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De la séméiologie psychiatrique à la psycholinguistique : définition d'un nouveau modèle de la clinique post-traumatique - 14/11/19

From psychiatric semeiology to psycholinguistics: Definition of a new model of post-traumatic clinical presentation

Doi : 10.1016/j.evopsy.2019.09.002 
Yann Auxéméry  : Médecin principal, Chef du Service médical de psychologie clinique appliquée à l’aéronautique
 Hôpital d’instruction des armées Percy, 101, avenue Henri-Barbusse, 92140 Clamart cedex, France 

Auteur correspondant.

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Résumé

Objectifs

Témoignant de l'évolution sociétale, l'intérêt pour les troubles psychiques post-traumatiques s'est généralisé avec l'essor de conceptions psychopathologiques, neurobiologiques et socio-anthropologiques. Mais, du fait de la présentation clinique même de ces troubles, le sous-diagnostic et les diagnostics tardifs, au stade des souffrances multiples, restent encore nombreux. Les reviviscences peuvent intégrer de nombreuses expressions cliniques qui ne correspondent pas uniquement à des comorbidités ou à des complications mais qui constituent d'authentiques formes cliniques psychiques post-traumatiques (expressions thymiques et anxieuses, deuils, mésusages de substances psychoactives, modifications de la personnalité, souffrances somatoformes et psychosomatiques, désadaptation sociale avec mise en péril de la quiétude du foyer et problématiques d'inscription professionnelle, etc.). Ces difficultés, intenses et riches sur le plan symptomatique, restent le plus souvent muettes concernant leurs origines psychotraumatiques. Malgré les progrès de la séméiologie psychiatrique, persiste une insuffisance à la caractérisation des troubles psychiques post-traumatiques. Et pourtant, parallèlement, de nombreux protocoles psychothérapiques ont émergé d'après différents référentiels théoriques (techniques comportementales et cognitives, pratiques hypnotiques, thérapies par mouvements oculaires, thérapies psychodynamiques, thérapies narratives, etc.). Enfin, si la neuroimagerie fonctionnelle, la référence neurobiologique au stress ou les récentes recherches concernant l'inflammation cérébrale sont intéressantes, ces avancées rendent compte des conséquences du traumatisme et non pas de ses causes. Il apparaît aujourd'hui nécessaire de construire un nouveau paradigme. Grâce à une approche innovante basée sur des concepts psycholinguistiques, nous proposons un modèle clinique spécifique du traumatisme psychique afin de mieux diagnostiquer les troubles psychiques post-traumatiques. Aussi, nous souhaitons dégager des marqueurs linguistiques permettant de mesurer l'efficacité des psychothérapies recommandées.

Matériel et méthodes

L'analyse linguistique des troubles psychiques post-traumatiques ne compte dans la littérature internationale qu'une cinquantaine de travaux, souvent anciens et de conclusions parcellaires. À partir de recherches analysant quantitativement et qualitativement le discours de patients blessés psychiques, nous décrivons leurs perturbations psycholinguistiques en les illustrant d'exemples empruntés à la pratique clinique.

Résultats

Le syndrome psycholinguistique post-traumatique se définit d'après trois symptômes : l'anomie traumatique, les répétitions linguistiques et, la désorganisation discursive. L'anomie traumatique est constituée par une réduction quantitative du discours associant défaut de production, altération du débit verbal et pauvreté lexicale. L'anomie est en partie palliée par des conduites d'approches (déviation périphrasiques et circonlocutoires, approximations synonymiques, paraphasies sémantiques) et des mots ou expressions bouche-trous. Le traumatisme psychique laisse un vide langagier : le trauma se répète en creux. Les manifestations anomiques et conduites palliatives maintiennent une structuration répétitive. Les répétitions linguistiques prennent la forme de réitérations phonologiques et syntaxiques (stéréotypies verbales, prédilections, intrusions, persévérations et échophrasies, etc.). Une récitation sous forme littérale de l’éprouver traumatique reste parfois possible mais, sans dimension narrative. Ces marques linguistiques contraignent la flexibilité du discours en parasitant sa production et sa progression. La désorganisation phrastique et discursive comprend une discordance des temps (surreprésentation du présent au détriment du futur), une désubjectivation (via des marqueurs pronominaux indéfinis et impersonnels) et une dysfluence allant jusqu'à l'agrammatisme (par défaut d'emploi des connecteurs logiques et chronologiques). Sans déroulé construit, contenue par le peu de recours à l'implicite ou aux constitutions argumentatives, la conduite intentionnelle et finalisée du propos peine à exister. Ne se structure ainsi que peu d'interrelation évidente entre les thèmes, abordés de manière fragmentaire mais encore, fragmentée. Marquée de réductions quantitatives et qualitatives avec ses dimensions anomiques, répétitives et désorganisées, la discontinuité de la parole du sujet blessé psychique se manifeste selon un gradient témoignant d'une dissociation automatico-volontaire : plus la pensée du patient se rapproche de la scène traumatique et/ou de ses conséquences, plus les difficultés d'expression se majorent. Inversement, plus les cognitions et perceptions du sujet s'éloignent du trauma, plus ses capacités d'expression verbale redeviennent préservées.

Discussion

Le syndrome psycholinguistique post-traumatique s'avère le pendant verbal des symptômes séméiologiques cardinaux du trauma. L'anomie traumatique témoigne de l'instant indicible de dissociation per-traumatique, les répétitions linguistiques renvoient aux reviviscences, les perturbations discursives impriment la dissociation aux phrases. Témoin d'une désubjectivation, la prééminence des formes indéfinies et impersonnelles correspond à la dépersonnalisation face au trauma et, la désorganisation discursive rappelle la déréalisation perçue pendant l'horreur. Ces perturbations du discours de la personne blessée psychique apparaissent la conséquence de la dissociation traumatique dans le langage. Les fonctions extra-linguistiques (cognitions, émotions, affects, comportements, mémoires, etc.) sont dissociées non seulement entre elles mais, surtout, elles restent dissociées des grandes composantes du langage (signifiantes, signifiées, syntaxiques et pragmatiques). Sans doute faut-il y voir la cause de la pérennité du syndrome de répétition, mais encore, un levier d'action thérapeutique sur le modèle de certains débriefings destinés à reconstruire une parole apaisante.

Conclusion

À l'heure où différents protocoles de soins apparaissent parfois concurrents, l'analyse de la restauration du langage pourrait permettre d'unifier une conception spécifique du traumatisme psychique et de ses perspectives thérapeutiques. Des études psycholinguistiques associant analyses quantitatives et qualitatives du discours des personnes souffrant de trouble de stress post-traumatique pourraient permettre de définir des marqueurs d'efficacité des psychothérapies.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Abstract

Objectives

The clinical presentation of post-traumatic psychological disorders means that many cases are under-diagnosed. We need a better way to identify such disorders and to develop markers that can monitor the effectiveness of recommended treatments. Drawing upon an innovative approach based on psycholinguistic concepts, we describe a new clinical model specific to psychological trauma.

Material and methods

Founded on quantitative and qualitative analyses of the discourse of psychologically injured patients, we describe the psycholinguistic disturbances they present, illustrating them with examples from clinical practice.

Results

Post-traumatic psycholinguistic syndrome is defined as a function of three symptoms: traumatic anomia, linguistic repetition and disorganised discourse. Traumatic anomia manifests in a quantitative reduction in discourse characterised by a lack of production, impaired verbal flow and lexical poverty. Anomia is partially palliated by diversionary behaviours (peripheral and circumlocutionary deviation, synonymic approximation, semantic paraphrasing) and filler expressions. Linguistic repetition takes the form of phonological and syntactic repetition (verbal stereotypes, predilections, intrusions, perseverations and echophrasia). The person may give a literal account of their traumatic experience, but without a narrative dimension. Phrasal and discursive disorganisation is characterised by time discordance, de-subjectivation (via indefinite and impersonal pronominal markers), and disfluency that can extend to agrammatism due to a lack of logical and chronological connectors.

Discussion

Post-traumatic psycholinguistic syndrome is concomitant with the cardinal psychiatric symptoms of trauma. Traumatic anomia is evidence of the unspeakable moment of per-traumatic dissociation, linguistic repetition is consistent with flashbacks, disturbed discourse reproduces the experience of dissociation in sentence form. Evidence of de-subjectivation, the predominance of indefinite and impersonal forms reflects the depersonalization resulting from the trauma, while disorganised discourse reflects the derealization that was perceived as the horror arised. These disturbances in the speech of the psychologically injured person manifest as a consequence of traumatic linguistic dissociation. Extra-linguistic functions (cognitions, emotions, feelings, behaviours, memories, etc.) are not only dissociated from each other but, above all, are dissociated from the major components of language (syntactic and pragmatic signifiers and signified). This is undoubtedly why repetition syndrome lasts as long as it does, but it can also be seen as a therapeutic lever in the context of some types of debriefings that are designed to reconstruct non-pathological speech.

Conclusion

At a time when a variety of competing psychotherapeutic protocols (behavioural and cognitive, hypnosis, eye movement therapies, psychodynamic therapies, narrative therapies, etc.) are vying for attention, the analysis of the restoration of normal language could offer a way to create a clearer understanding of psychological trauma and its clinical consequences. In this context, psycholinguistic studies that combine quantitative and qualitative analyses of the discourse of people suffering from post-traumatic stress disorders could help to define some markers of the effectiveness of psychotherapies.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Mots clés : Traumatisme psychique, Syndrome post-traumatique, Psycholinguistique, Analyse de contenu, Trouble psycholinguistique post-traumatique, Diagnostic, Nosographie, Marqueurs psycholinguistiques, Évaluation, Psychothérapie

Keywords : Psychic trauma, Post-traumatic stress disorder, Psycholinguistic analysis, Post-traumatic psycholinguistic disorder, Nosography, Psycholinguistic markers, Evaluation of psychotherapies


Plan


 Toute référence à cet article doit porter mention : Auxéméry Y.   De la séméiologie psychiatrique à la psycholinguistique : définition d'un nouveau modèle de la clinique post-traumatique. Evol psychiatr 2019;85(4):pages (pour la version papier) ou URL [date de consultation] pour la version électronique.


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Vol 84 - N° 4

P. 631-643 - novembre 2019 Retour au numéro
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