S'abonner

Philosophie de la décision médicale en médecine interne - 22/05/17

Doi : 10.1016/j.revmed.2017.03.082 
A. Camus 1, M. Ruivard 2, , M. Gaille 1
1 UMR 7219, laboratoire sphère, université Diderot Paris 7, Paris, France 
2 Médecine interne, CHU D’Estaing, Clermont-Ferrand, France 

Auteur correspondant.

Résumé

Introduction

La littérature médicale relative à la décision médicale [1, 2] et les recommandations de bonnes pratiques (HAS, État des lieux : « décider ensemble » 2013) identifient différents « modèles » de relations de soin qui informent la décision médicale : modèle paternaliste, modèle informatif et modèle de décision partagée/co-construite. Actuellement, la tendance est à une incitation à la promotion de l’autonomie du patient. Mais cette norme d’autonomie, lorsqu’elle est entendue comme autodétermination, est-elle la seule pertinente dans les situations de médecine interne ? L’objectif de cette étude est, au-delà de la critique de ces modèles de décision, de proposer des outils conceptuels et pratiques pour la décision médicale en contexte hospitalier. Pour cela, l’étude se fonde sur des observations de terrain en service de médecine interne et sur une lecture de l’œuvre de G. Canguilhem [3], philosophe et médecin, dont on se propose de faire « un usage » pour la pratique médicale.

Patients et méthodes

Étude qualitative menée par une doctorante en philosophie dans un service de médecine interne. Grâce à une convention passée avec le CHU, la doctorante a pu assister aux visites, consultations, RCP de médecine interne et s’est entretenue avec les médecins, les soignants, les patients. Critères de sélection des situations étudiées : situations de décision médicale identifiées par les équipes du service comme étant complexes et/ou problématiques, impliquant des patients âgés et/ou polypathologiques avec ou sans troubles cognitifs.

Résultats

Les 113 situations étudiées (113 patients dont 30 situations de décision « complexe ») montrent que l’application stricte du modèle informatif (« patient décideur ») dans les cas de décisions complexes (du point de vue médical ou psychosocial) n’est pas sans problème et met parfois les patients en difficulté, révélant leur vulnérabilité face à des situations de choix. (Ex. 1 : décision de chimiothérapie chez une patiente de 86 ans atteinte d’un lymphome B de haut grade EBV+). Le modèle de décision partagée, lui, paraît trop simpliste pour être appliqué en contexte hospitalier, où la temporalité de la décision et son caractère collaboratif viennent compliquer et enrichir la prise de décision. (Ex. 2 : refus de transfusion sanguine chez une patiente de 26 ans présentant un syndrome myélodysplasique sévère). Finalement, c’est la pertinence même des modèles de décision qui est questionnée par les situations étudiées, qui montrent une résistance à toute tentative de standardisation de la relation de soin et de la décision médicale. Ces situations montrent pour la plupart que la notion d’autonomie décisionnelle, notamment lorsqu’elle se confond avec l’idée d’une « liberté de choix », tend à occulter les contraintes qui pèsent sur toute décision médicale. De plus, on constate une dissociation de la question de l’autonomie décisionnelle et de celle de la restauration de la santé organique, souvent identifiée par les équipes médicales comme visée première de la prise en charge. La résistance des situations étudiées à l’application de modèle pour la décision médicale rappelle les limites inhérentes à tout modèle : tirant sa valeur de sa généralité, il ne peut être appliqué comme tel, et demande à être adapté aux situations concrètes et sans cesse repensé à la lumière des pratiques. Cela montre la pertinence des approches centrées sur la personne, mais aussi de l’attention à la singularité des situations et au contexte de la décision médicale.

Conclusion

L’application de modèles de décision à des situations complexes et hétérogènes fait problème et a tendance à scinder la question de la décision (« qui décide ? ») de celle de la finalité de cette décision. À partir d’une lecture de l’œuvre de Canguilhem, et notamment de la notion de « latitude de vie », nous faisons l’hypothèse suivante : penser la finalité de la décision médicale comme tentative de restauration de la « latitude de vie » du patient permet d’articuler l’autonomie décisionnelle avec une visée plus large. De nombreuses prises en charge en médecine interne visent à restaurer les « marges de santé organique » de l’individu. Cette finalité n’est pas toujours en adéquation avec ce qui est visé par la personne malade. La notion de santé organique fait partie de la latitude de vie, mais ne la résume pas entièrement. En effet, si la finalité de la prise en charge médicale est de permettre au patient de retrouver une certaine « latitude de vie », cela nécessite de prendre en compte, outre la santé organique, ce qui lui importe (préférences, valeurs), mais aussi le maintien ou la restauration de sa latitude de décision. La latitude de décision – facette de la latitude de vie – est ce qui est à préserver ou à restaurer dans la relation de soin. Elle permet de penser une marge de manœuvre dans des situations très contraintes : contraintes médicales, psychosociales, biographiques, et en cela de penser la décision en contexte.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Plan


© 2017  Publié par Elsevier Masson SAS.
Ajouter à ma bibliothèque Retirer de ma bibliothèque Imprimer
Export

    Export citations

  • Fichier

  • Contenu

Vol 38 - N° S1

P. A87 - juin 2017 Retour au numéro
Article précédent Article précédent
  • Profil des polyradiculoneuropathies démyélinisantes non anti-MAG associées aux lymphomes : une étude monocentrique
  • N. Noel, C. Cauquil, C. Labeyrie, M. De Menthon, G. Beaudonnet, T. Lazure, C. Adam, P. Chrétien, D. Adams, C. Goujard, O. Lambotte
| Article suivant Article suivant
  • Une formation à la relation modifie significativement les attitudes spontanées d’écoute
  • J.M. Boles, B. Christine, L. Landais, A. Renault

Bienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.
L’accès au texte intégral de cet article nécessite un abonnement.

Déjà abonné à cette revue ?

Mon compte


Plateformes Elsevier Masson

Déclaration CNIL

EM-CONSULTE.COM est déclaré à la CNIL, déclaration n° 1286925.

En application de la loi nº78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, vous disposez des droits d'opposition (art.26 de la loi), d'accès (art.34 à 38 de la loi), et de rectification (art.36 de la loi) des données vous concernant. Ainsi, vous pouvez exiger que soient rectifiées, complétées, clarifiées, mises à jour ou effacées les informations vous concernant qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées ou dont la collecte ou l'utilisation ou la conservation est interdite.
Les informations personnelles concernant les visiteurs de notre site, y compris leur identité, sont confidentielles.
Le responsable du site s'engage sur l'honneur à respecter les conditions légales de confidentialité applicables en France et à ne pas divulguer ces informations à des tiers.


Tout le contenu de ce site: Copyright © 2024 Elsevier, ses concédants de licence et ses contributeurs. Tout les droits sont réservés, y compris ceux relatifs à l'exploration de textes et de données, a la formation en IA et aux technologies similaires. Pour tout contenu en libre accès, les conditions de licence Creative Commons s'appliquent.