S’appuyant sur les fondements théoriques de la psychanalyse, cet article pose la problématique clinique qui a été à l’origine de la conception et la mise en place d’un dispositif de médiation thérapeutique par le son, la musique et la vibration proposé à des patients adolescents souffrant d’anorexie mentale. Après une description du dispositif, les résultats d’une expérience pilote réalisée au département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte de l’Institut Mutualiste Montsouris sont présentés. Ils ouvrent des perspectives nouvelles pour comprendre la singularité et la pertinence de ce dispositif face aux difficultés rencontrées dans le travail clinique avec ces jeunes patients.

La désaffectation du corps et le refus des liens dans le rapport à l’objet en deçà de la relation à l’autre se présentent comme des modalités de défense psychique face aux menaces du vécu de débordement pulsionnel réactivé par les métamorphoses de la puberté. Le cadre de la thérapie fondée sur la parole et l’associativité, étayée sur la relation transférentielle, vient souvent renforcer ces angoisses et, par conséquent, les défenses chez ces patients organisés autour des symptômes anorexiques. Dans le but de favoriser le désamorçage progressif des défenses et la mise en marche des mouvements psychiques par l’associativité, un dispositif clinique innovant de médiation thérapeutique par le contact corporel avec les vibrations liées au son et à la musique a été conçu et proposé. Huit adolescents, dont un garçon et sept filles, âgés de 14 à 19 ans, hospitalisés pour anorexie mentale ont participé à cette expérience clinique. Ainsi, pendant cinq séances d’atelier, les patients ont exploré leurs sensations corporelles en présence de deux psychologues cliniciennes. Les sensations corporelles étaient suscitées par le jeu avec des séquences sonores et musicales perçues à travers le contact avec quatre objets médiateurs sonovibrotactiles : une table, un ballon, un plaid et un coussin repose-nuque.

Le discours, les gestes et les actions des patients pendant les séances d’atelier ont été révélateurs des manières dont ils ont investi psychiquement les objets sensoriels du dispositif. Les séquences sonores des pulsations cardiaques et des événements aquatiques associés à la mer (dont plusieurs représentations ont été explorées), avec leurs vibrations, ont été particulièrement investies. Les objets médiateurs ont été explorés avec une diversité de postures corporelles. Les sensations suscitées par les rapports psychocorporels à ces objets ont fait émerger des représentations et des affects liés au vécu que les patients ont exprimé dans la prise de parole avec les psychologues. L’expression verbale et non verbale des patients nous a permis de repérer trois grandes catégories d’analyse : l’expression de différents types de difficultés à jouer avec le dispositif ; l’expression des sensations corporelles suscitées et le rapport des patients au plaisir ou au déplaisir associé à ces sensations ; l’expression de contenus liés au vécu de la maladie, à la famille, l’inconnu, la solitude, la peur et l’angoisse, la mort, et l’affect entre autres. Les objets d’expérience ont rempli en ce sens une fonction projective, d’embrayeurs d’une dimension associative et d’un travail clinique possible.

Ce dispositif clinique de médiation, par ses objets sonovibrotactiles, est attractif pour les adolescents. Il introduit cependant chez le sujet une expérience sensorielle surprenante et peu familière, potentiellement troublante, faisant surgir l’inquiétante étrangeté de l’intime pulsionnel qui échappe au sujet. Le sujet récupère par cet intermédiaire des sensations corporelles intenses qui réactivent des expériences primaires enfouies. En ce sens, l’intérêt mais également le risque de ce dispositif, c’est qu’il touche aux zones profondes du corps, pouvant ainsi déjouer les barrières des mécanismes défensifs et faisant ressortir des contenus psychiques ayant une grande charge affective. C’est pour cela que ce dispositif ne peut pas être mis en place sans le clinicien, qui soutient par sa présence la capacité de porter une attention aux effets psychiques provoqués par ces sensations corporelles et de les reconnaître. Cet étayage permet également de ne pas laisser le sujet livré à lui-même.

La singularité de ce dispositif consiste en ce qu’il propose au sujet une constellation d’objets malléables de différents types comme vecteurs de son rapport à ses propres objets pulsionnels. Ce dispositif est en ce sens pensé comme une médiation à visée thérapeutique pouvant favoriser, selon les possibilités psychiques des patients, le réinvestissement libidinal des zones corporelles désaffectées dans les anorexies mentales. Les éprouvés corporels suscités et réactivés par le contact avec les différents types d’objet actualisent des traces mnésiques qu’il est fondamental de reconnaître dans le cadre du lien transférentiel entre le clinicien et le patient, notamment dans l’échange discursif.

Based on the theoretical foundations of psychoanalysis, this article outlines the clinical problem at the origin of the conception and the implementation of a therapeutic mediation platform using sound, music, and vibration for adolescent patients with anorexia nervosa. After a description of the platform, the results of a pilot experience carried out in the adolescent and young adult psychiatry department of the Institut Mutualiste Montsouris are presented. They open up new perspectives for understanding the singularity and the relevance of this platform with respect to the difficulties encountered in clinical work with these young patients.

The disaffectation of the body and the refusal of links in the relation to the object behind the relation to the other present themselves as modalities of psychic defense responding to threats coming from the experience of instinctual overflow, reactivated by the metamorphoses of puberty. The framework of therapy based on speech and associativity, supported by the transference, often reinforces the anxieties and, consequently, the defenses of patients organized around anorexic symptoms. In order to promote the progressive defusing of defenses and the activation of psychic movements through associativity, an innovative clinical platform for therapeutic mediation through bodily contact with vibrations linked to sound and music has been designed and proposed. Eight adolescents, a boy and seven girls, aged 14 to 19, hospitalized for anorexia nervosa participated in this clinical experience. During five workshop sessions, the patients explored their bodily sensations in the presence of two clinical psychologists. The bodily sensations were provoked by the play of sound and musical sequences perceived through contact with four audiovibrotactile objects : a table, a balloon, a blanket, and a neck pillow.

The speech, gestures, and actions of the patients during the workshop sessions revealed the ways in which they psychically invested the sensory objects of the platform. The sound sequences of heartbeats and aquatic events associated with the sea (several representations of which have been explored), with their vibrations, were the site of special investments. The objects were explored through a variety of body postures. The sensations called up by the psycho-corporeal relationships with these objects brought to light representations and affects linked to life experiences that patients had expressed in speaking with psychologists. The patients’ verbal and non-verbal expression allowed us to identify three main categories of analysis: the expression of different types of difficulty in engaging with the platform; the expression of the bodily sensations aroused and the relationship of patients to the pleasure or displeasure associated with these sensations; the expression of contents related to their experience of disease, to the family, to the unknown, to loneliness, fear and anxiety, death, and affect, among others. In this sense, the experimental objects fulfilled a projective function, as shifters of an associative dimension and possible clinical work.

This clinical mediation platform, through its audiovibrotactile objects, is attractive to adolescents. However, it introduces into the subject a surprising and unfamiliar, potentially disturbing sensory experience, bringing out the uncanniness of the intimate drive that subject cannot control. The subject experiences intense bodily sensations that can reactivate buried primary experiences. In this sense, the interest but also the risk of this platform is that it touches the deepest areas of the body, thus allowing it to overcome the barriers of the defensive mechanisms and to bring up psychic contents with a strong emotional charge. This is why this platform cannot be put in place without the clinician, who by his/her presence supports the ability to pay attention to the psychic effects provoked by these bodily sensations and to recognize them. The clinician's anaclitic function also means that patients are not left to their own devices.

The singularity of this platform consists in that it offers the subject a constellation of malleable objects of different types as vectors of her/his relationship to own instinctual objects. In this sense, this platform is thought of as mediation with a therapeutic aim which can encourage, depending on the psychic possibilities of the patients, the libidinal reinvestment of disaffected body areas in anorexia nervosa. The bodily experiences aroused and reactivated by contact with the different types of object update memory traces that it is essential to recognize in the context of the transferential link between the clinician and the patient, especially in discursive exchange.