Table des matières

Introduction - 30/04/09

M. Goulon †, J. Lissac

Histoire de la réanimation médicale ou la naissance d’une discipline

Les jeunes médecins qui se consacrent à la réanimation sont séduits par son domaine clinique qui les affranchit des limites que connaissent d’autres spécialités médicales. Sa pratique exige des connaissances physiologiques et biologiques en innovation constante qui attirent les esprits curieux. Ses possibilités thérapeutiques sont à la fois du domaine du médicament et du domaine technique afin de compenser, puis de corriger, dans la mesure du possible, les désordres engendrés par des états pathologiques mettant la vie en jeu. De plus, cette spécialité est maintenant bien structurée : compétence reconnue sur les plans hospitalier et universitaire, maillage dans l’ensemble satisfaisant des services de réanimation sur l’ensemble de l’hexagone, Société de réanimation de langue française dont la vigueur s’accroît d’année en année, liaisons internationales dans le cadre de la Fédération mondiale. Et, à la base de cet ensemble, chacun des protagonistes sait qu’il lui faudra associer aux compétences de haut niveau une grande disponibilité et des qualités d’éthique qu’exigent les situations souvent dramatiques qu’il aura à affronter.

La réanimation apparaît au monde moderne comme un acquis dont les racines remonteraient à longtemps. Or il n’en est rien. À l’heure où nous écrivons ces lignes, en exergue à un ouvrage largement coopératif, la réanimation telle qu’on l’entend actuellement a moins d’un demi-siècle d’existence puisque la date précise de sa fondation remonte au 1er septembre 1954 quand fut créé, à l’hôpital Claude Bernard, le centre de traitement des formes respiratoires de la poliomyélite. Remarquons en passant qu’il est tout à fait exceptionnel de pouvoir donner, au jour près, la date de naissance d’une discipline médicale.

Avant cette date, les médecins n’étaient évidemment pas restés indifférents aux drames inhérents aux dérèglements des grandes fonctions vitales. Dans un ouvrage paru en 1954, J. Hamburger et ses assistants G. Richet et J. Crosnier, à propos des désordres humoraux d’origine rénale, considèrent que la réanimation « comporte l’ensemble des gestes thérapeutiques destinés à conserver un équilibre humoral aussi proche que possible de la normale au cours des états morbides aigus, quelle qu’en soit la nature ». Dans le domaine des insuffisances respiratoires aiguës, les contrôles des gaz du sang n’avaient pas encore la fiabilité ou la rapidité requise et les moyens thérapeutiques étaient encore balbutiants comme on va le voir.

En matière de ventilation artificielle, le recours au bouche-à-bouche a été conseillé par Réaumur en 1740 et par Buchanan en 1759, puis la respiration à pression positive intermittente par l’intermédiaire d’un soufflet compta parmi ses promoteurs J. Hunter en 1776. Mais, faute de contrôle suffisant des pressions d’insufflation, cette bonne idée fut temporairement remisée. Alors vint la période de l’aide respiratoire par l’extérieur : tout d’abord diverses méthodes de ventilation manuelle utilisées surtout pour les premiers secours aux « asphyxiés » (méthode de Schaefer ou autres), puis la ventilation mécanique par le poumon d’acier dont on doit à Woillez en 1876 l’un des premiers modèles sous le nom de spirophore. Par ailleurs, l’oxygénothérapie (par masque facial, sonde nasale ou tente) a été préconisée par nombre d’auteurs, dont L. Binet qui à ce propos parla déjà en 1945 de « réanimation ». Quant aux procédés de désobstruction des voies aériennes, on se doit de rappeler l’emploi de longue date de la trachéotomie ou de l’intubation.

En matière de ventilation mécanique, il y avait alors en France une opportunité à saisir en bénéficiant de l’expérience acquise au Danemark au printemps 1953 par Lassen et Ibsen qui avaient traité les atteintes respiratoires sévères de la poliomyélite, véritable calamité, par la respiration artificielle endotrachéale par pression positive intermittente sur trachéotomie. Cette maladie fut ainsi le starter de la réanimation respiratoire.

la création d’un centre de traitement des formes respiratoires de la poliomyélite ;
l’acquisition de respirateurs performants ;
la constitution d’une équipe médicale fonctionnant à temps continu, appuyée sur une logistique de laboratoire.

Chacun de ces trois objectifs mérite quelques commentaires.

Ce nouveau centre fut créé dans un pavillon portant le nom de Pasteur destiné jusqu’alors au traitement des typhoïdes, où chaque malade disposait d’une chambre individuelle. Ce pavillon, baptisé ultérieurement du nom de Lassen, est maintenant détruit comme l’ensemble de l’ancien hôpital Claude-Bernard.

Les respirateurs à pression positive intermittente ont connu à l’époque une explosion d’inventions. Le seul de ces premiers appareils qui mérite le souvenir est le respirateur d’Engström 150, appareil remarquable, robuste, un peu bruyant et dont la faiblesse était le manque d’alarmes ; des exemplaires étaient encore en usage (après entretien et réparation) vingt-cinq ans après son introduction. Il aurait sa place dans le musée imaginaire de la réanimation tant il a rendu de services. Dès 1956, grâce à une équipe de techniciens avisés, un respirateur fut créé en France sous la dénomination de RPR et dont nous apportâmes, J.J. Pocidalo et l’un de nous, un exemplaire en Argentine où sévissait une grave épidémie de poliomyélite alors même qu’à l’époque les poumons d’acier étaient toujours préconisés par nos collègues américains.

Le troisième volet a été la constitution d’une équipe travaillant à temps continu, c’est-à-dire qu’un de ses membres était constamment présent dans le service, ce qui pour l’époque était une nouveauté. La première équipe fut composée de J.-J. Pocidalo, biologiste, de B. Damoiseau, interniste, et de M. Goulon, neurologue et infectiologue, équipe complétée ultérieurement par M. Rapin et J. Lissac. Les débuts ne furent pas faciles. Il nous fallut d’abord nous familiariser avec les techniques de ventilation par voie endotrachéale, et c’est pourquoi nous nous exerçâmes dès le mois d’août 1954 sur des chiens anesthésiés, intubés et ventilés sous appareil d’Engström pendant des jours et des nuits. Cette préparation était indispensable avant la prise en charge de nos premiers malades. Aussi peut-on comprendre les inquiétudes et les appréhensions qui furent notre pain quotidien jusqu’à nos premiers succès. Il nous faut rappeler que le temps continu que nous pratiquions n’était pas le temps plein qui est en usage à l’heure actuelle. Les médecins concernés n’étaient rétribués que par des vacations n’offrant aucune garantie de Sécurité sociale et de retraite. L’avenir des vacataires que nous étions dépendait de leur éventuelle promotion hospitalière et/ou universitaire. Il leur fallait donc, dans leur temps disponible, « faire des ménages » selon l’expression imagée de l’un de nos collègues humoriste à ses heures. Pour les premiers artisans de notre nouvelle spécialité, leur présence en temps continu à totalisé plusieurs années.

Si la poliomyélite a bien été le starter de la réanimation respiratoire, nous comprîmes très vite que notre méthode de travail pouvait s’appliquer à bien d’autres états pathologiques. Des malades adressés pour suspicion de poliomyélite étaient en réalité atteints d’autres affections : polyradiculonévrites extensives, myasthénies graves, porphyries, dyskaliémies majeures, etc. Et notre champ d’investigations s’étendit comme nos moyens thérapeutiques incluant ainsi, le traitement de diverses intoxications (notamment barbiturique par perfusion de solutés alcalins) et de comas de différentes origines dont une ventilation efficace permettait leur stabilisation, voire leur régression. Le tétanos, autre maladie disparue comme la poliomyélite de nos climats grâce à la vaccination, fut longtemps l’objet de nos préoccupations thérapeutiques et il suffit de rappeler le titre maximaliste d’une de nos publications qui était : « Le traitement héroïque du tétanos gravissime par la curarisation ». En élargissant constamment notre champ de recherches, des domaines tout autres retinrent de proche en proche notre attention : poussées aiguës asphyxiques des bronchopneumopathies chroniques, asthmes aigus graves et états de choc de causes variées. Chaque visiteur du centre était frappé de la richesse et de la diversité du recrutement. En regard de succès inespérés à l’époque grâce à notre acharnement, nous déplorions hélas aussi des échecs ou des rançons comme les états végétatifs persistants. Nous avons été les premiers à décrire en 1959 la mort cérébrale sous le nom de « coma dépassé », c’est-à-dire le décès d’un sujet à cœur battant grâce à la respiration contrôlée.

La respiration endotrachéale par pression positive intermittente a bien été à l’origine de la réanimation. Mais il fallait en compléter les moyens car des défaillances viscérales autres que respiratoires devaient être corrigées dans les meilleurs délais. Ainsi au fil des années, notre arsenal thérapeutique fut enrichi de l’épuration extrarénale, du contrôle hémodynamique des désordres circulatoires au lit même des malades, des échanges plasmatiques et de l’oxygénothérapie hyberbare dont nous fûmes à l’hôpital Raymond-Poincaré parmi les promoteurs.

Depuis la période initiale de la réanimation que l’on peut considérer comme historique et dont nous nous souvenons avec émotion, cette nouvelle spécialité, vieille à peine d’un demi-siècle en l’an 2000 n’a cessé de se développer et ses résultats de s‘améliorer. La Société de réanimation de langue française qui est notre ciment a eu des débuts modestes en 1970 : elle ne comptait que quelques dizaines de membres. Certes deux réunions annuelles étaient déjà programmées, l’une à Paris, l’autre en province ou dans un pays francophone, mais chacune se limitait à quinze ou vingt communications.

Que de chemin parcouru depuis 1954 et quelle épopée ont vécu les réanimateurs des générations successives pour arriver aux succès actuels de notre spécialité !



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