Historiquement cuisinés au Japon, les poissons contenant de la tétrodotoxine, sont prisés au pays du soleil levant pour la sensation recherchée de frôler la mort confirmée par la présence de paresthésies péribuccales de 5 à 30minutes après l’ingestion. En fait, la tétrodotoxine ne se trouve pas dans la chair mais dans différents organes telles les gonades ou le tube digestif du poisson. En dehors du Japon, ces poissons sont considérés comme totalement impropres à la consommation humaine. En 2010, les centres antipoison de Marseille et de Paris avaient rapporté une observation collective de tétrodotoxisme ayant eu lieu en Guyane française et ayant abouti au décès par complications anoxiques d’un des patients. En 2013, le centre antipoison de Marseille a été à nouveau consulté pour une observation collective similaire, mais cette fois-ci à la Réunion.

Dix personnes ont ingéré dans le cadre d’un repas familial un poisson tétrodon péché localement et identifié comme appartenant à l’espèce Lagocephalus sceleratus. L’intensité du tableau clinique a été corrélée à la quantité de poisson ingérée et les parties des poissons consommés : 2 personnes sont restées asymptomatiques (chaire juste goûtée), 6 personnes sont restées pour surveillance aux urgences pour un tableau avec neurotoxicité sans critère de gravité (prurit, nausées, vertiges, paresthésies péribuccales et des extrémités, vertiges, ataxie transitoire, incoordination motrice sans atteinte des muscles respiratoires), 2 personnes ont présenté une intoxication majeure avec atteinte respiratoire. Il s’agissait d’une femme de 66ans ayant développé rapidement après le repas une tétraparésie et un coma profond avec dépression respiratoire nécessitant une assistance ventilatoire. La neurotoxicité a totalement régressé en 24heures avec sevrage de la ventilation assistée et retour à la normale sans séquelle d’anoxie. Le second patient est un homme de 74ans, aux antécédents d’hypertension artérielle et de diabète de type 2, qui dès la fin du repas a présenté un syndrome dysautonomique, des troubles moteurs avec dysarthrie, des myoclonies. Le tableau s’aggravait rapidement, nécessitant le recours à une intubation et une ventilation assistée. À l’arrivée à l’unité de soins intensifs le patient était bradycarde, hypotendu, présentait une mydriase non réactive, avec une hyporéflexie et une hypothermie. Troubles moteurs, mydriase et bradycardie ont disparu en l’espace de 24heures, mais l’hyporéflexie a perduré pendant 48heures. Le patient a été sevré de la ventilation mécanique 36heures après l’admission.

Le tétrodotoxisme est à considérer comme une des plus dangereuses intoxications marines. Cette nouvelle observation en outremer doit alerter les autorités de santé afin de réaliser une information à la population concernée quant aux risques de la consommation de tétraodontiformes (tétrodons, mais aussi poissons-coffres, poissons-globes et certains balistes). L’observation décrite ci-dessus a été l’objet d’une publication par l’équipe de réanimation ayant pris en charge les 2 patients les plus gravement atteints, avec dosage de la tétrodotoxine dans les restes du repas. Par ailleurs, Lagocephalus sceleratus est désormais bien présent en Méditerranée (poisson dit lessepsien car étant passé de la Mer Rouge vers la Méditerranée via le canal de Suez), et a été à l’origine d’intoxication au Liban, en Turquie et en Grèce.