L’expérience du deuil post-traumatique chez l’enfant haïtien témoin des conséquences du tremblement de terre de janvier 2010 : le cas de jumelles - 30/11/25
The experience of post-traumatic grief among Haitian children who witnessed the consequences of the January 2010 earthquake: The case of twin sisters

: Chercheure associée, Psychologue clinicienne, Marie-Frédérique Bacqué a, b
: Professeure de psychopathologie clinique, Directrice ED 519, Hossaïn Bendahman c
: Psychanalyste, Psychologue clinicienRésumé |
Objectifs |
Lors de la survenue d’événements catastrophiques peut surgir un deuil post-traumatique. Les personnes exposées à ces situations sont mises en danger. Elles sont non seulement menacées de mort, mais, elles sont en outre témoins de la mort de proches et ou de personnes qui leur sont étrangères. Si les adultes sont affectés, les enfants ne sont pas épargnés par ces expériences tragiques. La visée de l’article est de mettre en exergue comment les enfants haïtiens et spécifiquement des jumelles vivent l’expérience du deuil cinq ans après le séisme du 12 janvier 2010.
Méthode |
La recherche s’est déroulée dans la ville de Port-au-Prince, capitale haïtienne. Cinq ans après le tremblement de terre meurtrier de janvier 2010, nous sommes allés à la rencontre de 20 enfants haïtiens âgés de 9 à 13 ans. Les critères d’inclusion impliquent que ces enfants aient été confrontés à la mort et qu’ils aient perdu au moins un proche au cours de ce séisme. Sur l’ensemble de l’effectif, 8 enfants provenaient de l’une des crèches haïtiennes les plus touchées par ce séisme. En effet, sur une centaine d’enfants, soixante-six sont décédés, soit plus de la moitié de l’effectif de l’institution et 12 enfants provenaient d’un lycée. Ces derniers vivaient auprès de ce qui leur restait de famille. La rencontre avec les enfants s’est déroulée dans une crèche et un lycée. Nous leur avons fait passer une batterie de tests : le test des trois dessins avant, pendant et avenir, reconsidéré. Le test projectif qu’est le Thematic Apperception Test (TAT) ainsi que d’un questionnaire portant sur la perte d’un proche. L’entretien a consisté en une description du dessin par le participant.
Résultats |
Nos résultats montrent que parmi les enfants ( n = 20) participant à la recherche, 15 vivent un deuil difficile cinq ans après le séisme du 12 janvier 2010. La majorité des enfants rencontrés font part de l’existence fréquente d’affect de tristesse depuis la perte de leur proche, des pensées intrusives portant sur le long terme, de l’évitement du souvenir de la personne perdue, du déni de la perte de celle-ci. Ils éprouvent certaines peurs depuis la mort du proche et font des cauchemars à répétition à propos du défunt. Ces enfants éprouvent également des colères inexpliquées. Ils nous confient également avoir peu d’espoir en l’avenir. Les enfants qui vivent dans ce qui leur reste encore de famille représentent plus l’événement catastrophique. Ceux qui vivent dans la crèche sont davantage préoccupés par les problématiques d’ordres familiales que par les conséquences du tremblement de terre. Plus spécifiquement, les résultats montrent un cas de jumelles ayant vécu l’expérience du deuil post-traumatique de manière subjective : l’une semble s’en sortir, investir sa famille adoptive mais l’autre s’enlise dans un deuil difficile.
Discussion |
Lorsqu’elles sont abordées, certaines histoires racontées sont tirées directement du récit autobiographique de l’enfant et transposées dans le discours avec une porosité des limites entre le narrateur et le sujet. Elles traitent du séisme et de la perte. La mise en scène chaotique est rendue possible par le mécanisme de défense qu’est la projection. La spécificité des dessins des Haïtiens rencontrés rend compte du recours par ceux-ci aux contournements spirituels et à des symboles patriotiques comme mécanismes de défense.
Conclusion |
Peu d’études portent sur le processus de deuil et son ancrage traumatique chez l’enfant haïtien post-séisme. Or, cet ancrage devrait être souligné avant toute autre considération. L’exposition au tremblement de terre de janvier 2010 laisse une trace du traumatisme psychique chez les enfants haïtiens rencontrés cinq ans après, rendant difficile le travail du deuil. Ces constatations nous amènent à préconiser la mise en place de dispositifs de prise en charge psychologique à moyen et long terme de ces enfants.
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Abstract |
Objectives |
When catastrophic events occur, post-traumatic grief can arise. People exposed to these situations face danger. They are not only personally threatened with death, but they may also witness the death of relatives and/or strangers. Both adults and children are affected by these tragic experiences. The aim of this article was to examine how Haitian children, and specifically a pair of twin girls, were experiencing grief five years after the earthquake of January 12, 2010.
Methods |
The research took place in the city of Port-au-Prince, the capital of Haiti. Five years after the deadly earthquake of January 2010, we met with 20 Haitian children aged 9 to 13. Based on our inclusion criteria, these children had faced death and had lost at least one loved one during the earthquake. Eight of the 20 children came from one of the Haitian childcare facilities most affected by this earthquake. At this facility, 66 out of 100 children died, more than half of the children present. Twelve children came from a high school and were living with their remaining family members. We met with the children at a childcare facility and a high school. We had them take a series of tests: a revisited version of the test where subjects create three drawings representing before the event, during the event, and the future, the projective Thematic Apperception Test (TAT), and a questionnaire about the loss of a loved one. The interview consisted of the participant describing the drawings.
Results |
Our results show that, out of the 20 children who participated in the research, 15 were experiencing intense grief 5 years after the earthquake of January 12, 2010. Most of the children interviewed reported that, since the loss of their loved one, they frequently experienced sadness, intrusive thoughts relating to the future, avoidance of the memory of their lost loved one, and denial about that loss. They were experiencing certain fears since the death of their loved one and were having repeated nightmares about the deceased. These children were also experiencing unexplained anger and told us that they had little hope for the future. Children who were living with their remaining family were more likely to depict the catastrophic event. Those who were living in the childcare facility were more concerned with family issues than with the consequences of the earthquake. More specifically, our results illustrate the case of twin sisters who experienced post-traumatic grief in a subjective way: one seemed to be moving through it and building ties to her adoptive family, while the other tended to be mired in intense grief.
Discussion |
Upon examination, certain stories were found to be taken directly from the child's autobiographical account and were transposed into the discourse with porous boundaries between the narrator and the subject. They dealt with the earthquake and loss. The chaotic staging was made possible by the defense mechanism that is projection. The specificities seen in the drawings made by the Haitian participants reflected their use of spiritual bypassing as a recourse and patriotic symbols as defense mechanisms.
Conclusion |
Few studies have focused on the grieving process and its traumatic roots in Haitian children following the earthquake. However, these roots should be a primary consideration. Exposure to the earthquake of January 2010 left marks of psychological trauma in Haitian children that could still be seen five years later, making the grieving process difficult. These findings lead us to recommend that medium- and long-term psychological care systems be established for these children.
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Mots clés : Tremblement de terre, Enfants, Deuil post-traumatique, Traumatisme psychique, Dessins, Haïti
Keywords : Earthquake, Children, Post-traumatic grief, Psychological trauma, Drawing, Haïti
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