La suppléance de la fonction rénale par l’hémodialyse. Un siècle et demi d’histoire - 21/07/09

Doi : 10.1016/j.nephro.2009.03.001 
Claude Jacobs
Service de néphrologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France 

Résumé

Le remplacement de la fonction rénale (RFR) par l’hémodialyse (HD) a démontré pour la première fois que des fonctions vitales d’un organe complexe pouvaient être assurées par une machine. Le Père Fondateur de la dialyse est le chimiste écossais Thomas Graham qui en 1861 mit en évidence que des substances colloïdes et cristalloïdes contenues dans des solutions pouvaient être séparées par diffusion à travers une membrane semiperméable. Il donna à ce phénomène le nom de « dialyse ». Cinquante ans plus tard, utilisant le collodion comme membrane dialysante et l’hirudine comme anticoagulant (ATG) Abel et al., à Baltimore, réalisèrent la première HD chez le chien avec un dispositif de « vivi-diffusion », qui reçut peu après le nom de « rein artificiel » (RA). En 1924, Haas en Allemagne effectua la première dialyse chez l’homme avec une membrane de collodion et un nouvel ATG : l’héparine. Déçu par les échecs observés chez ses patients traités par HD, Haas abandonna ses essais en 1928. L’HD fut ensuite reprise au début des années 1940 par Willem Kolff en Hollande qui construisit un RA à « tambour rotatif » avec la cellophane comme membrane de dialyse. Kolff obtint son premier succès avec le RA chez une femme atteinte d’insuffisance rénale aiguë (IRA) en 1945, ouvrant la voie à une extension rapide de la dialyse à travers le monde comme traitement de l’IRA. Le concept de l’application de l’HD aux patients atteints d’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT), déjà initié par Alwall en Suède dès 1948, devint réalité en 1960 lorsque Scribner, Quinton et al. réalisèrent un court-circuit artérioveineux (AV) externe en Teflon® permettant un accès permanent aux vaisseaux sanguins sans nécessité d’anticoagulation permanente. Le shunt AV, amélioré par l’utilisation de matériel en silicone (Silastic®) a été la pierre angulaire pour entreprendre le traitement au long cours de l’IRCT par HD. L’étape clé ultérieure a consisté en 1966 en la création chirurgicale de la fistule AV interne par Cimino, Brescia et al. qui permit de diminuer les nombreuses complications des shunts AV. Au cours des décennies ultérieures, les progrès techniques rendirent l’HD plus sûre et plus simple permettant sa réalisation par des patients à leur domicile. Le concept consistant à assimiler l’HD à un traitement pharmacologique conduisit à une prescription rationnelle et à une évaluation de son efficacité par l’utilisation d’un index normalisé (Kt/V). La survie prolongée de patients traités par HD mit en évidence une symptomatologie et des complications cliniques jusque-là inconnues, dont une partie peut être attribuée au caractère « non physiologique » de l’HD dû à l’absence des fonctions régulatrices du rein normal et aussi à l’iatrogénicité aiguë ou chronique de certains composants des systèmes d’HD. Des recherches expérimentales et cliniques ont visé à identifier des « toxines urémiques » de divers poids moléculaire et à optimiser leur élimination par des processus de diffusion et de convection grâce à des membranes plus biocompatibles pour diminuer, entre autres, l’état inflammatoire chronique qui intervient dans plusieurs manifestations pathologiques des patients traités par HD. La disponibilité à la fin de la décennie 1980 de l’érythropoïétine recombinante humaine comme traitement de l’anémie liée à l’urémie a considérablement amélioré la qualité de vie des patients. L’HD va rester encore pendant de nombreuses années le traitement le plus largement utilisé pour les patients atteints d’IRA et d’IRCT. Les perspectives les plus prometteuses, grâce aux progrès de la miniaturisation et aux nanotechnologies, visent à joindre un élément possédant des fonctions régulatrices « tubulaires » à celui assurant la fonction de filtration « glomérulaire » des systèmes d’HD actuels, le tout étant contenu dans un dispositif unique portable et implantable. L’année 2009 n’est en aucune façon « la fin de l’Histoire » du traitement de l’insuffisance rénale par la dialyse !

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Summary

The replacement of renal function by hemodialysis (HD) demonstrated for the first time that at least the most vital functions of a complex organ could be replaced by a man-made device. The Founding Father of dialysis is the Scottish chemist Thomas Graham who in 1861 found that colloid and crystalloid substances contained in fluids could be separated by diffusion of crystalloids through vegetable parchment acting as a semipermeable membrane. He coined this phenomenon as “dialysis”. Fifty years later, using collodion as dialysis membrane and hirudin as anticoagulant (ATG), Abel et al. in Baltimore performed the first dialysis in dogs with a “vivi-diffusion” apparatus shortly after named “artificial kidney”(AK). In 1924, Haas in Germany treated for the first time uremia in man with dialysis using a collodion membrane and a new ATG: “heparin”. Disappointed by unsuccessful results achieved with HD, Haas gave up his trials in 1928. HD revived in the early forties when Willem Kolff in the Netherlands built a “rotating drum kidney” using cellophane as dialysis membrane. The first recovery of a patient undergoing HD for acute renal failure (ARF) was reported by Kolff in 1945, paving the way for a rapidly worldwide expanding treatment of ARF with dialysis. The concept of applying HD to patients with end-stage chronic renal failure (ESRF), first pioneered by Alwall in Sweden as far back as 1948, became reality in 1960 when Scribner, Quinton et al. designed an external arteriovenous by pass made of Teflon® tubing which allowed a permanent access to the bloodstream without requirement of permanent anticoagulation. The Teflon® AV shunt, later improved with the use of a silicone rubber material (Silastic®) has been the cornerstone for implementing the long-term treatment of ESRF patients with maintenance HD. The next major breakthrough in this area consisted in the surgically created AV fistula performed in 1966 by Cimino, Brescia et al. which considerably reduced the complications encountered with AV shunts. During the following decades technical advances rendered HD safer and easier thus allowing its management by patients themselves in their home. The concept of HD therapy being assimilated with a pharmacological treatment led to its rationalised prescription and the evaluation of its “adequacy” with the use of a normalised efficiency index (Kt/V). The long-term survival of HD-treated ESRF patients revealed previously unknown numerous clinical symptoms and complications. Many of them turned out as being linked to the global “unphysiology” of HD therapy due to the absence of the regulatory functions of the normal kidney and also to the iatrogenic adverse effects generated by various components of dialysis systems. Clinical and laboratory research attempted at identifying “uremic toxins” of various molecular size and stimulated the development of dialysis strategies aimed at their optimal removal by more biocompatible membranes designed for both diffusive and convective procedures and for reducing the chronic inflammatory state involved in several pathological manifestations of HD patients. The availability in the late eighties of human recombinant erythropoietin as treatment of uremic anemia greatly improved the quality of life of HD patients. HD will continue to be by far the most widely used treatment for patients with ARF and ESRF for many years to come. Most promising developments currently in progress, using optimal miniaturisation and nanotechnologies, aim at adding a unit with regulatory “tubular” functions to the filtration “glomerular” process provided by the current AK systems, both being ultimately contained in a single, wearable, implantable device which would thus perform functions closer to that ensured by the normal kidney. Year 2009 is in no way “the end of History” of dialysis therapy for renal failure.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Mots clés : Hémodialyse, Histoire, Graham, Haas, Kolff, Scribner

Keywords : Hemodialysis, History, Graham, Haas, Kolff, Scribner


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Vol 5 - N° 4

P. 306-312 - juillet 2009 Retour au numéro
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