Nous proposons une réflexion logique sur la question du féminin. Dans le corpus freudien, cette énigme trouve diverses réponses dans lesquelles le désir féminin peut être interprété du côté du registre phallique. Mais, comme en témoigne une lettre à l’adresse de Marie Bonaparte, Sigmund Freud concède aussi tardivement avoir en cela occulté une zone d’ombre à propos du désir féminin, ce qui lui aurait fait rater ce que veut la femme. Il désigne cette béance comme le continent noir. À ce propos, Jacques Lacan a fait un pas de plus et, tout en considérant la dimension phallique, il propose des élaborations théoriques supplémentaires comme les formules de la sexuation qui ont permis de prolonger théoriquement cette voie.

Dans le séminaire Encore, Lacan propose le tableau de la sexuation comme une tentative de formalisation de la question de la différence des sexes. Cette différence est ici interrogée au niveau symbolique et par le biais d’une approche logique. Les formules de la sexuation de Lacan bouleversent alors une conception simpliste et anatomique de la différence des sexes, en subvertissant une logique binaire du tiers exclu. C’est en cela qu’elles rencontrent la logique intuitionniste proposée par Luitzen Egbertus Jan Brouwer. Ainsi, à partir d’une revue de littérature lacanienne et brouwerienne, nous interrogeons l’intérêt qu’il peut y avoir à s’appuyer sur l’intuitionnisme pour saisir la logique qui opère du côté femme des formules de la sexuation.

Au début du XX^e siècle, Brouwer, un mathématicien hollandais, initie ses travaux sur la logique intuitionniste. En 1908 dans « Qu’on ne peut pas se fier aux principes logiques », Brouwer rejette partiellement l’axiome classique du tiers exclu, s’opposant en cela aux fondements aristotéliciens de la logique. En effet, il refuse alors d’étendre la logique du tiers exclu aux traitements des ensembles infinis, pour lesquels l’on ne peut pas postuler d’a priori selon lui. Un double traitement logique est donc proposé en intuitionnisme, l’infini étant traité différemment du fini, ce double traitement nous permettant de saisir certaines spécificités logiques de la position féminine. Lacan précise que chez les sujets en position féminine, un rapport indécidable est à l’œuvre entre la formule du pas-tout et une double négation ¬∃x.¬Φx.

Le double traitement logique de l’intuitionniste semble pouvoir illustrer la logique discordante du pas-tout. Chez le sujet pas-tout est à l’œuvre un entre-deux discordant, entre un rapport à la fonction phallique Φx et à S (Ⱥ). La formule S (Ⱥ) témoigne d’un certain rapport au manque dans l’Autre que nous associons à une castration portée sur l’Autre. De même, les différentes interprétations (algorithmique, sémantique) qui ont été faites de l’intuitionnisme paraissent également aller dans le sens d’une discordance repérable au sein de cette logique. Nous nous sommes intéressés à l’importance que peut avoir l’interprétation du réel et ses conséquences sur la manière de considérer les dimensions lacaniennes (réel, symbolique et imaginaire). En effet, d’un point de vue psychanalytique, l’interprétation soutenue semble avoir des conséquences sur la façon de concevoir l’articulation entre les dimensions et le rapport entre les jouissances. Cette réflexion a aussi permis d’interroger l’incidence de la prise en compte de la dimension temporelle au sein d’une interprétation.

À partir des formules de la sexuation, nous proposons une réflexion sur l’intérêt de s’appuyer sur l’intuitionnisme pour saisir la logique de la position féminine, cette dernière témoignant d’une logique différente de celle du tiers exclu dans son rapport à la castration. Côté femme, Lacan avance un rapport indécidable à la castration, ce qui nous amène à questionner le sens qu’il donne à ce terme. Pour saisir cela, nous nous sommes appuyés sur les deux définitions de la Verleugnung mise en avant par Freud, dans lesquelles cette négation correspond soit à la manière de nier la différence des sexes dans la structure perverse, soit à une négation singulière de la névrose que l’on peut associer à la fin de la cure. Dans les deux cas, la logique de ces négations diverge de celle du tiers exclu, car dans la perversion, elle se rapporte à une affirmation de la castration secondairement démentie (oui mais non) et dans le cas de la fin de cure, il s’agit plutôt d’une prise en compte concomitante entre affirmation et négation de la castration symbolique (oui et non).

We propose a logical reflection on the feminine. In the Freudian corpus, this enigma finds various answers in which feminine desire can be interpreted from the phallic register's side. But, as a letter written to Marie Bonaparte testifies, Sigmund Freud belatedly concedes that he neglected a grey area of feminine desire, which caused him to fail to understand what women want. He calls this lack the dark continent. In this respect, Jacques Lacan took this reflexion a step further and, while considering the phallic dimension, he proposed additional theoretical elaborations such as the formulas of sexuation, which allowed him to theoretically extend Freudian ideas.

In the Encore seminar, Lacan proposes the table of sexuation as an attempt to formalize the question of the difference of the sexes. This difference is questioned here at a symbolic level and through a logical approach. Lacan's formulas of sexuation thus overturn a simplistic and anatomical conception of sexual difference, by subverting a binary logic of the excluded third. In this way, these formulas meet the intuitionistic logic suggested by Luitzen Egbertus Jan Brouwer. Thus, based on a review of the Lacanian and Brouwerian literature, we question the interest of relying on intuitionism to apprehend the logic that operates on the feminine side of the formulas of sexuation.

At the beginning of the 20th century, Brouwer, a Dutch mathematician, initiated his work on intuitionist logic. In 1908, in “That Logical Principles Cannot be Trusted,” Brouwer partially rejected the classical axiom of the excluded third, thereby opposing the Aristotelian foundations of logic. He refused to extend the logic of the excluded third to the treatment of infinite sets, for which, according to him, no a priori can be postulated. A double logical treatment is suggested in intuitionism: the infinite is treated logically differently than the finite, and this double treatment allows us to apprehend certain specificities of the feminine position. Lacan specifies that for feminine subjects, an undecidable relation is at work between the not-all formula and a double negation ¬∃x.¬Φx.

The logical double treatment of intuitionism seems to illustrate the discordant logic of the not-all. The not-all subject is in a discordant relation between the phallic function Φx and S (Ⱥ). The formula S (Ⱥ) expresses a certain relation to the lack in the Other that we associate with a castration carried out on the Other. Similarly, the different interpretations (algorithmic, semantic) that have been made of intuitionism also seem to point in the direction of a discordance in this logic. We are interested in the importance of the interpretation of the Real and its consequences on the way we consider the different Lacanian dimensions (Real, Symbolic, and Imaginary). Indeed, from a psychoanalytical point of view, the sustained interpretation seems to have consequences on the way one can conceive the articulation between the dimensions and the jouissances. This reflection also allows us to question the impact of considering the temporal dimension within an interpretation.

Based upon the formulas of sexuation, we propose a reflection on the interest of intuitionist logic for approaching the logic of the feminine position. This position reflects a logic other than that of the excluded third in its relationship to castration. On the feminine side, Lacan puts forward an undecidable relation to castration, which leads us to question the meaning he gives to this term. In order to understand it, we have drawn on the two definitions of Verleugnung proposed by Freud, in which this negation corresponds either to the way of denying the difference between the sexes in the perverse structure, or to a singular negation of the neurosis that can be associated with the end of the cure. In both cases, the logic of these negations diverges from that of the excluded third, because in perversion, it relates to an affirmation of castration that is secondarily denied (yes but no) and in the case of the end of the cure, it is rather a concomitant consideration between affirmation and negation of symbolic castration (yes and no).