L’utilisation de benzodiazépines est un facteur de sévérité chez les patients avec addictions multiples - 29/05/20
Résumé |
Introduction Les benzodiazépines (BZD) sont utilisées par 45 à 60 % des individus souffrant de troubles liés à l’usage de substances (SUD), dont au moins la moitié présentent un trouble lié à l’usage [1,2] selon le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4th version (DSM-IV) [3]. Cela suggère que leur utilisation reste banalisée dans cette population, bien que des données récentes aient suggéré l’existence de dommages spécifiques aux BZD [4,5], y compris avec augmentation du risque de tentatives de suicide [6]. Ces données proviennent presqu’exclusivement d’échantillons d’individus en soins pour une addiction aux opiacés, la plupart du temps traités par la méthadone, ce qui donne une vision très partielle des enjeux du mésusage de BZD dans les populations en soins pour des SUD de façon générale. En outre, les phénotypes suicidaires – l’une des complications fréquentes les plus redoutées dans la pratique addictologique – ont été étudiés dans leur ensemble. Or, un consensus récent suggère de les étudier distinctement selon leur sévérité/violence/dangerosité et/ou leur récurrence, qui présentent des facteurs de risque distincts des TS isolées ou moins sévères [7,8]. Pour mieux caractériser ces liens, nous avons voulu :
• Décrire les modalités d’usage/mésusage de BZD dans une population consultant pour SUD sévères ;
• Étudier les associations entre BZD et trois familles de marqueurs de sévérité : 1/ psychiatrique, avec les phénotypes suicidaires, 2/ socio-démographique (logement-emploi-statut marital) et 3/ addictologique avec la fréquence et la gravité des overdoses.
L’objectif final était de constituer un modèle général du profil de sévérité associé au mésusage de BZD dans cette population. Nous faisons l’hypothèse que les BZD sont associées à un risque suicidaire accru, en fonction du genre.
Méthodes Après avoir signé un consentement éclairé, 539 patients en soins pour trouble lié à l’usage de cocaïne ou d’opiacés, composés à 77 % d’Hommes âgés en moyenne de 40 +/- 9 ans, ont été évalués de façon standardisée pour les consommations de substances (modalités d’usage et SUD selon les critères du DSM-IV), l’adversité développementale et l’histoire sociale et suicidaire. Nous avons recherché les modalités d’usage de BZD associées 1/ aux tentatives de suicide dangereuses et récurrentes, respectivement, 2/ à un problème sévère de logement caractérisé par le fait d’avoir été sans domicile pendant au moins 3 mois, au fait d’être actuellement célibataire, et de rapporter une période de chômage dans l’année écoulée et 3/ aux overdoses aux opiacés. Après une brève description de l’usage et ses troubles dans notre échantillon, nous avons comparé les distributions entre les sujets avec et sans trouble lié à l’usage de BZD (TLUB) par analyses bivariées, en fonction du genre [significativité statistique à 5 % après correction par le False Discovery Rate selon la méthode de Benjamini-Hochberg (FDR-BH) [9]. Les variables associées aux troubles liés à l’usage de BZD ont ensuite été intégrées, après vérification de leur absence de collinéarité, dans un modèle de régression logistique multinomiale ayant pour variable dépendante l’absence d’usage de BZD, la présence d’un usage sans TLUB, et la présence d’un TLUB. Notre étude étant rétrospective, nous avons choisi ce modèle pour identifier les facteurs indépendants classant le mieux les individus selon la présence ou l’absence de TLUB par rapport à l’usage non pathologique de BZD.
Résultats : L’usage de BZD vie entière concernait 91 % de notre cohorte, dont 54 % d’abus/dépendance débutés en moyenne à 24 et 33 ans, respectivement. La dépendance aux BZD était indépendamment associée aux tentatives de suicide dangereuses mais pas récurrentes, la pire ayant lieu en moyenne à 26 ans, le plus souvent après l’initiation des BZD. Avoir été SDF et victime d’une overdose aux opiacés était également associé aux TLUB en analyses bivariées. Discussion : Dans un large échantillon de patients consultant en soins addictologiques spécialisés, nous avons montré que le mésusage de BZD était un facteur de gravité majeur au plan suicidaire et social. Ces résultats nous amènent à évoquer une prise en charge spécifique de cette comorbidité dans cette population déjà très à risque au plan psychiatrique et social. En l’absence de recommandation claire sur la méthode à adopter, et bien que notre étude rétrospective ne permette pas d’établir des liens de cause à effet directs, il semble que cette classe médicamenteuse ne doive pas être prescrite dans cette population.
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Mots clés : Addictions multiples, Csapa, Benzodiazépines, tentatives de suicide, Comorbidité, Sévérité
Vol 1 - N° S
P. S30-S31 - novembre 2018 Retour au numéroBienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.
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