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Annexe II — Textes et Témoignages Sur le «Prendre Soin»: (parus dans la revue Présences de Lyon, en avril 1995) - 27/09/11

Doi : 10.1016/B978-2-225-85565-8.50014-9 
Éditorial

Et si prendre soin c’était vivre de douceur envers soi-même et envers autrui ;

et si prendre soin c’était vivre en vigilante attention — être soigneux — la relation avec l’homme ;

et si prendre soin c’était laisser percevoir à l’autre qu’il compte pour nous ;

et si prendre soin c’était porter sur la souffrance exposée un regard d’espérance ;

et si prendre soin de l’autre nous convoquait à découvrir notre humanité commune ;

et si prendre soin avait à voir avec un acte de foi, parce que, là, s’expérimente la confiance;

Et si prendre soin était ce qui nous est commun, ce qui fait la «comme-union» de notre présence auprès de l’homme blessé, souffrant, exclu. Le monde de la santé fait se côtoyer une quarantaine de catégories socioprofessionnelles : quelle richesse et quelle diversité !

A. Garcin

Soigner n’est pas prendre soin

Deux constatations :

On peut soigner sans prendre soin; on peut prendre soin sans soigner.

Une conclusion

Soigner n’est pas prendre soin.

Soigner, c’est ce qu’on apprend à la fac, c’est la théorie qui se trouve dans nos livres, c’est savoir que, pour tel trouble d’articulation, il faut faire mettre la langue comme ci et comme ça. Soigner c’est considérer l’autre comme un symptôme contre lequel il faut lutter. En soi, c’est très bien, mais peut-être insuffisant.

Cet enfant que la mère nous amène, zozote… à son âge, vous comprenez… du coup, son appareil orthodontique ne sert à rien : pas de problèmes, vous connaissez parfaitement le grand A, petit b de votre chapitre sur les troubles d’articulation… sauf que dans le chapitre en question, on avait oublié de vous dire que l’enfant connaît très bien le geste de rééducation que vous voulez lui apprendre mais que lui, il n’a pas du tout envie de ne plus zozoter, sinon peut-être que sa maman va croire qu’il est grand, alors elle ne lui fera plus de câlins, plus de petits cadeaux, elle le défendra moins quand papa gronde…

Prendre soin, c’est considérer l’autre d’abord comme un homme, une femme, un enfant qui présente, au moment où il vient nous voir, un symptôme; c’est essayer de lutter contre ce symptôme avec lui; c’est trouver une solution avec notre «zozoteur» pour que son sigmatisme ne déforme plus ses dents mais pour qu’il puisse grandir sans perdre ses repères.

Prendre soin, c’est ce qui fait les soignants humains; c’est accompagner le soin d’une relation d’aide qui me semble essentielle en orthophonie car, que sommes-nous d’autres que des «accoucheurs de communication»? et la communication ne naît que dans la confiance et le désir.

C. Thibault

Étudiante orthophoniste

Pour toutes circonstances

Prendre soin, c’est une expression que j’aime beaucoup et qui qualifie actuellement la façon dont je souhaite travailler.

Prendre soin organise ma façon de soigner et par conséquent cela s’applique à tous types de soins, à tout contexte, et pas exclusivement à des soins dits palliatifs. Par conséquent, ce que je dis vaut pour toutes circonstances.

Prendre soin de la personne malade

C’est une façon de témoigner à la personne malade qu’elle existe pour autrui, c’est reconnaître sa dignité quel que soit le degré d’altération de ses capacités physiques ou psychiques.

C’est être centré sur ce qu’elle exprime verbalement ou corporellement, ce qu’elle exprime de sa façon de vivre la maladie, le handicap ou l’hospitalisation; ce qu’elle exprime de ses besoins, de l’aide qu’elle sollicite ou qu’elle ne sollicite pas.

C’est rechercher un partenariat, préserver ou stimuler une autonomie.

Cela demande une grande vigilance pour percevoir le cheminement de la personne malade, pour adapter mon pas à son pas, pour éventuellement décoder une demande quelque peu codée.

Cela demande aussi de la délicatesse pour être à l’initiative, pour proposer sans l’écraser ni l’humilier.

C’est rechercher comment la personne soignée peut en retirer un mieux-être, un mieux-vivre avec elle-même ou avec son entourage.

Prendre soin, cela se traduit par une approche de la personne qui ne fait plus place aux distinctions : physique, psychique, spirituel ; technique, relationnel, nursing.

Dans cette optique, le soin technique s’inscrit dans une relation au risque de la souffrance et tout autant au bénéfice de marques de reconnaissance.

Prendre soin de la famille

Prendre soin, c’est aussi, pour moi, être attentive à la famille, à l’entourage de la personne malade. Tout d’abord pour la simple raison que le comportement de la famille ou de l’entourage influe sur le cheminement de la personne malade. Mais aussi parce qu’il n’est pas possible de laisser sans une parole ces personnes en souffrance, désemparées face à ce qui leur arrive, face au comportement modifié de leurs proches. D’où l’initiative d’un dialogue :

pour faire exprimer, clarifier des sentiments ;
pour mesurer la compréhension de la situation, des informations reçues ;
pour expliquer une attitude de colère, de repli… ;
tout simplement pour dire que le décalage dans les sentiments éprouvés par la personne malade et celle qui lui rend visite est normal ;
pour aider à entrer dans une chambre ;
pour apprivoiser cet inconnu qu’est devenue la personne malade, et bien d’autres actions possibles inspirées par ce que je vois, ce que je comprends de la situation.

Prendre soin de l’équipe

Cela se traduit par nous autoriser mutuellement à passer le relais lorsqu’une relation devient trop épuisante, et pas seulement dans un contexte de fin de vie. Or, passer le relais n’est pas toujours aisé parce que c’est reconnaître ses limites alors qu’on est sensé être fort. Il est plus facile de répondre oui à la proposition « Veux-tu que je prenne le relais?» que de formuler la demande soi-même.

Cela passe par aider à verbaliser les sentiments éprouvés, donner des clés de compréhension par rapport à la situation vécue.

C’est reconnaître les diverses compétences de ses membres, c’est mettre en valeur l’interdisciplinarité pour le plus grand bénéfice de la personne soignée. C’est accepter que l’un ou l’autre développe une relation privilégiée parce qu’ainsi l’a choisi la personne malade sans que cela ne crée de rivalité.

C’est s’inviter mutuellement à s’engager dans un processus de formation, à participer à un groupe de soutien.

C’est accorder une attention toute particulière aux personnes en formation — bien qu’elles ne soient que de passage dans l’équipe —, parce que d’une plus grande fragilité, pour les former, les préparer à des situations auxquelles elles se confronteront dès qu’elles seront professionnelles.

Il me semble difficile de ne prendre soin que du malade. Sans prétendre être sur tous les fronts à la fois, sans nier les difficultés inhérentes à ce mode de relation, je ne peux pas ne pas prendre en compte ceux qui gravitent autour du malade parce que, prendre soin, c’est une façon d’entrer en relation qui devient peu à peu une façon d’être. En outre, c’est un mode de relation qui guide mes actions de soin, que celles-ci soient destinées à quelqu’un qui va vers la mort ou quelqu’un qui retournera à ses activités. Cela rend mon activité plus confortable parce que cela l’unifie.

B. Sauzaret

Infirmière à l’hôpital de l’Antiquaille (texte composé à l’occasion du débat proposé le 12/10/92 sur le thème : «Entre la vie et la mort, être accompagné».)

Comment, en participant aux soins dispensés à l’hôpital, le psychologue peut prendre soin de la personne malade?

Quelque chose se joue, au travers du corps, qui déplace la personne, dans un moment d’inquiétude, d’impuissance, d’isolement. Elle se trouve alors hors de son temps habituel, le temps des horloges, pour une interrogation sur son histoire biologique. Elle interroge le savoir de la médecine, le savoir-faire des médecins et des infirmières. Elle interroge aussi la vie, sa vie.

Que se passe-t-il?

D’où cela vient-il?

Cela va-t-il changer quelque chose à sa vie à venir? Retrouver de l’ordre est une nécessité première.

Dans ce lieu, à part, où l’on vient parce que l’on est perdu dans la gestion de sa santé, on ne s’attend pas toujours à voir un psychologue. Il n’est pas évident d’y rencontrer une autre personne qui propose de parler, qui est là pour écouter, pour entendre, alors qu’on est dans l’agir.

Pendant ce temps passé à l’Hôpital, où le plus souvent la personne malade est pressée de s’en retourner chez elle, le psychologue est là pour prendre le temps de dire, le temps de ressentir, le temps de penser. Pendant que le corps parle, avec ses énigmes, la parole peut aussi prendre place avec des mots et être entendue par quelqu’un qui y est attentif et qui veille au sens de ce qui est exprimé. Le psychologue se trouve à l’Hôpital parce qu’il y a quelque chose à entendre à partir de l’événement actuel, c’est-à- dire quelque chose qui a besoin d’être transmis d’une personne à une autre et qui a un sens dans une histoire.

A travers le corps malade de l’adulte c’est aussi l’enfant qui parle et le psychologue est là pour veiller à ce qu’il soit reconnu par celui qui souffre et par les autres.

Parfois la personne malade n’est pas en état de parler. Son état physique ou psychique ne lui permet pas d’élaborer un discours, de traduire sa pensée. Le psychologue est là pour ceux qui l’entourent, qui pensent pour lui, qui désirent pour lui, qui décident pour lui. Avec sa famille, avec les infirmières, il est attentif à sa présence dans leur discours en même temps qu’il est attentif à ce que les autres vivent par lui, avec lui.

Dans mon bureau, intégré à un lieu de consultation et de rééducation, je reçois des patients qui ont des troubles du langage, de la mémoire ou d’autres déficits liés à une lésion cérébrale ou à un dysfonctionnement inquiétant. Au-delà de l’évaluation de leurs capacités, je travaille, avec eux, la place de changement dans leur histoire et la possibilité qu’ils ont d’en faire quelque chose.

Je vais aussi voir des malades dans leur chambre en neurologie ou en neurochirurgie. A ce moment-là, il convient de reconnaître la situation de régression dans laquelle ils se trouvent, avec les défenses mises en jeu. Il me paraît important d’attribuer, pour chacun, une valeur à ce temps de crise et d’observation.

De mes interventions à des temps différents de la maladie, il m’appartient de trouver un sens particulier, étant le témoin d’une effraction qu’il faudra mettre en lien avec un devenir. Prendre soin des personnes que je rencontre à l’Hôpital nécessite que ma pensée soit présente mais aussi qu’elle puisse suivre le rythme de ce qu’elles y vivent.

D. Labourel

Psychologue au Laboratoire de neuropsychologie et de rééducation du langage, Hôpital neurologique.

Être aux petits soins avec son corps

Quand Marie, de passage dans le service, m’a proposé d’écrire quelques lignes sur le thème «prendre soin» dans le cadre de ma pratique professionnelle, je pensais intérieurement : quelle idée d’utiliser ce terme pour désigner les soins paramédicaux apportés aux malades ! Et puis, à y regarder de plus près, il me paraît de plus en plus évident que la kinésithérapie, comme tout traitement bien compris et bien conduit, est avant tout un traitement à individualiser selon le patient et ses réactions personnelles, et c’est dans cet esprit plus humain que le praticien s’adressera non pas à une pathologie mais au malade, car le malade ne doit pas être réduit à sa seule maladie.

Prendre soin, dans un premier temps, c’est pour moi, prêter attention au malade dès son arrivée dans le service. Il est vrai que mon premier coup d’œil, conditionné par ma profession, est purement réflexe et se pose d’emblée sur une difficulté à la marche, sur une boiterie… Cette observation succincte fait place rapidement à un regard qui s’attarde sur un visage, l’accueil devient plus chaleureux : je me présente et je dis : «Je passerai vous voir tout à l’heure», et déjà le patient, «impatient» de se retrouver dans une chambre, «prend son mal en patience» car l’attente d’un lit disponible peut être interminable. Dans cette fourmilière de soignants qui passent et courent dans un couloir, le malade est là, démuni, anonyme, espérant qu’on lui accorde quelque intérêt. Parfois, il m’arrive d’avoir le temps ou de prendre le temps d’accompagner le malade dans sa chambre ou dans la salle d’accueil : je pose une main sur une épaule, ou je propose mon bras comme soutien, et cette approche corporelle professionnelle devient un contact bienveillant, rassurant qui pourrait signifier : « Ayez confiance en l’équipe, laissez-vous guider, tout se passera bien, on ne vous oublie pas, on parlera de cette prochaine intervention».

Et puis le malade s’allonge sur un lit ou une table d’examen, et mon côté praticien reprend le «dessus» : l’entretien devient médical, je remonte aux sources des difficultés et pour cela je dois réaliser divers examens, j’évalue les possibilités motrices, je palpe, je mobilise les membres inférieurs tout en ayant le souci de ne pas réveiller des douleurs physiques, j’interroge sur les capacités de déplacement dans la vie quotidienne. Ce bilan clinique qui me renseigne sur l’état de la maladie me permet d’être à l’écoute de souffrances aussi bien physiques que morales, et imperceptiblement un climat de confiance s’installe. Le malade ose s’exprimer, pose des questions sur sa pathologie, s’informe sur l’intervention qu’il attend comme le Messie : vat-il retrouver ses capacités antérieures? les douleurs vont-elles disparaître? ou s’atténuer? une lueur d’espoir renaît.

Et le jour J arrive, le «prendre soin» signifie alors pour moi « donner des soins », « passer à l’action » grâce à une prise en charge kiné qui viendra compléter le bénéfice de la chirurgie.

Je convaincs le malade de l’utilité d’établir un programme de rééducation pendant le temps de l’hospitalisation pour optimiser les résultats de l’intervention.

J’explique le déroulement des séances.

Je conseille un traitement au long cours qui devra s’accompagner d’une participation active du malade. Je suis tour-à-tour, tout au long des séances : rassurante, directive, mais toujours encourageante et valorisante pour amener le malade à «se prendre en soins », à « être aux petits soins avec son corps » en voie de restauration, avec un corps délivré en partie de sa douleur.

Dans une ambiance plus détendue, le malade prend conscience de ses nouvelles possibilités physiques qu’il exploitera, ou bien utilisera des compensations. Il s’agira donc, pour tout praticien, d’orienter le malade, quel que soit son niveau de récupération, vers une vie la plus indépendante possible, l’encourager à acquérir une autonomie fonctionnelle et psychique et peut-être, secondairement, de le conduire à s’investir dans son milieu social et professionnel.

J. La Barbera

Kinésithérapeute - Hôpital neurologique

Ces gestes qui ont du poids

C’est toujours avec plaisir que je partage ce que représente pour moi la fonction d’aide-soignante. Voilà bientôt vingt ans que je l’exerce et je ne prétends pas en avoir épuisé toutes les richesses.

Comme l’indique le terme «aide-soignante», son rôle est de contribuer aux soins d’hygiène et de confort du malade, dans une collaboration étroite avec une équipe dite de «soins». «Prendre soin» d’un malade suppose une certaine application, un savoirfaire, une vigilance, une sollicitude, une présence attentive. Concrètement, voici comment je mets en œuvre ce service :

Laccueil du malade

Celui qui arrive, dans cet univers qui ne lui est pas familier, avec appréhension, angoisse, n’est pas un numéro, ni une pathologie, mais un être humain avec son identité et son histoire. Il est important de l’appeler par son nom. En l’accueillant, je me présente et je décline mon nom et ma fonction. Du temps est nécessaire pour lui faire connaître son environnement et le fonctionnement du service, pour répondre à ses questions, le sécuriser lui, et ceux qui l’accompagnent. Alors s’amorce une tentative d’apprivoisement réciproque.

La toilette

À travers des gestes, que je voudrais empreints de respect, se livre un corps à corps, une connaissance intime de la personne, dans ce «prendre soin» par le toucher qui restaure un peu de confort, de bien-être, et une certaine dignité. Dans ce moment privilégié naît une communication réciproque dans la confiance. Ce sont des gestes qui relèvent de l’ordinaire, tellement naturels, dans la panoplie des soins de base : aide au lever, à la marche, respect du régime alimentaire, entretien de la chambre, réfection du lit, etc.

L’observation

Voir ce qui a pu évoluer dans le sens de l’aggravation ou dans celui de l’amélioration de l’état général. Mes observations font partie de ce que je dois signaler à l’équipe au cours de ce temps appelé «transmission ou relève», étape importante pour la connaissance des malades afin de continuer à «prendre soin» d’eux.

L’écoute

Le temps passé à écouter n’est pas un temps j^erdu. Je suis sûre qu’il fait partie intégrante du «prendre soin». Ecoute de ce qui est exprimé, mais aussi écoute du non-verbal et de ce qu’il faut décoder, de ce qu’il exprime par son attitude.

La présence au malade est favorisée par le temps passé dans les chambres au moment du ménage, un long temps qui se vit sur un autre mode que celui du soin, mais qui en fait partie; c’est une manière naturelle d’être là au service de son confort, manière qui facilite un va-et-vient dans la relation. L’on bavarde de tout et de rien… et parfois de sujets très importants.

En service d’hématologie depuis sept ans, je découvre l’importance de ces moments plus ou moins longs, parfois imprévus, où se crée un lien privilégié dans la confiance, propice à la confidence où se met en route «un chemin» dans la durée que je n’ose appeler accompagnement, mais un peu riche de cette réalité. Qui accompagne qui?

Il arrive que le malade lui-même «prenne soin» du soignant par des gestes d’attention et des paroles qui mettent du baume au cœur.

Dans le cas d’une maladie grave et d’une hospitalisation de longue durée, il est important également de prendre soin du conjoint, du proche du malade. Dans cette durée se créent des liens, il faut accompagner l’accompagnant pour lui permettre de durer dans ce passage et parfois l’aider à trouver le geste qui convient pour rester proche jusqu’au bout.

De l’accueil du malade jusqu’à la fin, parfois jusqu’au dernier souffle, l’ayant bien connu ainsi que sa famille, c’est avec émotion que nous lui rendons un dernier témoignage de respect dans le soin apporté à sa dernière toilette. Cela se passe souvent entre l’infirmière et l’aide-soignante qui ont eu à «prendre soin» du malade dans les derniers instants qui ont précédé son décès.

M.-Th. Dalbeigue

Aide-soignante à l’hôpital Edouard-Herriot

Douceur♦…

Les lignes qui suivent sont l’expression d’une certitude qui se distille, se construit et se reçoit au fil des jours, certitude enseignée par l’apprentissage de la vie, la traversée des tempêtes, les cicatrisations lentes, les joies partagées.

La vie nous est confiée : gestion à tâtons, tenue de composer avec ces opacités que nous ne savons pas toujours négocier. «Prends soin de toi… », c’est souvent ainsi que je clos une lettre, que je dis au revoir.

La douceur à l’égard de nous-mêmes, la douceur pour autrui sont les premiers pas de l’amour.

Douceur…, étrange mot en notre monde cloisonné, éclaté, insensé parfois. Elle suppose la vigilance au quotidien, le don de ces petits signes qui rejoignent l’autre dans ce qui lui importe, ce qui lui est cher, ce qui lui parle de beauté : une courte lettre envoyée à temps plutôt qu’une longue missive, si bonne mais toujours reportée — un détour pour un sourire ou un bonjour — une date retenue et marquée car elle est étape dans un cheminement — un silence donné simplement dans sa présence.

Cette douceur n’est pas volontarisme, elle demande de quitter la recherche et la perfection et d’accueillir notre humanité, ses limites et ses grandeurs, en créant chaque jour un espace de paix et de bonté. Douceur patiente qui ne demande pas d’être retenue, douceur tenace qui se nourrit de confiance, douceur humble qui s’accueille et se transmet.

Prendre soin de l’homme, savoir regarder les petites choses de chaque jour et y découvrir la patiente création de vie plus loin que le mortifère.

Prendre soin de l’homme, oser croire que attention et compassion portent leurs fruits au-delà du geste échangé.

Prendre soin, un cadeau à recevoir et à donner, une vrai joie renouvelée.

G. Excler

Prendre soin?

Ni aumônier, ni croyante,

Médecin gériatre,

Prendre soin de personnes âgées atteintes de maladie d’Alzheimer ou de démence sénile.

Prendre soin c’est :

Prendre soin du corps : soulager les douleurs, laver, habiller, coiffer, raser, parfumer, maquiller, masser, toucher, caresser, aider à faire quelques pas, installer confortablement, soutenir un geste ébauché et l’accompagner dans son accomplissement.

Prendre soin : écouter la plainte, la prendre en considération, écouter simplement, partager la confiance, recevoir une confidence, être complice, discuter, être proche sans parler, être présent, s’arrêter un moment, se laisser interpeller, répondre à l’appel.

Prendre soin : un bonjour, un au revoir, un sourire, un éclat de rire, un regard, une caresse, une bise, une main serrée, de la chaleur, de la tendresse.

Prendre soin : consoler, prendre dans ses bras, recevoir la tristesse, le désespoir, l’angoisse, la colère, la douleur, l’agitation, l’agressivité, prendre des sueurs ensemble, apaiser, aimer.

Prendre soin : reconnaître ses propres limites, passer la main au collègue, s’effacer, se mettre à nu dans la relation, être humble, accepter le refus, accepter l’opposition, ne pas imposer sa volonté de «bien faire», respecter la parole et le comportement de l’être humain en face de soi.

Prendre soin : c’est boire un café ensemble, partager un dessert, s’asseoir côte à côte…

Prendre soin : valoriser, ne rien attendre, prendre ce qui vous est donné, recommencer à chaque instant, chercher sans cesse le possible, ne pas s’arrêter au déficit qui s’accentue, à la perte, reconnaître la vie.

Prendre soin n’est pas seulement : médicaments, injections, pansements.

Prendre soin n’est pas : guérir.

Prendre soin :

être prêt à rencontrer l’autre,
accompagner au quotidien,
s’accompagner l’un l’autre dans l’inconnu de la vie et de la mort.

P. Morel-Vulliez

Prendre soin de soi: Prendre soin de l’autre

Prendre soin, c’est être soigneux, attentif, prendre des précautions. C’est dans ce sens que je l’entends et vais l’approfondir dans le texte qui suit, au travers de mon expérience d’assistante sociale.

Prendre soin de soi est le préambule de tout autre soin concernant autrui. Comment pourrais-je souhaiter pour l’autre ce à quoi je n’aspire pas moi-même?

Prendre soin de Vautre, celui qui vient demander de l’aide à l’assistante sociale, c’est prendre le temps de l’accueillir tel qu’il est et tel qu’il se présente, en ayant soin de rester dans le cadre professionnel et institutionnel dans lequel nous travaillons. Ce cadre nous permet de trianguler la relation à l’autre, le client, et d’écouter ainsi sa demande dans le respect de soi comme de l’autre.

Le cadre professionnel, c’est notre statut d’assistant de service social, obtenu à la suite d’un temps de formation, celle-ci étant sanctionnée par un diplôme qui reconnaît nos compétences en la matière. Cette formation nous a donné des outils de réflexion sur le sens et les enjeux de nos fonctions. C’est pourquoi elle participe à la façon dont nous allons prendre soin, être attentif à l’autre en tant qu’assistant social; d’où l’importance d’avoir en permanence le souci de continuer à se former.

Le cadre institutionnel, c’est l’institution qui nous paye pour exercer cette profession en en définissant les missions. On ne va pas voir l’assistante sociale de son quartier comme celle de la sécurité sociale ou celle du centre médico-psychologique ou encore celle de l’école. Les demandes sont différentes en fonction de l’institution à laquelle on s’adresse. Par conséquent, notre discours comme notre attitude varient selon l’institution que nous représentons. Le travail d’équipe est un des garants de ce cadre-là.

Ces deux référents principaux fonctionnent comme deux regards extérieurs vis-à-vis de notre travail, et ne nous laissent donc pas seuls face aux clients du service social. Ils tiennent lieu de tierce personne lors de nos entretiens sociaux, et assurent ainsi le triangle nécessaire à toute construction humaine. Ils nous préservent, clients comme travailleurs sociaux, de la relation duelle qui peut finir en miroir ou fusion, et qui annulerait toute écoute possible. Ils prennent soin de nous.

Prendre soin de soi et prendre soin de l’autre sont ici indissociables. Garder en nous et dans nos entretiens sociaux cette place à la formation et à l’institution ne va pas de soi. Cela nous demande de rester vigilants sur ces points qui ne sont pas des détails mais une des conditions essentielles à la qualité de notre attention à l’autre et donc au soin que nous prendrons de l’autre, c’est-à-dire de nousmêmes.

Un exemple : Madame X. venait me voir régulièrement depuis plusieurs semaines pour des problèmes de couverture sociale, lorsqu’elle aborde pour la première fois le sujet de ses enfants avec moi. Elle me dit qu’elle aimerait bien voir ses deux filles mais qu’elle en est empêchée par une «mauvaise assistante sociale». Ceci m’amène à contacter l’assistante sociale en question pendant l’entretien espérant trouver des éléments de réalité qui viendraient dédramatiser la situation telle que me la présente Madame X.

C’est alors que ma collègue m’apprend au bout du fil que Madame X. a été déchue de son autorité parentale vis-à-vis de l’aînée de ses filles, avec interdiction de la voir, et qu’elle n’a plus le droit de garde de la cadette, confiée à la grand-mère maternelle, enfant qu’elle n’a pas le droit de rencontrer en dehors de la présence de la grand-mère en question.

A la suite de quoi ma collègue assistante sociale me demande la raison de l’hospitalisation de Madame X., raison que je ne connais pas.

Ayant raccroché le téléphone, je reprends avec elle les éléments que je viens d’apprendre au sujet de ses enfants, ce qu’elle accepte sans véritable résistance, avec même une certaine résignation qui semble calmer son angoisse de départ.

Face à son aspect détendu en fin d’entretien, je me permets alors de demander à Madame X. le pourquoi de son arrivée dans le service. Ceci la met dans une colère difficile à décrire : elle hausse le ton, se lève de sa chaise, le visage rouge, le regard furieux, injuriant tous les démons de la terre qui l’avaient amenée là, menaçant de mort ceux qu’elle accusait de lui avoir jeté des sorts ou fait boire des potions magiques maléfiques.

Dans un premier temps sans voix face à ce «cataclysme» se déchaînant dans mon bureau, j’essaie ensuite de glisser quelques mots pour la rassurer (et/ou me rassurer) lorsqu’elle laisse échapper un instant de silence au milieu de son délire. Quand, enfin, je sens sa colère lentement retomber, je la raccompagne dans l’unité de soins.

Juste après cet entretien, je croise le psychologue du service, et lui demande de m’accorder quelques instants. Après m’être déchargée au maximum des tensions emmagasinées au cours de l’entretien, je peux enfin l’écouter m’expliquer la pathologie de cette femme, ce qui me permet de juger de la violence de mes propos, ce que je n’avais pas mesuré a priori.

En supervision, j’ai pu reparler de cette situation, ce qui m’a permis de comprendre de quelle place j’avais écouté cette femme et ce qui avait par conséquent donné lieu à ma propre violence et angoisse.

Ces deux supports : l’équipe de soins et la supervision, m’ont permis de mieux comprendre ce qui s’était joué lors de cet entretien. C’est ainsi que j’ai pu par la suite rencontrer à nouveau cette personne dans une relation d’aide en prenant en compte ce que j’avais appris de sa pathologie et en réajustant ma place de professionnelle vis-à-vis d’elle.

C’est uniquement à ce prix que j’ai pu, à nouveau, être en mesure de prendre soin de Madame X., tout en prenant soin de moi.

M. Junique

assistante sociale en psychiatrie

CHS Le Vinatier

Par le geste de l’ergothérapeute….

«Prendre soin» que cela évoque-t-il pour moi dans ma démarche d’ergothérapeute? Je définirai d’abord l’ergothérapie : c’est une rééducation fonctionnelle ou psychique qui fait appel aux gestes de la vie quotidienne, à des activités artisanales ou manuelles diverses, à des jeux d’observation, de logique, de mémoire, de stratégie, de construction, etc. en vue de retrouver l’autonomie et l’indépendance.

Pour cela, la prise en charge ergothérapique ne peut être que globale. J’utilise le geste humain qui est fonctionnel, relationnel et/ou créateur. Il s’agira de retrouver alors les gestes devenus impossibles, incontrôlables ou désorganisés (par exemple, une personne cérébro-lésée), ou bien acquérir des gestes qui n’ont pas encore existé (enfant handicapé moteur).

Prendre soin pour moi, c’est donc reconnaître en l’autre les capacités de s’exprimer, de créer, de réaliser un geste. C’est accueillir son identité d’être humain. Il est bien connu dans le règne animal que seul l’homme possède la maîtrise du geste avec ou sans outil pour créer, construire, entrer en relation avec ses semblables. C’est un geste moteur, mais aussi social. Alors «prendre soin», c’est reconnaître l’humanité de l’autre.

Cela est d’autant plus indispensable que le corps a été souvent très abîmé physiquement, il est marqué par la maladie, la brutalité d’un accident ou la vieillesse.

C’est croire qu’il y a un futur possible avec ce qui reste d’intact. C’est entendre, écouter les besoins du patient. Il va dire son incapacité, son malaise, sa souffrance ; son comportement exprimera aussi cela. Alors il me faut comprendre son attente pour lui proposer une aide, décrypter là où sont les difficultés quotidiennes pour trouver le chemin qui le conduira à plus d’autonomie.

Acquérir plus d’autonomie est essentiel à la structuration de la personne. Cela passe par l’apprentissage souvent lent et long. Il nous faudra de la patience ensemble, ne pas brûler les étapes, guider, encourager devant les échecs.

Quelquefois, me mettre en situation semblable m’aidera à comprendre le handicap et à trouver une solution acceptable pour le patient. Je m’approprie en quelque sorte sa difficulté pour l’aider, mais il faut garder la distance affective nécessaire pour me protéger, car je ne suis pas à sa place. Il n’est pas souhaitable d’être envahie par le vécu du patient. Je peux ressentir de la compassion et garder un certain détachement.

Le patient va aussi parler de son passé avant la maladie ou l’accident. Il faudra l’amener à faire le deuil de l’autonomie antérieure pour qu’il puisse recréer un autre espace de liberté. Il retrouvera certains gestes, mais il en découvrira d’autres qui lui faciliteront la vie, il utilisera parfois une aide technique.

Il refaçonnera son image mentale pour pouvoir ensuite renaître à lui-même et aux autres.

Prendre soin en ergothérapie, c’est donc pour moi être attentive à la globalité de la personne. Développer et entretenir les gestes nécessaires à la vie et proposer des activités qui l’aideront à reconquérir son corps meurtri.

I. Riffaud

Ergothérapeute



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