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Un scorbut d’acquisition hospitalière mimant une leucémie aiguë réfractaire - 28/11/18

Doi : 10.1016/j.revmed.2018.10.223 
R. Muller 1, , D. Blaise 1, N. Vey 2
1 Hémato-oncologie, Institut Paoli-Calmettes, Marseille 
2 Epigenetic factors in normal and malignant hematopoiesis, CRCM-Inserm, U1068, Institut Paoli-Calmettes, Aix-Marseille Université, UM 105, CNRS, UMR7258, Marseille 

Auteur correspondant.

Résumé

Introduction

Le scorbut est une maladie historique, mais en recrudescence aujourd’hui dans les pays développés. Les principaux facteurs de risque connus sont la dénutrition, les régimes stricts (anorexie mentale), les âges extrêmes de la vie, les malabsorptions intestinales et la précarité sociale [1]. L’association scorbut–cancer est décrite et rapportée depuis longtemps dans la littérature [2], bien que sans doute sous-diagnostiquée [1]. À notre connaissance, tous les cas de scorbuts rapportés dans la littérature ont été acquis au domicile ou en institution, mais jamais au décours d’une hospitalisation.

Nous rapportons ici le cas original d’une patiente ayant développé un scorbut nosocomial mimant une leucémie aiguë réfractaire.

Observation

Une femme de 19 ans sans antécédent était hospitalisée en février 2018 en service d’hématologie pour la prise en charge d’une pancytopénie. Le myélogramme retrouvait 86 % de blastes médullaires, avec une inversion du chromosome 16 au caryotype se traduisant en biologie moléculaire par l’expression du transcrit de fusion CBFB-MYH11, faisant retenir le diagnostic de LAM CBF. La patiente bénéficiait d’une chimiothérapie d’induction conventionnelle par Cytarabine/Idarubicine. Ce traitement d’induction permettait l’obtention d’une aplasie médullaire iatrogène, mais se compliquait notamment d’infections sévères et d’une mucite buccale invalidante. Trois semaines après le début du traitement, la patiente présentait une forte asthénie associée à des métrorragies, des écchymoses spontanées, des gingivorragies avec hypertrophie gingivale nécrotique, un purpura folliculaire, et des douleurs osseuses des membres inférieurs. Le bilan retrouvait alors une stabilité de la numération (en particulier une thrombopénie à 14 G/L), un TCA à 1,8, avec des facteurs 2 et 7 abaissés respectivement à 38 et 44 %, un facteur 5 à 98 % et des produits de dégradation de la fibrine normaux.

Le premier diagnostic évoqué était une sortie d’aplasie blastique. Un myélogramme était alors réalisé, éliminant l’hypothèse d’une leucémie aiguë réfractaire au traitement d’induction. L’évolution n’était pas favorable malgré transfusions plaquettaires et mise sous vitamine K. Un scorbut était alors évoqué et traité, permettant une régression de l’ensemble de la symptomatologie. Le taux de vitamine C, obtenu rétrospectivement, permettait de confirmer ce diagnostic. L’interrogatoire minutieux des apports alimentaires confirmait la carence d’apports en fruits et légumes, la patiente ne mangeant pas les plateaux repas de l’hôpital, et ayant comme seuls apports caloriques les sodas et barres chocolatées apportées par sa famille.

Discussion

La particularité de ce cas repose :

– sur l’acquisition intra hospitalière de la carence en vitamine C. La patiente ne présentait en effet aucun syndrome hémorragique au début de sa prise en charge, malgré une thrombopénie à 11G/L au diagnostic. La carence d’apport s’avère donc nosocomiale, favorisée par une inappétence, une mucite et des diarrhées secondaires à la chimiothérapie, le tout aggravé par l’alimentation déséquilibrée de la patiente qui ne trouvait pas à son goût les plateaux repas délivrés dans le service.

– sur la présentation clinique associant douleurs osseuse, hypertrophie gingivale, et syndrome hémorragique cutanéomuqueux, ayant dans le contexte fait évoquer en premier lieu la sortie d’aplasie blastique d’une leucémie aiguë réfractaire. Le signe clinique orientant plus spécifiquement vers le diagnostic de scorbut était le caractère spécifiquement folliculaire du purpura.

L’association cancer-scorbut est connue [3] et multifactorielle, favorisée :

– par la déplétion des réserves en acides ascorbique induite par la tumeur [2] (suspectée en particulier de faciliter la dissémination métastatique et la tolérance immunitaire tumorale),

– par la dénutrition (paranéoplasique et liée aux traitements),

– et éventuellement par un terrain sous-jacent parfois associé à la fois au scorbut et aux cancers comme l’âge avancé ou la consommation alcoolique.

Conclusion

Le scorbut est une maladie sous diagnostiquée pouvant être une maladie nosocomiale à part entière. Sa présentation clinique (syndrome hémorragique, douleurs osseuses) peut mimer celle d’une leucémie aiguë. Tout syndrome hémorragique cuténaomuqueux, en particulier dans un contexte de dénutrition ou de cancer, doit faire évoquer le diagnostic.

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