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CHAPITRE 7
Biométrie et calcul d'implant chez le myope

M. STREHO

Introduction
L'opération de la cataracte est l'intervention la plus fréquente en France, actuellement autour de 800 000 interventions par an [ 1 ]. Les prévisions montrent une progression continue et constante de ce chiffre pour atteindre environ 1 million en 2020. De plus, la population myope est importante : autour de 39 % toutes tranches d'âge confondues [ 2 ]. Or, la myopie tend également à se développer davantage avec une véritable « épidémie mondiale ». Cela fait de la chirurgie de la cataracte du patient myope un véritable enjeu de santé publique. Il convient donc de bien connaître les spécificités et particularités du patient myope.
Lors de la biométrie, il faudra être vigilant sur certains points et adapter sa stratégie diagnostique, notamment sur le choix des techniques et des formules pour obtenir le meilleur résultat réfractif postopératoire. La précision actuelle d'une biométrie parfaitement réalisée est de ± 0,25 D dans 40 % des cas et ± 1 D dans 95 % des cas [ 3 , 4 ]. Les erreurs viennent principalement des erreurs de mesure, du choix de la formule, de la position effective de l'implant ( effective lens position [ELP]) [ 5 ]. Il faut garder en tête qu'une erreur de mesure sur un œil emmétrope de 0,1 mm sur la longueur axiale entraînera une erreur réfractive postopératoire de 0,25 D, et une erreur de 0,1 mm sur la kératométrie entraînera une erreur postopératoire de 0,5 D.
Ce chapitre résume l'état de l'art aujourd'hui sur la biométrie, avec les recommandations sur les mesures et choix de formules devant un patient myope. Les techniques et les connaissances évoluent vite, notamment dans le domaine de la myopie et de la cataracte; ainsi, il convient de se tenir au courant des meilleures alternatives à proposer aux patients pour leur garantir pleine satisfaction. Le serment d'Hippocrate nous rappelle en tant que médecins une obligation de moyen et non de résultat.
Biométrie
INTERROGATOIRE
Le temps de la biométrie chez tous les patients, particulièrement les myopes, commence par un interrogatoire. Il faut rechercher les antécédents familiaux et personnels généraux, en particulier ophtalmologiques. On recherchera la notion de port de lentille de contact (depuis quand, quel type de lentille, fréquence de port, satisfaction), les antécédents de chirurgie de la myopie (date, type d'intervention, résultat, satisfaction). Le temps de l'interrogatoire permettra de déterminer les activités du patient (sport, loisir, travail), ses habitudes (vision de loin, intermédiaire, de près) et exigences quant à la vision postopératoire. Ces informations seront notées dans le dossier du patient et aideront à toutes les étapes de la biométrie. Elles ont par ailleurs un rôle médico-légal.
KÉRATOMÉTRIE
La première mesure réalisée lors de la biométrie est la kératométrie, ou encore la puissance cornéenne moyenne centrale sur sa face antérieure. Cette mesure sera utilisée avec d'autres mesures biométriques dans la formule de calcul. Toutes les formules nécessitent une mesure de kératométrie, d'où l'importance d'une mesure précise et fiable. La kératométrie se mesure au travers du film lacrymal; ainsi, toute anomalie de celui-ci pourra fausser les mesures. Il faudra répéter les mesures pour diminuer la variabilité, bien demander au patient de cligner entre chaque mesure et hydrater la cornée par du sérum physiologique en cas de grosses variations des mesures de kératométrie. Si l'interrogatoire a relevé la notion de port de lentilles, il faudra s'assurer que les lentilles ont bien été retirées au minimum 48 heures avant pour les souples, et idéalement 1 semaine pour les rigides. Le non-respect de ce délai de retrait risque de modifier les mesures de kératométrie, notamment par le phénomène de corneal warpage.
En cas d'antécédents de chirurgie réfractive cornéenne, il faudra considérer que les mesures de kératométrie sont systématiquement fausses. On utilisera dans ces cas des moyens de compensation ou de correction de la mesure de kératométrie ou de la puissance de l'implant intraoculaire. La kératométrie pourra être réalisée avec différentes techniques, notamment l'auto-réfractokératomètre qui reste la mesure de référence car sur les 3 mm centraux. Cette mesure nous aidera pour la biométrie et pour le choix des implants toriques. Néanmoins, par commodité, les mesures de kératométrie sont réalisées actuellement par les appareils de biométries optiques. Chaque appareil possède un algorithme propre, mais reste fondé sur la mesure de la puissance cornéenne centrale de la face antérieure. Le tableau 7-1
Tableau 7.1
Tableau non exhaustif montrant les différentes méthodes de mesure de kératométrie.
KératomètreIOL Master (Zeiss)Lenstar (Haag-Streit)AL-Scan (Nidek)Aladdin (Topcon)Topographie cornéenne
Nombre de points de mesure2 mesures6 mesures32 mesures2 cercles1 000 pointsMultiples
Zone de mesure3 mm2,5 mm1,65 et 2,3 mm2,4 et 3,3 mm3 mmSim K 3, 4, 5 mm
Sim K : (kératométrie simulée).
résume les différentes techniques de mesure de la kératométrie. La recommandation sera d'utiliser le kératomètre du biomètre optique afin d'optimiser la formule du biomètre. Un complément d'exploration par topographie cornéenne sera intéressant pour une analyse qualitative sur le type d'astigmatisme ou le profil d'ablation.
LONGUEUR AXIALE
La mesure de la longueur axiale n'est plus tellement problématique avec l'avènement des biomètres optiques ( tableau 7-2
Tableau 7.2
Tableau non exhaustif montrant les différents biomètres optiques.
IOL Master (Zeiss)Lenstar (Haag-Streit)AL-Scan (Nidek)Aladdin (Topcon)
(PCI) Partial coherence interferometry (OLCR) Optical low coherence reflectometry (PCI) Partial coherence interferometry (PCI) Partial coherence interferometry
). En effet, cette technique optique, à l'instar de l'OCT ( optical coherence tomography ), offre une précision, une fiabilité et une reproductibilité redoutables. Néanmoins, il convient de garder en tête que la précision est tributaire d'un bon signal (à vérifier sur chaque mesure) et d'une bonne fixation. En effet, en cas de cataracte dense ou d'important trouble des milieux, le signal sera perturbé et le biomètre optique ne donnera pas de résultat ou, sinon, un résultat peu fiable. Ici trouvent leur intérêt les biomètres optiques en swept source, offrant une meilleure pénétration et, ainsi, un meilleur passage en cas de cataracte dense. La qualité de la fixation est le seul garant d'une mesure au point de fixation pour le biomètre optique. Celle-ci peut être compromise en cas de fixation instable, de compréhension limitée du patient ou de déformation staphylomateuse importante ( fig. 7-1
Fig. 7-1
Staphylome myopique type I selon la classification de Curtin visualisé en échographie mode B.
). C'est dans ces cas que la longueur axiale pourra être vérifiée avec une technique de mesure alternative fondée sur les ultrasons. Il s'agit de la biométrie ultrasonore en mode B [ 6 ]. La technique ultrasonore en mode A sera à éviter car, en mode contact, il pourrait y avoir un risque d'aplanation et de mesure erronée. La technique ultrasonore en mode A devra être réalisée en immersion stricte. Le mode B offre par ailleurs la possibilité de faire une analyse morphologique du pôle postérieur, des adhérences vitréorétiniennes et d'éventuelles présences d'anomalies pariétales périphériques (déhiscence, traction, etc.) ( fig. 7-2
Fig. 7-2
Traction vitréorétinienne visualisée en échographie mode B.
et 7-3
Fig. 7-3
Déchirure périphérique visualisée en échographie en mode B (filtre couleur).
). Une étude personnelle présentée au congrès de la Société française d'ophtalmologie (SFO) en 2012 sur 489 yeux de 270 patients myopes vus pour biométrie optique et ultrasonore fait état d'une longueur axiale moyenne de 28,6 mm. Une déhiscence périphérique a été retrouvée dans 3,7 % des cas, des tractions vitréorétiniennes périphériques dans 3,1 %, une membrane épirétinienne dans 3,1 %, un staphylome dans 76 %, et un décollement de rétine dans 0,4 % des cas. Le vitré était décollé dans plus de 76 % des cas [ 7 ] ( fig. 7-4
Fig. 7-4
Décollement postérieur du vitré visualisé en échographie mode B.
).
AUTRES MESURES
Les développements techniques actuels, notamment fondés sur l'interférométrie, offrent de plus en plus de possibilités de mesure avec une excellente précision. Ainsi, les biomètres optiques peuvent mesurer la profondeur de chambre antérieure (depuis l'épithélium ou endothélium cornéen jusqu'à la cristalloïde antérieure) par balayage ou interférométrie. Cette mesure permettra d'utiliser des formules plus précises, notamment en cas de globe cours, ce qui n'est généralement pas la problématique du myope. D'autres mesures peuvent rentrer dans des nouvelles formules : épaisseur cristallinienne, blanc-à-blanc, âge, épaisseur cornéenne centrale, etc. ( tableau 7-3
Tableau 7.3
Paramètres anatomiques nécessaires selon les différentes formules de biométrie.
LAKLTACDWTWÂgeCCTRéf. pré-op.
SRK-TXX
Holladay IXX
Hoffer QXX
OlsenXXXXXX
HaigisXXX
Holladay IIXXXXXXX
Barrett universal IIXXXXX
LA : longueur axiale ; K : kératométrie ; LT : lens thickness (épaisseur cristallinienne) ; ACD : anterior chamber depth (profondeur de la chambre antérieure) ; WTW : white-to-white (blanc à blanc) ; CCT : central corneal thickness (épaisseur cornéenne centrale). Réf. pré-op. : réfraction préopératoire.
).
Formule
HISTORIQUE
Les formules historiques étaient théoriques, fondées sur un modèle purement mathématique de l'œil (Federov, Gauss). La deuxième génération reposait sur la régression, analyse purement statistique de cohorte de patients (SRK, SRK-II). Puis vinrent une troisième génération (SRK-T, Holladay, Hoffer-Q) et une quatrième génération (Haigis, Olsen Holladay II) de formules qui ont permis de combiner la théorie et la régression. À ce jour, ces formules restent les plus éprouvées et les plus fiables dans la plupart des circonstances. Ainsi, la formule SRK-T reste, même dans la population myope, la formule de référence. Plus récemment, nous avons vu l'apparition de nouvelles générations de formules fondées sur de très larges cohortes de patients appelées big data (Barrett Universal II et Hill-RBF). Il n'existe à ce jour aucune formule parfaite. Il faudra adapter les formules à la situation clinique.
RECOMMANDATIONS
Depuis l'évolution des formules, il existe des recommandations sur les formules à utiliser et à ne pas utiliser selon le contexte clinique. L'étude de Cooke et al. [ 8 ] a comparé les neuf formules les plus utilisées sur 1 454 patients avec deux différents modèles de biomètre optique avec le même implant (AcrySof® , SN60wf). Les résultats ont été comparés sur globe court et globe long. Dans le groupe globe long (œil myope) pour le biomètre optique type PCI (par exemple IOLMaster® , C. Zeiss), les formules les plus précises sont, par ordre décroissant : Olsen, Haigis, T2, Barrett, Holladay 2, SRK-T, Super Formula, Hoffer-Q et Holladay 1. Dans le même groupe de globe long avec le biomètre optique type OLCR (par exemple Lenstar® , Haag-Streit), les formules les plus précises sont par ordre décroissant : Olsen, Haigis, Barrett, T2, Holladay 2, Super Formula, Holladay 2, SRK-T, Hoffer-Q et Holladay 1. L' encadré 7-1
Encadré 7-1
Résumé des formules à utiliser selon la longueur axiale [8, 9]
  • De 22,5 à 24,5 mm (72 % de la population) : toutes les formules
  • > 24,5 mm (20 % de la population) :
    • SRK-T
    • Haigis, Olsen, Barret (PCI)
    • Olsen (OLCR)
  • < 22,5 mm (8 % de la population) :
    • Hoffer Q, Holladay
    • Barrett (PCI)
    • Olsen (OLCR)
OLCR : optical low coherence reflectometry ; PCI : partial coherence interferometry.
résume les formules à utiliser selon la longueur axiale. Ainsi, nous pourrons adapter les formules préférentielles chez le myope, mais également selon le type de biométrie utilisé. Kane et al. ont comparé les nouvelles formules (Hill-RBF, Super Formula et FullMonte IOL) aux formules classiques (SRK-T et Barrett Universal II) [ 9 ]. Cette étude montre que, sur 3 122 patients, la formule SRK-T donne la meilleure précision réfractive chez les myopes avec 44,7 % à ± 0,25 D.
CONSTANTE
Depuis les formules théoriques, il existe une constante (plutôt une variable) appelée A intégrée dans la formule qui va varier en fonction du type d'implant, du type de biomètre, de la technique chirurgicale, etc. C'est ce que l'on appelle une constante optimisée. Il convient de faire attention chez le myope très fort avec une longueur axiale très importante : on peut parfois obtenir un implant de puissance négative. Dans ces cas rares, il faudra soit choisir un implant positif ou neutre − quitte à laisser le patient avec une myopie résiduelle −, soit adapter la constante à un implant négatif − par exemple Alcon MA60MA® (+) a une constante optique optimisée de 126,6, et Alcon MA60MA® (-) passe à une constante optimisée de 103,6 selon le site Ulib.
POSTCHIRURGIE RÉFRACTIVE
La biométrie du patient myope se complique en présence d'antécédent de chirurgie réfractive. L'attitude changera selon la technique opératoire (kératotomie radiaire, Lasik, photokératectomie réfractive [PKR]) et selon la disponibilité des données préopératoires. L'histoire réfractive est l'approche de choix, mais elle nécessite toutes les données cliniques de kératométrie et de réfraction avant et immédiatement après la chirurgie réfractive. En pratique, nous ne disposons rarement voire jamais de ces données. Nous utilisons par conséquent des formules de compensation de la kératométrie ou de la puissance de l'implant. Il existe une liste sans fin de formules disponibles après chirurgie réfractive et chacun devra se faire sa propre expérience. Néanmoins, en l'absence d'une formule parfaite pour le moment, il convient d'associer plusieurs formules et de les comparer. Nous recommandons la formule Haigis en cas d'antécédent de PKR ou de Lasik myopique, mais également un logiciel, disponible sur le site de l'American Society of Cataract and Refractive Surgery (ASCRS) ou de la Société de l'Association française des implants et de la chirurgie réfractive (SAFIR), permettant de rentrer toutes les données disponibles pour avoir le plus de résultats possibles avec les différentes formules. Il convient de garder en tête que la précision réfractive est plus limitée après chirurgie réfractive, et qu'il vaut mieux viser une myopie résiduelle postopératoire et éviter ainsi une hypermétropisation postopératoire.
Conclusion
La biométrie est une étape capitale dans la préparation de la chirurgie de la cataracte. Elle doit être rigoureuse pour éviter les erreurs réfractives postopératoires. Le patient myope comporte des particularités à bien connaître pour adapter la biométrie et éviter les erreurs pouvant être induites par le port de lentilles, des antécédents de chirurgie réfractive ou autre anomalie du pôle postérieur. La biométrie optique est l'examen de référence à compléter par le mode B si possible. La kératométrie doit être vérifiée. La formule sera adaptée à la longueur axiale et la constante optimisée; avec une vigilance toute particulière en cas d'implant négatif. Finalement, en cas d'antécédents de chirurgie réfractive, on utilisera des formules adaptées à comparer entre elles pour limiter au mieux l'imprécision réfractive postopératoire.
Points clés
  • L'interrogatoire premier temps de la biométrie.
  • Rechercher les antécédents de chirurgie réfractive : si oui, faire différentes mesures de la kératométrie (réfracteur et biomètre) et, au mieux, une topographie cornéenne préopératoire.
  • Atterition aux porteurs de lentilles : elles doivent être retirées 2 jours avant l'examen pour les lentilles souples, 1 semaine pour les rigides.
  • La biométrie optique est l'examen de référence.
  • Une biométrie mode B complémentaire est réalisée en cas de faible signal, d'absence de fixation, s'il y a un staphylome ou une biométrie discordante.
  • Choisir la formule adaptée à la myopie et au biomètre optique utilisé; en cas de doute, la SRK T reste la formule de référence.
  • Choisir la formule adaptée en cas d'antécédent de chirurgie réfractive : la formule Haigis donne de bons résultats.
  • Optimisation de la constante.
  • Attention en cas d'implant négatif : adapter la constante A.
  • Connaître le degré de précision de la biométrie.
  • Éviter le shift hypermétropique.
BIBLIOGRAPHIE
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Aristodemou P, Knox Cartwright NE, et al. Intraocular lens formula constant optimization and partial coherence interferometry biometry : Refractive outcomes in 8108 eyes after cataract surgery, J Cataract Refract Surg 2011; 37(1) : 50 - 62.
4
Sheard R, Optimising biometry for best outcomes in cataract surgery, Eye (Lond) 2014; 28(2) : 118 - 125.
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Drexler W, Findl O, Menapace R, et al. Partial coherence interferometry : a novel approach to biometry in cataract surgery, Am J Ophthalmol 1998; 126(4) : 524 - 534.
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Bergès O, Puech M, Assouline M, et al. B-mode-guided vector-A-mode versus A-mode biometry to determine axial length and intraocular lens power, J Cataract Refract Surg 1998; 24(4) : 529 - 535.
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Streho M. Biométrie du myope fort en mode B et IOL Master – À propos de 489 yeux. Communication orale. SFO 2012.
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Cooke DL, Cooke TL, Comparison of 9 intraocular lens power calculation formulas, J Cataract Refract Surg 2016; 42(8) : 1157 - 1164.
9
Kane JX, Van Heerden A, Atik A, Petsoglou C, Accuracy of 3 new methods for intraocular lens power selection, J Cataract Refract Surg 2017; 43(3) : 333 - 339.