Il n'y a pas que le bruit qui rend sourd. Depuis une vingtaine d'années, des recherches expérimentales ont fait émerger le concept d'agent ototoxique : substance chimique capable de provoquer une surdité ou de potentialiser les effets du bruit lorsqu'elle lui est associée. En conséquence, un bruit inoffensif pourrait même devenir nocif lorsque son exposition cohabite avec celle d'une substance ototoxique. Dans un tel contexte, la notion de multiexposition prend toute sa dimension. Les substances ototoxiques peuvent être exogènes au milieu professionnel, c'est le cas des aminosides ou des antitumoraux par exemple, ou présentes dans l'atmosphère dans laquelle le salarié évolue, c'est le cas de certains solvants aromatiques et gaz asphyxiants. Bien qu'une oreille contaminée par un agent ototoxique soit plus vulnérable à une agression sonore qu'une oreille exposée uniquement au bruit, les fondements de la réglementation sur la protection de l'audition des salariés reposent sur des considérations relatives à des sujets sains, jeunes, ne présentant aucune fragilité particulière de l'oreille interne, et exposés uniquement à du bruit. La question de la pertinence des limites d'exposition au bruit, ou des valeurs limites moyennes d'exposition à des agents ototoxiques, lorsque des personnes sont exposées à plusieurs nuisances, reste donc posée. Par ailleurs, le diagnostic des surdités professionnelles se fait par audiométrie, technique permettant de tester la perception et l'intégration du message sonore au niveau central. De ce fait, cette technique pourrait ne pas déceler un traumatisme de la cochlée compensé par un mécanisme central. Aujourd'hui, il existe des outils capables d'apprécier le fonctionnement physiologique de la cochlée, en s'affranchissant d'un éventuel rétrocontrôle central. Les otoémissions provoquées reposent essentiellement sur des mesures cochléaires objectives ; elles pourraient compléter l'audiométrie et mettre en évidence des souffrances cochléaires précoces, améliorant ainsi la prévention de l'audition des salariés.