S'abonner

Identification des marques du traumatisme psychique dans le langage parlé : définition de l’échelle diagnostique « SPLIT-10 » - 03/12/21

Identification of the marks of psychic trauma in spoken language: Definition of the “SPLIT-10” diagnostic scale

Doi : 10.1016/j.amp.2021.08.015 
Yann Auxéméry a, b, , Frédérique Gayraud c
a Centre hospitalier de Jury-les-Metz, centre de réhabilitation pour adultes, hôpital de jour, 12, rue des Treize, 57070 Metz, France 
b Équipe EPSAM, EA 4360 APEMAC « adaptation, mesure et évaluation en santé. Approches interdisciplinaires », université de Lorraine, Metz, France 
c Laboratoire dynamique du langage, UMR 5596, CNRS, université Lyon-II, Lyon, France 

Auteur correspondant.

Bienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.
L’accès au texte intégral de cet article nécessite un abonnement.

pages 20
Iconographies 1
Vidéos 0
Autres 0

Résumé

Problématique

L’espace de compréhension concernant les traumatismes psychiques s’est considérablement densifié au cours des quinze dernières années jusqu’à entraîner une véritable révolution conceptuelle aux confins de notions psychiatriques, psychologiques, neurobiologiques, sociologiques, anthropologiques, etc. Toutefois, malgré tous ces enrichissements, notamment des descriptions séméiologiques dans les mondes anglophones et francophones contemporains, le sous-diagnostic et les diagnostics tardifs des troubles post-traumatiques (TSPT), au stade des souffrances intenses, restent nombreux. Soit parce que les origines traumatiques des troubles demeurent tues, du fait même de leurs caractéristiques cliniques, c’est-à-dire « l’expérience indicible » constitutive de la dissociation dans le langage. Soit encore parce que le système de soin et les réseaux de praticiens se heurtent à des conceptions infranchissables lesquelles témoignent sans doute, sans le savoir, du processus psychotraumatique diffusant jusque dans les discours théoriques, au point de les rendre peu opérants. L’heure est à la construction d’un nouveau modèle. Basée sur une méthodologie linguistique, l’étude standardisée informatique et manuelle du discours de patients blessés psychiques nous a récemment permis de définir la notion de syndrome psycholinguistique traumatique (SPLIT).

Objectifs

Notre nouvelle perspective nourrit pour ambition de dépasser les impasses diagnostiques et thérapeutiques auxquelles se confrontent encore trop de personnes blessées psychiques. Davantage objectifs que les approches séméiologiques et psychométriques, les marqueurs linguistiques ouvrent la voie au phénotypage digital du trouble de stress post-traumatique et permettent de mieux évaluer les soins recommandés. Après discussion des travaux précurseurs repérables dans la littérature, nous construisons un outil psycholinguistique permettant le repérage des sujets blessés psychiques.

Matériels et méthodes

Le matériau d’analyse exploratoire comprend deux corpus de récits d’événements traumatiques nommés respectivement « Bataclan » (n=20 ; recueilli parmi des personnes rescapées des attentats de Paris en 2015) et « guerre d’Afghanistan » (n=15 ; recueilli parmi des soldats français déployés) à partir desquels nous avons constitué un groupe de témoins appariés. Les récits ont été transcrits et segmentés en propositions afin de référencer les pauses silencieuses, les pauses d’hésitation, les allongements vocaliques, les amorces de mots, les énoncés incomplets, les répétitions contiguës. Ont également été comptabilisées les caractéristiques de cohérence narrative, certains champs lexicaux (concernant la mort, les émotions, etc.), les données spatio-temporelles, les références à la personne (pronoms personnels et génériques notamment), et certaines figures de style. Afin de confirmer la validité de l’échelle SPLIT-10, nous l’avons testée sur deux corpus de récits traumatiques supplémentaires : le corpus « Nice » (n=20) recueilli dans les jours suivant l’attaque perpétrée à Nice (14 juillet 2016) et le corpus « agression sexuelle » (n=20) composé de témoignages de personnes victimes d’une seule agression sexuelle survenue à l’âge adulte.

Résultats

Les analyses ont permis d’éliminer les caractéristiques non pertinentes soit parce qu’elles étaient non significatives, soit parce qu’elles étaient trop fréquentes et/ou en pratique difficilement discriminantes : lexique des émotions, temps verbaux, pronoms non génériques, cohérence narrative. Inversement, les critères apparaissant les plus pertinents afin de différencier les récits traumatiques et non traumatiques sont les suivants : lexique concernant la mort, les parties du corps et l’irréalité ; verbes de perception, de mouvement ou de position du corps ; contexte spatial dont l’appréciation des distances ; pronoms génériques ; mention de l’heure et de la durée de l’événement ; énoncés incomplets ; répétitions contiguës ; métaphores. Afin de faciliter sa passation, nous retenons finalement une échelle à 10 items que nous exemplifions critère par critère, puis en test global. Nos résultats montrent que l’échelle SPLIT-10 discrimine significativement les récits traumatiques des récits non traumatiques.

Discussion

Les items de la SPLIT-10 correspondent à 5 sous-syndromes psycholinguistiques : référence à la mort (item no 1), déréalisation (items nos 2 à 4), dépersonnalisation (items nos 5 à 7), reviviscences (items nos 8 et 9) et indicibilité (item no 10). Si ces items s’avèrent compatibles avec les critères du TSPT retenus par le DSM-5 (tout comme ceux concernant le trouble de stress aigu), les marqueurs linguistiques que nous avons identifiés apparaissent nettement plus détaillés et spécifiques du traumatisme psychique que les symptômes psychiatriques habituellement décrits. Au sens où elle rend précisément compte de la dissociation, la SPLIT-10 est syndromiquement davantage cohérente que la définition du TSPT dans la nosographie. Il conviendrait de répliquer notre étude par des corpus multicentriques plus vastes, notamment en contrôlant les comorbidités et les types d’événements traumatiques uniques ou complexes, et en focalisant sur les traumas survenant dans l’enfance où le langage est en cours de construction. Aussi, le cut-off de la SPLIT-10 retenu à 5 pourrait être revu à la hausse, voir être adapté en fonction de la longueur de la production verbale. Enfin, il faudrait mener une analyse de faisabilité en pratique clinique courante mesurant l’efficacité de praticiens formés à l’utilisation de ce nouvel outil. Au-delà des 10 items que nous avons retenus, il apparaîtrait intéressant d’élaborer une échelle plus complexe en intégrant de nombreuses autres caractéristiques linguistiques utilisables à des fins de recherche fondamentale.

Conclusion

Autant qu’elle infiltre le discours théorique tentant de la saisir, la dissociation traumatique restait, jusqu’à il y a peu, une notion difficilement modélisable. Nouvelle conception de la dissociation, le syndrome psycholinguistique traumatique témoigne de la « blessure du langage » constitutive du trauma. La grille SPLIT-10 apparaît ici davantage objective que l’analyse clinique ou que les échelles et questionnaires basées sur la nosographie (lesquels appellent toujours l’appréciation subjective des symptômes par le patient et/ou le praticien). Mais loin de dénier toute subjectivité, complétant les approches linguistiques lexicales et syntaxiques, l’analyse sémantique du discours pourrait également offrir de mieux caractériser la spécificité de ce qui a fait traumatisme chez un sujet singulier. Enfin, permettant de s’extraire de la dissociation traumatique, l’analyse pragmatique de l’interaction dialogique entre le patient et le clinicien s’avèrera fondamentale afin de comprendre les mécanismes thérapeutiques efficaces.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Abstract

Problematic

The search for understanding psychological trauma has grown considerably over the past fifteen years, leading to a real conceptual revolution at the crossroads of psychiatric, psychological, neurobiological, sociological, anthropological fields, etc. However, despite all these enrichments of semiological descriptions, the under-diagnosis and late diagnoses of post-traumatic disorders, at the stage of intense suffering, remain numerous. Either because the traumatic origins of the disorders remain unclear, due to their very clinical characteristics, that is to say the “unspeakable experience” constituting dissociation in language, or because the healthcare system and the networks of practitioners come up against impassable conceptions which undoubtedly reflect the psychotraumatic process spreading even in theoretical discourse, to the point of rendering them ineffective. Now is the time to build a new model. Based on a linguistic methodology, the standardized computerized and manual study of the speech of psychically injured patients recently enabled us to define the notion of traumatic psycholinguistic syndrome (SPLIT).

Objectives

Our new perspective aims to overcome the diagnostic and therapeutic obstacles with which too many people with mental health injuries still face. More objective than semiological and psychometric approaches, linguistic markers pave the way for the digital phenotyping of post-traumatic stress disorder and make it possible to better assess the recommended care. After discussing the pioneering work in the literature, we build a psycholinguistic tool allowing the identification of psychically injured subjects.

Methods

The exploratory analysis material includes two corpora of traumatic event narratives called “Bataclan” (n=20 collected among survivors of the Paris attacks in 2015) and “Afghanistan War” (n=15 collected among French soldiers deployed), which are matched to a control group. The narratives were transcribed and segmented into clauses and the following linguistic characteristics were analyzed: disfluencies (silent pauses, hesitation pauses, vocalic lengthenings, incomplete words, incomplete utterances, contiguous word repetitions), narrative coherence, certain lexical fields (concerning death, emotions, etc.), spatio-temporal reference, references to the person (personal and generic pronouns in particular), and non-literal language were also taken into account. In order to confirm the validity of the SPLIT-10 scale, we tested it on two additional corpora of traumatic narratives: the “Nice” corpus (n=20) collected in the days following the attack perpetrated in Nice ( July, 2016) and the “sexual assault” corpus (n=20) composed of testimonies from people who were victims of a single sexual assault that occurred during adulthood.

Results

Linguistic characteristics which proved irrelevant either because they were insignificant, or because they were too frequent and/or in practice difficult to discriminate were eliminated: lexicon of emotions, verbal tenses, non-generic pronouns, narrative coherence. Conversely, the criteria appearing to be the most relevant in order to differentiate between traumatic and non-traumatic narratives were the following ones: lexicon concerning death, body parts and unreality; verbs of perception, movement or position of the body; spatial context including the appreciation of distances; generic pronouns; mention of the time and duration of the event; incomplete utterances; repetitions; and non-literal language. These criteria constitute a 10-item scale that we exemplify criterion by criterion, then as a global test. The results show that the SPLIT-10 scale significantly discriminates between traumatic and non-traumatic narratives.

Discussion

The SPLIT-10 items correspond to 5 psycholinguistic sub-syndromes: reference to death (item No. 1), derealization (items Nos. 2 to 4), depersonalization (items Nos. 5 to 7), flashbacks (items Nos. 8 and 9) and unspeakable (item No. 10). While these items turn out to be compatible with the criteria for PTSD retained by the DSM-5 (like those concerning acute stress disorder), the linguistic markers that we have identified appear to be much more detailed and specific to the psychological trauma than the usually described psychiatric symptoms. Because it accurately accounts for dissociation, SPLIT-10 is syndromically more consistent than the definition of PTSD in the nosography. It would be useful to replicate our study by considering larger multicenter corpora by controlling comorbidities, by varying the types of unique and complex traumatic events, and by focusing specifically on traumas occurring in childhood where language is still being constructed. In addition, the cut-off of SPLIT-10 retained at 5 could be revised upwards, or even be adapted according to the length of the verbal production. Moreover, a feasibility analysis should be carried out in current clinical practice measuring the effectiveness of practitioners trained in the use of this new tool. Beyond the 10 items that we have retained, it would be finally interesting to develop a more complex scale by integrating many other linguistic characteristics that can be used for fundamental research purposes.

Conclusion

As much as it infiltrates the theoretical discourse trying to grasp it, traumatic dissociation has until now remained a notion difficult to model. As a new clinical approach to dissociation, the traumatic psycholinguistic syndrome reflects the “injury of language” constituting the trauma. The definition of the SPLIT-10 scale appears more objective than the usual clinical analysis or the scales and questionnaires based on the nosography, which calls for the subjective assessment of symptoms by the patient and/or the practitioner. Nevertheless, far from denying all subjectivity, complementing lexical and syntactic linguistic approaches, the semantic analysis of discourse also offers to better characterize the specificity of what caused the trauma in a singular subject. Finally, allowing to get out of traumatic dissociation, the pragmatic analysis of the dialogical interaction between the patient and the clinician will prove to be fundamental in order to understand the effective therapeutic mechanisms.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Mots clés : Échelle d’évaluation, Psycholinguistique, Syndrome post-traumatique, Témoignage, Traumatisme psychique

Keywords : Assessment scale, Post-traumatic stress disorder, Psychic trauma, Psycholinguistics, Testimony


Plan


© 2021  Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Ajouter à ma bibliothèque Retirer de ma bibliothèque Imprimer
Export

    Export citations

  • Fichier

  • Contenu

Vol 179 - N° 10

P. 869-888 - décembre 2021 Retour au numéro
Article précédent Article précédent
  • editorial board
| Article suivant Article suivant
  • L’efficacité thérapeutique du Montage Composite Réceptif à visée Projective (MCR-P) contre la dépression en psychiatrie
  • Lionel Delpech, Jean-Luc Sudres

Bienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.
L’accès au texte intégral de cet article nécessite un abonnement.

Bienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.
L’achat d’article à l’unité est indisponible à l’heure actuelle.

Déjà abonné à cette revue ?

Mon compte


Plateformes Elsevier Masson

Déclaration CNIL

EM-CONSULTE.COM est déclaré à la CNIL, déclaration n° 1286925.

En application de la loi nº78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, vous disposez des droits d'opposition (art.26 de la loi), d'accès (art.34 à 38 de la loi), et de rectification (art.36 de la loi) des données vous concernant. Ainsi, vous pouvez exiger que soient rectifiées, complétées, clarifiées, mises à jour ou effacées les informations vous concernant qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées ou dont la collecte ou l'utilisation ou la conservation est interdite.
Les informations personnelles concernant les visiteurs de notre site, y compris leur identité, sont confidentielles.
Le responsable du site s'engage sur l'honneur à respecter les conditions légales de confidentialité applicables en France et à ne pas divulguer ces informations à des tiers.


Tout le contenu de ce site: Copyright © 2024 Elsevier, ses concédants de licence et ses contributeurs. Tout les droits sont réservés, y compris ceux relatifs à l'exploration de textes et de données, a la formation en IA et aux technologies similaires. Pour tout contenu en libre accès, les conditions de licence Creative Commons s'appliquent.