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CHAPITRE 23
Staphylomes du myope fort

N. LEVEZIEL

Introduction
Le staphylome correspond à une zone d'ectasie sclérale et des tissus situés en avant, localisée au pôle postérieur du globe oculaire. En d'autres termes, il s'agit d'une déformation de la sclère dont le rayon de courbure est plus petit que le rayon de courbure du globe. Une première classification des staphylomes, distinguant dix formes cliniques en fonction de la taille et de leur localisation, se fondant sur l'échographie et l'examen du fond d'œil, a été initialement proposée par Curtin en 1977 [ 1 ]. Une classification plus récente, fondée sur l'analyse d'imagerie par résonance magnétique (IRM) en trois dimensions (3D) et sur l'imagerie ultra-grand champ, distingue les staphylomes en fonction de leur localisation [ 2 ].
Le terme staphyloma a été utilisé pour la première fois en 1801 par l'anatomopathologiste Antonio Scarpa pour décrire l'aspect de deux globes oculaires présentant une protrusion postérieure [ 3 ]. Cependant, il faut attendre jusqu'en 1856 pour que l'association entre staphylome et myopie soit établie [ 4 ].
La prévalence du staphylome est variable selon le degré de la myopie. Ainsi, dans l'étude de Curtin [ 1 ], la prévalence du staphylome postérieur est de 1,4 % en cas de longueur axiale mesurée entre 26,5 et 27,4 mm et passe à 71,4 % lorsque la longueur axiale est comprise entre 33,5 et 36,6 mm. Dans une autre étude, près de 50 % des yeux avec une longueur axiale moyenne de 30 mm (± 2,3 mm) n'ont pas de staphylome visible en IRM 3D, mais simplement une augmentation homogène de la longueur axiale [ 2 ].
Dans une étude japonaise incluant 2 221 yeux myopes forts de plus de –8 D, un staphylome postérieur a été retrouvé dans 44,5 % des cas [ 5 ]. Les données restent cependant assez discordantes, car une autre étude japonaise menée chez des patients ayant un âge moyen de 57,3 ± 13,6 ans retrouve une prévalence de 10,9 % des staphylomes en cas de myopie forte ( n = 395 individus) [ 6 ].
La prévalence du staphylome augmente avec l'âge, ce qui traduit sans doute un phénomène dynamique. Ainsi, dans la dernière étude citée, la prévalence du staphylome chez le myope fort passe de 2,7 % dans la classe d'âge 35-50 ans à 21,2 % entre 60 et 69 ans et 43,6 % entre 70 et 79 ans [ 6 ].
Dans un nombre limité de cas, le staphylome myopique n'est pas synonyme de myopie pathologique. On peut en effet aussi l'observer de façon fortuite en cas de myopie modérée ou avec une longueur axiale inférieure à 26,5 mm [ 1 , 7 ].
Dans le cas particulier de la dysversion papillaire, correspondant au type V de la classification de Curtin, il est fréquent que les yeux atteints présentent un astigmatisme myopique avec un degré de myopie par ailleurs variable.
Diagnostic
Élongation du globe n'est pas synonyme de staphylome. Le diagnostic de staphylome est généralement posé à l'examen du fond d'œil. L'examen du pôle postérieur en OCT ou à partir de clichés couleurs de 50° du fond d'œil ne rend pas toujours compte de la présence d'un staphylome, en particulier lorsque celui-ci est large. En outre, l'élongation homogène du globe peut passer à tort pour un staphylome sur des coupes d'OCT. La différence de focalisation nécessaire pour la mise au point sur le bord du staphylome ou au fond de celui-ci rend la réalisation de ces clichés souvent difficile. Les limites du staphylome peuvent aussi être bien localisées à l'aide du cliché en infrarouge sur des clichés grand champ. L'échographie en mode Best utile, mais ne permet pas aisément une représentation spatiale du staphylome.
Grâce à l'imagerie ultra-grand champ, permettant de réaliser des clichés de 200° sans dilatation pupillaire, il est possible d'identifier plus précisément la taille et les limites du staphylome, et les complications potentiellement associées (néovaisseaux myopiques et atrophie).
Classification et formes cliniques
La classification de Curtin distingue cinq types de staphylomes simples (I à V) et cinq types de staphylomes dits combinés (VI à X) ( fig. 23-1
Fig. 23-1
Les dix types de staphylomes selon la classification de Curtin [1].
). Parmi ces différents types, les staphylomes de types VI, VIII et X sont les plus rares.
Cette classification a été récemment rediscutée et une nouvelle classification, simplifiée, permet d'intégrer les irrégularités plus complexes de la courbure sclérale que représentent la macula bombée [ 8 ] et les cavitations intrachoroïdiennes maculaires [ 9 ] ou péripapillaires parfois présentes au sein d'un staphylome postérieur [ 10 , 11 ]. Cette nouvelle classification a été élaborée en confrontant des images de staphylomes en IRM 3D à leur aspect en imagerie ultra-grand champ [ 2 ]. Cette classification, ne tenant compte que du bord externe du staphylome, se fonde sur la localisation et la taille de celui-ci.
Dans cette étude japonaise ayant inclus des patients myopes de moins de –8 D âgés en moyenne de 64 ans, 50,5 % des yeux présentaient un staphylome. Six types de staphylomes ont ainsi été définis
  • le type I (37,4 % parmi les myopes forts en population japonaise) : staphylome maculaire large dont le bord nasal englobe le bord nasal de la papille, incluant les staphylomes dits combinés de la classification de Curtin et les irrégularités sclérales plus complexes ( fig. 23-2
    Fig. 23-2
    a, b. Staphylome maculaire large, de type I selon la nouvelle classification.
    );
  • le type II (7,1 %) : staphylome maculaire étroit dont le bord nasal se confond avec le bord nasal de la papille ( fig. 23-3
    Fig. 23-3
    a-d. Staphylome maculaire étroit, de type II selon la nouvelle classification.Le bord nasal se confond avec le bord de la papille.
    et 23-4
    Fig. 23-4
    a-f. Staphylome maculaire de type II selon la nouvelle classification.Noter l'étirement des vaisseaux rétiniens bien visible sur les clichés en autofluorescence.
    );
  • le type III (2,5 %) : staphylome péripapillaire;
  • le type IV (1 %) : staphylome nasal;
  • le type V (1,5 %) : staphylome inférieur;
  • le type VI (1 %) regroupant les autres types de staphylomes.
Les types I et II sont les plus fréquents dans la population caucasienne, représentant respectivement environ 44 et 43 % des cas de staphylomes (type V exclu de l'analyse) [ 12 ].
Il est intéressant de noter que 15 % des staphylomes observés en IRM 3D dans cette étude n'étaient pas détectés sur les clichés en imagerie ultra-grand champ (Optos® ), mais qu'à l'inverse, 14 % des staphylomes observés avec l'imagerie ultra-grand champ n'étaient pas retrouvés en IRM 3D.
Complications associées au staphylome maculaire
La présence d'un staphylome postérieur augmente la fréquence des complications rétiniennes pouvant émailler l'évolution d'une myopie pathologique. En outre, l'acuité visuelle est souvent plus basse en présence d'un staphylome [ 12–16 ].
Les ruptures de la membrane de Bruch, les néovaisseaux myopiques, l'atrophie choriorétinienne à l'emporte-pièce ou diffuse, ainsi que les syndromes de l'interface vitréorétinienne (rétinoschisis myopique, trou maculaire et membrane épirétinienne) sont souvent associés à la présence d'un staphylome.
Des lésions peuvent apparaître en regard des bords du staphylome. On peut ainsi observer des remaniements pigmentaires, l'accumulation de liquides sous-rétiniens, la présence de lésions atrophiques à l'emporte-pièce (2 % des patients myopes forts avec staphylome) associées à un amincissement des couches rétiniennes ainsi qu'à un amincissement choroïdien. Ces lésions sont en général principalement observées sur le bord supérotemporal du staphylome. Les lésions atrophiques en bordure du staphylome, situées à distance de la macula, bien visibles sur le cliché en autofluorescence, se traduisent par des déficits campimétriques à type de scotome correspondant au secteur touché par l'atrophie.
Des plis choroïdiens radiaires émanant de la bordure du staphylome, se développant vers l'avant, généralement à la partie supérotemporale, peuvent être observés dans environ 1,3 % des cas [ 17 , 18 ]. Ils sont principalement observés dans les staphylomes maculaires de type I et de type V de la nouvelle classification et peuvent être associés à des remaniements pigmentaires. Ces plis peuvent être visibles sur le cliché couleur en ultra-grand champ, sur les clichés en autofluorescence et en angiographie à la fluorescéine. Ils sont aussi visibles sur une coupe d'OCT qui peut aussi, par la même occasion, montrer la présence de liquide sous-rétinien en regard.
Diagnostics différentiels
Les staphylomes du pôle postérieur sont le plus souvent observés dans le cadre de la myopie dégénérative.
Néanmoins, ils ont également été observés dans d'autres circonstances, incluant :
  • des myopies avec une longueur axiale de moins de 26,5 mm [ 19 ];
  • des pathologies choriorétiniennes dégénératives héréditaires rares comme l'ostéogenèse imparfaite, l'albinisme oculocutané, l'amaurose congénitale de Leber, le syndrome MRCS (microcornée, dystrophie des cônes et des bâtonnets, cataracte, staphylome postérieur) ou dans le cadre d'une rétinite pigmentaire [ 20–27 ].
Dans le cas des rétinites pigmentaires, le staphylome maculaire est en général étroit, et l'épaisseur choroïdienne centrale au centre du staphylome, préservée, contraste avec l'atrophie choroïdienne en regard des bords et en avant du staphylome.
Points clés
  • Évolutifs au cours du temps, les staphylomes du myope fort constituent un facteur de risque de complication maculaire.
  • Leur diagnostic n'est pas toujours évident en OCT ou à l'aide de la rétinophotographie.
  • Les systèmes de visualisation ultra-grand champ permettent une bonne visualisation des staphylomes.
  • Staphylome n'est pas toujours synonyme de myopie forte.
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