée jusqu’à présent avec les lentilles de contact ou les implants intraoculaires pseudophakes. Dans ce cas, la multifocalité est obtenue grâce à la division de l’énergie lumineuse qui est orientée sur deux foyers principaux, dont l’un est dédié à la vision de près et l’autre à la vision de loin. Selon la répartition de l’énergie lumineuse, il est possible de rechercher une division équilibrée de la lumière entre les deux foyers (50 % sur chaque foyer) ou de favoriser un des deux foyers (vision de loin ou vision de près). Un effet monovision est fréquemment recherché pour optimiser la vision de près et intermédiaire. Un certain degré de déperdition d’énergie lumineuse et une réduction de la concentration de celle-ci sur chacun des deux foyers principaux réduisent la sensibilité aux contrastes. La vision simultanée des images des deux foyers favorise la perception de halos en vision nocturne.

La multifocalité est utilisée de façon prédominante chez les hypermétropes.

Les techniques de photoablations cornéennes, en particulier de presbyLASIK, qui induisent une multifocalité cornéenne sont trop évolutives, diverses et récentes pour avoir pu être étudiées à notre connaissance sous l’angle de la qualité de vie.

Toutefois, une sélection d’études concernant les lentilles cornéennes de contact et les implants pseudophakes nous apporte des informations sur les effets de la multifocalité au niveau de la qualité de vie.

Presbytie et multifocalité des lentilles de contact

La mise à jour du rapport de la SFOALC publiée par Peyre en 2002 [31] a présenté les résultats d’une large enquête de satisfaction et d’activités menée par questionnaire chez deux cent soixante-trois sujets presbytes corrigés par lentilles de contact multifocales, dont l’âge était majoritairement compris entre quarante-cinq et soixante ans. Le questionnaire explorait les activités diurnes faisant intervenir la vision de loin (conduite, sports, relations sociales, apparence physique…), la vision de près et la vision intermédiaire (lecture, bricolage, ordinateurs, jeux de société, cuisine…), et les activités nocturnes (conduite en ville et sur route, mais aussi théâtre et cinéma). D’autres questions portaient sur les éventuelles difficultés rencontrées dans l’adaptation ou la tolérance des lentilles de contact. Un questionnaire adaptateur a aussi été complété, pour chaque patient interrogé, par les douze ophtalmologistes ayant participé à l’étude. Ce dernier questionnaire a permis de préciser que la multifocalité était très souvent associée à une bascule pour obtenir un effet monovision d’optimisation en vision de près et intermédiaire (64 % de bascules et 30 % d’additions différentes). Chaque question d’activité devait être notée sur une échelle de 1 à 10 (10 correspondant à la satisfaction maximale). Quelles étaient les activités présentant les meilleurs scores de satisfaction chez les porteurs de lentilles de contact multifocales ? Pour les activités sollicitant la vision de loin, il faut citer la conduite automobile de jour et l’apparence physique, mais aussi le théâtre et le cinéma pour les activités nocturnes. Pour les activités sollicitant la vision en distance intermédiaire, il faut citer le travail sur écran, la cuisine et les activités ménagères. Les scores sont bons également pour les activités sollicitant la vision de près de jour, mais aussi pour la broderie. Les scores de satisfaction sont plus dispersés, donc moins favorables pour la conduite automobile nocturne. La satisfaction globale est forte, puisque 94 % des sujets souhaitent continuer à porter des lentilles de contact.

En conclusion, les auteurs de cette étude soulignent les bons taux de satisfaction obtenus, même dans des activités de faible contraste ou réclamant une acuité visuelle très fine (les taux de satisfaction sont rarement inférieurs à 5 sur 10), avec des résultats qui sont supérieurs aux attentes espérées. La dimension psychologique est aussi bien mise en évidence par les conséquences favorables sur l’apparence physique et l’image de soi.

Presbytie et implants pseudophakes multifocaux

La chirurgie de la presbytie par échange de cristallin concerne une population sensiblement plus âgée (majoritairement au-delà de soixante ans), puisqu’elle est essentiellement indiquée en présence d’une cataracte. À l’exception des cataractes congénitales ou traumatiques qui atteignent des patients jeunes ayant encore une fonction d’accommodation, la chirurgie du cristallin est principalement réalisée pour des cataractes liées à l’âge chez des patients qui étaient déjà devenus presbytes. La mise en place d’un implant pseudophake étant systématique pour corriger l’aphakie, on comprend l’intérêt de rechercher dans tous les types d’indications une correction par l’implant pouvant apporter la meilleure vision possible à toutes distances, idéalement en restaurant la fonction d’accommodation. L’évolution de cette chirurgie favorise cette orientation avec l’amélioration des formules de calcul d’implants qui assure une bonne précision de correction réfractive, mais aussi le bon contrôle de l’astigmatisme, préopératoire grâce aux implants toriques et postopératoire grâce aux micro-incisions. La compensation de la presbytie dans cette chirurgie est essentiellement réalisée actuellement par le concept optique de la monovision avec les implants à optique monofocale, ou par le concept de bifocalité avec essentiellement les implants à optiques diffractives. Les implants à optiques biréfractives, plus récents, commencent à être étudiés sous l’angle de la qualité de vie [21]. Les implants accommodatifs font encore l’objet d’une évaluation sur le maintien de leur efficacité à moyen et à long terme. Les implants multifocaux ont fait la preuve de leur capacité pour améliorer à la fois la vision de loin et de près (cf. chapitre 7). Cependant, cette propriété est acquise au prix d’effets indésirables chez certains patients avec, dans ces cas, un retentissement défavorable sur leur satisfaction et leur qualité de vie[5, 38]. Ces implants sont donc toujours l’objet d’évolutions techniques dans le but d’améliorer leurs performances optiques, notamment la qualité de vision nocturne qu’ils procurent. Il faut constater que très peu d’études de qualité de vie ont jusqu’à présent été publiées au sujet des implants bifocaux à optiques diffractives. Il faut donc interpréter les résultats disponibles en termes de tendance, en attendant d’autres études qui pourront apporter des éléments de confirmation. Les études comparatives qui permettraient de différencier les propriétés de qualité de vie de chaque type d’implant sont très difficiles à réaliser. Les explications sont diverses : variété des caractéristiques optiques et géométriques, différences de coûts financiers entre les nombreux implants disponibles, absence de randomisation, biais de recrutement, biais d’interprétation des résultats, conflits d’intérêts…

Les comparaisons entre les implants à optiques monofocales, accommodatives ou diffractives n’ayant pas encore été suffisamment explorées dans le cadre de la chirurgie de la cataracte unilatérale, nous devons analyser les études de qualité de vie réalisée pour les cas de chirurgie bilatérale.

La multifocalité est-elle supérieure à la monovision pour compenser la presbytie ?

Zhang [39] a publié une étude comparant la fonction visuelle et la qualité de vie de deux groupes de patients opérés consécutivement. Un groupe de vingt-deux patients était corrigé en monovision avec des implants acryliques hydrophobes asphériques à optique monofocale, l’autre groupe, qui comportait vingt et un patients, était corrigé avec des implants acryliques hydrophobes à optiques diffractives. Des incisions limbiques relaxantes étaient réalisées en cas d’astigmatisme préopératoire à corriger. Les auteurs ont utilisé l’échelle de qualité de vie NEI-VFQ-25 à laquelle ils ont ajouté un questionnaire de satisfaction. Les patients corrigés par implant multifocal devaient supporter un coût financier supplémentaire, ce qui rendait impossible une randomisation des deux groupes. Les moyennes d’acuités visuelles binoculaires sans correction de loin et de près, qui étaient légèrement meilleures dans le groupe multifocal, ne présentaient pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes (nombre de patients probablement trop faibles). Soulignons cependant que :

  • – 81 % des patients du groupe multifocalité déclaraient ne jamais porter de lunettes pour conduire versus 71 % dans le groupe monovision ;

  • – 77 % des patients du groupe monovision déclaraient ne jamais porter de lunettes pour la lecture versus 67 % des patients du groupe des implants diffractifs.

De même, aucune différence statistiquement significative n’était mise en évidence entre les deux groupes au niveau des scores de conduite en conditions difficiles ou nocturnes, avec cependant des valeurs plus favorables pour le groupe monovision. En revanche, les halos étaient significativement plus fréquents dans le groupe des implants bifocaux. Les patients du groupe monovision avaient de façon statistiquement significative une meilleure vision en distance intermédiaire (travail sur écran) comparativement aux patients de l’autre groupe. Enfin, les patients du groupe monovision avaient de meilleurs scores de satisfaction globale et moins de symptômes visuels que les patients porteurs d’implants multifocaux. Un dernier point doit être abordé, c’est celui de l’aspect financier. Le coût moyen supplémentaire pour les patients de cette étude qui choisissaient les implants multifocaux était de 1 895 US$ par œil opéré ; ce coût supplémentaire était au maximum de 367 US$ par œil opéré pour les patients corrigés par implants monofocaux combinés à des incisions limbiques relaxantes pour la correction d’un astigmatisme. Le coût financier supplémentaire a pu introduire un biais de résultat de qualité de vie en sélectionnant des patients de niveau socioéconomique supérieur dans le groupe des implants multifocaux, ayant des attentes plus exigeantes et pouvant, de ce fait, majorer le ressenti subjectif des symptômes visuels.

Dans cette étude, la monovision et la multifocalité ont permis de compenser la presbytie avec une efficacité comparable, mais les taux de satisfaction étaient globalement meilleurs dans le groupe monovision en raison des symptômes visuels nocturnes qui pénalisaient la multifocalité.

Peut-on comparer différents types d’implants multifocaux ?

Alió [1] a publié une étude comparative de qualité de vie utilisant l’échelle NEI-VFQ-25 entre trois groupes de patients opérés de cataracte bilatérale :

  • – un premier groupe était corrigé par un implant acrylique hydrophile à optique monofocale : vingt-six yeux ;

  • – un deuxième groupe de patients était corrigé avec un implant acrylique hydrophobe bifocal diffractif (zone optique centrale, apodisée) et réfractif (périphérie) : trente-huit yeux ;

  • – le troisième groupe de patients était corrigé par implant bifocal diffractif asphérique acrylique hydrophile : quarante-deux yeux.

Les patients des deux groupes corrigés par implants multifocaux, qui bénéficiaient d’une meilleure acuité visuelle de près sans correction, avaient moins de difficulté à réaliser les tâches quotidiennes nécessitant une vision en distance rapprochée (dont la lecture) que les patients du premier groupe. Les patients du troisième groupe (implants diffractifs asphériques acryliques hydrophiles) avaient moins de difficultés à conduire la nuit que les patients du deuxième groupe (implants diffractifs réfractifs acryliques hydrophobes). Les patients du premier groupe (implants monofocaux) présentaient une meilleure sensibilité aux contrastes que les patients des deux autres groupes. Dans le deuxième groupe (implants diffractifs réfractifs acryliques hydrophobes), une corrélation statistiquement significative a été retrouvée entre la baisse de sensibilité aux contrastes et les difficultés à la conduite nocturne.

Les échelles de qualité de vie semblent capables de distinguer les effets des différents implants multifocaux. D’autres études sont nécessaires pour corroborer ces résultats et pour identifier les facteurs optiques déterminants l’induction des symptômes visuels par analyse statistique multifactorielle (rôle de l’asphéricité des optiques notamment).

Ces études confirment que la monovision et la multifocalité permettent de compenser la presbytie chez les opérés de cataracte. La qualité de vie peut donc être améliorée pour certaines dimensions corrélées, notamment, à la dépendance à une correction, mais cet effet bénéfique peut dans certains cas être contrebalancé par un effet négatif sur les dimensions explorant les symptômes visuels. La dégradation de la vision binoculaire est la limite principale de la monovision. L’altération de la sensibilité aux contrastes et ses conséquences visuelles pour les activités en vision nocturne, mais aussi la gêne en vision intermédiaire sont les principales limites des implants multifocaux diffractifs.

LA PRESBYTIE A-T-ELLE UN IMPACT SUR LES INDICATIONS ET LES RÉSULTATS DU LASIK ?

Le LASIK étant la technique opératoire la plus fréquente en chirurgie réfractive, nous avons recherché des éléments de réponse à cette question qui nous semble importante.

Saragoussi [34] a publié une étude transversale de qualité de vie utilisant une traduction avec adaptation française (voir le questionnaire en annexe) validée de l’échelle NEI-RQL-42 [6]. Cette étude a été réalisée sur une population de trois cent sept patients ayant répondu au questionnaire, sur six cent quarante-neuf sujets amétropes opérés successivement de LASIK au cours du premier trimestre 2008 par plus de vingt chirurgiens dans un centre indépendant, toutes indications réfractives confondues. L’âge moyen était de 36,8 ans (dix-huit à soixante et onze ans) ; soixante-huit sujets avaient quarante-cinq ans ou plus (22 %) et, dans ces cas, l’objectif réfractif tenait toujours compte de la presbytie pour induire un effet de monovision chez les myopes et de multifocalité cornéenne chez les hypermétropes. En reprenant a posteriori la base de données de l’étude, nous avons recherché les différences entre ces deux groupes (données non publiées). Le pourcentage de myopes dans le groupe non presbyte, qui était de 91 %, s’est réduit à 61 % dans le groupe des sujets presbytes. Le pourcentage de sujets hypermétropes qui était de 8,6 % dans le groupe non presbyte, est monté à 39 % dans le groupe des sujets presbytes. Le pourcentage de retouches qui était de 5,2 % dans le groupe des sujets âgés de moins de quarante-cinq ans, est monté à 11,9 % dans le groupe des sujets âgés de quarante-cinq ans ou plus. Nous avons calculé les scores moyens de qualité de vie pour chacune des treize dimensions explorées par le questionnaire dans les deux groupes (les scores sont calculés sur 100, la valeur 100 correspondant à la meilleure qualité de vie) (tableau 24-I, fig. 24-1). Chez les sujets âgés de quarante-cinq ans ou plus, les scores de qualité de vie postopératoire étaient significativement moins bons comparés aux scores des sujets plus jeunes, dans quatre des treize dimensions : « vision de près » (72,9 versus 93,7), « dépendance à une correction » (70,9 versus 96,4), « apparence physique » (88,5 versus 93,8), « correction sous-optimale » (93,5 versus 98,8). Le score de satisfaction (différent du taux de satisfaction exprimé en pourcentage) était très acceptable dans le groupe des sujets presbytes (82,7) mais il était inférieur à celui de l’autre groupe (87,5 pour les sujets non presbytes). Il est intéressant de noter, sans que des comparaisons puissent être établies entre ces deux études, que les scores de qualité de vie de la population de sujets presbytes opérés par LASIK étaient en assez bonne concordance avec les scores publiés par McDonnell [22] ; ce dernier avait utilisé la même échelle de qualité de vie pour étudier une population âgée de quarante-cinq ans ou plus corrigée en monovision par lentilles de contact ou chirurgie. Enfin, le questionnaire de satisfaction et d’activités de notre étude a laissé aussi apparaître des différences. Le pourcentage de sujets déclarant toujours porter une correction pour la vision de loin après LASIK était de 0 % dans le groupe des sujets âgés de moins de quarante-cinq ans, alors qu’il était de 6 % dans le groupe des sujets presbytes ; le pourcentage de sujets déclarant toujours porter une correction pour la vision de près était de 0,8 % dans le groupe non presbyte, contre 28,4 % dans le groupe presbyte. Parmi les sujets non presbytes opérés, 93,7 % conseillaient l’opération à leurs proches contre 86,2 % des sujets dans le groupe des sujets presbytes où on trouvait davantage d’indécis. Toutefois, le taux de satisfaction postopératoire était élevé (92,5 %) chez les presbytes opérés, même s’il était inférieur au taux de satisfaction des sujets non presbytes, qui atteignait 98,3 % (fig. 24-2 et 24-3).

Au total, bien que ces comparaisons ne tiennent pas compte des autres différences potentielles entre ces deux groupes d’âge, retenons que, dans notre étude, la presbytie a influencé sensiblement les indications et les résultats du LASIK. L’hypermétropie était une indication chirurgicale plus fréquente à partir de quarante-cinq ans. Les retouches chirurgicales pour un ajustement réfractif étaient deux fois plus fréquentes à l’âge de la presbytie. La dépendance à une correction complémentaire (pour la vision de loin ou de près) augmentait également dans la population presbyte, avec un impact sur l’apparence physique. Malgré ces limites, les sujets presbytes opérés par LASIK qui recommandaient l’opération à leurs proches représentaient un pourcentage élevé.

Sur la base de notre étude, la presbytie rend les résultats du LASIK plus contrastés. Ce constat, en parfaite correspondance avec notre expérience clinique, aide à préciser l’information préopératoire des sujets phakes presbytes candidats à la chirurgie réfractive cornéenne.

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Fig. 24-1 Histogramme représentant les scores moyens des treize dimensions de la traduction française de l’échelle NEI-RQL-42 dans le groupe de sujets d’âge inférieur à 45 ans et dans le groupe de sujets d’âge supérieur ou égal à 45 ans dans l’étude sur le LASIK et la qualité de vie (Saragoussi  [34]).

Les scores moyens sont calculés sur 100, la note 100 correspondant au score le plus favorable pour la qualité de vie (par exemple, un score de 100 pour la dimension « phénomènes visuels lumineux » correspondrait à leur absence totale).

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Fig. 24-2 Histogramme des réponses des deux groupes de patients (âge inférieur à 45 ans et âge supérieur ou égal à 45 ans) de l’étude « LASIK et qualité de vie » (Saragoussi [34]) au questionnaire de satisfaction (pourcentages de sujets satisfaits).

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Fig. 24-3 Histogramme des réponses des deux groupes de patients (âge inférieur à 45 ans et âge supérieur ou égal à 45 ans) de l’étude « LASIK et qualité de vie » de Saragoussi  [34] au questionnaire de satisfaction, à la question : « Conseilleriez-vous l’intervention à vos proches ? »

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Questionnaire de qualité de vie

Traduction française et adaptation du NEI- RQL-42

(National Eye Institute Refractive error Quality of Life Instrument-42)

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QUESTIONS AU SUJET DE VOS ACTIVITÉS

Les questions et affirmations suivantes s’intéressent à l’influence de votre vision sur vos activités. Elles concernent votre vision actuelle après la chirurgie, au besoin améliorée par votre correction optique habituelle (lunettes, lentilles…).

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QUESTIONS AU SUJET DE VOTRE VISION

Les questions suivantes concernent votre vision actuelle après la chirurgie, au besoin améliorée par votre correction optique habituelle (lunettes, lentilles, loupe, autres…).

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QUESTIONS AU SUJET DE LA CORRECTION DE VOTRE VISION

Les questions suivantes concernent votre vision actuelle après la chirurgie, au besoin améliorée par votre correction optique habituelle (lunettes, lentilles, loupe, autres…).

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