Les extensions de la post-vérité, questions épistémologiques et politiques : entretien avec Philippe Huneman - 08/05/21
The extensions of the post-truth: Epistemological and political questions. Interview with Philippe Huneman
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Résumé |
Objectifs |
Quelle est la logique de l’assentiment donné à une théorie complotiste ? L’ère de la post-vérité est-elle à entendre comme une quête de certitude, ou au contraire comme le déchaînement d’un doute ? De telles interrogations méritent d’être appréhendées par un abord psychologique du complotisme, afin d’expliciter le sens et l’équivocité que prennent aujourd’hui les termes de croyance, de vérité, de logique assertive ou encore de doute. Cette clarification conceptuelle ne peut s’opérer sans examiner l’usage de ces notions par le biais de l’épistémologie de la connaissance et de la philosophie des sciences.
Méthode |
Cet entretien a été mené par Sarah Troubé et Olivier Douville avec le philosophe des sciences Philippe Huneman, autour de ses travaux récents portant sur les théories du complot et sur les conditions de la production et de la diffusion de la connaissance scientifique.
Résultats |
L’entretien invite à questionner l’analogie de surface entre les modes rapides de construction des théories du complot et la démarche de constitution de la connaissance scientifique. Il convient de prendre en compte que ce déferlement de post-vérités nous offre l’occasion d’interroger les critères d’un doute rationnel et d’une croyance justifiée. La difficulté de poser des critères a priori qui permettraient de départager, à partir du seul examen de la croyance individuelle, les usages rationnels du doute et de la croyance, de leurs usages irrationnels, conduit à examiner les conditions de la production sociale de la connaissance.
Discussion |
Réduire l’adhésion aux théories du complot à une croyance individuelle dans la vérité de ces théories mène à une mécompréhension du phénomène considéré. Prendre acte de l’équivocité épistémique de la croyance permet de la resituer dans sa dimension sociale et interlocutoire d’adresse à l’autre. La question de la production sociale de la connaissance, et plus particulièrement de la connaissance scientifique, invite à interroger les processus qui légitiment l’assentiment du public et des chercheurs dans la fiabilité des connaissances scientifiques. Mais elle permet aussi d’identifier, dans les conditions sociales et économiques actuelles de la recherche, les éléments susceptibles d’engendrer une forme de défiance envers certaines productions scientifiques.
Conclusion |
L’impossibilité de s’en tenir à un examen de la croyance comme phénomène individuel, et de départager a priori l’irrationnel du rationnel dans le phénomène du complotisme, débouche sur une réflexion épistémologique et politique. En diffusant dans le débat public une indifférence à tout partage entre le vrai et le faux, la prolifération de fake news attaque non seulement les conditions même de la constitution d’un savoir partagé, mais met en péril les ressorts de la délibération démocratique. À l’encontre de toute filiation entre l’ère de la post-vérité et les philosophies post-modernistes, la compréhension de cette indifférence au vrai et au faux est à replacer dans le contexte d’un marché de l’information qui crée les conditions de cette indifférenciation entre faits avérés et faits alternatifs.
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Abstract |
Objectives |
What is the logic of assent given to a conspiracy theory? Is the post-truth era to be understood as a quest for certainty, or on the contrary as the unleashing of doubt? Such questions deserve to be apprehended through a psychological approach to conspiracy, in order to clarify the meaning and equivocity of the terms belief, truth, assertive logic, and doubt. This conceptual clarification cannot take place without examining the use of these notions in the epistemology of knowledge and in the philosophy of science.
Method |
Sarah Troubé and Olivier Douville interviewed the philosopher of science Philippe Huneman about his recent work on conspiracy theories and the conditions of the production and the diffusion of scientific knowledge.
Results |
The interview invites us to question the surface analogy between the rapid modes of construction of conspiracy theories and the process of the constitution of scientific knowledge. It should be taken into account that this outpouring of post-truths offers us the opportunity to question the criteria of rational doubt and justified belief. The difficulty of establishing a priori criteria that would make it possible to separate – from the sole examination of individual belief – the rational and irrational uses of doubt and belief leads us to examine the conditions of the social production of knowledge.
Discussion |
Reducing adherence to conspiracy theories to an individual belief in the truth of these theories leads to a misunderstanding of the phenomenon under consideration. Acknowledging the epistemic equivocity of belief allows us to re-situate it in its social and interlocutory dimension of address to the other. The question of the social production of knowledge, and more particularly of scientific knowledge, invites us to question the processes that legitimize the assent of the public and researchers in the reliability of scientific knowledge. But it also allows us to identify, in the current social and economic conditions of research, the elements likely to engender a form of mistrust towards certain scientific productions.
Conclusion |
The impossibility of confining oneself to an examination of belief as an individual phenomenon, and of separating a priori the irrational from the rational in the conspiratorial phenomenon, leads to epistemological and political reflection. By introducing, in public debate, an indifference to any division between true and false, the proliferation of fake news not only attacks the very conditions of the constitution of shared knowledge, but also jeopardizes the springs of democratic deliberation. Contrary to any filiation between the post-truth era and post-modernist philosophies, the understanding of this indifference to true and false is to be placed in the context of an information market that creates the conditions for this lack of differentiation between true and false facts.
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Mots clés : Théorie du complot, Post-vérité, Croyance, Épistémologie, Rationalité, Démocratie
Keywords : Conspiracy theory, Post-truth, Belief, Epistemology, Rationality, Democracy
Plan
☆ | Entretien mené par Sarah Troubé et Olivier Douville. |
☆☆ | Toute référence à cet article doit porter mention: Huneman P, Troubé S, Douville O. Les extensions de la post-vérité, questions épistémologiques et politiques: entretien avec Philippe Huneman. Evol psychiatr 2021; 86(2): pages (pour la version imprimée) ou URL [date de consultation] (pour la version électronique). |
Vol 86 - N° 2
P. 351-362 - mai 2021 Retour au numéroBienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.
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