Avant-propos

Aborder la presbytie, c’est évoquer un des grands mystères du fonctionnement de l’œil que représente l’accommodation. Ce phénomène magique nous permet d’aller de la vision de loin à la vision de près en passant par les distances intermédiaires, avec une mise au point instantanée que l’autofocus des appareils photographiques les plus performants ne parvient pas à égaler.

L’approche de sa correction représente un vrai défi, relevé depuis plusieurs années en matière d’équipements optiques, qu’il s’agisse de lunettes ou de lentilles, et beaucoup plus récemment par la chirurgie.

Tout au long de cette dernière décennie, de multiples stratégies ont été mises au point, considérant tantôt la cornée, tantôt le cristallin comme site chirurgical. Elles visent toutes à se débarrasser des verres correcteurs, avec rétablissement d’une bonne acuité visuelle à toutes les distances, au prix d’un retentissement sur la qualité de vision aussi modeste que possible.

Les derniers épisodes de cette chirurgie réfractive ont conduit à la révision et à l’amélioration du concept de multifocalité et surtout à l’introduction de notions nouvelles, telles que le rôle des aberrations sphériques, entité optique, favorables à la profondeur de champ et induites en particulier par une asphéricité, entité géométrique, qui deviendra le profil recherché par les traitements cornéens ou par le dessin des implants pseudophakes.

Outre la difficulté de choisir la stratégie optimale de traitement, la prise en charge de la presbytie invite à une information renforcée du patient ainsi qu’à la sélection prudente et mesurée de chaque cas en fonction de l’âge, de la transparence du cristallin, des éventuelles pathologies générales et oculaires associées, des besoins visuels et surtout des espérances formulées. Il s’agira de faire comprendre qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de chirurgie capable de restaurer l’œil de la jeunesse mais que l’objectif visé, quel que soit le traitement adopté – lunettes, lentilles, chirurgie –, sera celui d’un compromis, imposant une période de neuroadaptation pour atteindre le résultat escompté. Un patient prévenu sera mieux à même de placer son niveau d’exigence à un seuil raisonnable et ainsi, après la chirurgie, d’estimer avoir atteint le confort annoncé.

L’évaluation des résultats de la chirurgie a imposé elle aussi un élargissement des méthodes d’exploration et du nombre de paramètres recueillis, notamment en introduisant des mesures d’acuité aux trois distances, en considérant la vision binoculaire comme test indispensable et en accordant à l’évaluation de la qualité de vision une place cruciale dans le reflet du succès d’une opération.

Dans l’état actuel des procédures disponibles, un arbre décisionnel s’est construit, que nous pouvons dans cet avant-propos déjà tracer, dans un souci de faciliter la lecture hiérarchisée de l’ouvrage. L’âge constitue le premier élément, associé à la clarté cristallinienne. Un patient de moins de 55 ans possède en principe un cristallin encore transparent et sera plus volontiers orienté vers une chirurgie cornéenne choisie selon l’amétropie associée à la presbytie, donc chirurgie conservatrice du cristallin. Un patient myope bénéficiera d’une monovision, alors qu’un hypermétrope sera mieux avec un presbyLASIK. L’emmétrope, demandeur d’une préservation de son excellente vision de loin, pourra retrouver une aptitude à la vision de près grâce à un traitement femtoseconde intrastromal, un lenticule intracornéen, voire une photoablation, toutes ces actions étant réalisées de préférence sur l’œil non directeur, dominé. Ce n’est qu’en cas de cristallin vieillissant, le plus souvent au-delà de 55 ans, qu’une chirurgie de phakoexérèse sera justifiée avec mise en place d’un implant de type multifocal, voire multifocal torique ou accommodatif.

Il n’existe pas de solution unique, ni de méthode miracle corrigeant idéalement la presbytie et qui consisterait en une restauration du mécanisme d’accommodation, agissant par une redynamisation du couple cristallin–zonule. C’est déjà à l’ordre du jour pour les travaux de recherche : implants ajustables mimant le cristallin, lenticuloplastie au laser femtoseconde, etc. Ce futur possible, sinon probable, qui fait rêver, sera abordé dans la partie consacrée aux perspectives. Chacune des procédures évoquées sera décrite dans son concept, son intérêt et ses limites. Nous comprendrons qu’il est ainsi possible en 2012 de compenser la perte d’accommodation de manière efficace, durable et sécurisante, à condition d’une sélection soigneuse des indications, seul moyen d’obtenir un taux élevé de satisfaction.

La presbytie représente une question ô combien complexe et évolutive dans les solutions à apporter, et le lecteur comprendra quelle était la dimension du défi qui nous fut posé dans la rédaction de cet ouvrage. Il nous fallait en effet passer en revue la physiopathologie de l’accommodation, établir un état de l’art des corrections disponibles dans le respect des règles de l’analyse scientifique des résultats qui sont rapportés dans la littérature et en tenant compte du fait que, jusqu’à l’heure de la parution de ce travail, sans cesse, de nouvelles techniques voyaient le jour. Sans nul doute, cette thématique en plein essor trouvera tout son intérêt dans un livre à support numérique, offrant l’avantage de l’interactivité, de l’ajout possible de vidéos ainsi que de dessins dynamiques, permettant enfin une mise à jour régulière de l’ouvrage.

Nous espérons que le contrat a été rempli, que la chirurgie réfractive sera, pour tous ceux qui la considéraient avec méfiance, démystifiée et regardée avec sérieux et intérêt. La presbytie nous concerne tous. Elle fait l’objet d’une nouvelle demande de la part de nos patients et doit conduire tous les ophtalmologistes à élever la barre de leur ambition chirurgicale, en accord avec l’éthique, et en accord avec les avancées du savoir-faire chirurgical et de la technologie.

Je n’oublie certes pas de rendre hommage à tous les experts et amis qui, sans compter, ont investi énergie et compétences dans cet ouvrage, qui sans eux n’aurait pu voir le jour. Je leur exprime toute ma reconnaissance et les remercie du fond du cœur pour leur magnifique soutien.

Puissiez-vous prendre autant de plaisir à traverser ce livre que nous en avons pris à le rédiger pour vous !

Béatrice Cochener