En 1939, quand Freud écrit « L’homme Moïse et la religion monothéiste », il est radical concernant le statut de l’inconscient vis-à-vis du collectif : « Le contenu de l’inconscient est en effet collectif dans tous les cas ». Il construit alors son anthropologie psychanalytique à partir de l’étude des foules d’hommes (armée, église), ignore les foules de femmes existantes, et exclut les femmes de l’action culturelle (meurtre du père des origines). Cette impasse freudienne caractérise aussi sa compréhension de la psychopathologie féminine, et ses difficultés. Freud avoue à Marie Bonaparte son incapacité à comprendre ce « que veut la femme ». Ceci nous pousse à reprendre aujourd’hui les outils de recherche freudiens pour comprendre la constitution des foules, mais en incluant cette fois l’étude des foules de femmes destinées à la production culturelle. Nous espérons ainsi : mettre à jour des impensés de la question féminine en psychanalyse grâce à l’apport moderne des sciences sociales et d’un nouvel objet de recherche ; examiner les effets de la foule sur la construction subjective féminine.

Les groupes de femmes religieuses ayant été étudiées par Markos Zafiropoulos en 2010, nous étudierons les foules de femmes franc-maçonnes. Société philosophique et philanthropique, la franc-maçonnerie n’est pas fédérée par une croyance ou un idéal religieux, à la distinction des foules étudiées par Freud. Nous suivrons la méthode de l’anthropologie psychanalytique pour examiner quelles instances psychiques sont sollicitées par la pratique initiatique franc-maçonne. Nous comparerons ensuite la structure du mythe fondateur de la pratique maçonnique moderne, (meurtre d’Hiram), avec celle du mythe freudien de constitution des foules (meurtre du père des origines), Dans un troisième temps, une étude de cas clinique de franc-maçonne en analyse permettra d’examiner les effets de la foule sur la construction subjective.

L’anthropologie psychanalytique permet de questionner la dimension du genre et de la féminité en actualisant la clinique du malaise dans la civilisation par l’étude des foules de femmes franc-maçonnes. Pour Markos Zafiropoulos, les mystiques apparaissent dans une logique de la pratique du rien, épouses du père mort. Nous voyons a contrario que les franc-maçonnes apparaissent dans une logique des avoirs et de la production culturelle, pratiquant, par le mythe maçonnique, le meurtre du père.

Fraternité et reconnaissance permettent alors : de revisiter les rapports entre clinique de l’idéal et théories du narcissisme ; d’établir une distinction entre sacré et religieux à l’aide des notions d’idéal et d’efficacité symbolique ; de revisiter la dynamique de la production culturelle entre amont et aval de la castration.

Plus généralement, cette étude révèle que toutes les foules ne sont pas organisées selon le mythe freudien inconscient de la névrose, exposé dans Totem et Tabou. La théorie lacanienne du narcissisme permet de découvrir que la foule maçonnique est organisée par l’expérience du stade du miroir. L’initiation maçonnique touche à un processus identificatoire antérieur à celui de l’identification sexuée : celui de l’identification souche de « l’infans ». Le mythe d’Hiram est un mythe du stade du miroir, émergence consciente asexuée de la « bonne forme ». L’initiation maçonnique réveille alors une tension entre le fantasme inconscient du désir sexué et l’idéal, entre moi-idéal et idéal du moi, propice à des remaniements psychiques. Cette étude montre donc que le trauma culturel proposé par le social invite à une relecture du stade du miroir à partir des complexes familiaux lacaniens, en examinant les conséquences éventuelles sur la construction du genre et les logiques de sexuation.

In 1939, when Freud wrote “Moses and Monotheism”, he took a radical stance regarding the collective nature of the subconscious: “Indeed, the content of the subconscious is in any case a collective, universal property of mankind”. He therefore built his psychoanalytical anthropology starting from the study of groups of men (army, Church), ignoring existing groups of women, and excluding women from cultural action (Murder of the father of the origins). This Freudian deadlock has an influence on his understanding of feminine psychopathology, and its challenges. In front of Marie Bonaparte, Freud acknowledged his inability to understand “What women want”. This situation has led us to revisit the Freudian theory of crowds/groups through the inclusion of culture-oriented groups of women. Our work aims at: updating some gaps concerning feminine issues in psychoanalysis thanks to the contribution of recent social sciences and a new research topic; reviewing the impact of groups on feminine subjectivity.

Following the study carried out by Markos Zafiropoulos in 2010 on groups of nuns, we will now study the groups of female Freemasons. Freemasonry is a philanthropic and philosophical society, which is not structured by beliefs or religious ideals, contrary to the groups studied by Sigmund Freud. According to the method of psychoanalytical anthropology, we will therefore explore which psychical mechanisms are triggered by the Masonic initiatory practice. We will then compare the structure of the founding myth of modern Masonic practice (killing of Hiram) with those of the Freudian myth of groups (killing of the primal father). Thirdly, a clinical case of a Masonic woman in analysis will be explored in order to show the impact of the group on subjectivity.

Psychoanalytical anthropology enables one to question the dimension of gender and femininity while updating the clinical study of the discontents of civilization by a study of the female Masonic group. For Markos Zafiropoulos, female mystics, married to the dead father, appear in a logic of the practice of nothingness, while the Freemasons appear in a logic of possessions and cultural production, practicing, through the Masonic myth, the murder of the father.

Brotherhood and recognition enable one: to revisit both the bonds between the clinic of ideal and narcissism theories; to establish a distinction between sacred and religious, with the notions of ideal and symbolic efficiency; to revisit the dynamics of the cultural production upstream and downstream of the castration.

More generally, this study discloses that all groups are not organized by the subconscious pattern of the Freudian myth of neurosis described in Totem and Taboo. Lacan's theory of narcissism reveals that Masonic groups are organized by the experience of the mirror stage. The Masonic initiation relates to a previous identification: namely Lacan's “source identification” of the infant. Hiram's myth is that of the subconscious asexual emergence “for form's sake”. Hence the Masonic initiation creates a tension between the subconscious fantasy of sexual desire and Ideal, between the ego ideal and the ideal ego, which may trigger mental reorganizations. This study shows that the cultural trauma proposed by the social organizations leads us to revisit the stage of the mirror with the Lacanian family complexes, examining the possible consequences on the construction of gender and on the logic of sexuation.