Table des matières

Préface - 15/10/09

Voilà une démarche pour le moins inattendue que celle d’un radiologue se tournant vers la philosophie pour introduire l’ouvrage qu’il destine à ses étudiants. L’initiative de Jean- Michel Lerais est avant tout révélatrice de sa volonté d’inviter les disciplines à se rencontrer, à se compléter, à se découvrir et à s’enrichir. Philosophie et radiologie donc. A première vue, l’association peut sembler insolite. Mais à côtoyer Jean- Michel Lerais, l’envie, la curiosité et l’enthousiasme prirent le pas sur la peur de la page blanche. Nous avions en commun la curiosité intellectuelle et le goût de la rencontre interdisciplinaire. Restait une question : qu’est-ce que la philosophie peut dire de la radiologie ?

Élodie Crétin

Ingénieur de recherche clinique

Département Douleur, Centre d’Investigation Clinique CHU Besançon

Doctorante en philosophie

Université de Franche-Comté-Laboratoire de recherches philosophiques sur les sciences de l’action EA 2274

« Il faut voir pour savoir…

La philosophie et la radiologie ont en commun la curiosité du réel et la tentative de le saisir dans sa significativité, voire dans sa vérité. La radiologie donne à voir ce qui reste caché à l’œil ordinaire. Elle rend l’invisible visible, l’inconnu connu. L’espace intérieur, intime et inaccessible se donne enfin à voir et donc à connaître. Les détours et les contours de nos corps intérieurs sont exposés, surexposés, séquencés, pondérés, contrastés à volonté et délivrés de ce qui en gênerait leur contemplation. Le corps rendu visible, libéré de ses lourdeurs et de son opacité, le corps en « FAT-SAT », saturé et modifié, le corps enfin transparent et disponible, l’intimité des organes domestiquée, le lien entre extérieur et intérieur du corps enfin maîtrisé et médiatisé par une technologie de plus en plus pointue, sensible et précise… « Voir, savoir » comme le résumait Michel Foucault.

Ce dévoilement des corps est, depuis les premières autopsies jusqu’à l’hypertechnique contemporaine, ce qui a permis la constitution même du savoir médical et avec lui les possibilités diagnostiques et thérapeutiques. Devenu visible, l’invisible devient nommable, connaissable, maîtrisable. L’imagerie médicale contemporaine repousse de cette manière les zones d’ombres, les territoires opaques du corps et, ce faisant, fait reculer l’incertitude. Par une exploration de plus en plus fine du corps, la forme, la localisation des pathologies sont enfin à portée d’œil. Le corps n’est plus ce lieu insaisissable, épais, confidentiel et intime. D’une efficacité incontournable, cette géographie du corps est fascinante. Fascinante, car elle est le fruit d’une technologie remarquable mais aussi et surtout car elle nous fait toucher (de l’œil) le fantasme de toute science : donner à voir la vérité, la réalité enfin objectivée des choses.Mais l’attraction et la fascination que nous ressentons aujourd’hui pour l’image du corps, en médecine comme ailleurs, ne nous enferment-elles pas dans l’illusion, logée dans cette confusion du réel et du virtuel, de connaître le corps ? Que nous montre l’imagerie médicale ? Quel est le corps montré sur l’écran ? Quelle transformation du regard le recours omniprésent à l’image implique-t-il ?

… et savoir pour mieux voir »

Là où nous croyons avoir atteint et dévoilé le corps dans sa vérité, nous ne voyons encore qu’un artefact du corps. Ce qui est présenté à l’écran est encore une apparence, une image, une re-construction de la réalité, une re-présentation. Ainsi pourrions-nous écrire, en légende des imageries médicales, à l’instar de Magritte et afin d’apprécier la distance existant entre une chose et sa représentation : « Ceci n’est pas un corps ».

« Ceci n’est pas un corps », car même les images les plus sophistiquées le représenteront figé dans le temps et dans l’espace. Il s’agit d’un corps sans évolution, saisi dans un instant, dans un moment qui ne saurait le résumer. Il s’agit également d’un corps sans mouvement, un corps fixe, découpé et divisé. Le mouvement est l’ennemi de l’imagerie médicale, il créé des artefacts, il interfère dans la pureté de l’image. Pourtant, l’inscription dans le mouvement et le changement est le propre du corps et plus précisément du corps vécu, de mon corps. Là où l’image offre à voir la localisation des pathologies, c’est la temporalité de la maladie qui risque de faire défaut. Qu’est-ce alors que cette géographie sans histoire? Au radiologue avisé alors de resituer le corps dans sa durée, dans son vécu et d’incarner ses images dans l’expérience d’un corps qui n’est autre que celui d’un sujet faisant l’expérience du corps malade, handicapé, diminué dans ses possibles et se tournant vers la médecine pour comprendre sa douleur et restaurer, lorsque cela est possible, ses capacités.

« Ceci n’est pas un corps », car les images présentent un corps réifié, chosifié et dépersonnalisé. Or notre corps est avant tout un corps-sujet  : nous n’avons pas un corps, nous sommes un corps. Notre corps est le lieu d’une intentionnalité, lieu de vie d’une subjectivité d’emblée liée à autrui. L’image isole et fige ce qui est relation et mouvement. Le corps-objet reconstruit par l’image n’est pas mon corps. Il n’est pas mon corps malade que je présente au regard d’un médecin, (et non pas aux calculs d’une machine), chargé pour moi et par moi d’en éclaircir le sens. « Mon médecin, disait Georges Canguilhem, c’est celui qui accepte, ordinairement, de moi que je l’instruise sur ce que, seul, je suis fondé à lui dire, à savoir ce que mon corps m’annonce à moi-même par des symptômes dont le sens ne m’est pas clair. Mon médecin, c’est celui qui accepte de moi que je voie en lui un exégète avant de l’accepter comme réparateur ». L’exégèse est au cœur du travail du radiologue et requiert l’acuité de l’expérience pour en guider l’apprentissage.

La médecine est un art au carrefour de différentes sciences disait Georges Canguilhem. Il existe en effet un va-et-vient permanent entre l’objectivation nécessaire du corps malade et le souci de l’autre comme sujet, porteur d’une histoire, d’un récit dont l’image est un média privilégié mais non la finalité. L’imagerie médicale actuelle oblige à interroger la nature du savoir médical et sa transmission : quel regard sur les corps et sur la maladie voulons-nous forger ?

La transmission d’un regard

Si ce que nous voyons à l’écran est une réalité reconstruite ne correspondant pas toujours à la réalité vécue du sujet de la maladie, les écrans risquent également de faire écran et de couper le praticien de la relation au patient qui est pourtant à l’origine de son savoir et de sa pratique. La clinique peut- être tentée de se retirer devant la technique et ses prouesses, c’est pourtant bien la première qui donne son sens à la seconde. C’est l’examen clinique qui appelle le recours à l’imagerie et c’est encore la clinique qui complète l’interprétation de l’image.

L’imagerie médicale n’est pas le reflet de la réalité, mais un lien vers la réalité du malade. La médecine, avant d’être un savoir, une technique, est une relation. Une relation entre théorie, expérimentation, biologie, physique, mécanique, chimie, technique… Une relation entre différentes disciplines mais aussi et avant tout une relation entre deux personnes, entre un soignant et un soigné, entre des hommes à qui l’on confie d’autres hommes. L’image est dénuée de sens : elle est un média au service de l’élaboration du sens, élaboration issue d’un ensemble de causalités et de mises en relation dont le radiologue ne saurait faire l’économie.

Cet ouvrage invite à ne pas oublier que l’image est un moyen et non une fin en soi et rappelle que le moment de la consultation est bien une anamnèse désignée comme la source d’un savoir qu’il s’agira de vérifier par le recours aux techniques d’imagerie médicale. Ce faisant, le contenu de cet ouvrage et l’intention de son auteur se veulent vigilants face au risque de chosification du corps et de mise à distance du sujet de la maladie. Il appartient en effet au radiologue de resituer le moment technique en aval d’un moment clinique et en amont d’un moment interprétatif, l’ensemble étant borné et motivé par un corps-sujet soucieux de comprendre sa maladie et donnant par là même sa raison d’être à toute l’innovation technologique dont est capable l’imagerie médicale actuelle.

Il s’agit bien ici de la transmission d’un regard, de l’enseignement d’un regard, où la richesse de cet ouvrage se fait le témoin d’une volonté de l’auteur de transmettre à la fois une passion de la technique et un souci tangible d’aiguiser le regard clinique. Cet ouvrage pédagogique, pour avoir appris à en connaître l’auteur, a pour sources la maîtrise des techniques, le souci de l’examen clinique, l’enthousiasme de la curiosité, l’amour de la connaissance et de sa transmission.Le lecteur, l’étudiant, y trouveront une invitation tant à l’exercice du regard clinique qu’à l’expertise technique. Le souci, dont est né ce livre, de former des cliniciens autant que des techniciens, oblige à penser l’image comme une production dont le sens est à définir, à construire, à constituer au terme d’une élaboration collective et progressive émergeant d’un questionnement pluriel dont il faut faire l’apprentissage.



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