Chapitre 22
Stratégies thérapeutiques dans les dysfonctionnements meibomiens et les blépharites

S. Doan, D. Brémond-Gignac, M. Castelain, B. Cochener, C. Albou-Ganem, B. Mortemousque, T. Hoang-Xuan

L’essentiel

Le traitement des dysfonctionnements des glandes de Meibomius (DGM) et des blépharites repose avant tout sur les soins d’hygiène des paupières qui consistent en un réchauffement palpébral suivi d’un massage et éventuellement d’une toilette du bord libre. Divers systèmes sont disponibles. Les soins palpébraux doivent être quotidiens et prolongés, et systématiquement associés à des larmes artificielles. En cas d’échec ou dans les formes sévères d’emblée, les antibiotiques locaux (azithromycine) ou oraux (cyclines, azithromycine, macrolides ou métronidazole) sont prescrits sur une longue durée. Ils ont un rôle antibactérien, mais surtout anti-inflammatoire. Les anti-inflammatoires stéroïdiens locaux sont utiles dans les poussées inflammatoires en particulier cornéennes. La ciclosporine en collyre est indiquée en cas de cortico-dépendance ou dans les sécheresses rebelles.

Le traitement des dysfonctionnements des glandes de Meibomius (DGM) avec ou sans blépharite repose avant tout sur les soins d’hygiène des paupières et les collyres lubrifiants et, en cas d’échec, sur les antibiotiques et les anti-inflammatoires.

Mesures symptomatiques

Un contrôle environnemental (climatisation, ordinateur, etc.) est recommandé pour ces sécheresses évaporatives. On pourra conseiller le port de lunettes fermées, dites à chambre humide, pour limiter l’évaporation lacrymale et protéger les yeux des agressions extérieures.

Une alimentation riche en acides gras poly-insaturés oméga-3 et -6 est aussi préconisée. Il faut éviter les épices, les acides, le café et l’alcool qui aggravent la rosacée cutanée et proscrire impérativement les rétinoïdes. Un stress psychologique peut majorer une dermite et une blépharite séborrhéiques et doit alors être pris en charge. En cas de clignements abortifs, des exercices pluriquotidiens de clignements seront utiles. Une lagophtalmie avec malocclusion palpébrale nécessitera un traitement spécifique.

Soins d’hygiène des paupières

Les soins d’hygiène des paupières représentent le traitement de base de tout DGM, quelles que soient sa cause et sa gravité [1]. Ils visent à vider les glandes de Meibomius de leur contenu pathologique, leur redonnant de la perméabilité et prévenant probablement leur kératinisation et l’atrophie. Ils doivent être quotidiens ou biquotidiens et continués sur une longue période, voire à vie. Les paupières sont réchauffées pendant 5 à 10 minutes à l’aide d’un système délivrant une chaleur douce mais suffisante d’environ 40 °C pour fluidifier le meibum. Par rapport au gant de toilette et aux compresses, les masques chauds accumulent la chaleur qui est délivrée sur une plus longue durée. Les lunettes chauffantes à chambre humide (Blephasteam®), plus coûteuses, ont pour avantage une meilleure reproductibilité du réchauffement dans sa température et sa durée, elles permettent aussi au patient de conserver une activité visuelle pendant le temps de chauffe, ce qui est particulièrement intéressant pour les enfants [2, 3]. L’expression du meibum fluidifié se fait ensuite par massage appuyé ou pincement des quatre paupières. Il a été montré une augmentation de l’épaisseur du film lipidique lacrymal de 80 % après 5 minutes de réchauffement suivi de massage [4]. Cependant, l’amélioration symptomatologique peut être différée de plusieurs semaines. Une toilette soigneuse du bord libre est réalisable avec des produits plus ou moins dédiés (produits émollients, lingettes nettoyantes, shampooing bébé dilué, etc.). Elle a pour but d’éliminer les croûtes et collerettes de sébum de la base des cils et de nettoyer le bord libre, réduisant ainsi naturellement le taux de médiateurs inflammatoires et d’agents bactériens ou parasitaires comme le Demodex. Certains préconisent également l’utilisation de dérivés d’huile d’arbre à thé ou de miel dans cette indication.

Autres traitements mécaniques des paupières
THERMOTHÉRAPIE MÉCANIQUE (LIPIFLOW®)

Le système de thermothérapie mécanique (LipiFlow®) permet de délivrer une chaleur contrôlée de 42,5 °C sur la face postérieure de la paupière tout en effectuant des massages de sa face antérieure grâce à un dispositif à type de poche souple qui gonfle par intermittence. Un verre scléral intégré à usage unique protège la cornée (fig. 22-1). Les quatre paupières sont traitées simultanément en 12 minutes. Ce traitement s’intègre dans une chaîne diagnostique comprenant un questionnaire de symptômes (standard patient evaluation of eye dryness ou SPEED), une évaluation meibomienne par meibopression standardisée, utilisant un dispositif à pression calibrée, et un examen interférométrique du film lipidique par LipiView®. Après une séance unique, l’efficacité se révélerait meilleure qu’avec les soins des paupières classiques après 2 semaines [5], et l’amélioration resterait stable pendant au moins 9 mois [6]. Cette technique a l’avantage de réchauffer uniquement les paupières qui sont massées simultanément sans pression exercée sur l’œil. Surtout, le problème de la compliance des soins d’hygiène palpébrale est contourné si l’effet d’une séance unique procure une amélioration durable.

Le coût élevé du matériel limite pour le moment la diffusion de cette technique.

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Fig. 22-1 Système LipiFlow®.

(Source : TearScience.)

DÉBRIDEMENT DU BORD LIBRE

Un débridement du bord libre à la spatule permet d’éliminer la kératinisation qui peut obstruer les méats meibomiens.

SONDAGE MÉATIQUE MEIBOMIEN

Une désobstruction sélective des méats meibomiens bouchés est possible avec les sondes de Maskin®. Pour ces derniers, l’efficacité sur les symptômes est de 100 % à 4 semaines, avec une durabilité d’au moins 11 mois [7]. On peut cependant craindre un effet traumatique de ces sondes sur l’épithélium canalaire.

BOUCHONS LACRYMAUX

Les bouchons lacrymaux sont rarement indiqués en cas de sécheresse évaporative pure, surtout s’il existe une inflammation ou un larmoiement risquant de s’aggraver.

Collyres lubrifiants

Le traitement de la sécheresse oculaire comporte toujours des rinçages oculaires pluriquotidiens avec du sérum physiologique sans conservateurs. Les larmes artificielles permettent d’améliorer la stabilité lacrymale. Certaines formulations contiennent des huiles minérales ou des lipides (triglycérides, phospholipides) sous forme d’émulsions ou de liposomes, dans le but de compléter le film lipidique lacrymal. Du fait de sa complexité, celui-ci reste cependant difficile à recréer.

Antibiotiques

Ils sont en général indiqués en cas d’échec des soins des paupières ou d’emblée en cas de rosacée cutanée à traiter (antibiotiques oraux), dans les formes avec blépharite et inflammation palpébrale ou cornéoconjonctivale sévère, ou s’il existe une surinfection staphylococcique palpébrale patente. Dans le premier cas, ils seront prescrits pour une durée de plusieurs semaines voire mois en fonction de la dépendance et de l’efficacité. Le problème d’une résistance bactérienne n’a pas été étudié, toutefois parmi le très grand nombre de patients traités, aucune difficulté significative n’a été signalée.

ANTIBIOTIQUES LOCAUX
AZITHROMYCINE EN COLLYRE

Indiquée dans les conjonctivites bactériennes, cette molécule est aujourd’hui beaucoup utilisée dans le traitement des DGM et blépharites. L’azithromycine est un azalide, dérivé des macrolides, dont le spectre antibactérien est large et inclut les germes intracellulaires. Son effet anti-inflammatoire démontré in vitro explique probablement en partie son efficacité clinique [8] :

  • diminution de la production de cytokines pro-inflammatoires comme les IL-6 et IL-2 par les macrophages [9] ;

  • inhibition de la voie du NFkB (nuclear factor-kappa B) – une voie importante d’inflammation – et du TLR-2 dans des cellules épithéliales cornéennes [10] ;

  • inhibition des MMP-2 et 9 [11] ;

  • inhibition de la migration des macrophages et des cellules dendritiques [12].

La pharmacocinétique du produit est également intéressante puisqu’il a une excellente pénétration intracellulaire et tissulaire en particulier meibomienne où il s’accumule, ce qui explique une demi-vie longue [13]. Dans la conjonctivite bactérienne, l’azithromycine collyre à 1,5 % administrée 3 jours de suite matin et soir est aussi efficace que la tobramycine collyre à 0,3 % donnée 4 fois/jour pendant 7 jours [14].

L’azithromycine en collyre 1 % et 1,5 % a fait récemment l’objet de quelques études cliniques, le plus souvent à faible niveau de preuve (petit nombre de patients, absence de double insu), dans les blépharites postérieures chez l’adulte [15–18]. Les protocoles thérapeutiques sont très variables, le traitement s’étalant de 3 jours à 4 semaines par cure. L’efficacité rapportée est plutôt bonne. La demi-vie de la molécule dans les larmes étant de 7 à 10 jours, nous proposons un schéma thérapeutique simplifié de 3 jours (une goutte matin et soir) à répéter 1, 2 ou 3 fois/mois selon le degré de sévérité et à espacer progressivement. La durée totale du traitement varie en fonction de la dépendance au collyre. La tolérance peut être médiocre, surtout en cas de sécheresse chez le patient âgé, avec sensations de brûlure, flou visuel et rougeur oculaire. On propose alors une cure plus longue sur 6 jours, mais à raison d’une goutte au coucher seulement.

Dans la forme phlycténulaire de l’enfant ou de l’adulte jeune, ce traitement est très efficace et remplace l’antibiothérapie orale classiquement prescrite [18]. Un traitement de 4 à 6 mois est cependant nécessaire pour éviter les récidives. Une efficacité identique est également observée en cas de chalazions récidivants.

AUTRES ANTIBIOTIQUES LOCAUX

L’acide fusidique, les cyclines et les aminosides, le plus souvent en pommade ou en gel, sont des antibiotiques actifs sur les staphylocoques et Propionibacterium acnes qui trouvent leur indication en particulier en cas de surinfection staphylococcique patente du bord libre. Les dermatologues préconisent le métronidazole en gel sur la peau et certains l’appliquent sur le bord libre palpébral au long cours. Aux États-Unis, l’érythromycine en pommade ophtalmique est également très utilisée, de la même façon [19, 20].

ANTIBIOTIQUES ORAUX

Les cyclines sont les plus utilisées, mais l’azithromycine, les autres macrolides et le métronidazole sont également intéressants. L’intolérance digestive et les mycoses des muqueuses figurent parmi les complications communes qu’il faut prévenir par un interrogatoire préalable.

CYCLINES

Les cyclines représentent encore aujourd’hui le traitement de référence de la rosacée, avec atteinte cutanée et/ou oculaire, et des DGM rebelles [21–23]. Les molécules de seconde génération (doxycycline, minocycline, lymécycline) sont préférées à la tétracycline qui a plus d’effets secondaires. Il est à noter qu’en France, seule la doxycycline possède l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans la rosacée. L’effet des cyclines est complexe. Le rôle antibactérien est important, avec une diminution de la flore bactérienne meibomienne [24]. Mais ce sont ses activités antilipasique et anti-inflammatoire qui sont probablement essentielles dans le traitement des dysfonctionnements meibomiens [25]. Les doses nécessaires à l’inhibition des lipases bactériennes sont plus faibles que les doses bactériostatiques, de l’ordre de 30 à 40 mg/jour pour la doxycycline [26, 27]. Néanmoins le risque de résistance induite est faible, car il n’y a pas d’effet antibiotique. Les conséquences de l’activité antilipasique des cyclines sont une baisse de la température de fusion et une fluidification du meibum, probablement par le biais d’une augmentation des triglycérides insaturés et d’une diminution des acides gras libres toxiques [25]. La doxycycline inhibe également les métalloprotéases, en particulier la MMP-9 dont le rôle semble important dans la rosacée [28, 29], et par ce biais les phénomènes de disjonction épithéliale à l’origine de la kératite meibomienne [30]. Il existe aussi une inhibition de NOS (nitric oxide synthase), enzyme responsable de la production d’oxyde d’azote qui a un effet toxique propre [31].

L’administration se fait classiquement par cures mensuelles (100 mg/jour pour la doxycycline ; 50 mg/matin et soir pour la minocycline ; 300 mg/jour pour la lymécycline), alternées un mois sur deux avec si possible un sevrage progressif après trois cures. Elle peut aussi être continue à pleine dose pendant 3 mois puis à demi-dose plusieurs mois. Un traitement d’entretien de 40 mg/jour pour la doxycycline serait suffisant [26, 27]. Les contre-indications des cyclines doivent être respectées : enfant avant 8 ans risquant une coloration définitive et une hypoplasie de l’émail dentaire ; grossesse aux 2e et 3e trimestres ; allaitement ; allergie aux cyclines ; insuffisance rénale ou hépatique sévère. Les laitages ne seront pas absorbés en même temps que le médicament, surtout la tétracycline, et il faut éviter l’exposition au soleil à cause du risque de photosensibilisation. Une prise au repas du soir limite ce risque. La doxycycline ne doit pas être prise à jeun car elle est toxique pour l’œsophage. Rarement, la minocycline et la lymécycline peuvent provoquer des réactions immuno-allergiques systémiques potentiellement sévères. L’association avec les rétinoïdes est formellement contre-indiquée en raison du risque majoré d’hypertension intracrânienne bénigne qui existe déjà naturellement avec les cyclines.

MACROLIDES

Les macrolides ont, comme les cyclines, des propriétés à la fois antibiotiques, avec un spectre large contre les bactéries à Gram positif, et anti-inflammatoires [8]. L’érythromycine et la josamycine à la dose quotidienne de 30 mg/kg pendant plusieurs mois sont particulièrement intéressantes chez l’enfant de moins de 8 ans pour qui les cyclines sont contre-indiquées. Si des publications ont montré leur efficacité dans la rosacée de l’enfant [32, 33], nous préconisons plutôt l’azithromycine en collyre qui donne d’aussi bons résultats mais dont la tolérance est bien meilleure.

AZITHROMYCINE ORALE

Beaucoup utilisée en collyre, l’azithromycine orale représente aujourd’hui une alternative très intéressante aux cyclines orales. Elle est aussi efficace dans l’atteinte cutanée de la rosacée [34] et aurait des bienfaits dans l’atteinte oculaire selon des essais non contrôlés sur des petits effectifs [35, 36]. Le schéma d’administration n’est pas codifié et varie selon les études. On peut en retenir trois :

  • 250 mg/jour, 10 jours par mois ;

  • cures de 3 jours à 500 mg/jour à répéter 3 fois/mois puis à espacer ;

  • 500 mg 3 jours/semaine le 1re mois, puis 250 mg 3 jours/semaine le 2e mois, puis 2 fois par semaine le 3e mois.

Contrairement aux cyclines, il n’y a pas de photosensibilisation et la prise discontinue améliore potentiellement la tolérance. Les contre-indications sont rares : allergie aux macrolides ; insuffisance hépatique sévère ; association aux dérivés de l’ergot de seigle et au cisapride.

MÉTRONIDAZOLE

Le métronidazole est un antibiotique dont le spectre est orienté contre les bactéries anaérobies. Il est prescrit à la dose de 500 mg/jour dans la rosacée et a surtout un effet sur la composante inflammatoire de l’atteinte cutanée [37]. Il pourrait également agir contre le Demodex [38]. Certains le préconisent dans la rosacée de l’enfant [39, 40]. La prescription est en pratique limitée dans le temps à cause des effets secondaires : neuropathie périphérique ; effet antabuse.

Traitement d’une infestation par Demodex

Le débat concernant l’implication du Demodex dans les blépharites est loin d’être terminé, même si plusieurs publications rapportent l’efficacité des traitements contre ce parasite [38, 41, 42]. Les soins d’hygiène des paupières restent probablement le meilleur moyen mécanique de limiter la prolifération des Demodex qui se nichent dans le sébum et le meibum. Les produits émollients sont particulièrement indiqués dans ce cas, permettant l’ablation des croûtes de sébum présentes à la base des cils. Depuis l’interdiction de l’oxyde de mercure, il n’existe plus en France de produits topiques actifs sur le Demodex. L’huile d’arbre à thé (tea tree oil) en application locale est très utilisée aux États-Unis. Cette huile essentielle dérivée de Melaleuca alternifolia a des propriétés démodécides clairement démontrées qui sont dépendantes de sa concentration [42, 43]. On l’utilise à faible concentration (5 %) dans l’huile minérale en application nocturne au long cours, en y associant chaque semaine un traitement plus concentré démodécide (50 %). L’efficacité clinique reste cependant variable et le produit semble relativement irritant.

Les autres traitements topiques proposés sont, notamment, la pommade de zinc avec ichtyol, la pilocarpine et la vaseline (petroleum jelly).

Par voie systémique, l’ivermectine orale, qui est un antiparasitaire efficace contre la gale et les filarioses, a également une action remarquable sur le Demodex. Elle est administrée en traitement minute à la dose de 200 μg/kg en une seule prise, soit en pratique trois à quatre comprimés de 3 mg, à répéter éventuellement après 7 à 30 jours. En l’absence d’allergie, la tolérance est excellente.

Quelques études non contrôlées et non masquées incluant un faible nombre de patients suggèrent l’efficacité de ce traitement pour l’atteinte oculaire, avec une diminution du nombre de Demodex et une amélioration de la blépharite [41]. Dans une série de patients ayant une blépharite antérieure et une atteinte cutanée à Demodex, l’efficacité sur les symptômes était de 78 % avec 45 % de rémissions complètes [38]. L’association au métronidazole oral permettait d’améliorer l’efficacité à 98 % avec rémission complète dans 72 % des cas. L’expérience personnelle des auteurs est cependant beaucoup plus mitigée.

Anti-inflammatoires et immunosuppresseurs locaux
ANTI-INFLAMMATOIRES NON STÉROÏDIENS

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) peuvent avoir une action intéressante sur les symptômes, en particulier les douleurs, puisqu’ils ont un effet antalgique propre. On évitera cependant leur utilisation en cas d’épithéliopathie cornéenne trophique, d’anesthésie cornéenne ou de diabète en raison du risque de fonte cornéenne pouvant évoluer jusqu’à la perforation.

CORTICOÏDES

Les corticoïdes locaux ne sont indiqués qu’en cas de complications inflammatoires immunologiques aiguës comme les chalazions, les infiltrats catarrhaux cornéens ou une sclérite. Ils devront être prescrits sur une courte durée en raison des risques de complications iatrogènes.

Dans les kératoconjonctivites phlycténulaires de l’enfant ou du sujet jeune, une atteinte cornéenne sévère à type d’infiltrats peut nécessiter une corticothérapie locale jusqu’à disparition de l’inflammation cornéenne. On évitera par contre les corticoïdes dans les poussées de rougeur oculaire simple, car il existe une cortico-dépendance dans 100 % des cas. Il faudra associer systématiquement un traitement de fond sur une durée prolongée qui peut comprendre soins des paupières, antibiotiques, voire ciclosporine locale.

CICLOSPORINE

La ciclosporine, immunomodulateur dont un mode d’action principal est d’inhiber la production d’IL-2 par les lymphocytes T auxiliaires, est particulièrement utile dans les blépharites graves. Il n’existe cependant que très peu de publications sur le sujet. Il faut distinguer les formes cortico-dépendantes avec inflammation sévère (kératoconjonctivites phlycténulaires, infiltrats catarrhaux) des sécheresses évaporatives rebelles.

Dans les kératoconjonctivites phlycténulaires de l’enfant ou du sujet jeune avec complications cornéennes ne répondant pas aux antibiotiques, la ciclosporine en collyre 0,5 % à 2 % a une efficacité remarquable [44]. Elle est prescrite sur une durée prolongée de 4 à 6 mois, à la posologie initiale de quatre gouttes/jour avec diminution progressive. Son arrêt est possible lorsque les phlycténules ont totalement disparu. Sa tolérance est en général excellente chez l’enfant, parfois moins bonne chez l’adulte. Elle n’est disponible que sous forme de préparation magistrale dans certaines pharmacies hospitalières.

En cas d’infiltrats catarrhaux multirécidivants ou de sclérite avec cortico-dépendance, la ciclosporine en collyre 0,5 % à 2 % peut également être utile.

Dans les syndromes secs évaporatifs ou dans les blépharites symptomatiques résistantes au traitement par soins des paupières et antibiotiques, la ciclosporine en collyre à 0,05 % ou 0,1 % peut être proposée. La posologie est alors d’une goutte 1 à 4 fois/jour, au long cours. Seules les préparations magistrales peuvent être utilisées, sauf en cas de kératoconjonctivite sèche sévère associée, pour laquelle l’émulsion unidose peut être prescrite dans le cadre d’une autorisation transitoire d’utilisation (ATU). Il existe très peu d’essais randomisés contrôlés dans les DGM [45, 46]. La ciclosporine se révèle supérieure aux collyres lubrifiants, avec un effet variable à 3 mois sur les symptômes, le break-up time (BUT), les télangiectasies palpébrales et l’obstruction meibomienne. Dans la blépharite, une étude ouverte démontre sa plus grande efficacité par rapport à une pommade associant antibiotiques et corticoïdes sur les symptômes, les télangiectasies palpébrales et la qualité du meibum à 3 mois [47]. Des résultats similaires sont retrouvés dans un essai contrôlé en double insu versus lubrifiants chez des patients atteints de rosacée [48].

Traitements en développement

Parmi les futurs traitements qui font l’objet d’études cliniques, on peut citer : de nouveaux collyres lubrifiants avec lipides ou huiles minérales ; la testostérone en collyre ; un anticorps monoclonal antirécepteur de l’IL-1 en collyre ; un agoniste des récepteurs P2Y2 en collyre ; le diquafosol qui a des propriétés sécrétagogues sur les glandes de Meibomius, les glandes lacrymales et les cellules à mucus.

Schémas thérapeutiques
CAS GÉNÉRAL DU DYSFONCTIONNEMENT DES GLANDES DE MEIBOMIUS OU DE LA BLÉPHARITE DE L’ADULTE

Les soins d’hygiène des paupières quotidiens sont systématiquement prescrits pour une durée prolongée, quel que soit le degré de sévérité [1]. L’effet est jugé au bout de 1 à 3 mois. Il faut régulièrement vérifier la compliance.

On associe des collyres lubrifiants avec ou sans huile ou lipides.

En cas d’échec ou d’emblée dans les formes sévères, les antibiotiques topiques (azithromycine) ou oraux (cyclines, azithromycine) sont indiqués. L’azithromycine topique est alors préconisée en première intention, sauf en cas de rosacée cutanée nécessitant un traitement ou chez l’adulte de plus de 50 ans avec sécheresse qui risque de ne pas tolérer le collyre. Chez les personnes exposées au soleil, on préférera l’azithromycine orale aux cyclines orales. Le traitement sera prolongé sur une durée d’au moins 6 mois, si possible avec des cures de plus en plus espacées, avant d’être arrêté définitivement.

Les autres traitements tels que la ciclosporine collyre ou les compléments alimentaires ne seront utilisés qu’en cas d’échec.

FORME PHLYCTÉNULAIRE DE L’ENFANT OU DE L’ADULTE JEUNE

Les soins des paupières quotidiens sont indiqués dans tous les cas pendant plusieurs années. Les lunettes chauffantes favorisent la compliance chez l’enfant.

Si l’inflammation cornéenne est importante, une cure de corticoïdes locaux pendant une semaine est indiquée, associée aux antibiotiques ou à la ciclosporine collyre.

En l’absence de menace visuelle et d’inflammation cornéenne majeure, l’azithromycine en collyre est prescrite pour 6 mois, par cures de 3 jours qui seront répétées initialement 3 fois/mois pendant 2 mois, puis 2 fois/mois pendant 2 mois, puis 1 fois/mois pendant 2 mois. Après un traitement de 6 mois, le traitement peut être stoppé si les phlyctènes ont disparu.

Dans les formes plus sévères ou en cas d’échec de l’azithromycine après 1 à 2 mois, la ciclosporine collyre 0,5 % à 2 % est initiée à la posologie de quatre gouttes/jour, avec décroissance progressive sur 6 mois.

Pour les auteurs, les antibiotiques oraux n’ont plus d’indications dans une forme oculaire pure.

CHALAZIONS RÉCIDIVANTS

À la phase aiguë, des cataplasmes chauds avec massages pluriquotidiens du ou des chalazions peuvent permettre une guérison rapide. Des pommades corticoïdes sont souvent associées pendant 7 à 10 jours. Certains préconisent l’injection de corticoïdes dans le chalazion.

La chirurgie d’exérèse est indiquée en cas d’enkystement à distance de l’épisode initial, ou plus rarement sur un chalazion exubérant à la phase aiguë. L’incision devra être verticale pour ne pas léser les glandes meibomiennes voisines. Un éventuelle coque fibreuse sera réséquée.

La prévention des récidives repose sur la correction d’une amétropie, les soins des paupières et, éventuellement, une antibiothérapie locale par azithromycine collyre en cure mensuelle ou bimensuelle.

COMPLICATIONS INFLAMMATOIRES

Les infiltrats catarrhaux et les sclérites nécessitent une corticothérapie topique intensive à la phase aiguë. Un traitement de fond classique est instauré parallèlement. En cas de récidives fréquentes, la ciclosporine en collyre 0,5 % à 2 % au long cours permet un contrôle dans la plupart des cas.

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