Dessiner ses blessures sportives : une reconfiguration psychologique et affective de son corps émersif - 20/06/25
Drawing one's sports injuries: A psychological and emotional reconfiguration of the immersive body
: Doctorante (ED566), Elisa Eugene b : Master Sport et Expertise de la Performance de Haut Niveau, Alexandre Legendre c : Maître de Conférence, Bernard Andrieu d : Professeur des universitésCet article a été publié dans un numéro de la revue, cliquez ici pour y accéder
Résumé |
Objectifs |
Dans la littérature scientifique, la blessure est la plupart du temps appréhendée comme une simple limitation fonctionnelle n’agissant que sur le plan physique, et, de ce fait, de manière strictement négative. Cependant, comme nous le montrons ici, elle porte aussi atteinte à l’intégrité psychique. L’ensemble du corps apparaît affecté, et les plans physiques aussi bien que psychologiques semblent concernés, puisque la blessure influence simultanément l’estime de soi, l’image corporelle et la confiance en son schéma corporel. Dans cet article, nous interrogeons d’abord des circassiens dans le cadre d’une étude exploratoire, puis, dans un second temps, des sportifs de haut niveau (SHN) dans le cadre d’une étude de cas. L’objectif est de recueillir leur expérience respective de la blessure afin d’en analyser les divers effets à travers le prisme des corps extrêmes.
Méthodologie |
Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès de 4 SHN de sports de combat (2 judokates, 1 judoka et une escrimeuse, 26 ans de moyenne d’âge, écart type de 1 an), entretiens que nous avons enregistrés, retranscrits et anonymisés. Ces entretiens incluent un dessin de conscience en guise d’amorce, dessin qui permet aux participants de matérialiser l’état de leur corps et d’y associer tous les antécédents de blessure. Les consignes données pour la réalisation de ce dessin sont très peu contraignantes afin d’accéder à leurs représentations les plus spontanées.
Résultats |
L’étude exploratoire pointe certains aspects positifs de la blessure, tels que la possibilité de ralentir un rythme de vie rendue extrêmement soutenu, harassant, voire délétère par l’exigence de performance et de favoriser un apprentissage de soi pendant, mais aussi après le rétablissement. Dans l’étude de cas, les SHN représentent leurs diverses blessures, souvent nombreuses, sur un dessin de conscience qui, avec l’entretien explicatif qui lui fait suite, impulse un cheminement de conscience à la fois corporel et mental. Les expériences de blessures partagées sont souvent associées à une normalisation de la douleur, et renforcée par la minimisation des temps d’arrêt imposée par des pressions internes et externes. Dans ce contexte, la première blessure se distingue par son impact émotionnel et ses implications, puisqu’elle représente souvent un tournant significatif dans la vie du sportif qui la subit : elle peut ainsi devenir une opportunité de développement personnel, au travers d’habiletés spécifiques auxquelles elle donne naissance, comme le « radar à blessure », ou qu’elle fait progresser, comme la résilience.
Discussion |
Les résultats de ces deux études concourent à mettre en évidence certains bénéfices de la blessure chez les SHN qui la subissent, quoiqu’elle soit usuellement considérée comme une simple limitation fonctionnelle. Au-delà des difficultés largement documentées dans la littérature, la blessure favorise en effet une réflexion sur soi et sa pratique qui peut s’avérer salutaire. Certains SHN remettent en question à cette occasion leur projet sportif et leur carrière ou bien, à l’inverse, se sentent évoluer dans leur pratique sportive au fil des blessures. Autrement dit, les blessures permettent, si l’occasion est saisie, de développer son esprit critique à l’égard de ses propres habitudes de vie et manières de s’entraîner. Ainsi offrent-elles l’opportunité de se développer personnellement et favorisent l’apprentissage de la résilience. Cependant, des pressions externes et internes, émanant des entraîneurs ou de soi-même, limitent souvent la capacité des SHN à exploiter pleinement ces opportunités. Reste que les SHN reconnaissent et entendent les signaux de leurs corps qui leur annonce un besoin de pause, mais encore faut-il les écouter et les prendre ou non en considération. Car les blessures peuvent être pressenties sans pour autant advenir ; la prise de risque demeure donc la responsabilité du SHN.
Conclusion |
En somme, l’expérience traumatique, tant sur le plan physique que psychologique, de la blessure chez le SHN peut aussi se montrer riche et complexe, puisqu’elle mêle limitations physiques et ouvertures psychiques, entente et écoute du soi, douleurs et normalisation ; mais elle permet aussi au SHN de repenser ce qui faisait partie de ses habitudes. À ce titre, ces moments indubitablement difficiles peuvent aussi devenir des catalyseurs pour une transformation profonde, tant sur le plan corporel que psychologique.
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Abstract |
Objectives |
In the scientific literature, injury is most often understood as no more than a physical functional limitation and, therefore, as strictly negative. However, as we discuss here, there is also an effect on psychological integrity. The entire body appears to be impacted, both physically and psychologically, as an injury can simultaneously influence self-esteem, body image, and confidence in one's body schema. We first interviewed circus artists during an exploratory study, and we then interviewed elite athletes (EAs) for a case study. The goal was to characterize their respective experiences of injury to analyze the various effects of injury from the prism of bodies facing the extreme.
Methodology |
We conducted semi-structured interviews with four EAs in combat sports (two female judokas, one male judoka, and one female fencer, with a mean age of 26 years [standard deviation = 1 year]). These interviews were recorded, transcribed, and anonymized. As a first step, participants produced an awareness drawing, where they could visually represent the state of their bodies and its association with their injury history. The instructions for creating this drawing were minimally restrictive so as to encourage the most spontaneous representations possible.
Results |
The results of the exploratory study highlighted certain positive aspects of injury, such as the opportunity to slow down a rhythm of life that is extremely intense, exhausting, or even detrimental given the demands of performance as well as the opportunity to foster self-learning during and after recovery. In the case study, the EAs represented their various, often numerous injuries through awareness drawing, which, in tandem with the subsequent explanatory interview, spurred greater bodily and mental awareness. Experiences of shared injury were frequently associated with the normalization of pain, reinforced by the fact that rest periods were kept minimal because of internal and external pressures. In this context, the first injury stood out due to its emotional impact and implications, as it often marked a significant turning point in the athlete's life. It had the possibility to become an opportunity for personal development through the specific skills it fostered, such as the development of an “injury radar”, or the specific skills it helped enhance, like resilience.
Discussion |
The results of these two studies highlight that injuries can have certain benefits for EAs, despite injuries being typically regarded as functional limitations. Looking beyond the difficulties extensively documented in the literature, injury can prompt self-reflection and an assessment of one's practices, which can prove beneficial. Some EAs used this moment to reconsider their sporting career and objectives, while others perceived their practices as evolving through successive injuries. In other words, injuries, when viewed as opportunities, enabled athletes to apply critical thinking to their lifestyle habits and training methods. Injuries can thus offer an opening for personal growth and contribute to the development of resilience. However, external and internal pressures – whether imposed by coaches or the athletes themselves – often limit the ability of EAs to fully take advantage of these opportunities. EAs recognized and perceived their bodies’ signals, which were indicating a need for rest. Yet, it remained challenging to listen to these warnings and decide whether to act upon them. After all, injuries can be anticipated before they become reality; ultimately, risk management remains the athlete's responsibility.
Conclusion |
Ultimately, the traumatic experience of injury by EAs, which is both physical and psychological, can be rich and complex. Injuries give rise to interactions among physical limitations, psychological opening, self-awareness, introspection, pain, and normalization. Moreover, injuries allow EAs to reassess aspects of their established routines. In this sense, these undeniably challenging moments can also serve as catalysts for profound transformation, both physical and psychological.
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Mots clés : Blessure physique, Conscience corporelle, Résilience, Dessins de conscience, Image corporelle, Corps, Psychologie, Sport de haut niveau
Keywords : Body injury, Body awareness, Resilience, Awareness drawings, Body image, Body, Psychology, Elite athlete
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