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Géopolitique du moustique - 19/11/19

Doi : 10.1016/j.crvi.2019.09.006 
Érik Orsenna
 Académie française, 23, quai de Conti, 75006 Paris, France 

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Résumé

Pour l’économiste que je suis, doublé d’un romancier passionné par les ménages à trois et les meurtres, aucun animal n’est plus intéressant que le moustique, vieux de 250 millions d’années et riche d’environ quatre mille espèces.

D’abord, même s’il ne peut voler loin, on le retrouve partout, d’un bout à l’autre de la planète. Il incarne donc la mondialisation et l’unité de la santé: one health, une bonne santé des humains n’est possible que si se portent aussi bien les animaux et les végétaux.

Ensuite, aucun serial killer n’est plus efficace: 700 000 morts par an.

Enfin, sa nuisance ne vient pas de lui, mais des hôtes très pernicieux qu’il peut transporter. C’est donc bien un trio qui est à l’œuvre: un parasite, une femelle moustique qui l’accueille et l’être humain qu’elle contamine en le piquant pour pomper son sang. Notons que cette dame n’agit pas ainsi par méchanceté, mais parce que le sang recueilli contient des protéines nécessaires au bon développement de ses œufs. En piquant un humain infecté, elle aspire en même temps le parasite, qui gagne son estomac, avant, pour notre plus grand malheur, de gagner ses glandes salivaires: c’est par cette salive qu’il sera transmis lorsqu’elle piquera un nouvel humain.

La Nature étant, comme l’on sait, sophistiquée, toutes les espèces de moustiques ne sont pas compétentes pour accueillir tous les virus ou parasites. Par exemple, seuls les Anophèles transportent Psalmodium falciparum, le responsable du paludisme. Et ce sont les Aedes (dont Aedes albopictus, le fameux « tigre », Fig. 1) qui portent les virus de la dengue, du Zika et du chikungunya.

Depuis quelques décennies, un double mouvement se dessine.

Le premier est une invasion, l’invasion par nous, les humains, des habitats animaux. Pour accroître la superficie de nos villes et de nos champs, nous défrichons, nous avançons dans les profondeurs des forêts, domaine jusque-là réservé aux bêtes, petites ou grandes. Il en résulte des épidémies parfois très graves, comme celles du sida ou de la maladie à virus Ebola. Car les virus, jadis isolés, sortent de ces zones forestières peu habitées et se propagent sans frontières.

L’autre mouvement est celui de l’adaptation. Les moustiques voient en nous de merveilleux repas de sang. Dans ces conditions, pourquoi s’obstiner à piquer la nuit des êtres trop souvent protégés par des moustiquaires, alors qu’en plein jour ces mêmes réservoirs de sang se retrouvent sans défense? Et pourquoi demeurer dans la jungle, alors que les repas de sang s’accumulent dans les villes? C’est ainsi que les espèces nocturnes deviennent diurnes, les forestières, urbaines.

Comment lutter?

D’abord, ainsi que vous le suggère le bon sens, empêcher les moustiques de se multiplier en supprimant les « gites larvaires », ces eaux stagnantes où ils naissent et passent la première partie de leur vie. Ensuite, éviter de se faire piquer. La prévention, comme chacun sait, est la meilleure des médecines. Un programme massif de moustiquaires imprégnées d’insecticide a permis de réduire de moitié le nombre de morts du paludisme.

Des médicaments existent pour contrer les malfaisances du parasite une fois qu’il nous a infectés. Ainsi, la « poudre des Jésuites », la future quinine, et l’artémisinine, extraite d’une plante bien connue de la vieille pharmacopée chinoise. Malgré la combinaison de plusieurs molécules, les phénomènes de résistance se multiplient, notamment dans l’Est du Cambodge, une zone où, par chance, la prévalence, c’est-à-dire le nombre de personnes atteintes sur une période donnée, reste peu élevée. De telles résistances en Afrique, plus peuplée et plus touchée, auraient des conséquences dramatiques.

Ces limites de l’efficacité des médicaments et les difficultés extrêmes rencontrées pour fabriquer des vaccins ont ouvert la voie à d’autres méthodes plus radicales. Par exemple, le lâcher de mâles préalablement rendus stériles dans une zone de moustiques sauvages. Ou l’utilisation de ciseaux moléculaires, le fameux CRISPR-Cas 9, capables de supprimer des gènes indésirables, mais aussi d’en insérer de nouveaux, comme celui d’une résistance au paludisme.

Plus fou encore, le forçage génétique, en anglais gene drive, permet à une modification génétique réalisée grâce aux ciseaux moléculaires CRIPR-Cas 9 d’être transmise de façon quasi certaine de génération en génération. C’est ainsi que l’on pourrait génétiquement programmer l’extinction complète et définitive des moustiques. Certains, rappelant le nombre de décès causés par ces jolis insectes, y sont déterminés. D’autres sont beaucoup plus prudents, rappelant leur rôle essentiel dans la chaîne alimentaire et dans la pollinisation. Ils se demandent aussi quels « hôtes » les parasites choisiraient si leurs transporteurs habituels disparaissaient. Quant aux manipulations génétiques, leur sécurité n’est pas encore garantie.

Non scientifique, mais économiste, je voulais continuer mon travail sur la mondialisation en abordant la santé. Grâce au docteur de Saint-Aubin, et bien sûr à des dizaines d’experts, à commencer par mon enseignante en cheffe Anna-Bella Failloux, j’ai pu écrire cette « géopolitique des moustiques ». Qui confirme, s’il en était besoin, l’unité fondamentale de notre planète. One health. La vie ne connaît pas de frontières, ni géographiques, ni entre les règnes.

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© 2019  Publié par Elsevier Masson SAS de la part de Académie des sciences.
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Vol 342 - N° 7-8

P. 251-252 - septembre 2019 Retour au numéro
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