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Avant-propos de la troisième édition - 07/06/11

Doi : 10.1016/B978-2-294-06234-6.50067-3 
Jean Calop
 Professeur de pharmacie clinique, UFR de pharmacie de Grenoble, Responsable du pôle pharmacie, CHU de Grenoble 

En relisant l’avant-propos de la dernière édition, la question suivante se pose: quelle est l’avancée de la pharmacie clinique en France, depuis l’introduction en 1984 de son enseignement? Il y a presque 25 ans, à mon retour du Québec, j’avais écrit le premier livre sur la pharmacie clinique1 . Ainsi, une génération nous sépare des premiers balbutiements de cette discipline en France. La physique nous apprend qu’il faut atteindre une masse critique pour commencer à ressentir les effets d’un changement ou des réactions en chaîne. Pour répondre directement à la question, nous sommes encore loin de l’exercice de la pharmacie clinique par les seniors au sein de nos hôpitaux, mais un espoir avec les juniors (internes en pharmacie) qui poussent, alors que la discipline est enseignée depuis 25 ans. Or il s’agit bien d’un véritable exercice et, en tant qu’enseignant dans une faculté de pharmacie qui forme à des métiers, j’ai toujours été surpris de la distance qui séparait l’enseignement de la pratique. Quelques expériences émergent en Europe: en Espagne, en Belgique, en Suisse… en France les premières expériences vont timidement apparaître avec le «contrat de bon usage» ; l’Angleterre et les pays anglo-saxons européens avancent plus vite, influencés en cela par les USA.

Le modèle québécois continue à nous inspirer et nos collègues d’Outre-Atlantique doivent continuer à tirer les pays francophones au travers des méthodologies utilisées, de la recherche qui y est développée et de l’enseignement pragmatique et réaliste qui y est dispensé.

En France dans l’enseignement universitaire

La réforme la plus marquante de 1984 a été marquée par l’introduction de la cinquième année hospitalo-universitaire pour tous nos étudiants, qui doivent apprendre au cours de leur stage hospitalier et avant d’exercer leur métier de pharmacien ce qu’est une prescription, une dispensation une stratégie thérapeutique, un patient… quoi de plus normal pour un métier axé sur médicaments et patients?

Trois réformes de la commission nationale pédagogique des études de pharmacie, présidée par C. Collombel (de 1998 à 2002) et à laquelle j’ai participé, me semblent déterminantes dans l’évolution pédagogique de nos enseignements.

Encourager au sein de chaque faculté ce que l’on appelle les enseignements coordonnés, c’est-à-dire qu’à partir d’une thématique, chaque enseignant traite en fonction de sa discipline ce thème, si possible dans une unité de lieu et dans un temps qui permettent une chronologie de l’introduction des connaissances; tout commence par l’anatomie et/ou la physiologie, pour terminer par la pharmacie clinique, où l’on doit développer l’apprentissage par résolution de problèmes (APP) à partir d’études de cas.
Dans la lignée de ces enseignements coordonnés se trouvent les stages d’application qui doivent permettre à l’étudiant de mieux appréhender le patient et de mettre en pratique les notions théoriques acquises au niveau d’un enseignement coordonné. Autrement dit, apprendre à interroger un patient sur sa pathologie, ce qu’il en connaît, ses attentes, ses représentations, ses croyances et ce qu’il a compris et retenu des messages émis par divers professionnels de santé (médecin, pharmacien, infirmière, kinésithérapeute, diététicienne…) ou par Internet. Dès lors, comment gère-t-il sa pathologie et quels sont les écarts importants qui le conduisent éventuellement à une mauvaise gestion de cette pathologie et à une mauvaise conduite du traitement? C’est à ces questions que doit répondre l’étudiant à la fin de son stage.
L’introduction du tutorat, qui doit remplacer une partie des travaux pratiques en fixant des objectifs pédagogiques à l’étudiant et en l’accompagnant pour atteindre ces derniers.

Ces trois éléments vont dans le sens d’un rapprochement vers les pratiques professionnelles. À chaque enseignant de s’inspirer dans les métiers de ces pratiques pour pouvoir construire des cas pertinents, permettant à l’étudiant de trouver des solutions à des problèmes, en s’appuyant sur des connaissances acquises et sur l’expérience des tuteurs. Dans ces trois domaines, la pharmacie clinique doit être une discipline d’inspiration.

Dans les enseignements coordonnés, elle doit être l’inspiratrice de la chronologie de l’introduction des connaissances pour permettre à l’étudiant d’utiliser celles-ci afin de résoudre des problèmes identifiés dans la thérapeutique médicamenteuse prescrite pour un patient.
Dans les stages d’application, elle intervient en s’inspirant des sciences sociales pour approcher le patient et aider l’étudiant à interviewer un patient et analyser ce qui ressort de l’entretien. Cette synthèse conduit souvent à comprendre certains échecs (mauvaise compréhension des messages, confusion des médicaments, croyances et représentations conduisant à de mauvaises pratiques, attentes non satisfaites, etc.).
Enfin dans le tutorat, la pharmacie clinique, proche des pratiques professionnelles, doit irriguer certaines disciplines d’une méthodologie visant à définir des objectifs pédagogiques et construire des parcours pour aider les étudiants à les atteindre. De plus, en s’appuyant sur une méthode pédagogique active, celle de l’apprentissage par problèmes, elle doit montrer à l’étudiant que la mobilisation des connaissances acquises dans les sciences fondamentales est une étape indispensable pour faire des propositions et aider à la résolution de ces problèmes.

La recherche en pharmacie clinique

L’exercice de la pharmacie clinique peut se nourrir de la recherche en pharmaco-économie, en pharmacocinétique, en sciences sociales et comportementales, en recherche clinique en pharmacotechnie, en pharmacologie, en chimie thérapeutique, en pharmaco-épidémiologie… Dans tous ces domaines, les orientations hospitalo-universitaires sont notables. Le pharmacien clinicien est celui qui va traduire dans ses pratiques professionnelles les apports techniques et scientifiques de ces disciplines, en s’appuyant sur des référentiels scientifiques validés, et des niveaux de preuve qui vont constituer des aides précieuses à la décision médicale. Les pratiques professionnelles doivent aussi faire l’objet de recherches au travers des expériences acquises et constituer en elles-mêmes une recherche clinique pharmaceutique individualisée qui vont permettent de faire avancer la discipline.

En France à l’hôpital dans les pratiques

La pharmacie hospitalière, à l’heure où nous écrivons ces lignes, est à la veille d’être intégrée au CHU un demi-siècle après la naissance du CHU médical (1958). C’est dire les défis que doit relever la nouvelle génération.

La pharmacie clinique ne peut que bourgeonner et s’épanouir sur une pharmacie hospitalière structurée et organisée. C’est le cas en 2008, la génération des pharmaciens hospitaliers qui a vécu la séparation de la biologie et de la pharmacie hospitalière en 1974 a pu constater l’avènement de la spécialisation des pharmaciens: généralistes, spécialistes en gestion, en radio pharmacie, en dispositifs médicaux, en stérilisation, en pharmacotechnie, et l’on voit maintenant progressivement émerger l’exercice de la pharmacie clinique.

De plus, l’évolution de l’organisation des hôpitaux amène nos administrations à comprendre que le pharmacien peut non seulement jouer un rôle économique en optimisant la gestion des divers produits de santé, mais que l’efficience des prescriptions est majeure si le pharmacien collabore avec le médecin à la recherche de la bonne prescription. Le pharmacien clinicien suit la visite, joue un rôle efficace en termes de sécurisation du circuit du médicament, valide la prescription et s’assure de la bonne mise en place de la thérapeutique médicamenteuse pour un patient donné.

On commence à voir se multiplier les initiatives de gestion des médicaments au sein même des unités de soins, qui va remplacer le concept de la distribution journalière individuelle et nominale à partir de la pharmacie qui a préoccupé toute une génération de pharmaciens. Reprenons ce concept et déplaçons-le au sein même des unités de soins, dans un projet visant à demander aux préparateurs de gérer les médicaments au sein des unités de soins, avec des armoires sécurisées qui assurent, couplées à un logiciel de prescription, la traçabilité de toutes les opérations. De plus, la maîtrise de la gestion des armoires sécurisées permet de régler les problèmes de coulage de mauvaise gestion (surstock) et de péremption. L’idée d’antenne de pharmacie émerge sur le modèle de ce qu’ont réalisé les Américains du nord depuis plus de 30 ans, en calculant la rentabilité et la sécurité d’une telle initiative. Le contrat de bon usage des médicaments et des dispositifs médicaux1 doit permettre d’enregistrer progressivement une importante évolution dans ce domaine.

Sur la même idée, l’exercice de la pharmacie clinique au sein même des unités de soins mûrit, les médecins prescripteurs commencent à comprendre tous les bénéfices qu’ils peuvent retirer d’avoir un véritable collaborateur à leur côté, qui les aide et qui participe à l’efficience de leurs prescriptions, en se préoccupant:

du respect des référentiels scientifiques;
des meilleurs rapports coût-efficacité et risques-bénéfices;
de la validation des prescriptions (vérification des points critiques: posologies, contre-indications, interactions médicamenteuses contre-indiquées et ou à déconseiller);
de proposition(s) d’optimisation: adaptation posologique, construction de plans de prises;
du suivi thérapeutique et des vigilances (matériaux et pharmacovigilance);
de l’éducation thérapeutique du patient à sa sortie de l’hôpital.

La démonstration a été faite en Amérique du Nord, avec un élément qui arrive en Europe: la multiplication des plaintes des patients. Il est probable que les assureurs vont s’intéresser à cette discipline de pharmacie clinique, mais il appartient à la profession d’apporter la preuve par les résultats que son exercice se traduit par une optimisation de l’efficience des thérapeutiques médicamenteuses, par la prévention de l’iatropathologie médicamenteuse et la bonne gestion des médicaments au sein des unités de soins.

Face à ces évolutions: une troisième édition du livre de pharmacie clinique

Le succès enregistré dans la francophonie par les deux premières éditions est le signe d’un besoin grandissant des collègues exerçant sur le terrain de s’appuyer sur des référentiels scientifiques. Les mises à jour restent une nécessité, mais à l’heure d’Internet, tous les professionnels ont compris que les connaissances évoluent très rapidement. La structuration des chapitres imaginée au départ reste une volonté forte, en privilégiant l’aspect pratique de l’utilisation des connaissances face à des situations thérapeutiques. Les données scientifiques figurant dans cette troisième édition doivent permettre de répondre à la majorité des tâches que nous venons de lister dans le paragraphe précédent.

Cette édition introduit pour la première fois le concept d’éducation thérapeutique dans un nouveau chapitre, afin de faire prendre conscience aux futurs praticiens pharmaciens cliniciens que l’apport des sciences sociales est fondamental dans la compréhension, l’acceptation et la conduite d’un traitement médicamenteux par le patient. Cette approche doit convaincre les universités médicales et pharmaceutiques d’introduire les sciences de l’éducation et comportementales dans le cursus des études. Cette édition fait également apparaître le nom de jeunes coordonnateurs qui se sont investis dans les mises à jour de cette troisième édition. Christine Fernandez, maître de conférences et praticien hospitalier a été qualifiée pour être nommée professeur de pharmacie clinique, et Samuel Limat, récemment nommé professeur de pharmacie clinique à la faculté mixte de médecine et de pharmacie de Besançon, représentent à notre sens la jeune génération, celle qui, dans le cadre de l’intégration de la pharmacie au centre hospitalo-universitaire, devra faire émerger l’exercice de la pharmacie clinique. Ont été également associés quelques jeunes relecteurs sur des chapitres; cela correspond également à une volonté d’encourager la jeune génération à comprendre tous les enjeux de la mise à jour des connaissances pour acquérir auprès du corps médical toute la crédibilité scientifique nécessaire à un bon exercice de la pharmacie clinique. Enfin, comme dans la conclusion d’une thèse, il ne peut pas être d’avant-propos présentant la réédition d’un livre sans tracer le chemin de l’édition suivante qui verra, nous en sommes persuadés, l’exercice de la pharmacie clinique dans nos hôpitaux s’exprimer et qui nécessitera un complet remaniement des chapitres par cette nouvelle génération.

Je formule à titre personnel un souhait fort de voir nos collègues francophones, québécois, belges, suisses, luxembourgeois, tunisiens (qui ont installé une réforme hospitalo-universitaire importante) participer davantage à la construction de la quatrième édition.



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