Chapitre 21Aspects médico-légaux

X. Zanlonghi, J.-F. Rouland

Points clés

  • En expertise, les mesures d’acuité et de champ visuel doivent être pratiquées en examen monoculaire et surtout binoculaire.

  • L’expert argumente en s’appuyant sur les recommandations françaises et internationales disponibles dans le domaine du glaucome, et utilise le guide barème cité dans sa mission d’expertise.

Tout ophtalmologiste peut être amené à réaliser une expertise médicale ou à y participer comme sapiteur à la demande d’un autre médecin expert (ophtalmologiste ou non) qui a besoin de ses compétences dans le domaine du glaucome, ou pour réaliser des examens complémentaires de type imagerie (UBM, OCT, etc.), des examens électrophysiologiques (PEV, PERG, etc.), ou psychophysiques (champ visuel, sensibilité aux contrastes, etc.).

Des patients atteints de glaucome peuvent également demander une pièce médicale constitutive d’un dossier d’expertise, comme par exemple un champ visuel binoculaire.

La maladie glaucomateuse et sa prise en charge thérapeutique peuvent être source de litiges. Cette situation est très rare. Dans ses rapports annuels, par exemple pour l’année 2009 [8], le Sou Médical indique :

  • huit déclarations (sept dossiers) mettant en cause la conduite diagnostique de glaucome découvert à des stades avancés, dont trois glaucomes à pression normale ;

  • cinq déclarations contestant la prise en charge, la surveillance et le traitement du glaucome ;

  • une déclaration concernant un accident médicamenteux (acétazolamide) ;

  • quatre déclarations concernant une chirurgie combinée glaucome et cataracte, dont une pan-endophtalmie chez un monophtalme ;

  • une déclaration concernant une tonométrie à air : survenue d’une hémorragie intravitréenne sur déchirure rétinienne, diagnostiquée et prise en charge le jour suivant ;

  • une déclaration concernant un changement d’implant et une vitrectomie après rupture capsulaire et perte de l’acuité visuelle sur un glaucome à pression normale méconnu.

Un guide publié par la MACSF indique de façon claire les démarches que doit entreprendre un ophtalmologiste en cas de litige, qu’il exerce comme salarié ou en libéral (http://www.macsf.fr/vous-informer/responsabilite-professionnel-sante/la-responsabilite-medicale/vademecum-responsabilite-medicale.html).

Pour l’année 2010, 229 déclarations (toutes pathologies confondues) ont concerné les 4 410 ophtalmologistes sociétaires du Sou Médical-Groupe MACSF, soit une sinistralité de 5,6 % (contre 7 % en 2009), et se répartissent en :

  • 49 procédures civiles ;

  • 16 plaintes ordinales ;

  • 110 réclamations ;

  • 54 saisines d’une commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI).

La répartition entre la voie juridictionnelle du référé et la voie amiable des CRCI a connu une inversion de tendance remarquable, le rapport passant de 86 %/14 % en 2003 à 46 %/54 % en 2009 pour 14 disciplines cumulées [7].

Juridictions et institutions publiques et privées pouvant amener à une expertise

Les ophtalmologistes peuvent être confrontés à une expertise au titre de plusieurs juridictions.

 Ordre des médecins

Dans le domaine du glaucome, le conseil de l’ordre demande exceptionnellement des expertises, sauf pour valider à un médecin une exemption de garde de nuit en cas de glaucome évolué gênant la conduite. Les plaintes ordinales envers un ophtalmologiste sont exceptionnelles et concernent le plus souvent un manquement aux devoirs d’information et/ou de soins envers les malades.

 Juridiction pénale

La voie pénale est exceptionnellement choisie par un patient lors d’un litige. Elle est chargée de punir les infractions. Les fautes pénales peuvent être par exemple des délits de « blessures involontaires » ou d’« atteinte involontaire à l’intégrité physique ». Il existe une liste d’experts ophtalmologistes agréés par les tribunaux de grande instance (TGI). Après approbation par le tribunal, un ophtalmologiste expert peut demander à un autre ophtalmologiste son aide comme sapiteur sur une question précise.

 Juridiction civile

Elle est chargée de régler les litiges entre deux parties. En matière médicale, la responsabilité civile est sous le coup de l’article 1382 du Code civil : « Tout fait de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » On dénombre plusieurs juridictions civiles.

Tribunal de grande instance pour l’exercice libéral

Tout ophtalmologiste peut être nommé comme expert ou sapiteur par le président du tribunal et reçoit une mission d’expertise dite de droit commun (http://www.aredoc.com/sites/default/files/A-Mission-dexpertise-medicale-2006-mise-a-jour.pdf).

Le médecin peut également être mis en cause par une personne victime ou s’estimant victime d’un dommage, le plus souvent en même temps qu’une procédure en CRCI. Cependant, l’acceptation de l’indemnisation par la victime proposée par l’ONIAM (Office national d’indemnisation des accidents médicaux, http://www.oniam.fr) éteint la possibilité de recours au civil. Si le seuil de gravité n’est pas atteint (24 % d’incapacité permanente partielle ou IPP, incapacité totale de travail ou ITT ≤ 6 mois), la personne recherchera une responsabilité médicale devant les tribunaux civils. Si le seuil de 25 % est atteint, la procédure reste en CRCI.

Tribunal administratif pour l’exercice public

Il concerne les médecins ophtalmologistes salariés de l’hospitalisation publique, qui peuvent être nommés comme experts par le président du tribunal administratif. Ils peuvent également être nommés sapiteurs. Ils reçoivent une mission d’expertise propre au tribunal administratif (http://www.cncej.org/documents/uploads/145_TRIBUNAUX%20ADMINISTRATIFS.pdf).

Il est en outre possible qu’ils soient mis en cause par une personne victime ou s’estimant victime d’un dommage, le plus souvent en même temps qu’une procédure en CRCI. Toutefois, l’acceptation de l’indemnisation par la victime proposée par l’ONIAM éteint la possibilité de recours au tribunal administratif.

Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI loi du 4 Mars 2002)

Ce sont des structures administratives, sans aucun pouvoir judiciaire, dont le rôle est un travail préparatoire à une éventuelle indemnisation assurée par l’ONIAM. Un ophtalmologiste peut être nommé expert ou sapiteur par le président de la CRCI qui est un magistrat professionnel (art. L. 1142-12 du Code de la santé publique). Il reçoit une mission d’expertise, soit pour étudier un dossier sur pièce pour en apprécier la recevabilité, soit pour examiner la personne (http://www.sante.gouv.fr/la-mission-d-expertise-medicale.html).

Le médecin peut également être mis en cause par une personne victime ou s’estimant victime d’un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soin réalisée, et qui saisit la CRCI. Celle-ci examine la recevabilité du dossier soit à partir des pièces du dossier médical, soit à partir d’une expertise, mais l’appréciation des seuils de gravité nécessite toujours une expertise sur le fond. Quatre critères de gravité sont recherchés :

  • les séquelles imputables exclusivement au dommage, indépendamment de l’état antérieur, correspondent à une atteinte permanente de l’intégrité physique ou psychique supérieure à 24 % (IPP) par référence au barème fixé par le décret 2003-314 du 4 avril 2003. Toute la difficulté dans le glaucome est d’établir la part imputable d’IPP liée au fait générateur et non le taux d’IPP global. L’appréciation de l’état antérieur (champ visuel, imagerie du nerf optique, etc.) est très importante ;

  • la durée de l’arrêt des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à 50 % (ITT) d’au moins 6 mois consécutifs ou non consécutifs sur un an ;

  • une inaptitude définitive à l’exercice de l’activité professionnelle antérieure ;

  • des troubles particulièrement graves dans les conditions d’existence, y compris sur le plan économique.

Si la CRCI estime qu’il y a une faute médicale à l’origine du dommage, l’assurance du praticien devra en indemniser les conséquences, sauf contestation qui entraîne une procédure judiciaire.

Si la CRCI estime qu’il s’agit d’un aléa non fautif, l’indemnisation pourra, sous certaines conditions prévues par la loi, être prise en charge par l’ONIAM.

Si le dommage résulte de l’évolution de la maladie ou d’un échec thérapeutique sans réel accident médical, il n’y a pas d’indemnisation.

Assurance maladie

Il existe une liste de médecins ophtalmologistes experts « L. 141-1 » de la Sécurité sociale. L’ophtalmologiste missionné doit trancher un désaccord médical portant sur l’état de santé d’un patient. Le médecin traitant reçoit de la part du médecin conseil du service médical de l’Assurance maladie un dossier comportant :

  • le protocole d’expertise comportant le résumé du litige, l’avis du patient, du médecin traitant et du médecin conseil et les questions posées à l’expert ;

  • le courrier de contestation du patient ou le certificat de prolongation du médecin traitant ;

  • toutes pièces qu’il jugera utile (comptes rendus de consultation ou d’hospitalisation, résultats d’examens complémentaires, certificats et déclarations d’accident du travail ou de maladie professionnelle).

Après examen du patient et des pièces qui lui sont fournies par les parties, l’expert émet un avis médical qui sera transmis au service médical de la caisse. Seules ses conclusions (« oui/non », « avis favorable/défavorable ») seront transmises aux services administratifs de la caisse. Même non inscrit sur la liste des experts, l’ophtalmologiste peut recevoir une mission précise, qui portera le plus souvent sur :

  • le risque maladie : contestation d’un avis de fin de versement d’indemnités journalières (stabilisation), contestation de refus d’exonération du ticket modérateur (ALD 30, pathologie « hors liste », polypathologie invalidante) ;

  • le risque AT/MP (accidents du travail/maladies professionnelles) : contestation de consolidation ou guérison, contestation de refus de rechute, contestation de refus de lésion nouvelle (une lésion nouvelle est prise en charge au titre d’un AT/MP si elle est imputable à la lésion initiale), contestation de refus de soins post-consolidation.

Les mêmes missions d’expertise peuvent être diligentées à la demande du tribunal des affaires de la Sécurité sociale (TASS).

Maisons départementales des personnes handicapées

Un ophtalmologiste peut être nommé comme expert ou sapiteur par le médecin de la maison départementale des personnes handicapées. La mission d’expertise, en général très simple, demande si la pathologie est susceptible d’amélioration par un traitement, les valeurs d’acuité visuelle sans et avec correction optique de loin et de près, et une copie du champ visuel binoculaire selon la technique d’Esterman.

Tribunaux militaires régionaux ou nationaux

Les pensions militaires peuvent être à l’origine d’expertise. Le plus souvent, c’est une aggravation de l’état ophtalmologique qui va poser un problème d’imputabilité. Ces expertises sont demandées par le centre de réforme sur dossier, ou le tribunal départemental des pensions, voire la cour régionale d’appel. L’indemnisation est régie par le barème des pensions militaires d’invalidité [9] (http://www.fmig.fr/guide_bareme/16ophtalmo.html#op). Les ophtalmologistes militaires dépendant de la Caisse nationale militaire de Sécurité sociale (www.cnmss.fr) sont le plus souvent sollicités pour ce type d’expertise. Le patient réclame fréquemment à son ophtalmologiste traitant des « pièces » (champ visuel, OCT, etc.) qui serviront lors de l’expertise.

Assurance privée

L’ophtalmologiste traitant peut être directement contacté par une compagnie d’assurance pour évaluer des risques avant d’établir un contrat ou pour estimer la responsabilité de l’assuré lorsqu’un dommage survient. Pour le Conseil national de l’Ordre des médecins, la règle est claire : pas de partage d’informations médicales avec les compagnies d’assurances. En revanche, l’ophtalmologiste doit remettre les certificats médicaux nécessaires « en mains propres » au patient uniquement (art. 76 du Code de déontologie médical). Le patient communique ou non ces données personnelles.

L’ophtalmologiste traitant ne doit pas remplir de questionnaire médical en vue d’une adhésion à un contrat d’assurance décès. En effet, l’article 105 du Code de déontologie estime que « nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant du même malade ».

Il y a une exception : c’est la convention AREAS (Assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) de 2006 qui s’adresse aux personnes souhaitant accéder au crédit et aux assurances, mais présentant un risque de santé aggravé (cancer, sida, sclérose en plaques, glaucome grave, etc.). Le glaucome grave est connu du médecin de la compagnie d’assurance, car il a librement été déclaré par le patient.

En revanche, le service médical d’une compagnie d’assurance peut missionner tout ophtalmologiste en tant qu’expert, sauf s’il s’agit d’un de ses patients.

Guides barèmes

L’ophtalmologiste expert doit se prononcer sur l’imputabilité des dommages liés à l’accident, fixer la date de consolidation et déterminer l’étendue des dommages corporels. Afin d’apprécier le degré d’atteinte à l’intégrité physique et psychique, l’ophtalmologiste se réfère à un barème médical [10].

De nombreux guides barèmes permettent d’évaluer l’incapacité permanente partielle (Concours Médical 2001, Société de médecine légale et de criminologie de France et Association des médecins experts en dommage corporel en 2000, barème propre aux accidents médicaux, décret n° 2003-314 du 4 avril 2003). Les organismes sociaux eux-mêmes disposent de leurs propres guides barèmes (Sécurité sociale, pensions civiles et militaires, maisons départementales des personnes handicapées).

C’est pourquoi, en 2008, le rapport du Conseil national d’aide aux victimes préconise la mise en place d’un barème de référence unique [1].

En pratique, chaque juridiction utilise son propre guide barème, mais leurs finalités sont différentes [9]. L’évaluation du taux d’invalidité doit tenir compte stricto sensu du guide barème, mais des nuances peuvent être apportées par l’ophtalmologiste car tous les facteurs d’évaluation d’incapacité ne sont pas prévus (cécité nocturne, éblouissement, etc.).

Les guides barèmes servent à calculer le taux d’IPP. Ce dernier n’a pas le même sens selon les juridictions :

  • en droit commun, l’IPP représente le déficit physiologique. Le barème le plus utilisé en droit commun est celui du Concours Médical [6]. La perte totale de la fonction visuelle des deux yeux est arbitrairement évaluée à 85 %. La perte totale de la fonction visuelle d’un œil, l’autre étant normal, est estimée à 25 %. Ce guide barème recommande de réaliser un champ visuel binoculaire de Goldmann avec l’isoptère III/4 (fig. 21-1). En revanche, il ne donne pas d’indication pour l’atteinte du champ visuel monoculaire. Si les scotomes atteignent la vision paracentrale, on utilisera la grille d’Amsler en binoculaire et en lecture de près ;

  • pour les CRCI, c’est exactement le même guide barème que celui du droit commun ci-dessus (décret n° 2003-314 du 4 avril 2003) ;

  • en matière de Sécurité sociale, le médecin conseil fixe l’IPP (ou invalidité) en fonction de l’âge, de l’état général et des facultés physiques et mentales. S’il s’agit d’un accident de travail (possible sur un œil fragilisé, par exemple par un glaucome congénital), le médecin conseil tient également compte de la nature de l’infirmité, de l’aptitude et de la qualification professionnelle, et du guide barème indicatif d’invalidité [Annexe I : barème indicatif d’invalidité (accidents du travail) (application de l’article R. 434-35), Annexe I à l’art. R434-35 (1) version en vigueur au 20 mai 2013]. Le calcul de l’IPP permet d’obtenir un taux administratif d’après lequel sera fixée la pension d’invalidité. En maladie (cas le plus fréquent pour le glaucome), le médecin conseil doit tenir compte de la capacité restante, de la formation professionnelle ainsi que de l’usure prématurée de l’organisme (art. L. 341-3 et L. 341-1 du Code de la Sécurité sociale) ;

  • pour les MDPH, le guide barème sert à déterminer un taux d’incapacité selon la législation applicable en matière d’avantages sociaux aux personnes atteintes d’un handicap tel que défini à l’article L. 114-1 du Code de l’action sociale et des familles. « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant » [2]. L’ouverture de droits à divers avantages ou prestations est liée aux seuils de 50 et 80 %. Un taux de 50 % correspond à des troubles importants entraînant une gêne notable dans la vie sociale de la personne. L’entrave peut être soit concrètement repérée dans la vie de la personne, soit compensée afin que sa vie sociale soit préservée, mais au prix d’efforts importants ou de la mobilisation d’une compensation spécifique. Toutefois, l’autonomie est conservée pour les actes élémentaires de la vie quotidienne. Un taux d’au moins 80 % correspond à des troubles graves entraînant une entrave majeure dans la vie quotidienne de la personne, avec une atteinte de son autonomie individuelle. Cette autonomie individuelle est définie comme l’ensemble des activités de la vie quotidienne. Dès lors qu’elle doit être aidée totalement ou partiellement, ou surveillée dans ses accomplissements, ou ne les assure qu’avec les plus grandes difficultés, le taux de 80 % est atteint. C’est également le cas lorsqu’il y a déficience sévère avec abolition d’une fonction. Il n’est pas nécessaire que la situation médicale de la personne soit stabilisée pour déterminer un taux d’incapacité. La durée prévisible des conséquences doit cependant être au moins égale à un an pour déterminer le taux d’invalidité ;

  • le guide barème des invalidités applicables au Code des pensions militaires sert de base dans la fixation des taux d’évaluation des infirmités en milieu militaire ;

  • enfin, en assurance contractuelle, il existe le plus souvent un guide barème en annexe du contrat. En général, il est très succinct.

En ophtalmologie, tous les guides barèmes s’appuient essentiellement sur les mesures d’acuité visuelle (tableaux 21-1 et 21-2) et de champ visuel binoculaire (voir fig. 21-1).

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Fig. 21-1 Approche de l’indemnisation du champ visuel. Application de l’Esterman System à l’évaluation du déficit binoculaire. La ligne brisée représente la limite du champ visuel binoculaire normal pour l’isoptère III/4. Chaque point correspond à un scotome et à 1 % d’IPP. On procède par addition de points.

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Tableau 21.1 –  Récapitulatif de cinq guides barèmes : acuité de loin.

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Tableau 21.2 –  Récapitulatif de cinq guides barèmes : acuité de près.

Bilan fonctionnel dans le cadre d’une expertise
 Acuité visuelle

L’utilisation d’échelle d’acuité visuelle de loin et de près en progression logarithmique est recommandée par certains, à une distance de 4 ou 5 m pour la vision de loin et de 40 cm pour la vision de près. Les acuités doivent être mesurées en binoculaire et en monoculaire, sans correction, avec la correction portée et avec la meilleure correction optique le jour de l’expertise. Pour l’acuité visuelle de près, il faut en plus réaliser des mesures à une distance imposée de 40 cm et à la distance utilisée par le patient (noter cette distance).

La notation de l’acuité visuelle doit donc être en décimale (/10) en vision de loin et en Parinaud en vision de près. En cas de notation différente (cycles par degré, LogMar, score ETDRS, Snellen, etc.), l’ophtalmologiste devra fournir une table de correspondance. Il ne faut jamais écrire dans les expertises 1/20f car, si cette notation indique qu’il n’y a pas 1/20 réellement utilisable, les juridictions ne connaissent pas cette nuance et liront 1/20.

 Champ visuel [4]

L’examen sera pratiqué à l’aide de la coupole de Goldmann ou avec un périmètre automatique, en cinétique ou en statique. Il est important que la technique utilisée soit précisée.

Seuls les déficits apparents au test III/4 seront considérés comme entraînant un réel retentissement fonctionnel, et donc sources d’incapacité. Le champ visuel binoculaire doit être étudié. La superposition du tracé sur la figure 21-1 donne le taux d’incapacité.

En cas d’atteinte du champ visuel central, l’examen pourra être complété par un test d’Amsler ou équivalent, et l’invalidité sera appréciée comme elle est mentionnée fig. 21-1 pour les scotomes centraux et paracentraux.

Les autres altérations visuelles (contraste, éblouissement, cécité nocturne, perte de la vision colorée, perte de la vision stéréoscopique, diplopie) doivent également être évaluées mais, en pratique, elles donnent moins d’IPP.

Information du patient

C’est un élément essentiel du rapport ophtalmologiste-patient. Son contenu doit porter sur l’état de ce dernier. Depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, l’article 35 du Code de déontologie médicale a été modifié en 2012. Désormais, il prévoit que l’ophtalmologiste traitant ne doit plus tenir son patient dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave. Toutefois, le patient peut demander à être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic. Le médecin doit alors respecter cette demande. De même, la Haute Autorité en Santé a publié en 2012 plusieurs recommandations sur la délivrance de l’information à la personne sur son état de santé [5].

La nature et les conséquences des thérapeutiques proposées, les alternatives thérapeutiques éventuelles, les suites « normales » et les risques (fréquents ou graves normalement prévisibles) doivent être communiqués au patient. Il est important de noter dans le dossier du patient que cette information a été donnée. La plupart des situations conflictuelles viennent soit de l’absence de dialogue, soit d’un dialogue mal conduit.

Pour un certain nombre d’actes techniques, thérapeutiques et chirurgicaux, un consentement éclairé du patient est nécessaire. Les fiches d’information de la SFO sont une aide précieuse, et quatre d’entre elles concernent le glaucome :

  • opération du glaucome chronique et chirurgie filtrante ;

  • traitement du glaucome chronique à angle ouvert par laser ;

  • traitement du glaucome réfractaire ;

  • opération de l’iris au laser.

Mieux qu’une signature obtenue lors et/ou après une distribution impersonnelle de fiche d’information, qui a parfois été jugée fautive par la jurisprudence, c’est la présence de preuves d’une prise en charge et d’une information personnalisées qui établit le respect des exigences légales en matière d’information. Ce devoir d’information est partagé entre le médecin qui adresse le patient et le spécialiste en glaucome, et il s’impose également entre professionnels de santé. Les courriers aux médecins traitants permettent d’attester que l’information a bien été prodiguée.

Une évolution très récente de la jurisprudence à la fois au niveau de la Cour de cassation et du Conseil d’État tend à créer un dommage spécifique : le défaut d’information [3], avec quatre conséquences :

  • tout défaut d’information cause un préjudice ;

  • ce préjudice doit toujours faire l’objet d’une réparation ;

  • il est indépendant du dommage corporel subi ;

  • sa réparation en est déconnectée ; elle peut venir en plus de la réparation du dommage corporel.

Retenir

  • Le médecin a le devoir d’établir un dossier médical, de l’archiver et d’en assurer la bonne tenue.

  • L’information reste la règle.

  • Tout défaut d’information cause un préjudice.

  • En cas d’aléa thérapeutique, la victime peut être indemnisée par le biais d’un fonds créé par la loi du 4 mars 2002 : l’ONIAM.

  • La notion de responsabilité pour faute du médecin est toujours d’actualité : si le patient estime qu’une faute a été commise, il doit en apporter la preuve pour invoquer la responsabilité civile de l’ophtalmologiste.

Bibliographie

[1]  Association française de l’assurance. Livre blanc sur l’indemnisation du dommage corporel. Fédération française des sociétés d’assurances, GEMA Les Mutuelles d’Assurance, 2008, 17 pages.

[2]  Décret n° 2007-1574 du 6 novembre 2007 modifiant l’annexe 2-4 du Code de l’action sociale et des familles établissant le guide barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées.

[3]  Decroix G. Réparation du défaut d’information : une jurisprudence en pleine évolution. Responsabilité. 2013 ; 12 : 10-1.

[4]  Esterman B. Functional scoring of the binocular field. Ophthalmology. 1982 ; 89 : 1226-34.

[5]  HAS. Délivrance de l’information à la personne sur son état de santé : principes généraux, 2013 ; www.has.fr.

[6]  Jourdain P, Chodkiewicz JP, Papelard A, Fournier C. Barème indicatif d’évaluation des taux d’incapacité en droit commun. Le Concours Médical Éditions, 10/2003 (6e édition), 96 pages.

[7]  Laude A. La judiciarisation de la santé. Questions de Santé Publique. 2013 ; 20 : 1-4 (www.iresp.net).

[8]  Le risque des professions de santé en 2009 : responsabilité civile professionnelle, décisions de justice, protection juridique. Responsabilité. 2010 ; hors série, 95 pages.

[9]  Leid J, Froussart-Maille F. Le Vademecum de l’ophtalmologiste 2012/2013. Rev Ophtalmol Fr. 2012 ; S7 : 98-110.

[10]  Sapanet M, Creusot G, Dumasdelage G, et al. Expertises médicales. Dommages corporels, assurance de personne, organismes sociaux. 7e édition. Issy-les-Moulineaux, Masson, 2012, 274 pages.