Chapitre 13Lenticuloplastie au laser femtoseconde pour restaurer l’accommodation

D. Smadja, D. Touboul, J. Colin

Si de nombreux traitements ont été proposés pour corriger la perte d’accommodation qu’est la presbytie (implants intraoculaires multifocaux ou accommodatifs, monovision, chirurgies cornéennes visant à créer une pseudo-accommodation), il est à souligner que tous tentent d’offrir une aide « additive » pour pallier la perte d’accommodation. Cependant, jusqu’à maintenant, aucun de ces traitements ne vise à rendre réversible le phénomène de perte d’accommodation et à restaurer la réponse accommodative en agissant directement sur l’acteur principal responsable de ce phénomène, le cristallin. Persiste toujours le dogme de ne pas traiter directement le cristallin « sain » au risque d’induire la genèse prématurée d’une cataracte. Ce même dogme s’étant appliqué en son temps sur les traitements visant le centre de la cornée a été surmonté par l’avènement des chirurgies réfractives au laser à excimères, aujourd’hui très sûres et très populaires. Dans le même temps, les avancées technologiques considérables et l’émergence du laser femtoseconde et de ses applications en ophtalmologie ont permis d’ouvrir les perspectives d’un traitement de la presbytie assisté au laser directement applicable sur le cristallin. Ce traitement repose sur la possibilité de moduler l’élasticité de la lentille cristallinienne par la réalisation de découpes intralenticulaires au laser femtoseconde et, ainsi, de lui rendre sa capacité à se déformer.

Principe de restauration de l’accommodation

L’accommodation est un mécanisme complexe et la compréhension de ce phénomène reste la première étape vers le développement d’une technique efficace visant à la restaurer (cf. chapitre 1). L’élaboration des traitements actuels est fondée sur la théorie de Helmholtz [13], qui est à ce jour la théorie la plus largement admise. Celle-ci a récemment été confirmée grâce aux résultats d’études obtenus sur des primates [4]. Cette théorie stipule que l’augmentation progressive de la sclérose du noyau et du cortex cristallinien avec l’âge et l’augmentation de l’épaisseur du cristallin sont à l’origine de la perte d’élasticité, principal facteur responsable de la diminution du pouvoir accommodatif. En outre, selon Helmholtz, l’accommodation résulterait d’un changement de conformation du cristallin sous l’effet de la contraction des muscles ciliaires, entraînant un relâchement de la tension zonulaire et provoquant ainsi un accroissement de la courbure antérieure du cristallin, responsable d’une augmentation de sa puissance réfractive.

À la lumière de ce mécanisme, il apparaît clairement que tout traitement prétendant restaurer l’accommodation doit se concentrer sur son principal acteur, le cristallin. En délivrant des impulsions laser infrarouge ultracourtes focalisées en un point précis, sans interaction avec le tissu aux alentours ni échauffement de la matière, le laser femtoseconde, agissant comme un scalpel photonique, apparaît être l’outil idéal pour les découpes de grande précision. De plus, les infrarouges n’étant pas absorbés par la cornée, les impacts laser peuvent se focaliser plus profondément dans l’œil et atteindre le cristallin sans endommager les structures plus superficielles. Ces impulsions ultracourtes permettent de délivrer sur la matière des puissances telles qu’elle se sublime. Ce phénomène, dénommé photodisruption, permet donc de réaliser des découpes au sein même du cristallin, tout en préservant le caractère non invasif de la procédure. Le principe de la restauration de l’accommodation par photodisruption cristallinienne repose sur la réalisation de découpes intralenticulaires par le biais à la fois d’une induction de plasma, qui permet l’ablation du tissu, et de l’expansion des bulles de cavitation qui permet son clivage. Ces découpes visent à créer des plans de glissement au sein du cristallin, permettant ainsi d’augmenter sa capacité à se déformer, et donc à augmenter son amplitude d’accommodation. Ce concept de photophacomodulation par femtosecond-lentotomy représente à l’heure actuelle la nouvelle stratégie de traitement intralenticulaire visant à redonner de l’élasticité aux cristallins vieillissants [12].

Évolution du concept jusqu’à nos jours
PREMIÈRES ÉTUDES SUR LA PHOTODISRUPTION CRISTALLINIENNE

En 1994, Vogel et al. ont comparé les effets d’un laser picoseconde avec un laser nanoseconde (Nd:YAG) sur le cristallin [15]. Il a alors observé que la diminution de la durée du pulse laser permettait de diminuer la quantité d’énergie nécessaire pour atteindre l’effet photodisruptif et, par conséquent, de réduire les dommages collatéraux induits à la fois par l’échauffement du tissu entourant l’impact et la formation de bulles de cavitation dont la taille est étroitement liée à l’énergie délivrée.

En 2001, Krueger et al., en utilisant un laser picoseconde sur des cristallins humains âgés, ont démontré la possibilité d’augmenter l’élasticité ex vivo après un traitement laser [5]. Dans cette étude, les cristallins ont été soumis au test de rotation de Fisher pour en étudier les propriétés élastiques. La première observation fut qu’il y avait une diminution de l’élasticité dans les cristallins les plus âgés. Dans un second temps, certains de ces cristallins furent traités au laser Nd:YAG puis leur élasticité fut testée à nouveau par la méthode rotationnelle puis comparée à celle de cristallins de même âge non traités. Les impacts laser étaient délivrés sous forme d’un anneau central de 2 mm à 3 mm au sein du noyau cristallinien. Les cristallins traités au laser retrouvaient une élasticité supérieure à celle des cristallins non traités, de façon statistiquement significative, suggérant que la photodisruption cristallinienne était bien capable d’augmenter la déformabilité du cristallin presbyte. Cependant, les auteurs notaient au cours de cette étude des effets indésirables importants, tels que la persistance de larges bulles de cavitation après impacts, entraînant une augmentation de volume du cristallin et une importante diffusion de la lumière, ces effets pouvant par ailleurs biaiser les mesures. Ils suggéraient donc que l’utilisation d’un laser à impulsions ultracourtes, tel qu’un laser femtoseconde, pourrait permettre de réduire considérablement ces effets indésirables tout en rendant la procédure plus sûre et plus efficace.

INTRODUCTION DU LASER FEMTOSECONDE POUR LA PHOTODISRUPTION DU CRISTALLIN

L’adaptation réussie du laser femtoseconde dans la chirurgie réfractive cornéenne actuelle a été précédée par de nombreuses années d’investigations portant sur les mécanismes de ce laser, ses paramètres de traitements, ses effets tissulaires, la cicatrisation tissulaire post-laser et les effets bénéfiques de l’utilisation d’impulsions ultracourtes sur le tissu oculaire en tant qu’outil de découpe chirurgicale. La technologie femtoseconde, reposant sur la création d’un effet photodisruptif pour réaliser des découpes intratissulaire ultraprécises, a été affinée dans son application sur la cornée, la rendant aujourd’hui plus facile à utiliser dans sa nouvelle application sur le cristallin. Les impulsions ultracourtes et de faible énergie, la puissance colossale délivrée sur la matière à chaque impact et l’absence de dommages collatéraux rendent la photodisruption au laser femtoseconde préférable aux autres sources d’énergie telles que le laser nanoseconde ou picoseconde.

Sa première utilisation sur le cristallin a été réalisée par Krueger en 2005 au cours d’une étude expérimentale in vivo sur six yeux de lapins dont les yeux controlatéraux étaient utilisés comme groupe contrôle [6]. Des milliers d’impulsions ultracourtes d’environ 150 fs et de faible énergie (1 µJ par pulse) étaient distribuées de façon concentrique dans les zones périnucléaires et corticales pour remodeler la périphérie du cristallin. Les résultats observés confirment l’idée que l’utilisation du laser femtoseconde pour la photodisruption cristallinienne n’entraînerait pas de dommages tissulaires collatéraux ni de cataracte à moyen terme. En effet, sur le plan architectural, les auteurs ne retrouvaient aucune désorganisation des fibres cristalliniennes au voisinage des impacts mais uniquement une fine couche dense électroniquement sur les bords de la découpe. Par ailleurs, après trois mois de suivi, aucune cataracte n’avait été observée ainsi qu’aucune différence en termes de diffusion lumineuse entre cristallins traités et non traités. Ces résultats ont été confirmés en 2007 par Gerten et al. au cours d’une étude menée in vivo sur des yeux de porcs [3].

ÉLABORATION DU CONCEPT ET INTRODUCTION DES MODÈLES DE DÉCOUPE

Le cristallin est une structure très complexe et qui évolue continuellement tout au long de la vie. Sa forme, son épaisseur, sa capacité à se déformer ainsi que ses propriétés optiques se modifient avec l’âge. Par conséquent, un model fiable basé sur sa physiologie est nécessaire pour évaluer l’impact d’incisions spécifiquement localisées, visant à créer des plans de glissement dans le cristallin pour augmenter sa capacité de déformation. Ainsi, ces modèles de découpes pourraient permettre d’optimiser le glissement des fibres cristalliniennes et donc d’augmenter le pouvoir d’accommodation.

En 2006, Kuszak et al., à partir d’analyses qualitatives et quantitatives de la structure du cristallin, a établi un modèle théorique informatisé reposant sur la méthode des éléments finis [8] (fig. 13-1). Il s’agit d’une méthode de simulation utilisant les données d’expérimentations antérieures pour pouvoir calculer le comportement d’objets déformables. Ce modèle est fondé sur la microanatomie et la physiologie du développement du cristallin, considérant ses continuelles modifications au cours de la vie, l’organisation complexe du réseau de ses fibres cristalliniennes ainsi que la localisation et le développement des sutures, considérées comme lignes de « faille » au sein du cristallin. Ce modèle apporte une base pour le développement de nouveaux motifs (patterns) de découpes et d’algorithmes de traitements optimisés.

Au cours d’expériences non encore publiées, plusieurs motifs de découpe ont été simulés sur ce modèle, y compris des découpes touchant le centre du cristallin. Il semblerait que les meilleurs profils de découpe soient les profils en anneaux concentriques, les incisions le long des sutures du cristallin et le profil dit « waffle pattern » (en « gaufre ») dans lequel le traitement est directement délivré au cœur du noyau et des sutures. Cependant, de façon à éviter l’induction de dysphotopsies après traitement, les découpes épargnant le centre du cristallin ont été favorisées. La géométrie optimale du model de découpe permettant d’augmenter l’élasticité du cristallin reste difficile à évaluer en pratique du fait des différences de comportement du cristallin au cours de l’accommodation. Cependant, l’idée de réaliser des incisions visant à créer des plans de glissement dans la direction des principales forces s’exerçant au cours de l’accommodation reste une idée très prometteuse et actuellement soumise à de nombreuses investigations.

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Fig. 13-1 Modèle de cristallin fondé sur la méthode des éléments finis montrant le chevauchement des fibres cristalliniennes et leur glissement au niveau des sutures.

(In : Kuszak J.R. et al. (2006) [8].)

Analyse des résultats
MÉTHODES D’ÉVALUATION DES PROPRIÉTÉS ÉLASTIQUES DU CRISTALLIN

Évaluer objectivement le réel effet de la modulation du cristallin par le laser femtoseconde pour restaurer l’accommodation est primordial. De nombreuses méthodes d’évaluation des propriétés élastiques du cristallin ont été proposées au cours de différentes études sur l’effet du traitement au laser des cristallins presbytes.

La méthode rotationnelle de Fisher est la plus communément utilisée. Introduite en 1971, cette méthode consiste à soumettre les cristallins à une force centrifuge par le biais d’un cylindre rotatif, simulant ainsi l’effet de la traction zonulaire [2]. Les variations d’épaisseurs du cristallin sont alors mesurées en fonction de la vitesse de rotation du cylindre à laquelle ils sont soumis et définissent la déformabilité du tissu.

La méthode d’étirement radial mécanique a été initialement utilisée par Pierscionek dans les années quatre-vingt-dix pour étudier les propriétés élastiques du cristallin [10]. Une bande sclérale contenant le muscle et le corps ciliaire, les fibres zonulaires et le cristallin, est attachée à un appareil et soumis à un étirement graduel. La courbure du cristallin et la focalisation des rayons lumineux sont ensuite mesurées en fonction du degré d’étirement. La moins bonne déformabilité des cristallins avec l’âge entraîne une diminution de la focalisation des rayons lumineux.

D’autres méthodes, telles que la méthode compressive, ont été proposées dans certaines études. Le cristallin est ainsi soumis à une compression mécanique graduelle, au cours de laquelle la résistance opposée par le cristallin est mesurée.

Cependant, toutes ces méthodes d’investigation sont invasives et utilisables uniquement à des fins expérimentales. Devant l’importance de devoir valider in vivo les modifications biophysiques du cristallin induites par le traitement laser, un outil de mesure non invasif et applicable en pratique clinique est nécessaire. Actuellement, l’équipe de l’Institut Langevin, en collaboration avec le CRNK (centre de référence national du kératocône) de Bordeaux, tente de mettre au point une technologie fondée sur l’élastographie transitoire permettant de mesurer par des ultrasons la dureté des tissus [14].

PARAMÉTRAGE OPTIMAL DU LASER ET QUALITÉ DE DÉCOUPE

Les impulsions ultracourtes délivrées par le laser femtoseconde génèrent la formation de microbulles de cavitation qui, en s’étendant, créent un clivage du tissu. L’extrême précision des impacts laser à l’intérieur du cristallin permet de créer des modèles de découpes dans une, deux ou trois dimensions. Il est maintenant bien connu que pour améliorer la qualité de la découpe, les paramètres du laser doivent être optimisés. Ceci implique le plus souvent une durée de pulse ultracourte, une énergie faible et une distance entre les impacts adéquate de façon à éviter toute interférence entre chaque pulse, liée à la formation des bulles de cavitation.

De récentes études sur des cristallins ex vivo ont été conduites de façon à déterminer les paramètres de réglage optimums (énergie, espaces entre les impacts, localisation des impacts) pour obtenir une photodisruption intralenticulaire [1, 3, 11]. Cependant, les résultats divergent entre les différentes études. Les raisons de ces divergences résident dans trois points principaux :

  • – tout d’abord, les lasers utilisés par les différents auteurs sont différents : ceux délivrant des pulses plus courts utilisent moins d’énergie, ce qui conduit à la formation de bulles de cavitation de plus petites tailles et requiert des impacts plus rapprochés ;

  • – par ailleurs, il existe une variation entre les différents modèles de cristallins utilisés dans les études : les cristallins de porcs, de lapins ou encore humains post mortem sont différents en taille, en épaisseur et en âge, et présentent des propriétés biomécaniques différentes, nécessitant différents paramétrages pour obtenir le même effet ;

  • – enfin, il existe aussi une variation intralenticulaire : l’effet du laser varie au sein même du cristallin en fonction de sa transparence, de sa densité et de la position des impacts ; le noyau et le cortex présentent généralement une différence de densité dans les cristallins presbytes, nécessitant là aussi une modification du paramétrage pour obtenir le même effet, de même que la distribution des impacts dans le centre et la périphérie du cristallin nécessite une modification du plan de focalisation des impacts pour se maintenir dans un plan parallèle au plan capsulaire, suivant ainsi la courbure du cristallin.

ANALYSE BIOMÉCANIQUE : DÉFORMABILITÉ DU CRISTALLIN

En 2008, Ripken et al. ont testé différents modèles de découpe au sein de cristallins de porcs ex vivo [11]. Ils ont observé alors que le nombre et la position des plans de glissement au sein du cristallin avaient un impact variable sur la modification des propriétés élastiques. Les auteurs concluent, d’une part, que le modèle de découpe sagittale offre une meilleure qualité de découpe en un temps de réalisation plus court et, d’autre part, qu’il existe une corrélation directe entre le nombre de découpes sagittales et le gain d’élasticité après traitement. Par ailleurs, les auteurs soulignent également l’importance jouée par la direction des plans de glissement créés par le laser. Un gain significatif de l’amplitude de la déformation a été observé après la création de plans de découpe sagittaux légèrement angulés, de façon à obtenir une découpe de forme conique s’étendant postérieurement de telle façon que les découpes suivent la direction des forces émergentes au cours du processus d’accommodation (fig. 13-2). Enfin, ces mêmes auteurs suggèrent que pour pouvoir obtenir une déformation parfaitement homogène, les incisions doivent s’étendre à la zone centrale du cristallin, le noyau représentant la partie la plus sclérosée et rigide. Bien entendu, du fait du risque potentiellement néfaste pour la vision, cette zone reste pour le moment épargnée dans la majorité des études.

Bien que très utile, ces résultats ont été obtenus in vitro et, de ce fait, ne reflètent pas avec exactitude la réponse du cristallin presbyte humain in vivo aux impacts de laser femtoseconde lorsqu’ils sont distribués selon un modèle identique aux modèles expérimentaux. Le motif de découpe idéal reste à ce jour l’objet de très nombreuses investigations ; son développement requiert une évaluation clinique de l’efficacité des différents motifs de découpes sur des yeux humains vivants.

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Fig. 13-2 Schématisation de plans de découpes sagittales et des forces émergentes s’exerçant sur le cristallin au cours du processus d’accommodation.

ANALYSE MORPHOLOGIQUE ET HISTOLOGIQUE

De nombreuses études ont analysé les modifications morphologiques engendrées par la photodisruption cristallinienne en utilisant différents procédés d’imagerie : microscopie confocale, microscope électronique à transmission, analyses histologiques [1, 9]. Les impacts laser sont observables sous formes de petites lacunes au contenu hétérogène et entourés par un fin liseré dense aux électrons (fig. 13-3). Deux caractéristiques observées au niveau histologique font du laser femtoseconde un outil de découpe intralenticulaire sûr. Environ 50 % de l’énergie du laser délivrée n’est pas utilisée pour la photodisruption et sera absorbée par la rétine. En 2010, Lubatschowski et al. ont étudié sur des coupes histologiques de rétine l’effet potentiellement rétinotoxique de la photodisruption cristallinienne chez le lapin [9]. Aucune réaction inflammatoire ni aucune différence avec l’œil non traité n’ont été notées. Par ailleurs, Chatoux et al., en étudiant en microscopie électronique à transmission des coupes de cristallin traité au laser femtoseconde, n’ont observé aucune altération de l’architecture des fibres cristallinienne au voisinage des impacts [1] (fig. 13-3). Cependant, des bulles de cavitation ont été mises en évidence dans certaines zones, pouvant parfois déformer les fibres cristalliniennes sous l’effet de la pression exercée (fig. 13-4).

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Fig. 13-3 Impact laser en microscopie électronique à transmission.

a. Image montrant un impact laser au sein d’une cellule cristallinienne. b. Le contenu de l’impact est hétérogène, entouré d’un fin liseré dense aux électrons. On note la préservation de l’architecture des fibres cristalliniennes aux alentours.

(In : Chatoux O. et al. (2010) [1].)

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Fig. 13-4 Effet de la pression exercée par les bulles de cavitation trop volumineuses.

a. Déformation des lignes d’impact. b. Compaction d’une cellule cristallinienne.

(In : Chatoux O. et al. (2010) [1].)

PREMIERS RÉSULTATS CLINIQUES

Après les premiers essais cliniques, réalisés à Mexico City avec le Dr Ramon Naranjo Tackman au début de l’année 2008, la première série de patients opérés soumise à un protocole de recherche clinique s’est déroulée aux Philippines avec le Dr Harvey Uy et la participation du Dr Ronald Krueger. Ces deux dernières années, environ soixante patients ont été traités de façon unilatérale, avec un suivi postopératoire minimum d’un mois. Après ce délai, le choix était offert aux patients soit de subir une chirurgie du cristallin clair à visée réfractive soit, pour les patients souhaitant repousser cette chirurgie, de rallonger la durée du suivi postopératoire à trente-six mois avant de reconsidérer cette chirurgie. Les critères d’inclusion de cette étude étaient les suivants : sujets entre quarante-cinq et soixante ans, porteurs de cristallins presbytes pré-cataractés (inférieurs au grade 2 de la classification LOCS III), avec une meilleure acuité visuelle corrigée préopératoire supérieure ou égale à 20/40 et acceptant de subir une chirurgie de la cataracte dans un second temps. Une mesure objective de l’accommodation par autoréfracteur (Grand Seiko) et subjective par la méthode du « push-down », ainsi qu’une mesure de la meilleure acuité visuelle corrigée de loin (MAVCL) et la meilleure acuité visuelle de près lorsque le patient est corrigé pour le loin (MAVP) ont été analysées en postopératoire pour évaluer le pouvoir accommodatif du patient. Deux modèles de découpes épargnant le centre du cristallin ont été utilisés dans cette étude, le modèle « waffle » (en forme de gaufre) et le modèle « washer » (en référence à l’effet de la machine à laver) (fig. 13-5).

À un mois postopératoire, 16,7 % (n = 10) des patients présentaient une amélioration objective de l’accommodation, avec une augmentation moyenne [DS ; min-max] de 0,76 D [0,42 ; 0,25-1,50], tandis que 55,6 % (n = 35) présentaient une amélioration de l’accommodation subjective par la méthode du « push-down » avec une augmentation moyenne de 0,72 D [0,68 ; 0,02-2,33]. Sur le plan de l’acuité visuelle, 40,8 % (n = 29) des patients présentaient une amélioration de leur MAVP à un mois avec une augmentation moyenne du nombre de lettres logMAR de 7 [6 ; 1-31].

Concernant les potentiels effets secondaires du traitement, aucune complication intraopératoire n’a été rapportée ainsi qu’aucune cataracte induite par le traitement. Cependant, certains patients pour lesquels les bulles de gaz intralenticulaires induites par la photodisruption cristallinienne étaient visibles au niveau de l’axe visuel immédiatement après le traitement, ont rapporté une dégradation de la vision, avec halos et éblouissements. Ces symptômes disparaissaient en quelques jours après que les bulles de gaz se furent dissipées, laissant parfois quelques micro-opacités restant visibles à la périphérie du cristallin [7].

Les premières analyses comparatives entre les différents modèles de découpe semblent indiquer que les découpes utilisant moins d’impulsions laser ainsi qu’une énergie plus faible pourraient avoir un effet plus important sur la restauration de l’accommodation. Des analyses complémentaires s’avèrent cependant nécessaires pour pouvoir développer le modèle de découpe le plus efficace et ainsi continuer d’améliorer les résultats.

Bien que la restauration de l’accommodation n’ait pas encore été atteinte de manière fiable et reproductible par le laser femtoseconde, l’absence de formation de cataracte ainsi que de dégradation significative de la qualité visuelle, sont très encourageants et justifient de nouvelles investigations, en particulier visant à optimiser les modèles de découpe pour les rendre plus efficaces, ainsi qu’une évaluation objective de la qualité visuelle postopératoire (sensibilité au contraste, diffusion optique).

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Fig. 13-5 Profils de découpe utilisés aux Philippines sur la première série d’yeux humains vivants.

a. Modèle « waffle ». b. Modèle « washer ».

(Clichés de R.R. Krueger.)

EFFET CATARACTOGÈNE

Une des principales préoccupations liées à la réalisation d’impacts laser sur le cristallin concerne le risque de voir se développer une cataracte. À ce jour, plusieurs études ont démontré la sûreté du traitement du cristallin par photodisruption au laser femtoseconde. En 2005, Krueger et al. ont évalué le potentiel cataractogène du traitement sur des yeux de lapins [6]. Après trois mois, aucune cataracte liée au traitement n’a été observée et aucune différence en termes de diffusion de la lumière n’a été mise en évidence comparée à l’œil controlatéral non traité. Ces résultats ont été confirmés plus récemment, toujours sur des yeux de lapins, après six mois de suivi [9].

Enfin, dans une étude non encore publiée, différents profils de découpe ont été testés chez des primates et aucune cataracte n’a été observée après trois ans de suivi.

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Bibliographie

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