Table des matières

Préface - 28/06/11

Doi : 10.1016/B978-2-294-01922-7.00059-9 
H. Lôo, J.-P. Olié

Il faut remercier les professeurs Bruno Millet et Jean-Marie Vanelle de nous offrir ce remarquable outil, Prescrire les psychotropes. Le bon usage des médicaments psychotropes pour chaque patient est un objectif que la somme des connaissances pharmacologiques et thérapeutiques ici rassemblées aidera à mieux appréhender. L’importance de la thématique de cet ouvrage est évidente : il n’est qu’à voir l’écho rencontré par la remise en cause périodique des prescriptions de psychotropes par les médias mais aussi par des responsables administratifs ou politiques. Les affections psychiatriques sont à l’origine de multiples souffrances individuelles, familiales, sociales, d’états d’incapacité occasionnant arrêts de travail et situations de handicap. Les enquêtes épidémiologiques indiquent que 25% d’entre nous ont souffert, souffrent ou souffriront d’un trouble psychique ou comportemental. Quelques données chiffrées illustrent l’ampleur du problème : plus de 10000 morts par suicide en France chaque année et 200000 tentatives de suicide ; 1% des lycéens vont débuter une pathologie chronique de type schizophrénique ; 1% des sujets d’âge adulte jeune vont révéler un trouble bipolaire ; 15% des adultes présenteront des symptômes d’épisode dépressif… Sans oublier les troubles anxieux, les addictions, les troubles des conduites alimentaires et à un autre âge de la vie les pathologies vasculaires ou neurodégénératives marquées par des symptômes comportementaux et émotionnels. En effet, 3 à 6% des plus de 65 ans répondent aux critères de maladie d’Alzheimer : on sait aujourd’hui que les symptômes émotionnels (symptômes anxieux et dépressifs) précédent de quelques années les symptômes cognitifs. Il faut encore ajouter les troubles de l’adaptation et les troubles de la personnalité qui ne sont pas les moins complexes pour le praticien, d’autant que l’usage des agents psychotropes est beaucoup moins bien codifié dans ces affections.

Les professionnels œuvrant dans le champ de la psychiatrie, médecins et non médecins, ont acquis des savoir-faire déterminants pour l’accompagnement des sujets souffrant de telles pathologies. Psychothérapies et modalités d’accompagnement social, techniques de remédiation cognitive complètent les effets des médicaments psychotropes qui ont à l’évidence une place essentielle pour infléchir le cours naturel des troubles et prévenir leurs complications aussi bien individuelles que sociales, psychiques que somatiques.

La psychopharmacologie moderne est née au milieu du XXe siècle à l’hôpital Sainte-Anne à Paris à partir de la découverte de la chlorpromazine, premier médicament efficace pour le traitement des schizophrénies. Le génie de J. Delay et P. Deniker fut d’imaginer qu’un médicament quotidiennement administré pourrait réduire l’ensemble des symptômes psychotiques. En quelques semaines une observation clinique avisée après un protocole expérimental simple (monothérapie de chlorpromazine) avait démontré la pertinence de l’hypothèse : la chlorpromazine (Largactil) avait réduit beaucoup de symptômes psychotiques.

Jusqu’alors les médicaments n’avaient été conçus que comme moyens de remplacer la camisole physique pour contenir les grands états d’agitation, d’où la notion de camisole chimique. À partir de la découverte du Largactil, la condition des malades mentaux allait radicalement changer, l’atmosphère des hôpitaux psychiatriques se transformer. Non point que les désordres mentaux graves allaient disparaître : ils étaient atténués jusqu’à rendre possible un dialogue soignant-soigné et dans les meilleurs cas un retour du patient dans son environnement familial et social. De 1952 jusqu’aux années 1970 la classe des neuroleptiques s’est développée avec la mise à disposition de diverses molécules, en particulier l’halopéridol en 1957. Cette même année 1957, Delay et Deniker proposaient une définition des neuroleptiques en affirmant comme l’une de leurs caractéristiques la capacité à induire des symptômes extrapyramidaux. Quelques années plus tard, en 1962, Carlsson découvrait en laboratoire l’effet antagoniste de ces molécules sur les récepteurs dopaminergiques. Cependant l’intérêt pour les neuroleptiques allait peu à peu fléchir, ces médicaments étant négativement jugés du fait de leurs effets indésirables parfois trop stigmatisants. De plus les psychiatres nord-américains « inventaient » la notion de chlopromazine-équivalent pour soutenir l’idée qu’une molécule est équivalente à une autre, les différences ne résidant que dans la puissance d’effet par milligramme. Ceci contredisait la pertinence des classifications thérapeutiques des neuroleptiques élaborées par les psychiatres européens.

Il fallut à nouveau le génie d’un clinicien, dans les années 80, John Kane, psychiatre new yorkais pour relancer l’attention sur cette classe de médicaments. Il s’agit de ce que l’on a désigné comme la clozapine story. La clozapine est un neuroleptique disponible dès les années 1960 : sa diffusion avait été stoppée à la suite d’accidents hématologiques graves à type d’agranulocytose imputables à ce médicament.

Dans les pays où elle restait disponible, des cliniciens continuèrent à utiliser la clozapine dans les formes graves de schizophrénie ne « répondant » pas aux médications plus usuelles. Ceci donna à J. Kane l’idée non plus de comparer la clozapine à un autre neuroleptique dans des formes tout-venant de schizophrénies (de telles études avaient été menées sans résultats convaincants) mais à des patients non répondeurs aux autres neuroleptiques. Ainsi fut apportée la démonstration de l’efficacité de la clozapine dans des formes résistantes de schizophrénie. Peut-être ce médicament devrait-il être davantage utilisé qu’il ne l’est à ce jour pour son efficacité sur les symptômes psychotiques tels que la désorganisation, les symptômes émotionnels ou encore l’autisme.

La découverte de l’efficacité de la clozapine dans des états non soulagés par les autres neuroleptiques a certainement participé à redynamiser la recherche privée pour la mise au point de nouvelles molécules : olanzapine, rispéridone, aripiprazole, ziprazidone, quétiapine. On doit regretter que seules les trois premières soient disponibles sur le marché français. Il faut dire que quelques-uns n’hésitent pas à cultiver le mythe d’une équivalence entre molécules antipsychotiques suggérant une plus ou moins grande puissance d’action en regard au nombre de milligrammes administrés. Sans doute pour avoir attentivement observé quelques malades, on ne peut ignorer l’ampleur des variations interindividuelles dans la réactivité aux divers antipsychotiques. En outre les effets neurobiologiques et pharmacodynamiques des divers antipsychotiques sont très divers même si toutes ces molécules ont en commun d’agir sur les récepteurs dopaminergiques comme l’avait montré Carlsson en 1962.

La diversité des molécules antidépressives est une autre richesse de la thérapeutique. À partir de 1957, date de découverte des deux premières classes d’antidépresseurs (imipramine et iproniazide), diverses médications ont apporté la preuve de leur capacité à redresser l’humeur dépressive. L’avènement des inhibiteurs spécifiques de recapture de la sérotonine dont Prozac fut le chef de file historique avec le succès commercial que l’on sait, a eu pour conséquence une expansion des prescriptions d’antidépresseurs à partir des années 1980.

Périodiquement les médias invoquent une surconsommation française des antidépresseurs.

Qu’ils se rassurent, la consommation d’antidépresseurs dans les pays comparables est en progression, de sorte que les différences précédemment mesurées entre la France et les pays anglo-saxons sont en train de s’estomper. Les prescripteurs français gardent l’immense privilège de choisir l’antidépresseur sans la contrainte du paramètre économique : ailleurs (Angleterre, Allemagne, etc.) obligation est faite de prescrire en première intention un tricyclique imipraminique moins onéreux, malgré les difficultés à définir la posologie individuelle utile et malgré les effets indésirables.

Il faut souhaiter que la recherche privée mette au point des molécules ayant d’autres effets neurobiologiques que l’inhibition de recapture des mono-amines : ceci aidera à mieux comprendre la physiopathologie des troubles dépressifs et les mécanismes de l’effet thymo-analeptique.

La découverte des effets prophylactiques des sels de lithium sur les récurrences du trouble bipolaire a marqué une étape importante : une médication s’avérait capable de prévenir les accès dépressifs et maniaques. La classe des thymorégulateurs est disponible depuis les années 1970. Elle est à l’origine d’une expansion du cadre nosographique du trouble schizo-affectif : bien des schizophrénies sont désormais catégorisées comme troubles schizo-affectifs en raison de symptômes thymiques associés au syndrome schizophrénique. D’autres psychotropes que les thymorégulateurs à proprement parler (lithium, acide valproïque, carbamazépine, lamotrigine) ont démontré leurs potentialités prophylactiques lors des épisodes dépressifs (antidépresseurs au long cours) ou maniaques (antipsychotiques au long cours).

B. Millet et J.-M. Vanelle passent en revue les autres agents psychotropes, des hypnotiques et anxiolytiques aux psychostimulants. Ils ont raison de ne pas laisser de côté les médicaments anti-Alzheimer, les médications de substitution pour le traitement de certaines addictions. Ceci indique bien le caractère exhaustif de l’ouvrage qui propose en outre des stratégies thérapeutiques, y compris dans des situations aussi difficiles pour le praticien que l’état de stress post-traumatique, l’insomnie isolée ou les troubles de la personnalité. Ils y démontrent leurs grands talents de thérapeutes.

B. Millet et J.-M. Vanelle ne méconnaissent pas les limites des médicaments psychotropes. On connaît certains de leurs effets neurobiologiques : conditionnent-ils leur action thérapeutique? Question essentielle à laquelle il est pourtant difficile de répondre. En outre, les médicaments psychotropes sont souvent peu efficaces pour le traitement de certains troubles : chez l’enfant ou encore dans les troubles des conduites (troubles des conduites alimentaires) ou certains troubles anxieux (PTSD). Les demandes adressées à la psychiatrie vont bien au-delà des grandes entités pathologiques que sont les schizophrénies, les délires chroniques, les troubles dépressifs et anxieux, le trouble bipolaire. Le psychiatre est de plus en plus souvent sollicité pour des états de mal-être, des troubles de la personnalité qui sont de profondes sources de souffrance pour le sujet et son entourage. Ces états sont aussi des indicateurs de vulnérabilité à l’émergence de pathologies délirantes, dépressives, voire comportementales, par exemple suicidaires. La dichotomie pathologie mentale/trouble de la personnalité reportée sur une dichotomie thérapeutique biologique/psychothérapie n’est pas justifiée. Bien des états sous-tendus par un trouble de la personnalité peuvent être améliorés, voire amendés, par une chimiothérapie. Les indications des psychotropes deviennent aussi complexes que les indications des psychothérapies ! Le mérite de B. Millet et J.-M. Vanelle est grand d’avoir affronté ces réalités en y apportant de la cohérence et de la clarté.

Le livre de B. Millet et J.-M. Vanelle est un outil nécessaire à chaque médecin. Il contribuera à une amélioration de la qualité de prescription et d’usage de cette classe de médicaments. Les professeurs Millet et Vanelle n’ont pas négligé la catégorie des médicaments anti-Alzheimer : ils ont grandement raison. On sait en effet qu’une fois sur deux les symptômes émotionnels précèdent le déclin cognitif : la précocité du diagnostic est essentielle pour mettre en place les mesures sociales adaptées et choisir le meilleur moment pour une prescription de médicaments anti-Alzheimer trop souvent tardive. B. Millet et J.-M. Vanelle sont deux praticiens de grande culture et de grand talent : nous pouvons en témoigner puisque nous avons eu la chance de les compter parmi nos plus proches collaborateurs. Leur ouvrage témoigne de l’immensité de leurs connaissances dans ce domaine de la psychopharmacologie clinique et de leurs qualités pédagogiques. Il faut les remercier et les féliciter d’avoir voulu mettre leur savoir et leur savoir-faire à la portée de tous. Ils y réussissent remarquablement.

Gageons que ce livre connaîtra un très grand succès. Il le mérite. Les praticiens y trouveront les connaissances indispensables au meilleur usage possible des psychotropes.



© 2010  Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Ajouter à ma bibliothèque Retirer de ma bibliothèque Imprimer
Export

    Export citations

  • Fichier

  • Contenu

Article précédent Article précédent
  • Abréviations
| Article suivant Article suivant
  • Introduction

Bienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.
L'accès au texte intégral de ce chapitre nécessite l'achat du livre ou l'achat du chapitre.

Bienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.
L’accès au texte intégral de cet article nécessite un abonnement.

Déjà abonné à ce produit ?

Mon compte


Plateformes Elsevier Masson

Déclaration CNIL

EM-CONSULTE.COM est déclaré à la CNIL, déclaration n° 1286925.

En application de la loi nº78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, vous disposez des droits d'opposition (art.26 de la loi), d'accès (art.34 à 38 de la loi), et de rectification (art.36 de la loi) des données vous concernant. Ainsi, vous pouvez exiger que soient rectifiées, complétées, clarifiées, mises à jour ou effacées les informations vous concernant qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées ou dont la collecte ou l'utilisation ou la conservation est interdite.
Les informations personnelles concernant les visiteurs de notre site, y compris leur identité, sont confidentielles.
Le responsable du site s'engage sur l'honneur à respecter les conditions légales de confidentialité applicables en France et à ne pas divulguer ces informations à des tiers.


Tout le contenu de ce site: Copyright © 2024 Elsevier, ses concédants de licence et ses contributeurs. Tout les droits sont réservés, y compris ceux relatifs à l'exploration de textes et de données, a la formation en IA et aux technologies similaires. Pour tout contenu en libre accès, les conditions de licence Creative Commons s'appliquent.