La démarche philosophique de cet article propose de considérer le corps comme une construction psychogénétique. Dans la tradition philosophique des expériences de pensée à vocation heuristique, un modèle de psychisme initial est construit à partir d’indications associant philosophie du corps et psychologie du développement. Ce modèle, qui ne prend pas le corps comme un fait déjà donné, montre que le corps peut progressivement se construire par le travail psychique d’association entre des perceptions, des impressions affectives et des impressions d’action. Berkeley avait ouvert la voie à la psychologie développementale constructiviste en proposant un modèle de fonctionnement psychique construisant les objets à partir des associations de perceptions. Cet article entend montrer qu’il peut en être de même pour le corps. Plus précisément, si la psychologie constructiviste héritée de Piaget montre comment l’espace résulte d’une construction psychologique et cognitive, l’expérience de pensée ici proposée tend à indiquer une construction similaire pour le corps. Le modèle de psychisme construit se résume à quelques capacités seulement : la capacité à ressentir des impressions sensorielles, la capacité à ressentir des impressions affectives, la capacité à ressentir des impressions d’actions, la capacité de motivation intrinsèque, la capacité à orienter l’attention et la capacité à associer ces impressions et à mémoriser ces associations. Ces capacités, confrontées à l’expérience des impressions, conduisent à l’émergence d’une construction du corps, selon trois voies congruentes. Cette expérience de pensée peut aussi suggérer le retentissement qu’une défaillance de l’une des capacités peut engendrer sur la construction du corps. Ce travail, de fait, s’inscrit dans le contexte plus large d’un dialogue entre philosophie de l’esprit, psychologie et psychiatrie, à l’exemple de l’élaboration passée des concepts de « corps propre », de « schéma corporel » ou d’« enaction » (Maine de Biran, Merleau-Ponty, Wallon, Piaget, Schilder, Varela, Gallagher, etc.).

In this paper we consider the body in terms of a psychogenetical construction of the psyche. We adopt the approach of a thought experiment, developing a heuristic model of an inaugural psyche using elements drawn from philosophy of the body and developmental psychology. This model rejects the notion of the body as a given, suggesting how it might be progressively built up by the psychological work of associating perceptions, affect, and impressions of action. Berkeley inaugurated constructivist developmental psychology by theorizing how objects were constructed based on associations of perceptions. This paper argues that the body can be constructed in a similar manner. While the constructivist psychology of Piaget shows how space results from a psychological and cognitive construction, the thought experiment presented here develops a similar construction for the body. This model of the psyche presupposes a minimal number of capacities: the ability to feel sensory impressions, affect, and impressions of action, the capacity of intrinsic motivation, and the capacities to orient the attention and to associate. These capacities, working upon the fluxes of impressions, lead to the emergence of a body construction, in three different ways, as detailed in the paper. This thought experiment also suggests a way to think about the various impacts of a disability on the construction of the body. This work is situated in the wider context of a dialogue between philosophy of mind, psychology and psychiatry, as was the case for the elaboration of such concepts as “own body”, “bodily schema” or “enaction” (Maine de Biran, Merleau-Ponty, Wallon, Piaget, Schilder, Varela, Gallagher, etc.).