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CHAPITRE 8
Le futur de l'OCT

J.-F. KOROBELNIK,

S. MAGAZZENI

Introduction
En un peu plus de 25 ans de présence sur le marché, l'OCT a fondamentalement changé la pratique de l'ophtalmologie, en permettant d'obtenir une image en coupe et en volume de diverses parties de l'œil accompagnée bien souvent de données quantitatives. Force est de constater que cette technologie a considérablement évolué au cours de ces années, passant de l'observation de la présence de différentes couches rétiniennes avec le time domain optical coherence tomography (TD-OCT; fig. 8-1
Fig. 8-1
TD-OCT de première génération : pseudo-trou maculaire.
et 8–2
Fig. 8-2
TD-OCT de seconde génération (Stratus®, Carl Zeiss Meditec) : décollement séreux rétinien et drusen.
) à la visualisation précise et détaillée de ces mêmes couches ( fig. 8-3
Fig. 8-3
SD-OCT (Cirrus HD-OCT® 4000, Carl Zeiss Meditec) : DMLA exsudative avec décollement séreux rétinien et logettes intrarétiniennes.
et 8–4
Fig. 8-4
SS-OCT (PLEX Elite 9000®, Carl Zeiss Meditec) : profil normal.
), de la microvascularisation rétinienne en OCT-angiographie (OCT-A), donnant accès une cartographie en face grand champ des différentes couches capillaires de la rétine, et de la choroïde avec la technologie swept source optical coherence tomography (SS-OCT; fig. 8-5
Fig. 8-5
SS-OCT-A en face (PLEX Elite 9000®, Carl Zeiss Meditec) : rétinopathie diabétique proliférante.
). Ces images fascinantes sont rendues possibles par l'évolution des technologies optiques bien sûr, par les algorithmes de traitement inhérents et également par les puissances de calcul des composants informatiques nouvellement disponibles, souvent poussés par les besoins accrus en qualité, rapidité et réalisme des jeux vidéo. Il ne faut pas oublier non plus le développement de l'intelligence artificielle qui supporte l'amélioration de la qualité des images, leur interprétation et tend à avoir un apport diagnostique [ 1 , 2 ] ou pronostique [ 3 ] sur certaines pathologies comme la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) ou l'œdème maculaire diabétique.
À ce stade de l'état de l'art de l'OCT, il est légitime de se poser la question de son futur : quels OCT demain, dans quels contextes, pour quels patients et quelles pathologies ?
Perspectives socio-économiques et démographiques
Il est indispensable de corréler le futur de l'OCT à des données plus larges que la stricte évolution technologique. En effet, toute technologie développée par les industriels n'a de valeur que si elle fournit aux soignants une valeur ajoutée et un gain en efficacité dans le diagnostic et la prise en charge des pathologies oculaires de leurs patients dans un environnement démographique et de soins donnés.
D’un point de vue démographique, le vieillissement de la population, l'allongement de la durée de vie et les problèmes de santé mondiaux ont pour conséquence une nette augmentation du nombre de patients atteints de pathologies rétiniennes chroniques à dépister et à traiter. La myopie forte touche plus de 80 % de la population dans certains pays d'Asie (Taïwan, Singapour) et 10 à 15 % de ces myopes sont des myopes forts exposés à de nombreuses complications maculaires. La rétinopathie diabétique touche jusqu’à 25 % des patients diabétiques dont le nombre devrait croître à 622 millions dans le monde en 2040 pour 425 millions aujourd'hui. On recense plus de 25 millions de personnes atteintes de DMLA dans le monde avec une croissance annuelle moyenne de 500 000 nouveaux cas recensés. Il n'existe pas encore aujourd'hui de traitement pour la DMLA atrophique, mais certains essais cliniques sont désormais en phase 3 et, s'ils aboutissent, ils ajouteront un nombre considérable de patients à identifier et suivre, en plus de ceux atteints de DMLA exsudative. Inversement, dans un grand nombre de pays, le nombre d'ophtalmologistes stagne ou décroît. Il faudra donc suivre de plus en plus de patients avec moins d'ophtalmologistes.
Au niveau économique, le système de santé tend à limiter les remboursements des examens et se pose également la question du coût des machines, de leur amortissement et de leur rapide obsolescence qui peut limiter les investissements.
La technologie OCT devrait donc se développer pour permettre d'absorber plus de patients au stade du dépistage et plus de patients suivis pour des pathologies chroniques, le tout à des coûts d'utilisation optimisés.
Développement des technologies OCT
On peut ainsi envisager deux axes principaux de développement de l'OCT : une technologie plus pointue pour augmenter les champs des possibles et une technologie simplifiée mais performante pour répondre aux besoins de dépistage en télémédecine et de suivi hors du parcours de soins conventionnel qu'on connaît aujourd'hui, une sorte d'OCT « hors les murs ».
UN OCT PLUS PUISSANT
Le SS-OCT est encore à son stade primaire, la vitesse de balayage commercialement disponible de 100 000 A-scans/seconde est en passe d'être obsolète et certaines compagnies de matériel annoncent la sortie d'OCT à 200 000 A-scans/seconde au moment où ce rapport est sous presse. Cette vitesse accrue, couplée à une nouvelle technologie d'échantillonnage, permettra de capturer dans un temps identique des champs plus larges avec plus de densité ( fig. 8-6
Fig. 8-6
SS-OCT-A 100 kHz (a) et prototype 200 kHz (b) (PLEX Elite 9000®, Carl Zeiss Meditec) : aspect normal.
) pour voir plus de détails et avec une augmentation de la hauteur (profondeur de champ) doublée à 6 mm, ce qui facilitera la capture d'image sur les fortes myopies dont la courbure du globe limite la taille du champ examiné ( fig. 8-7
Fig. 8-7
SS-OCT 100 kHz (a) et prototype 200 kHz (b) (PLEX Elite 9000®, Carl Zeiss Meditec) : myopie forte avec choroïdose et décollement du pôle postérieur sur la rétinophotographie grand champ (c).
). Dans un même temps, le développement conjoint de l'intelligence artificielle laisse penser que ces images verront aussi leur qualité améliorée par des algorithmes d'apprentissage profond ( deep-learning ) et donneront accès à l'ophtalmologiste à des informations d'une qualité inégalée assortie d'outils d'aide au diagnostic voire à la prédiction de l'évolution possible de la pathologie pour un soin optimisé et personnalisé.
Afin de gagner en temps et en efficacité, l'OCT de demain ne se pensera vraisemblablement plus en termes de pôles à imager, antérieur ou postérieur, car il a été récemment démontré la faisabilité de l'emploi de lentille électriquement ajustable combiné avec un SS-OCT pour imager conjointement la totalité de l'œil en y combinant des mesures de biométrie [ 4 ]. De même, la combinaison de l'OCT à d'autres modalités d'imagerie, telles que l'imagerie fond d'œil (en couleurs et autofluorescence) grand champ ou ultra-grand champ, est à envisager pour un souci de confort du patient et d'efficacité du médecin ou de l'orthoptiste avec une seule machine pour tout faire afin de pouvoir gérer plus de patients.
Pour aller toujours plus loin et voir ce qui demeure invisible encore aujourd'hui, de nombreuses équipes de recherche, telles que UC Davis, s'intéressent à des vitesses de SS-OCT encore plus élevées, allant jusqu’à 1,7 MHz. À cette vitesse, on peut voir mieux la choroïde [ 5 ]. L'optique adaptative en OCT permettra d'imager les cônes et les bâtonnets [ 6 ] pour observer et potentiellement comprendre les mécanismes physiopathologiques de certaines affections.
UN OCT HORS DES MAINS DE L'OPHTALMOLOGISTE
Avec les facteurs démographiques et économiques précités, le second axe pressenti pour le futur de l'OCT est l'ouverture du champ d'utilisation, afin qu'il sorte du pur cadre d'utilisation par l'ophtalmologiste. La miniaturisation et la maîtrise des coûts vont rendre l'OCT encore plus abordable. On peut ainsi concevoir l'OCT comme un outil à disposition d'autres professionnels de santé, tels les médecins généralistes, les pharmaciens ou les soignants des centres de santé, pour un dépistage de masse, ou directement en possession du patient pour une autosurveillance à domicile (concept de home OCT ). Plusieurs paramètres sont à considérer dans un tel scénario : la technologie étant le facteur limitant, le coût des machines, leur prise en charge par les organismes de santé (sécurité sociale, assurances privées), l'ergonomie de ces OCT et l'ensemble de la chaîne de transmission des données sont autant d'aspects à considérer pour envisager cette voie de télémédecine dans le futur.
Technologiquement, une collaboration interdisciplinaire entre des compagnies high-tech, des universités suisses et le Moor-fields Eye Hospital de Londres a montré en 2018 la sécurité et la faisabilité d'un prototype d'OCT pour la surveillance à domicile de la DMLA en comparaison avec un OCT commercialement disponible [ 7 ]. Ce prototype, dans la comparaison, se limite à l'acquisition d'une seule ligne B-scan de 5 mm moyennée et permet aussi l'acquisition d'un volume de 3,8 × 3,8 mm de faible densité avec un A-scan tous les 25 μm. À l'avenir, il conviendra de définir pour ce type d'appareillage la taille et le nombre de scans minimaux pour être équivalent en termes de qualité de suivi aux OCT commercialement disponibles. Le coût de ces machines devra aussi être en adéquation avec l'utilisation de masse – probablement quelques milliers d'euros –, soit inférieur aux coûts actuels de l'ordre d'un facteur 10, ce qui représente un challenge industriel. Les modalités de prise en charge par les organismes de santé publics ou privés seront à définir, comme pour d'autres appareils de surveillance à domicile utilisés, par exemple, par les diabétiques.
Dans cette étude suisse [ 7 ], l'OCT a été manipulé par un opérateur. Mais pour sortir l'OCT des murs de l'ophtalmologie, le design et l'ergonomie devront permettre l'acquisition d'un examen de qualité par du personnel non familier avec ces technologies, ou même par le patient ou par un proche. L'OCT pour autosurveillance du patient s'adressera en majorité à une population âgée avec souvent une mobilité limitée et une méconnaissance possible des interfaces informatiques. Cet OCT devra être très compact, léger, et capable de prendre des scans de qualité suffisante, acquis de la manière la plus simple, automatisée et ergonomique possible. Cela constitue un autre défi industriel, et pas des moindres.
Enfin, une fois la mesure acquise, toute la chaîne de transmission des données est à construire. On parle ici de l'analyse d'une grande quantité de données (combien de patients seront connectés à un ophtalmologiste ?) afin que le patient qui a besoin d'une visite médicale complète puisse voir l'ophtalmologiste au plus vite. On peut lister la contribution indispensable des canaux de transmission très haut débit, de l'intelligence artificielle ou des centres de lecture pour l'identification des patients à risque, mais aussi du système de gestion des rendez-vous au niveau des ophtalmologistes. La télémédecine peut-elle se développer avec un médecin à la lecture des examens, alors que les médecins sont déjà débordés ? C’est peu probable. L'intelligence artificielle pourra peut-être ici trouver une place de choix pour différencier ce qui est normal et ce qui est anormal, pour différencier ce qui est stable (mais il faut alors pouvoir comparer à un examen de référence) de ce qui a changé. Bref, tout cela va induire une modification en profondeur de la manière de prendre en charge et de soigner les patients.
Impact des futurs traitements sur le futur de l'OCT
Il est inconcevable en 2019 de diagnostiquer et de traiter la cornée, la rétine, le glaucome sans une évaluation OCT. Tous les nouveaux médicaments, les nouvelles techniques chirurgicales s'appuient sur cette technologie, en complément de l'acuité visuelle et de la qualité de vie liée à la fonction visuelle. Mais les études cliniques prennent du temps (avec 2 ans de suivi sous traitement, il faut compter au minimum 3 ans entre la première visite du premier patient et la dernière visite du dernier patient). Que faire si la technologie utilisée au début de l'étude est obsolète 3 ans plus tard, dépassée par une nouvelle imagerie ?
Les problèmes qui se posent en rétine sont les suivants :
  • le parcours de soins va changer avec l'évolution des traitements anti-vascular endothelial growth factor (anti-VEGF). Une option sera de développer le régime treat & extend . Dans ce cas, une évaluation au cabinet du médecin sera nécessaire, avec un nombre de patients qui augmente. Une autre option sera le régime pro re nata (PRN) et l'on peut imaginer la possibilité (la nécessité ?) d'un suivi à domicile par un petit OCT portable, la consultation avec l'ophtalmologiste n'étant déclenchée que par l'apparition d'une anomalie en OCT;
  • les derniers développements thérapeutiques explorent un traitement continu par anti-VEGF intravitréens (sous forme de réservoir à remplir tous les 6 mois, ou sous la forme d'une fabrication intra-oculaire du médicament grâce à la thérapie génique) qui pourrait considérablement simplifier le suivi des patients.
Conclusion
Le futur de l'OCT peut donc s'orienter vers un temps d'acquisition plus court et/ou vers une qualité d'image améliorée. Cette amélioration permettra de voir plus, de voir mieux, et donc de comprendre et de diagnostiquer plus précisément une anomalie. Le futur peut aussi s'orienter vers une miniaturisation extrême et une simplification d'usage. Dans tous les cas, il faudra trouver un équilibre entre la technologie, le bénéfice pour le patient et le coût, dans un parcours de soins qui va forcément être chamboulé dans moins de 10 ans.
BIBLIOGRAPHIE
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5
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Wells-Gray EM, Choi SS, Zawadzki RJ, et al. Volumetric imaging of rod and cone photoreceptor structure with a combined adaptive optics-optical coherence tomography-scanning laser ophthalmoscope, J Biomed Opt 2018; 23 : 1 - 15.
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