La psychanalyse est confrontée à des déstabilisations du champ social, depuis la seconde moitié du XX^e siècle, qui l’obligent en retour à revisiter ses concepts et sa clinique. Ces quatre déstabilisations, venues de l’extérieur du champ psychanalytique, sont : la perte d’évidence du sexe objectif, la diminution de la légitimité exclusive de l’orientation sexuelle dite normale, l’émergence du concept de « genre » pour désigner un rôle social (et donc contingent et arbitraire) d’identité sexuelle, la mise en cause de la société patriarcale.

Pour faire ce travail de réexamen, l’article suit la piste de la littérature, en utilisant celle-ci comme source d’inspiration, d’imagination théorique, de confirmation d’intuitions cliniques. La littérature de science-fiction (SF) est un genre littéraire particulièrement heuristique car il a la particularité d’exposer des fantasmes, d’articuler ses récits à des expériences de pensées politiques et civilisationnelles, et de tenter de construire des mythes.

On a constitué un corpus de textes de SF qui va des années 1960 à aujourd’hui et qui traite de la sexuation et de la sexualité. On en fait une approche historique descriptive, dans la ligne des études littéraires.

Un premier constat peut être dégagé : une forte transformation du genre littéraire, avec l’apparition de la thématique de la sexualité et les influences croisées d’une expression féministe en SF et du féminisme et de la théorie queer en philosophie militante. Un deuxième résultat concerne la prégnance, dans les récits de SF, des fictions de la non-identité sexuelle et des utopies de la destruction du patriarcat. Un troisième constat est que la SF, à partir de l’imagination d’autres sociétés et d’autres systèmes familiaux que ceux qui nous sont coutumiers, et à partir des fictions de relations sexuelles entre humains et robots (androïdes, cyborgs), est amenée à s’interroger sur le propre de l’homme.

Quels enseignements pour la psychanalyse ? On en retiendra quatre : 1 - La SF nous invite à poursuivre la réflexion sur l’Humain. 2 - Au niveau épistémologique, les récits de SF renforcent l’idée que la théorie psychanalytique ne peut plus penser la sexualité en dehors d’une prise en compte du politique et du juridique, des discours et modèles normatifs, des dispositifs disciplinaires, de la biopolitique des corps, en tant que tout cela affecte l’inconscient. La SF nous invite non au rejet, mais à la montée en généralité d’une série de concepts psychanalytiques, pour qu’ils puissent s’appliquer à des sociétés différentes de la société du XX^e siècle et qu’ils risquent moins de donner lieu à un usage normatif dans la clinique et dans l’intervention culturelle. 3 - On peut à partir des fictions de la SF penser la sexualité comme un processus instable et singulier et la rencontre amoureuse comme le lieu où se crée (provisoirement) une différence sexuelle. 4 - La SF nous invite à approfondir le concept de position singulière pour la fin de l’analyse, comme déconstruction des identifications, déconstruction des surmoîsmes de genre, et remplacement de la non-pertinente question de l’identité par celle du désir.

Since the second half of the 20th century, psychoanalysis has been confronted with four destabilizations in the social field, which force it to revisit its concepts and its clinic. Come from outside the psychoanalytical field, these four destabilizations are: the loss of evidence of objective sex, the decrease of the exclusive legitimacy of the so-called normal sexual orientation, the emergence of “gender” to designate a contingent and arbitrary social role of sexual identity, the questioning of the patriarchal society. In order to carry out this re-examination, the article follows the path of literature, using it as a source of inspiration, theoretical imagination and confirmation of clinical intuitions. Science fiction (SF) literature, because it exposes fantasies, articulates its narratives to political and civilizational thought experiments, and attempts to construct myths, is a particularly heuristic literary genre.

A corpus of SF texts, dating from the 1960s to the present days and dealing with sexuation and sexuality has been compiled. A descriptive historical approach is used, in line with literary studies.

A first finding is that there has been a strong transformation of the literary genre S-F with appearance sexuality as a topic and the cross-influence of feminist expression in SF and feminism and queer theory in militant philosophy. A second finding is the prevalence in SF stories of fictions of sexual non-identity and utopias of the destruction of patriarchy. A third finding is that SF, based on the imagination of other societies and other family systems than those readers are used to, and based on fictions of sexual relations between humans and robots (androids, cyborgs), is led to question the nature of humans.

What lessons to be learned for psychoanalysis? We will propose four: 1 - SF invites us to persevere thinking about the human. 2 - At the epistemological level, SF stories reinforce the idea that psychoanalytic theory can no longer think about sexuality without taking into account the political and the legal, the normative discourses and models, the disciplinary devices, the biopolitics of bodies, insofar as all this affects the unconscious. SF invites us not to reject, but to generalize a series of psychoanalytical concepts, so that they can be applied to societies that are different from 20th century society and so that they are less likely to give rise to a normative use in the clinic and in cultural intervention. 3 - Through S-F fictions we can think sexuality as an unstable and singular process and the love meeting as the place where a sexual difference is (provisionally) created. 4 - SF invites us to deepen the concept of singular position for the end of the analysis, as a deconstruction of identifications, a deconstruction of gender supersets, and a replacement of the irrelevant question of identity by that of desire.