La lèpre lépromateuse représente la forme anergique de l’infection à Mycobacterium leprae, dont l’évolution est habituellement émaillée d’accidents immuno-allergiques. Le phénomène de Lucio est une réaction immuno-allergique inhabituelle décrite en 1852 par Lucio ; il est surtout rencontré en Amérique du Sud et se caractérise par la survenue de lésions nécrotiques. Nous en rapportons un cas.

Un homme de 62 ans, cultivateur, était adressé en dermatologie pour des plaies chroniques diffuses. La maladie avait débuté deux ans auparavant par un éclaircissement spontané du visage. Au fur et à mesure que l’éclaircissement progressait, apparaissaient successivement de petites taches rouges qui s’ulcéraient secondairement. Les lésions initialement localisées aux jambes s’étendaient progressivement aux bras et au thorax. Un antécédent familial de lèpre chez une tante paternelle était noté. L’examen physique trouvait un malade dysphonique, apyrétique et maigre (IMC=17,32kg/m²). La peau était fripée et recouverte sur le tronc et les membres de multiples ulcérations par endroits croûteuses, de taille variable, à base infiltrée. Une infiltration du lobe des oreilles, une madarose, un élargissement de la base du nez, une muqueuse nasale congestive et un gonflement des poignets étaient également notés. L’examen neurologique trouvait une hypertrophie de plusieurs troncs nerveux périphériques (radial, ulnaire, fibulaire et auriculaire superficiel). Le reste de l’examen clinique était normal. La bacilloscopie était positive à 5+ à plusieurs sites. En dehors d’une anémie à 9g/dL, le reste du bilan biologique était normal. Le diagnostic de phénomène de Lucio sur lèpre lépromateuse était évoqué. Un traitement antibiotique associé à des antiseptiques restait sans succès sur les ulcérations. L’administration d’une polychimiothérapie (PCT) OMS MB et de thalidomide entraînait une nette amélioration des ulcérations, avec amorce de cicatrisation au bout de 10jours.

Le phénomène de Lucio est une forme violente d’érythème noueux lépreux caractérisée cliniquement par des ulcérations cutanées diffuses. Il survient généralement après traitement chez des malades lépromateux connus. Sa survenue chez des sujets naïfs de tout traitement anti-lépreux, comme dans notre cas, est un fait inhabituel qui doit attirer notre attention sur la possibilité de lèpre devant des ulcérations cutanées étendues résistantes aux traitements antibiotiques.

Habituellement décrite en Amérique, le phénomène de Lucio peut être également rencontré en Afrique. Outre les lésions cutanées typiques, les plaies nécrotiques doivent figurer parmi les signes cutanés révélateurs de la lèpre.