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Conclusion - 23/09/11

Doi : 10.1016/B978-2-294-70468-0.50022-1 

Sous le terme imagé de burn out syndrome, le syndrome d’épuisement professionnel des soignants (SEPS) est né d’un constat populaire établi par et pour des soignants.

Les premiers travaux concernant ce syndrome semblaient rejoindre les aspects connus de la psychopathologie du travail qui accorde au stress une place privilégiée. Aborder le burn out en terme de pathologie due au stress, c’est en adopter les conceptions actuelles. Le stress est une réaction normale d’adaptation avant d’être à l’origine de troubles psychopathologiques et somatiques variés. Le stress n’est pas seulement une réaction de survie de l’individu se déroulant de façon stéréotypée quel que soit l’agent agresseur et ayant pour objectif le maintien de l’homéostasie du sujet (Cannon 1932, Selye 1956). Il n’est pas non plus le résultat exclusif d’une tension excessive imprimée à un individu, il est le résultat d’une interaction. Le modèle linéaire stimulus-réponse a laissé la place à un modèle transactionnel entre l’individu et son environnement qui «implique d’abord la perception et l’interprétation de la situation»48 . Il s’agit donc d’un stress perçu, vécu, proche de l’émotion, retrouvant, plusieurs siècles après, l’analyse de la tourmente des hommes faite par Épicure: «Ce qui trouble les hommes ce ne sont pas les choses, ce sont les jugements qu’ils portent sur les choses.»

Le syndrome d’épuisement professionnel n’est pas secondaire à un stress aigu mais à la répétition d’un stress chronique dans un cadre professionnel. Il est une forme de «stress spécialisé».

L’étude de la littérature et l’expérience clinique ne permettent pas de donner au burn out une spécificité propre tant au plan symptomatique que psychopathologique.

Ces symptômes psychiques et somatiques sont polymorphes et aspécifiques (troubles anxieux, dépressifs, somatiques, …).

Ces mécanismes psychopathologiques sont ceux décrits dans le cadre de séquences névrotiques.

Il n’est pas nécessaire que le syndrome d’épuisement professionnel soit une nouvelle catégorie diagnostique pour exister. En pratique psychiatrique, s’il fallait le placer dans un cadre diagnostique, c’est la catégorie «troubles d’adaptation» qui conviendrait le mieux.

C. Maslach et S. Jackson en créant un outil d’évaluation, le MBI (Maslach burn out Inventory), ont défini ce syndrome selon trois critères: l’épuisement émotionnel, la déshumanisation de la relation à l’autre, la perte du sens de l’accomplissement de soi au travail.

La déshumanisation de la relation à l’autre est la pierre de touche du syndrome d’épuisement professionnel des soignants. En positionnant la relation à l’autre au cœur du burn out, il se trouve limité, certes, aux professions dites d’aide, mais acquiert aussi toute sa spécificité et prend tout son intérêt puisqu’on le considère comme un des aspects de la pathologie de la relation d’aide.

Quand la relation d’aide (ou thérapeutique) «tombe malade», la symptomatologie devient celle d’un burn out.

De nombreuses définitions ont été proposées; celle que nous retiendrons est de D. Bédard et A. Duquette: «L’épuisement professionnel est une expérience psychique négative vécue par un individu, liée au stress émotionnel et chronique causé par un travail ayant pour but d’aider les gens.»

Les études épidémiologiques et d’évaluation réalisées avec des outils méthodologiques fiables montrent que 25 à 40% des soignants sont épuisés. Ceci donne au syndrome d’épuisement professionnel des soignants des allures d’épidémie à forte contagiosité sinon d’endémie et justifie que toutes les instances de santé s’intéressent au problème.

Les facteurs de stress corrélés avec l’épuisement professionnel nous interrogent sur les manières de diminuer l’impact du travail auprès des soignants. Inversement, il apparaît que les caractéristiques personnelles ont peu d’influence sur la sensibilité à l’épuisement professionnel bien que les soignants jeunes soient plus vulnérables.

Les études sur les personnalités des soignants atteints d’épuisement professionnel ne mettent pas en évidence de personnalité à risque. Certains traits psychologiques (telle que la hardiesse: hardiness) ou certains types de coping (manière de faire face possédant un lieu de contrôle interne) semblent jouer un rôle protecteur.

Même si les chiffres d’épuisement professionnel dans certains services comme les services de réanimation pédiatrique sont élevés (40-42%), il n’est pas significatif qu’un type de pathologies détermine à lui seul le niveau d’épuisement professionnel des soignants.

L’organisation, l’ambiance de travail sont des facteurs essentiels de même que les conflits entre les personnes, le manque de soutien, les difficultés à communiquer, l’ambiguïté des rôles ou la charge de travail. Tous concourrent au SEPS. Dans une optique de prévention ou de traitement de l’épuisement professionnel, chaque agent stresseur nécessite son pôle de réflexion.

Dans cet ouvrage, nous avons envisagé trois directions possibles d’analyse préventive.

La première direction est représentée par l’approche individuelle à travers la relation d’aide. Même si la relation à l’autre est constitutive de notre humanité, elle «ne va pas de soi» et présente des risques. C’est de ces risques dont il faut prévenir les soignants afin qu’ils ne se «brûlent» pas.

La deuxième concerne une réflexion sur le plan institutionnel. Il est relativement facile de repérer les dysfonctionnements d’une structure hospitalière et les insuffisances de dotations en matériel et en personnel. Si les manques de moyens sont vite chiffrés en terme de budget, le coût de l’épuisement professionnel ne l’est pas. Il est pourtant vraisemblable que le burn out a un poids économique important et il serait hautement souhaitable d’en réaliser une évaluation: l’efficacité moindre, la rotation de personnel, le nombre important d’arrêts de travail et le retentissement sur la santé des soignants dont ils sont conscients depuis longtemps. Citons la nécessaire reformulation des objectifs et du sens donné au travail de l’équipe, la question du soutien des soignants dans leurs tâches et l’ambiguïté des rôles de chacun mais encore les aspects ergonomiques et les dotations en matériel comme en personnel. L’approche organisationnelle, fondamentale dans l’analyse du burn out, doit s’orienter vers l’humain pour permettre aux soignants de s’investir dans cette relation d’aide aussi complexe qu’usante. Si elle est essentielle, elle est également source d’une grande richesse. Remédier aux pertes de temps et d’énergie physique et psychique occasionnées par les multiples dysfonctionnements institutionnels retentit inéluctablement sur les soignants, le malade et tous les professionnels qui travaillent dans nos hôpitaux y compris le personnel administratif et des services généraux. Ils participent aussi au bien-être des malades, en permettant un fonctionnement harmonieux de l’institution de soins et en réduisant les facteurs de stress liés aux dysfonctionnements organisationnels.

C’est pourquoi les directions hospitalières, l’ensemble du corps administratif de l’hôpital et ceux qui le vivent par procuration ou par ricochet sont concernés.

La troisième approche est collective et pluridisciplinaire. Elle concerne essentiellement des problèmes d’éthique, liés aux problématiques de la médecine moderne et à la finitude de l’homme. En l’abordant, l’éthique médicale n’est plus un luxe mais devient une nécessité.

Au niveau individuel, le syndrome d’épuisement professionnel pose le problème de l’éthique de la relation d’aide. Comment être vis-à-vis d’autrui? Quelle distance établir pour apporter l’aide tout en étant respectueux de la personne et ne pas se consummer soimême? Jusqu’où donner de soi-même? Dans quel esprit d’équité? Le syndrome d’épuisement professionnel soulève la question de la responsabilité, de la justice et finalement de l’amour. Il appelle nécessairement des réflexions psychologiques et philosophiques.

Au niveau collectif, le SEPS met en évidence des dysfonctionnements dans le travail et soulève des questions éthiques fondamentales.

Avec le problème de la communication avec les familles et les patients, est apparue la question de la vérité au patient et à sa famille. Le paternalisme n’est plus compatible avec l’évolution de la médecine et des consciences. Les malades et la science médicale ont changé. Le modèle nord-américain dans son usage de la transparence absolue n’est pas la seule alternative. Il est actuellement peu compatible avec notre culture et présente des limites si l’on veut rester dans un principe moral de bienfaisance. Il ne nous apparaît pas toujours respectueux de l’affectivité de l’autre. Ne faut-il pas inventer un paternalisme tempéré selon l’expression d’A. Fagot-Largeault49 ? Ce paternalisme tempéré n’est pas la voie de la tranquillité.

C’est une éthique à penser par les soignants eux-mêmes. «Il n’y a pas d’éthique en général» écrit A. Badiou50 . «Il faut rejeter le dispositif idéologique de l’éthique qui risque d’identifier l’homme à un simple universel mortel, qui est le symptôme d’un inquiétant conservatisme qui par sa généralité abstraite et statistique interdit de penser la singularité de situations.»

Nous avons défini le syndrome d’épuisement professionnel comme l’expression de la pathologie de la relation d’aide. Ce n’est pas dans son expression finale du soignant usé avec son cortège de symptômes physiques et psychiques que le syndrome apporte le plus. C’est en tant que processus dynamique qu’il est intéressant. Une autre particularité réside donc dans la question traitée51 : celle de la relation soignante envers un autre donc dans sa dimension existentielle. C’est pourquoi considérer le syndrome d’épuisement professionnel des soignants comme d’abord une pathologie de la relation conduit à l’envisager aussi comme un phénomène d’ordre existentiel: les soignants sont confrontés à la souffrance existentielle des êtres qu’ils doivent soulager et souffrent eux-mêmes d’une crise d’identité.

Ceci confère au burn out un double caractère singulier et social et soulève de ce fait plusieurs hypothèses.

Puisque la pathologie est liée à la fonction, elle peut atteindre des sujets normaux.
Il est possible d’être en burn out sans manifestation symptomatique. Le conflit intrapsychique lié à la difficulté d’être soi-même face à l’autre peut ne pas se présenter sous la forme «déguisée» d’un symptôme, mais être vécu consciemment et émotionnellement. Un des objectifs de la prévention du burn out est justement de permettre aux soignants de l’identifier.
Il permet la reconnaissance de la spécificité des professions de santé en particulier mais éclaire aussi d’un jour nouveau toutes les autres professions d’aide.
Enfin en montrant que la relation à l’autre fait souffrir, nous affirmons que rien n’est moins évident que d’aller vers autrui pour l’aider.

Ceci pose la question de l’équité et oblige à innover dans l’analyse du fonctionnement psychique de la relation d’aide. Rien n’est gratuit, tout est échange. En terme d’économie psychique, tout se joue en renforcement positif ou négatif des conduites.

Approfondir cette dimension psychologique nous conduit nécessairement vers des considérations philosophiques et éthiques: «L’estime de soi, le souci d’autrui et la justice» et met l’accent sur l’importance «de la réciprocité». Il y a là une interface entre psychologie et éthique dans une perspective critique de l’ego à l’alter, de l’égoïsme à l’altruisme.

La crise identitaire et le burn out ne sont-ils pas l’équivalent d’un syndrome post-vocation52 ? Les vocations, certains le regrettent, ne sont plus. Notre hypothèse est que la vocation, dans sa double dimension sociale et religieuse, possédait un fort pouvoir défensif vis-à-vis de l’épuisement émotionnel. La vocation de médecin et d’infirmier(e) fait partie de l’imagerie populaire. Ces soignants totalement dévoués à leurs malades sacrifiaient toute vie personnelle. Solides et compatissants, capables de comprendre et de soutenir toute détresse humaine jusqu’à en être presque inhumains, tant ils frôlaient la sainteté, ces personnages ont quasiment disparu bien que chacun d’entre nous en connaisse encore. Comme le dit une des infirmières: «Le sacerdoce, on met l’habit et on flotte».

Nous ne sommes plus dans des conditions sociales de soignants à vocation. Les valorisations ont changé. En disparaissant, la vocation a laissé les soignants nus, sans protection et sans les bénéfices secondaires qu’elle apportait ne serait-ce qu’en terme d’admiration et de reconnaissance.

Au terme de cet ouvrage, tant de questions se profilent:

Faut-il faire du burn out une maladie professionnelle et envisager une compensation financière comme c’est le cas pour d’autres pathologies, la névrose traumatique par exemple?
Faut-il garder le burn out malgré son apparente faiblesse épistémologique, son absence de symptômes spécifiques physiques ou psychiques et d’identification dans la nosographie psychiatrique?
Sommes-nous dans une approche comportementaliste en extériorité ou dans une analyse de l’intérieur?
Ne faudrait-il pas abandonner?

Non. C’est justement parce que le burn out se situe en permanence dans un entre-deux qu’il est pertinent et précieux!

Le burn out n’est pas une maladie. C’est un concept respectueux de l’être, déontologiquement correct, et qui permet, d’une manière discrète, élégante et éthique, d’évoquer le problème.

On peut craquer parce que l’on est confronté à des situations d’exception: le burn out permet de reconnaître que le monde médical devient un monde d’exception. Assumer plusieurs décès par semaine, poser des décisions d’arrêts thérapeutiques, être tout simplement confronté de façon répétée à des accidents de vie, participer aux progrès de la médecine et en vivre les échecs est lourd. Le burn out révèle un malaise existentiel singulier et social. Il pose la question du sens de la vie.

Il décrit un phénomène psychologique et grâce à cela reconnaît la spécificité de la fonction. Expression d’une crise d’identité, il signifie au soignant que le sens de son action, c’est l’autre. La valeur de l’acte réside dans la technique mais aussi dans la relation. C’est peut-être en ce sens que la médecine reste un art (de faire).

Il pointe aussi un paradoxe actuel. Notre médecine tremble devant l’économique et l’équilibre budgétaire. Or voici un syndrome coûtant vraisemblablement très cher à la collectivité, qui pose le problème de l’importance de l’acte de relation à l’autre. N’est-il pas paradoxal de constater qu’au moment où une politique de santé semble s’orienter vers une approche comptable, le syndrome d’épuisement professionnel ne soit pas pris en compte, alors qu’il pourrait être mieux prévenu?

Le SEPS est au cœur de la vie entre monde intérieur et monde extérieur, entre je et tu, entre le normal et le pathologique, entre le psychologique et l’éthique, entre la naissance et la mort.

Dans cette confrontation avec l’autre en souffrance, au sein de tant de situations complexes et angoissées, aux portes de la mort, voilà un syndrome qui force à découvrir des sens insoupçonnés et qui peut d’une souffrance faire une crise structurante.



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