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Commençons par écarter tous les faits. Quelques réflexions freudiennes et lyotardiennes sur la réalité psychique - 08/05/21

Let's Start by Setting Aside All the Facts. Some Freudian and Lyotardian Reflections on Psychic Reality

Doi : 10.1016/j.evopsy.2021.03.001 
Claire Pagès  : Maître de conférences
 Laboratoire ICD (EA6297), laboratoire interactions culturelles et discursives (ICD), université de Tours, université de Tours, 3, rue des Tanneurs, BP 4103, 37041 Tours cedex 01, France 

Auteur correspondant.

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Résumé

Objectif

L’objectif de cet article est d’interroger la notion freudienne de réalité psychique, en nous demandant si celle-ci préfigure la reconnaissance d’une forme d’affranchissement à l’égard des faits du monde. Que les faits possèdent souvent moins de poids que certaines pensées, l’affirmation est au cœur de la notion freudienne de réalité psychique. En effet, Freud ne se contente pas, quand il découvre l’épaisseur des fantasmes hystériques, de demander que la réalité psychique soit prise en compte à côté de la réalité pratique ou qu’elle ne soit pas confondue avec la réalité matérielle, mais il va s’employer à montrer que l’inconscient ignore littéralement la différence entre fait et désir. Ainsi, la difficulté n’est-elle pas seulement celle d’une surestimation de la réalité et de la sous-estimation de la fantaisie. Elle ne se trouve pas non plus cantonnée à la névrose qui place la réalité psychique au-dessus de la réalité factuelle, mais force est d’admettre la supériorité et même la domination de la réalité psychique dans la formation de bien des contenus de représentation : dans l’inconscient, rien ne distingue le souhait du fait. Aussi est-il très difficile de faire le départ entre les êtres « normaux » qui n’accorderaient leur confiance qu’à des réalités et les névrosés qui réagiraient avec le plus grand sérieux aux seules pensées. Le point est délicat et sera au cœur de la discussion freudienne, discussion non tranchée, touchant la question de savoir si l’acte originaire de parricide relève de la vérité historique ou a davantage valeur de fantasme.

Méthode

Pour discuter ces questions, nous proposons de confronter les pensées de l’inconscient qu’on trouve chez S. Freud et chez le philosophe français, J.-F. Lyotard qui, à la fois, a livré des commentaires de textes freudiens consacrés aux fantasmes mais s’est également inspiré des théories freudiennes, tout en les mettant à distance, pour forger sa propre conception de l’inconscient et de l’affect. Nous proposons, dans un premier temps, de reconstituer cette grande scène inconsciente depuis laquelle toute formation puissamment investie d’affect possède plus de valeur et d’importance que son démenti par la réalité ou que les faits dits objectifs. Dans un second temps, nous demanderons si le modèle psychique freudien est ainsi seulement une anticipation de l’empire de la post-vérité ou si Freud ne repère pas également des signaux indubitables de réalité ou des signes qui ne soient pas eux-mêmes de simples couches d’interprétation. Nous interrogerons alors l’idée freudienne, formulée dès L’Interprétation du rêve, selon laquelle l’affect a toujours raison, du moins quant à sa qualité. Nous n’ignorons pas que les affects, comme les représentations, peuvent être renversés en leur contraire. Il semble néanmoins que les affects soient moins sujets à modification que les contenus de représentation. En suivant l’interprétation proposée par le philosophe Jean-François Lyotard de la notion freudienne d’affect, et qui le conduit à élaborer celle de « phrase-affect », nous convoquerons pour finir cette voix affective qui témoignerait – en vérité – sans rien représenter et sans jamais « mentir ».

Résultats

La confrontation que nous avons conduite a pour intérêt qu’elle établit une connexion entre la question du sens à donner aux notions de réalité psychique et de fantasme et celle de l’affect inconscient. En effet, il nous semble que ce qui empêche d’assimiler l’inconscient à un lieu ne recelant que des faits du désir, dépourvus complètement d’indice de réalité ou de référencialité, de conclure, ce faisant, que rien ne fait signe vers la réalité ou que celui-ci n’est constitué que de couches interprétatives qu’on n’a jamais fini de traverser, c’est peut-être que le fantasme peut faire événement sur la scène psychique et que cette possibilité est conditionnée par un fort investissement en affects.

Discussion

Le propos développé permet d’amorcer une discussion touchant à la fois ce qui peut réunir mais aussi ce qui distingue une pensée de l’inconscient en termes de « petites choses inconscientes », chez Freud, et une pensée de l’inconscient en termes de phrases, de phrases affect, chez Lyotard.

Conclusion

Le double regard porté sur l’affectivité à partir des pensées de Freud et de Lyotard déplace l’idée d’un inconscient en quelque sorte post-factuel. Certes, la pleine et entière motivation ou justification de l’affect découle de la reconnaissance de réalités psychiques sur lesquelles reposent ces affects. Néanmoins, ces affects signifient l’existence d’une dimension de la réalité psychique qui excède la structure des strates de fantasme ou d’interprétation qu’on ne finit jamais de traverser et qui constituent l’inconscient comme réalité dépourvue de faits. Nous avons mis en avant l’importance de l’idée freudienne formulée dès l’Interprétation du rêve selon laquelle l’affect est toujours vrai, quant à sa qualité. De même, nous avons fait valoir que, dans la dernière période de sa pensée, Lyotard présente l’affect ou l’infantia comme un fait de l’inconscient.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Abstract

Objectives

The aim of this article is to question the Freudian notion of psychic reality, by asking ourselves whether it prefigures the recognition of a form of emancipation from the facts of the world. The assertion that fact often carry less weight than certain thoughts is at the heart of the Freudian notion of psychic reality. Indeed, Freud is not content, when he discovers the depth of hysterical fantasies, to ask that psychic reality be taken into account alongside practical reality, nor that it not be confused with material reality; instead, he endeavors to show that the unconscious literally ignores the difference between fact and desire. Thus, the difficulty is not only that of an overestimation of reality and an underestimation of fantasy. Nor is it confined to neurosis, which places psychic reality above factual reality, but it is necessary to admit the superiority and even the domination of psychic reality in the formation of many contents of representation: in the unconscious, nothing distinguishes desire from fact. Therefore it is very difficult to differentiate between “normal” beings, who would only trust realities, and neurotics, who would react with the greatest seriousness to thoughts alone. The point is delicate and will be at the heart of the Freudian discussion, an open-ended discussion on whether the original act of parricide is an historical truth or more of a fantasy.

Method

To discuss these questions, I will compare the reflections on the unconscious found in S. Freud and in the French philosopher J.-F. Lyotard, who both commented on Freudian texts devoted to fantasy but also drew inspiration from Freudian theories, while putting them at a distance, in order to forge his own conception of the unconscious and of affect. The first step will be a reconstruction of this great unconscious scene from which any formation powerfully invested with affect has more value and importance than its denial by reality or the so-called objective facts. In a second step, I will ask whether the Freudian psychic model is thus only an anticipation of the empire of the post-truth or whether Freud also fails to spot unmistakable signals of reality or signs that are not themselves mere layers of interpretation. I will then question the Freudian idea, formulated in The Interpretation of Dreams, according to which affect is always right, at least as far as its quality is concerned. It is well understood that affects, like representations, can be reversed into their opposite. It seems, however, that affects are less subject to modification than the contents of the representation. Following Jean-François Lyotard's philosophical interpretation of the Freudian notion of affect, which leads him to elaborate the notion of “affect-phrase,” I will, in a third step, summon this affective voice that would testify – in truth – without representing anything and without ever “lying.”

Results

The comparison of Freud and Lyotard allows for the establishment of a connection between the question of the meaning to be given to the notions of psychic reality and fantasy and that of unconscious affect. Indeed, it seems that what prevents us from assimilating the unconscious to a place only containing facts of desire, completely devoid of any index of reality or referenciality, from concluding, in so doing, that nothing is a sign towards reality or that it is only constituted of interpretative layers that we never finish going through, is perhaps that fantasy can create an event on the psychic “stage” – and that this possibility is conditioned by a strong investment in affects.

Discussion

The aim is to initiate a discussion about the points of similarity between a thought and the unconscious, as well as their differences, in terms of Freud's “small unconscious things.” This is followed by a discussion on the distinction between thought and unconscious in Lyotard, in terms of sentences, affect sentences.

Conclusion

The double view of affectivity based on the thoughts of Freud and Lyotard displaces the idea of an unconscious, in a way that is post-factual. Admittedly, the full and complete motivation or justification of affect derives from the recognition of psychic realities on which these affects are based. Nevertheless, these affects signify the existence of a dimension of psychic reality that goes beyond the structure of the layers of fantasy or interpretation that one never stops going through and that constitute the unconscious as a reality devoid of facts. In this article, I have insisted on the importance of the Freudian idea formulated from the Interpretation of Dreams, according to which the affect is always true, as to its quality. In the same way, I have argued that, in the last period of his thought, Lyotard presents the affect or infantia as a fact of the unconscious.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Mots clés : Freud S., Réalité psychique, Fantasme, Vérité, Affect, Signal, Lyotard J.-F., Phrase-affect

Keywords : Freud S, Psychic reality, Fantasy, Truth, Affect, Signal, Lyotard J.-F., Affect-phrase


Plan


 Toute référence à cet article doit porter mention : Pagès C. Commençons par écarter tous les faits. Quelques réflexions freudiennes et lyotardiennes sur la réalité psychique. Evol psychiatr 2021;86(2): pages (pour la version française) ou URL [date de consultation] (pour la version électronique).


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Vol 86 - N° 2

P. 245-260 - mai 2021 Retour au numéro
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