En appui sur les données issues d’une vaste recherche médico-psychopathologique proposée à des jeunes filles atteintes d’une agénésie utéro-vaginale — syndrome de Rokitansky ou Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH) — notre travail propose l’analyse psychodynamique de la valeur et de la fonction pour l’économie psychosomatique d’une réaction fréquente à l’annonce diagnostique : le développement d’un désordre alimentaire de type prise de poids chez 4 patientes sur 40. La mise en perspective de l’analyse de deux cas de patientes permet d’affiner la compréhension du sens de cette émergence alimentaire dont nous faisons l’hypothèse qu’elle constitue à la fois une modalité défensive signalant les impasses du processus de construction du féminin mais aussi possiblement un levier de transformation psychique de ses incidences traumatiques.

Quarante jeunes femmes MRKH âgées de 19 à 34 ans (avec un âge moyen de 25 ans ½) ont été rencontrées. La recherche leur a été proposée de 2 à 17 ans après leur annonce diagnostique et le travail clinique a consisté en une analyse rétrospective de leur expérience traumatique adolescente. Le récit des patientes a été recueilli à l’aide d’un entretien clinique à visée de recherche non directif. Deux épreuves projectives (Rorschach et Thematic Apperception Test – TAT) leur ont également été proposées pour appréhender plus finement les modalités de leur fonctionnement psychique. Les données des entretiens font l’objet d’une analyse clinique thématique ; les protocoles du Rorschach et du TAT sont analysés selon la méthode d’interprétation de l’École Française référée à la théorie psychanalytique du fonctionnement psychique. Le matériel issu des rencontres avec deux patientes diagnostiquées à l’âge de 17 ans et ayant présenté dans la suite de cette annonce une prise de poids de 10kg est ici comparé de manière approfondie.

Le repérage de contrastes en termes de problématiques et de niveaux d’élaboration entre l’entretien et les protocoles projectifs est saisissant pour chaque patiente. À travers l’analyse de l’entretien, le symptôme alimentaire de la patiente 1 paraît survenir dans un contexte psychique où l’intériorité féminine semble irreprésentable. Les protocoles projectifs révèlent à l’inverse l’accès à un travail du féminin conflictuel et symbolisé. De même, le discours de la patiente 2 sur son symptôme est à première vue bien plus élaboré que celui de la patiente 1 puisque celle-ci établit un lien subjectif entre le renoncement au projet de maternité impliqué par l’annonce du MRKH et la dimension compensatoire procurée par la prise de poids. Pourtant, le contraste offert par les tests projectifs dont les productions traduisent au contraire les fragilités identitaires et une insuffisante symbolisation du sexuel témoigne de la valeur défensive de l’excès de symbolisation de son discours manifeste dans l’entretien.

Ces contrastes amènent à envisager le remplissage alimentaire comme une tentative de traitement d’une sexualité féminine déjà conflictuelle voire en impasse avant la découverte du MRKH. Ses accents traumatiques sont réactualisés et potentialisés à la faveur de l’annonce diagnostique. Les différents niveaux de problématiques repérés peuvent cohabiter chez une même femme, qu’il s’agisse d’un féminin ni construit ni intégré, d’un impossible investissement du corps interne ou d’un contre-investissement de l’impossible maternité. Dans ce contexte, l’étiopathogénie de la prise de poids qui succède à l’annonce du diagnostic est pour chaque jeune fille singulière mais toujours en lien avec un féminin et/ou un maternel atteint.

En conclusion, si la prise de poids qui suit le diagnostic traduit une entrave voire une impasse (éventuellement ponctuelle) du traitement psychique de ses effets, cette annonce médicale à l’adolescence peut constituer une nouvelle chance pour ces jeunes filles, celle d’un après-coup à la valeur potentiellement mutative.

Based on data from a vast medical-psychopathological research study proposed to girls suffering from utero-vaginal agenesis — Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser syndrome (MRKH) —, the value and the function of a frequently occurring (10%) bulimic disorder (with weight gain) at the announcement of the diagnosis are analyzed from a psychodynamic perspective. The psychic implications of the diagnosis and its consequences in terms of the modalities of the sessions with these adolescents, alongside genital sexuality, are underlined. The analysis of two cases studies, put into perspective, allows us to refine our understanding of the meaning of this food-related symptom. Therefore, this could both constitute a defensive modality signaling the impasses of the process of construction of the feminine as it could be a lever of psychic transformation of the traumatic repercussions of this process.

Forty young MRKH women aged 19 to 34 (with an average age of 25 ½) are met. The research is offered to them from two to 17 years after their diagnostic announcement; clinical reflection consists of a retrospective analysis of their adolescent traumatic experience. The patients’ stories are collected using a clinical research non-directive interview. Two projective methods — Rorschach and Thematic Apperception Test (TAT) — are also proposed to better understand the modalities of their psychic functioning at the time of the clinical encounters. Interview data are subjected to a thematic clinical analysis. The protocols of the Rorschach and of the TAT are analyzed according to the method of interpretation of the French School, which refers to the psychoanalytic theory of psychic functioning. The material, resulting from sessions with two patients diagnosed with MRKH at the age of 17 and having gained 10kg in the aftermath of this announcement, is compared in a thorough way.

The contrasts — in terms of problematics and of levels of elaboration — between the interview and the projective protocols are striking for each patient. With the analysis of the interview, the bulimic symptom of the first patient occurs in a psychic context where feminine interiority seems unrepresentable. On the contrary, projective protocols reveal access to conflicting and symbolic feminine work. In the same way, the second patient's discourse about her symptom is at first sight much more elaborate than that of the first patient; she establishes a subjective link between the renunciation of maternity inherent in the announcement of MRKH and the compensatory dimension provided by weight gain. However, the discrepancy with the projective tests is surprising in this second patient. Indeed, her productions reflect fragilities in her identity and an insufficient symbolization of the sexual that testify to the defensive value of the excessive symbolization of her speech, evident in the interview.

These contrasts lead us to consider binge-eating as an attempt to treat an already conflicting female sexuality, even in deadlock, before the discovery of MRKH. Its traumatic accents are updated and potentiated with the diagnostic announcement. The different levels of identified problems can coexist in a same woman, whether it is a feminine that has neither been constructed nor integrated; an impossible investment of the internal body; or a counter-investment of an impossible maternity. In this context, the etiopathogeny of weight gain subsequent to the announcement of the diagnosis is unique for each young woman, but always in connection with an affected or wounded feminine and/or maternal.

In conclusion, if the weight gain following the diagnosis reflects a hindrance or even an impasse (possibly punctual) of the psychic treatment of its effects, this medical announcement in adolescence can constitute, afterwards, a new chance for these girls, with a potentially mutative value.