Le nombre de médicaments vendus sur le marché à des prix très élevés tend à s’accroître chaque année, suscitant des controverses en France comme partout ailleurs. Étant donné les contraintes budgétaires qui s’imposent aux États, une prise en charge optimale équitable de tous les patients concernés pourrait devenir hors de portée. Aussi la pratique des prix onéreux fait-elle planer le spectre du rationnement, avec des conséquences éthiques majeures. L’émotion du public est vive lorsque des laboratoires pharmaceutiques donnent le sentiment de prospérer sur la maladie, réalisant de confortables bénéfices pour un progrès thérapeutique de leurs produits parfois modeste. La question est suffisamment grave pour que des instances éthiques s’en emparent et prennent position contre la pratique des prix abusifs, pointant le manque de transparence et les marges déraisonnables que s’octroient les industriels. Ces derniers s’en défendent, dénonçant la méconnaissance des investissements colossaux auxquels ils doivent consentir en amont, mais aussi les économies substantielles que représente l’amélioration de l’état de santé des individus pour la collectivité. De ce point de vue, l’indignation des profanes serait uniquement l’expression de leur ignorance économique. Pour clarifier les termes du débat et savoir si l’indignation est fondée ou non, il convient avant tout de s’entendre sur la manière de fixer le juste prix des médicaments. L’histoire de la philosophie morale montre qu’il existe trois principales manières de le déterminer. La conception déontologique qui met l’accent sur la moralité des protagonistes ; la conception essentialiste qui cherche le juste prix dans la valeur intrinsèque du produit ; la conception procédurale qui pense le cerner dans la régularité de la convention entre les parties. Misant sur le respect de clauses équitables et équilibrées, l’éthique procédurale semble s’imposer à une époque comme la nôtre où l’équation des coûts ne cesse de se complexifier. Cependant, l’expérience montre qu’une procédure apparemment équitable peut cacher des rapports de force subreptices et cautionner indirectement des choix sacrificiels. Cette limite de l’éthique procédurale doit nous conduire à une réhabilitation au moins partielle de la conception essentialiste.

The number of drugs sold on the market at very high prices tends to increase each year, causing controversy in France as everywhere else. Given state budget constraints, optimal and equitable care for all affected patients could become out of reach. The practice of high prices therefore raises the specter of rationing, with major ethical consequences. The emotion of the public is strong when pharmaceutical laboratories give the impression of thriving on disease, making comfortable profits for, sometimes, a moderate clinical added value of the products. The issue is serious enough for ethical bodies to take it up and take a stand against the practice of abusive pricing, pointing out the lack of transparency and the unreasonable margins granted by manufacturers. The latter deny this, denouncing the ignorance of the colossal investments to which they must agree upstream, but also the reduction of the substantial savings that the improvement of the state of health of individuals represents for the community. From this point of view, the indignation of lay people would only be the expression of their economic ignorance. To clarify the terms of the debate and know whether the indignation is justified or not, it is above all necessary to agree on how to set the right price of medicines. The history of moral philosophy shows that there are three main ways to determine it. The deontological conception, which emphasizes the morality of the protagonists; the essentialist conception, which seeks the right price in the intrinsic value of the product; the procedural conception, which thinks to define it in the regularity of the agreement between the parties. Relying on the respect of fair and balanced clauses, procedural ethics seems to impose itself at a time like ours where the cost equation continues to become more complex. However, experience shows that an apparently fair procedure can hide surreptitious power relations and indirectly endorse sacrificial choices. This limit of procedural ethics must lead us to an at least partial rehabilitation of the essentialist conception.