Quelques réflexions…

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Le glaucome primitif à angle ouvert (GPAO), que l’on s’obstinait, au milieu du xxe siècle, à qualifier de chronique simple, était connu depuis fort longtemps comme une augmentation de la pression aqueuse intra-oculaire détruisant progressivement la vision visuelle.

Cependant, à la fin du xixe siècle, Von Graefe fit réfléchir à l’implication éventuelle de facteurs autres que la pression oculaire dans la survenue d’un GPAO, en décrivant le glaucome sans tension.

Une deuxième période sera celle du milieu du xxe siècle : apparaît alors le terme de neuropathie optique glaucomateuse et l’on recherche l’explication des troubles du transport axonal à l’origine de la destruction du nerf optique. Les travaux, en particulier ceux de Quigley et d’Anderson, tentent de distinguer expérimentalement le rôle de la compression mécanique directe des axones de celle de l’ischémie neuronale induite par l’hyperpression intra-oculaire. Il sera difficile de conclure, d’autant qu’apparaît la notion de facteur génétique ; mais le rôle de l’augmentation de la pression oculaire restera au premier plan, à titre au moins de facteur de risque majeur, pouvant à lui seul induire un GPAO typique. Ne pouvant agir concrètement que sur le contrôle de la pression oculaire, se multiplieront à la fois les recommandations de dépistage – qui bénéficient de l’avènement des techniques d’exploration de la structure et de la fonction, de plus en plus précises – et les traitements médicaux et chirurgicaux locaux.

Nous en sommes actuellement à une troisième étape qui pose la question de la place de la neuropathie glaucomateuse dans le groupe des neuropathies optiques dégénératives. Ont été mises en évidence des analogies de mécanisme physiopathologiques du GPAO avec la maladie de Parkinson et on a trouvé des infiltrats de protéine Tau dans la rétine des sujets atteints de GPAO, comme ceux décrits dans la maladie d’Alzheimer.

On s’aperçoit que les facteurs de risque du GPAO sont multiples, et qu’interviennent la génétique, l’épigénétique, qui régule les mécanismes apoptotiques propres, ainsi que, pour un sujet donné : l’âge, l’ethnie, l’éventuelle myopie, mais aussi la constitution du disque optique et sa pression de perfusion. L’apparition de facteurs non pressionnels qui jouent un rôle dans la survenue du glaucome, comme d’ailleurs dans son évolution, devra être cherchée avec acharnement avant même que le glaucome ne se déclare.

Si l’on y ajoute la recherche des apnées du sommeil et des facteurs environnementaux – ce qui est particulièrement vrai pour les pesticides neurotoxiques qui induisent une proportion élevée de glaucomes chez les agriculteurs –, on se rend compte que le diagnostic de glaucome par les nouvelles générations d’ophtalmologistes ne se limitera pas à la mesure systématique de la tension oculaire, mais devra – et c’est ce qui rend passionnante l’étude de cette maladie – comporter initialement, et répéter sous traitement, un bilan très complet afin de rechercher tous les facteurs de risque impliqués dans la survenue et la progression du GPAO afin de dépister au plus tôt les sujets concernés, et d’instaurer le traitement qui permettra de ralentir l’évolution de cette maladie dans le but de maintenir une qualité de vie optimale.

Il reste encore beaucoup à faire pour achever de comprendre tous les mécanismes physiopathologiques de la neuropathie glaucomateuse, étant entendu que le facteur pressionnel, seul accessible directement au traitement, est probablement conditionné lui-même par d’autres facteurs de risque qu’il faut traquer pour établir une prise en charge plus complète de cette première cause de cécité.

Pr Henry Hamard

Membre de l’Académie de Médecine