Chapitre 4
Conséquences des déficiences visuelles
1 – Que voit mon patient ?

P. -Y. Robert

Que voit mon patient ? Ou plutôt, que ne voit– il pas, ou que ne voit-il plus ?

L’imaginaire collectif ne conçoit souvent que la grossière alternative : on ne peut être qu’aveugle, ou voyant. La phrase « vous ne serez jamais aveugle », souvent prononcée dans les consultations de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), renvoie nos patients à cette alternative grossière. Pourtant, l’incompréhension par leurs proches de ce que peut voir un patient déficient visuel peut être dramatique : un porteur de canne blanche qui ouvre un livre est systématiquement pris pour un imposteur. Notre incapacité de décrire leur vision résiduelle entretient chez nos patients la typhlophilie, conviction selon laquelle seuls les déficients visuels peuvent comprendre la déficience visuelle

Déficience visuelle légère

Cette catégorie correspond à la catégorie 0 de l’OMS : acuité du meilleur œil supérieure à 3/10.

« Les papillons ont disparu » : l’historien Jacques Semelin, aujourd’hui non voyant par rétinopathie pigmentaire, résume de cette phrase le moment où il a pris conscience que sa vue était en train de diminuer.

Les premiers signes de déficience visuelle, qui peuvent déjà représenter une gêne importante, sont liés à la perte de performances élevées de la perception visuelle (voir chap. 1.1) :

  • trouble de la vision binoculaire : perte de la vision du relief, de l’évaluation des distances;

  • trouble de la perception du mouvement : incapacité de suivre une cible en mouvement rapide;

  • trouble des fréquences spatiales élevées : incapacité de lire les petits caractères.

Déficience visuelle modérée à sévère

Il s’agit des catégories 1 et 2 de l’OMS : acuité du meilleur œil entre 3/10 et 1/20.

FRÉQUENCES SPATIALES

Expliquer la vision résiduelle est plus facile si l’on raisonne en fréquences spatiales plutôt qu’en acuité visuelle (qui renvoie à la seule vision centrale).

La perception des hautes fréquences spatiales permet l’accès au livre, au smartphone, à l’écran d’ordinateur, aux panneaux indicateurs; les moyennes fréquences, la position des personnes dans la rue ou des meubles en intérieur; les basses fréquences, la position des murs et des portes.

La perception fréquentielle diminue graduellement lors d’une opacification progressive des milieux transparents, mais également lors de l’extension progressive d’une lésion maculaire. Ainsi, ce qu’un patient est capable de voir dans votre cabinet peut être assez similaire, qu’il soit atteint de cataracte ou de DMLA (Fig. 4-1)

COMPLÉTION

Un scotome n’est perçu ni en blanc, ni en noir, ni en gris. Il est une zone de non-perception, traitée par l’appareil cognitif par le phénomène de « complétion » : le cerveau « complète » automatiquement l’information manquante en reconstruisant une image cohérente.

Ce phénomène peut être un gros inconvénient lors de la rééducation de la lecture. Il explique qu’un patient, même s’il n’est pas dans le déni de ses troubles visuels, est toujours incapable de décrire lui-même la forme et la localisation de ses scotomes (Fig. 4-2 et Fig. 4-3).

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Fig. 4-1 Altération de l’analyse des fréquences spatiales.

L’opacification progressive des milieux transparents (cataracte) ou l’extension progressive d’une lésion maculaire (DMLA atrophique) entraîne une dégradation graduelle de l’analyse fréquentielle. L’angle minimal de résolution diminue, à la manière d’un effet de flou sur la scène visuelle. Ces images figurent le pouvoir de discrimination fréquentielle avec une perception conservée (LogMAR 0,0 [10/10]), une altération limitée aux fréquences élevées (LogMAR 0,3 [5/10]), une perception limitée aux fréquences moyennes (LogMAR 1,0 [1/10]) et une perception limitée aux basses fréquences (LogMAR 1,6 [1/40]), sur une scène d’intérieur (a), une scène d’extérieur (b) et un cabinet de consultation d’ophtalmologie (c).

Cécité légale

II s’agit des catégories 3, 4 et 5 de l’OMS : acuité du meilleur œil inférieure à 1/20.

FAILLITE DE L’OUTIL DE PRÉHENSION VISUELLE

Lorsque la fonction visuelle est très dégradée, même avec conservation d’une certaine vision morphoscopique, l’utilisation de l’outil de préhension visuelle demande au patient un tel effort de concentration qu’il est virtuellement inutilisable. Méfions-nous ainsi de féliciter trop vite un patient en cécité légale sur ses performances dans les degrés les plus bas de l’échelle ETDRS (Early Treatment Diabetic Retinopathy Study).

La difficulté dans la cécité légale est de comprendre le moment où il faut arrêter la rééducation visuelle, et privilégier l’entraînement des sens compensatoires.

RÉACTIONS DU CORTEX OCCIPITAL NON STIMULÉ

Lorsque le cortex occipital cesse d’être stimulé, il génère des impressions visuelles (flashs lumineux, formes géométriques, figures en mouvement, ou scènes plus élaborées appartenant à la mémoire visuelle du patient). Ce phénomène (syndrome de Charles Bonnet) est présent constamment, à des degrés variables, et doit être renseigné systématiquement lors d’un examen d’un patient présentant une profonde déficience (voir chap. 11-6, paragraphe « Certificat ophtalmologique… »).

Enfin, les patients qui ont perdu la vue très tôt dans la vie ont la capacité de réinvestir leur cortex visuel par des stimulations des sens compensatoires, auditives ou tactiles : des études en IRM fonctionnelle ont montré ainsi que les stimulations digitotactiles du Braille étaient traitées par le cortex occipital. Ainsi, le patient brailliste « voit » avec les doigts (voir chap. 9-1).

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Fig. 4-2 Hémianopsie latérale homonyme droite.

Le patient n’a pas conscience de la localisation et de l’étendue de ses scotomes, et son système cognitif « complète » la scène pour la rendre réaliste. Il ne comprend pas qu’il ne voit pas le bord latéral de la table (a, scène d’intérieur), la voiture (b, scène d’extérieur), ni l’échelle ETDRS (c, cabinet de consultation d’ophtalmologie).

Récits de vie

Nombre de patients déficients visuels ont témoigné par écrit, souvent avec talent, de leur vision résiduelle, de la perte progressive de leur fonction visuelle, et des interventions de leurs proches et des personnels médico-sociaux. Ces témoignages sont précieux pour comprendre la vision du monde avec une déficience visuelle. Les ouvrages suivants en sont quelques exemples (voir aussi www.enfant-aveugle.com) :

  • Entreprendre avec sa différence, par Jérôme Adam, chef d’entreprise (DFR, 2006)

  • À part la lumière du jour, par Amadou Bagayogo et Idrissa Keita, musiciens maliens (Michel Lafon, 2008)

  • Voir Autrement, par Philippe Balin, ingénieur et vice-président d’une grande entreprise (L’Harmattan, 2008)

  • Arthur de la nuit, par Roger Bourgeon; histoire d’un restaurateur de vieux chalets savoyards (Le Vieil Annecy, 1995)

  • Au-delà de ma nuit, par Éric Brun-Sanglard, architecte d’intérieur de la jet-set américaine (Presses de la Renaissance, 2010)

  • À perte de vue, par Aurélie Dauvin, professeure de français (Max Milo, 2007)

  • Voir Autrement, par Robert Dupuis (Bardi, 2003)

  • Et si le monde n’était que perception ?, par Olga Faure-Olory, journaliste, interprète, fondatrice du journal L’Agrandi (Transversales, 2008)

  • Le regard d’un non-voyant, par Robert Geoffroy (Le Souffle d’Or, 1997)

  • Le chemin vers la nuit, par John Hull (Robert Laffont, 1995)

  • Ombre et lumière. Jean Langlais (1907-1991), par Marie-Louise Jacquet-Langlais; histoire de Jean Langlais, organiste et compositeur (Combre, 1995)

  • Tu vois ce que je veux dire, par Cy Jung; récit de vie avec l’albinisme et l’amblyopie (L’Harmattan, 2003)

  • Sourde, aveugle et muette, par Hélène Keller (Payot, 2001)

  • Le voile rouge, par Bachir Kerroumi; histoire d’un émigré algérien en France qui devient aveugle alors qu’il est sans papiers (Gallimard, 2009)

  • Double lumière, par Brigitte Kuthy-Salvi, avocate (Aire, 2009)

  • Sans yeux et sans mains, par Jacques Lebreton, compagnon de la libération, écrivain (Casterman, 1966).

  • t la lumière fut (Gallimard, 2016) et La lumière dans les ténèbres (Triades, 2002), par Jacques Lusseyran, déporté-résistant, et professeur d’université de philosophie

  • Survivre, par John Man; le retour à la nature en Amazonie avec une déficience visuelle (Gallimard, 1991)

  • Il n’y a que Braille qui m’aille. À vue de mots (Mots et Cie, 2003) et Quand bien même je verrais (Nil, 1998), par Sophie Massieu, journaliste

  • Aveugle, j’ai conquis l’impossible, par Willy Mercier, vainqueur de l’Aconcagua, du Kilimandjaro et du Mont Blanc (L’Harmattan, 2003)

  • Tu vois ce que je veux dire (Carrère, 1988) et Les yeux du cœur (Ramsay Archimbaud, 1997), par Gilbert Montagné, musicien.

  • À perte de vue (Robert Laffont, 1990), La lumière assassinée (Le Livre de Poche, 2012), et Regarder au-delà (Robert Laffont, 2011), par Hugues de Montalembert, devenu aveugle suite à une agression.

  • C’est en noir que je t’écris, par Françoise Nimal; analyse des rapports familiaux autour d’un enfant déficient visuel (Desclée de Brouwer, 2001)

  • Mes yeux s’en sont allés, par Maudy Piot, psychanalyste spécialisée dans la déficience visuelle, et présidente d’associations militantes (L’Harmattan, 2004)

  • J’arrive où je suis étranger (Seuil, 2007) et Je veux croire au soleil (Les Arènes, 2016), par Jacques Semelin, historien, directeur de recherche au CNRS, et professeur à Sciences-Po

  • Les couleurs de la nuit, par Gilbert Siboun (Robert Laffont, 1992)

  • Mon chemin mène au Tibet, par Sabriye Temberken, créatrice d’un alphabet Braille tibétain et d’une école tibétaine pour déficients visuels (Carrière, 2001)

  • La vue en rose, par Lyse Veilleux (Francine Breton, 1998)

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Fig. 4-3 Vision tubulaire.

Le phénomène de « complétion » est ici maximal. Le patient conserve une certaine capacité de discrimination fréquentielle sur son point de fixation central, mais son attention est retenue par son accroche et il lui est impossible de visualiser le reste de la scène à moins d’un incessant balayage. a. Scène d’intérieur. b. Scène d’extérieur. c. Cabinet de consultation d’ophtalmologie.

2 – Retentissement de la déficience visuelle sur le développement de l’enfant

B. Le Bail

Introduction

Les enfants porteurs d’une déficience visuelle peuvent se développer sans présenter de troubles spécifiques, mais ce n’est pas toujours le cas. Selon Y. Hatwell [1], la survenue d’une déficience visuelle chez l’enfant peut entraîner des conséquences fonctionnelles, fort différentes de celles survenant chez l’adulte. Les récentes découvertes portant sur le fonctionnement cérébral nous permettent de mieux les comprendre [2].

La fantastique plasticité du cerveau du petit enfant est désormais bien connue; la notion de période sensible ou critique dans ce développement est bien repérée. Une triple plasticité est connue : sous l’influence des émotions, des images, des pensées, des actions diverses de nouveaux neurones peuvent naître, se développer, multiplier leurs synapses, s’adapter à de nouvelles missions jusqu’à suppléer un sens par un autre (la vue par le toucher par exemple); c’est le concept de vicariance.

Une notion plus récente s’est imposée : notre cerveau est totalement social. Pour se développer, un cerveau doit être en résonance avec d’autres; nous sommes neuronalement constitués pour entrer en empathie avec autrui, ce qui a été confirmé par la découverte du rôle primordial des neurones miroirs. Dès les premières heures de la vie, le contact s’établit par le toucher, mais aussi de façon prépondérante par l’échange de regards, chargés d’affect, entre l’enfant et ses parents (Fig. 4-4). La qualité de ces échanges relationnels, sous dépendance du flux sensoriel visuel, va être primordiale pour le développement futur de l’enfant, favorisant l’appétence de découvertes, primordiale pour l’évolution du tout petit.

La déficience visuelle peut donc retentir chez l’enfant dans plusieurs domaines : le développement psychique et relationnel, avec une difficulté dans le processus de construction identitaire; le développement psychomoteur, avec une perturbation de la mise en place des activités motrices; et bien sûr le développement cognitif, avec des conséquences sur la découverte, la compréhension et l’interaction avec le monde qui nous entoure.

Notons d’emblée que l’importance des troubles éventuellement observés n’est pas toujours proportionnelle à l’importance de l’atteinte visuelle. Néanmoins, une atteinte visuelle sévère augmente le risque d’apparition de ces troubles. Enfin, un enfant en état de cécité congénitale utilisant les sens compensatoires va mettre en place dans tous ces domaines un développement différent de celui d’un enfant malvoyant, chez qui la vue gardera souvent une place sensorielle prépondérante voire hégémonique ! Ces différences d’évolutions sont en lien étroit avec des processus de maturation cérébrale spécifiques aux afférences sensorielles perçues et intégrées par l’enfant. La fonction des aires cérébrales n’est pas la même chez un aveugle congénital que chez un malvoyant, et nous ne sommes encore qu’au début de la compréhension de ces phénomènes…

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Fig. 4-4 Les interactions précoces : le rôle primordial des échanges visuels parent/enfant.

Développement psychique et relationnel de l’enfant déficient visuel
PERTURBATIONS PRÉCOCES DES ÉCHANGES VISUELS ET DU REGARD

Le diagnostic d’un handicap visuel chez le tout petit est parfois peu aisé du fait de la latence d’apparition de certains signes cliniques. Néanmoins, les troubles des échanges visuels entre le bébé et ses parents sont très vite ressentis par l’entourage et suscitent une inquiétude et un stress qui rejaillissent sur l’enfant. Les interactions parents/bébés peuvent s’en trouver modifiées : la capacité de communiquer est gênée par les perturbations de la vision et du regard; la communication non verbale et les jeux d’imitation sont limités. Les parents peuvent être déroutés par ce bébé immobile qui n’accroche pas le regard, qui paraît indifférent, alors qu’au contraire l’enfant est hyper attentif mais aux informations auditives, prépondérantes pour lui. La construction du langage est parfois plus difficile. Des comportements d’inhibition ou d’instabilité peuvent être relevés chez l’enfant. Une vigilance particulière est donc nécessaire dans la toute petite enfance quant à la qualité de ces échanges relationnels.

PERTURBATION DU PROCESSUS D’ACQUISITION IDENTITAIRE, PRISE DE CONSCIENCE DE LA DIFFÉRENCE

Dans les mois qui suivent, l’enfant découvre rapidement des difficultés dans certaines réalisations (saisir les objets, empiler les cubes, etc.). Il ressent les échecs, se sent différent; une blessure narcissique est ressentie. Cela peut entraîner une difficulté dans le processus de construction identitaire propre à chacun. C’est particulièrement sensible entre l’âge de 3 et 4 ans, quand l’enfant commence à explorer ses limites et celles imposées par sa pathologie visuelle. À l’école élémentaire, la perception de la différence devient plus aiguë et douloureuse pour l’enfant porteur de handicap soumis aux questions répétées de ses camarades. Il faut alors savoir repérer cette souffrance de façon à, non pas rééduquer l’enfant, mais à l’accompagner dans sa construction et son développement par un vrai travail de deuil avec les étapes de déni, de révolte et d’acceptation.

TROUBLES DES PROCESSUS D’ACQUISITION DU LANGAGE – LE VERBALISME

Les premiers échanges ne pouvant se construire à partir du regard, ils s’établissent par la parole et le toucher. Cette intense attention auditive fait que certains enfants déficients visuels apprennent très vite à parler et peuvent même faire illusion en utilisant rapidement des notions abstraites. Mais ils le font, parfois, sans comprendre le sens concret des mots utilisés car ils n’ont pas acquis le référentiel matériel associé. Que veulent dire les notions de chaud, de froid, de haut de bas, la différence entre marcher et courir, etc. si on ne l’a pas expérimenté et ressenti dans son corps en posant, dans le même temps, les bons mots sur cette expérience qui n’est pas validée par la vue ? Les enfants prononcent bien, font des phrases complètes, mais les mots n’ont pas le sens réel : il s’agit alors de verbalisme. Selon Hatwell, le verbalisme est un excès de connaissances verbales non sous-tendues par une connaissance perceptive concrète [1]. Le déficient visuel précoce va utiliser des mots ou des expressions dont le sens est incompris, imprécis ou inconnu en se fondant sur une image fausse ou absente. Le déficit visuel entraîne un déséquilibre entre les mécanismes d’assimilation et d’accommodation. Les possibilités d’accommodation, liées à la compréhension de la réalité, sont biaisées par la cécité, alors que les capacités d’assimilation restent intactes.

Les difficultés visuelles gênent donc la mise en place d’images « mentales » visuelles. Elles retentissent aussi sur la compréhension des notions spatiales. En effet, les notions topologiques, c’est-àdire la position relative des objets entre eux, n’étant pas accessibles par la vue, c’est par l’exploration tactile, les manipulations, les jeux de construction et d’empilements, les dessins d’objets construits par l’enfant, l’apprentissage du vocabulaire spatial que l’acquisition d’une représentation mentale de l’espace pourra se mettre en place. Chez les enfants plus grands, ce travail se poursuit en séances de locomotion de façon à acquérir une autonomie dans les déplacements.

DIFFICULTÉS DE CONTACTS, ANXIÉTÉ, DÉPRESSION

La communication non verbale d’un enfant déficient visuel est perturbée, appauvrie. Il ne peut décoder ni les mimiques, ni la gestuelle de son interlocuteur. Cela peut être vécu par l’interlocuteur comme un manque d’attention ou de respect.

Quand le déficit visuel survient après 3 ans, une fois le développement psychomoteur affectif et cognitif bien engagé, les troubles observés diffèrent. Le traumatisme d’une maladie juvénile (rétinopathie pigmentaire, maladie de Stargardt, processus tumoral cérébral, etc.) est majeur, inacceptable pour l’enfant et sa famille. L’angoisse et la dépression sont alors au premier plan; le soutien psychologique est en ce cas aussi primordial que les soins médicaux.

Enfin, notons les difficultés particulières que ressentent les adolescents déficients visuels. Comment se construire son image quand on ne la perçoit plus ? Comment établir des contacts amicaux quand on se sent seul, différent des autres ? Certains jeunes apprécient alors de se retrouver un temps en institution spécialisée, pour être « comme les autres », avec des pairs identiques à soi. Cette passerelle provisoire peut les aider à franchir le cap avant de retourner vers le milieu ordinaire.

Développement psychomoteur et activités motrices chez les enfants déficients visuels

Selon A. Bullinger, la régulation de l’état tonique du tout petit est régie par le dialogue tonico-émotionnel, les schémas posturaux précablés et les entrées sensorielles [3]. Le développement sensorimoteur est sous-tendu par la capacité d’analyse des différents flux sensoriels. Un handicap visuel va donc diminuer les capacités d’analyse de l’enfant et peut retentir sur son développement moteur.

ALTÉRATIONS DU DÉVELOPPEMENT POSTUROLOCOMOTEUR

Chez le tout petit, dans un premier temps, il convient d’apprécier son état tonique global avec la recherche, en particulier, d’une hypotonie massive et surtout d’un retard à la tenue de tête (qui peut s’observer jusqu’à l’âge de 4 voire 5 mois). Une incidence directe est notée sur la suite du développement postural, l’acquisition de la station assise et celle de la station debout qui sont décalées. On note également que les différents niveaux d’évolution motrice (NEM) peuvent être acquis plus tardivement par les enfants déficients visuels. Cela correspond aux enchaînements moteurs que suit l’enfant dans son évolution motrice : succession de redressements, de maintiens, d’enchaînements et de déplacements depuis la position allongée sur le dos jusqu’à la position érigée et la marche. L’enfant déficient visuel présente une appréhension du déséquilibre et un manque d’autonomie dans les changements de positions. Bullinger souligne l’importance de la vision périphérique dans l’appropriation de ces étapes du développement posturolocomoteur et en particulier des « réafférences fournies par les flux visuels lors d’un mouvement de la tête » [3].

La déficience visuelle peut donc avoir pour conséquence une altération du développement posturolocomoteur due au manque de l’appui visuel. Une piste de travail consiste alors à solliciter la vision périphérique par l’utilisation de paravents en tissus à carreaux lors de séance à 4 mains orthoptiste/psychomotricien (Fig. 4-5). Chez l’enfant aveugle congénital, la mise en place d’une suppléance efficace par l’audition et la coordination auditivomanuelle permet une acquisition de l’envie de se déplacer et de la marche (Fig. 4-6). Bien accompagnés, ces enfants n’ont souvent pas de retard à la marche, se révélant au contraire des petits « cassecou » en recherche de sensations fortes, ignorant les dangers de leur environnement en véritable surinvestissement kinesthésique ! Paradoxalement, l’instabilité psychomotrice (hyperkinésie) et l’inhibition sont les troubles les plus fréquemment observés.

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Fig. 4-5 Sollicitation de la vision périphérique, aide au développement de la fixation visuelle : utilisation d’un paravent à damiers.

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Fig. 4-6 Salle Snoezelen : salle de stimulation multisensorielle (institut médico-éducatif [IME] Jean Paul, Évry).

PERTURBATIONS DES ACTIVITÉS MANUELLES, DES EXPÉRIENCES TACTILES

L’observation clinique des activités manuelles effectuées par de jeunes déficients visuels montre souvent des difficultés liées à une hypotonie distale des membres supérieurs : les mains sont molles, les doigts sont sans force, les crayons n’appuient pas sur la feuille ou, au contraire, l’enfant se crispe tellement que son stylo traverse le papier… Les études de S. Fraiberg démontrent entre autres une faible activité manuelle marquée par l’hypotonie et un manque d’exploration. J. de Ajuriaguerra et D. Marcelli associent ce manque d’expérience tactile à des conduites de phobie du toucher qui se caractérisent par un retrait des mains et/ou une ouverture de la main dès la saisie d’un objet [4]. Au niveau de la préhension, Hatwell parle d’un défaut de coordination oculomanuelle, retardée par l’empêchement visuel [1]. L’expérience nous montre que permettre à un bébé malvoyant d’acquérir la préhension d’un objet porté à son regard favorise un développement se rapprochant de celui d’un enfant sain (Fig. 4-7). En cas de cécité congénitale, c’est la coordination auditivomanuelle, acquise vers 12 mois, qui permet une préhension de l’objet présenté dans l’espace brachial. Chez l’enfant plus grand en école maternelle, cela se traduit par des réticences aux dessins et des difficultés d’accès aux représentations graphiques. À l’école élémentaire, l’écriture est un acte difficile pour l’enfant déficient visuel. Bullinger explique qu’un système visuel déficient ne peut à la fois contrôler le geste graphique effectué par le membre supérieur et vérifier la trace écrite obtenue [3]. Dans tous ces cas, il est important de dépister au plus vite ces troubles, afin de les minimiser par des techniques d’accompagnement en psychomotricité, en ergothérapie et/ou en orthoptie.

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Fig. 4-7 Susciter l’appétence visuelle : quelques exemples d’utilisation d’objets ordinaires.

BLINDISMES

Des comportements stéréotypés appelés blindismes sont parfois observés chez les enfants déficients visuels. Il peut s’agir de mouvements du corps (balancements, agitations des mains), de stéréotypies visuelles (éblouissement volontaire, fixation systématique de la lumière, fuite du regard), d’écholalies, etc. Ils sont assimilés à des autostimulations sensorielles qui peuvent avoir un impact sur le système vestibulaire et optique. Souvent mal tolérés par l’entourage, ils peuvent être source d’exclusion sociale. Ajuriaguerra et Marcelli les décrivent comme des « gestes automatiques, répétitifs et rythmiques » qui tendent à s’atténuer ou à disparaître quand l’enfant est stimulé ou lors d’une activité motrice [4]. Il ne faut pas les confondre avec des stéréotypies de type autistique; les blindismes s’observent généralement quand l’enfant s’ennuie, est seul, est inoccupé. Néanmoins, devant la fréquence des troubles de la relation et de la communication chez les enfants déficients visuels, il n’est souvent pas facile de faire la différence entre les deux !

Particularités du développement cognitif chez les enfants handicapés visuels

Il n’y a bien sûr aucun lien entre déficit visuel et déficience intellectuelle. Comme nous le rappelle Hatwell, la mesure par les tests verbaux d’« intelligence générale » du développement intellectuel global montre qu’aucune différence n’est observée entre la population sans handicap et les personnes atteintes de cécité précoce ou de malvoyance [1]. Néanmoins, certains points sont à retenir parmi les étapes de la construction psychique, de l’intelligence et des opérations cognitives.

PERMANENCE DE L’OBJET, PERCEPTION DE L’ESPACE ET DIFFICULTÉS DE SÉPARATION

Une étude menée par A. Bigelow confirme un retard dans les tâches dites de permanence de l’objet sur stimulation auditive ou tactile. Cela signifie que l’enfant prend conscience que les objets extérieurs à lui continuent d’exister, même s’ils ne sont plus perçus par ses sens. Chez l’enfant déficient visuel, l’acquisition de la permanence de l’objet est souvent un peu plus tardive (après 24 mois).

Quand la vision est très limitée, seul l’espace proche est perçu; le handicap visuel place les enfants dans une situation où les objets disparaissent soudainement de leur champ de vision sans raison, phénomène particulièrement angoissant. Une intégration réelle de la permanence de l’objet peut donc être plus longue; d’où l’importance de favoriser les jeux de cache-cache, de « coucou me voilà », etc. pendant très longtemps chez ces enfants.

ACQUISITION DE L’ATTENTION CONJOINTE ET DE LA THÉORIE DE L’ESPRIT

De même, on peut noter un retard d’acquisition de l’attention conjointe. Cette capacité apparaît normalement vers 9 mois et se développe tout au long de la deuxième année. L’attention conjointe est définie comme la capacité de partager avec autrui son attention envers un tiers : objet, son, personne, etc. Cette aptitude se fonde principalement sur l’attraction visuelle et la compréhension que le regard de l’autre peut se poser sur une composante de l’environnement extérieur qui se distingue du « soi ». L’enfant va utiliser la co-orientation des regards puis, plus tard, des gestes de pointage proto-déclaratifs. Là aussi, il faut se garder de confondre un simple retard dû au déficit visuel avec le signe d’un trouble de la relation de type autistique.

L’acquisition de l’attention conjointe est une base de la communication à l’autre, mais aussi de l’acquisition du mécanisme de la théorie de l’esprit. Celle-ci permet de se représenter les états mentaux d’une autre personne, de comprendre les intentions d’autrui. Elle se met en place au départ grâce au « décodage de l’autre » en partie par des indices visuels; la perturbation de l’acquisition de ces indices visuels qui nous permettent de comprendre l’autre, par la communication non orale, peut donc générer un retard à l’acquisition de la théorie de l’esprit.

Intégrations sensorielles, modalités perceptives chez l’enfant déficient visuel

Nous avons déjà évoqué l’impact sur le développement psychomoteur des perturbations dans le domaine de la relation et de la communication, et la mise en place spécifique de certains processus cognitifs. D’autres points, vont retentir sur les possibilités d’apprentissage et sont importants à prendre en compte.

LENTEUR D’ACQUISITION DE L’INFORMATION VISUELLE

Chez les enfants malvoyants, la vue reste le sens hégémonique de référence. En situation de basse vision, la lenteur dans la vitesse d’acquisition des informations visuelles retentit sur tous les gestes et les actions dont le support est l’information visuelle. Les techniques d’imagerie cérébrale ont montré que, chez les malvoyants, l’aire 19 va dépenser beaucoup plus d’énergie pour identifier une forme simple que l’énergie requise pour identifier une image complexe chez un sujet bien voyant. Non seulement l’enfant mal voyant est plus lent, mais il est également plus fatigable. Il faut en tenir compte en permanence, notamment dans la scolarité, en accordant un tiers temps supplémentaire pour les différents examens.

PERTURBATION DES POSSIBILITÉS D’IMITATION

La possibilité de percevoir, de comprendre et d’imiter les gestes, les comportements et les mimiques des personnes de notre entourage est un élément fondamental dans différents processus d’apprentissage. L’absence ou la mauvaise qualité de ce processus d’imitation retentit dans de nombreux domaines de l’apprentissage, de la mastication chez le bébé jusqu’à celui de l’acquisition des gestes complexes lors d’une séance de sport par exemple.

MODALITÉS PERCEPTIVES CHEZ L’ENFANT DÉFICIENT VISUEL

Contrairement à une idée répandue, les seuils de discrimination sensorielle des sens compensatoires (audition, toucher) ne sont pas plus sensibles chez les enfants déficients visuels. En revanche, l’entraînement éducatif oriente l’attention de ces enfants vers certains indices permettant ainsi d’améliorer les procédures nous permettant d’appréhender notre environnement : les mouvements d’exploration tactile aboutissent à une bonne reconnaissance des objets; l’audition permet d’acquérir une bonne capacité d’orientation spatiale.

VUE

Nous disposons de peu de chiffres concernant l’épidémiologie des enfants déficients visuels. La dernière enquête de l’Association nationale des parents d’enfants aveugles (ANPEA) datant de 2009 confirme que la grande majorité des enfants déficients visuels sont malvoyants : 83,5 % de malvoyants, 16,5 % en état de cécité (17 % des enfants utilisent l’outil Braille). La potentialisation et l’optimisation des capacités visuelles sont donc un élément fondamental de la prise en charge de ces jeunes. Toutes les spécialités rééducatives interviennent, mais c’est bien sûr la prise en charge orthoptique qui est au premier plan.

Chez les tout petits, en cas de déficit congénital, le but sera de développer l’appétence visuelle, de mettre en place la fixation, l’oculomotricité, la coordination oculomanuelle et de constituer l’enveloppe de vision, la bibliothèque visuelle et les représentations mentales propres à chaque enfant.

Quand le déficit survient plus tard, une fois l’éducation visuelle acquise, le but sera de préserver l’autonomie de l’enfant en optimisant ses capacités visuelles (techniques d’excentration du regard ou de balayage visuel par exemple) et en mettant en place les techniques de compensation (adaptation de l’outil scolaire, apprentissage des aides optiques et non optiques). Ces prises en charge s’adapteront au type de déficit : progressif, dégénératif ou brutal et, si possible, se réaliseront dans un cadre multidisciplinaire.

AUDITION

Selon Hatwell, les enfants déficients visuels présentent une hyperattention auditive : ils écoutent tous les bruits et ne sont pas capables, parfois, de les hiérarchiser [1]. Il faut leur apprendre à faire abstraction des bruits non informatifs (par exemple ne pas écouter les bruits du couloir quand on est en salle de classe) de façon à les aider à acquérir une attention plus stable et à mettre en place un véritable « filtre auditif ». Il est nécessaire de verbaliser au maximum les indications fournies aux enfants, tout en évitant la surcharge sonore.

TOUCHER

Pour acquérir la connaissance des propriétés des objets, le toucher exploratoire (sens haptique) est le plus apte à suppléer la vision défaillante chez les enfants aveugles. La mise en place de la coordination visuotactile précoce est un élément indispensable pour l’évolution des enfants malvoyants. Nous l’avons évoqué, cette compensation n’est pas innée; elle est parfois délicate à mettre en place et exige une précocité dans l’intervention.

PROPRIOCEPTION, KINESTHÉSIE

Les enfants déficients visuels sont particulièrement sensibles à la perception, consciente ou non, de la position des différentes parties du corps. Les psychomotriciens vont l’utiliser par des techniques de massage, de percussion des crêtes osseuses ou l’utilisation d’objets vibrants.

La kinesthésie fait allusion à la sensation ou la perception des mouvements des différentes parties de notre corps. Parfois, il va falloir susciter l’envie de mouvement et de déplacement chez l’enfant en l’aidant à faire le lien entre le mouvement de son corps et le déplacement que cela induit.

SENSIBILITÉ VESTIBULAIRE

C’est avec la vue et la proprioception un des supports essentiels à l’équilibre. Des troubles spécifiques de l’équilibre ne sont pas notés chez les enfants déficients visuels. L’enfant utilise parfois la sensibilité vestibulaire en autostimulation par des balancements de type blindismes.

SENSIBILITÉS CHIMIQUES

Goût et odorat nous servent de façon innée pour apprécier les aliments, repérer une boulangerie, etc.; mais, même pour un aveugle, il n’est pas socialement admis de venir identifier quelqu’un en le reniflant !

ÉCHOLOCATION – « SENS DES OBSTACLES, DES MASSES »

Les aveugles utilisent les indices sonores pour se repérer dans une salle (par exemple par des claquements de doigts ou des claquements de semelles). Dans les pays d’Europe du Nord, cette capacité d’utiliser les retours auditifs fait l’objet de formation pour l’aide à l’orientation et à la mobilité.

COORDINATIONS INTERMODALES

Percevoir, ressentir et intégrer les différentes modalités sensorielles demande des expérimentations concrètes répétées s’appuyant sur le vécu du quotidien du jeune; par exemple, identifier un fruit ou un légume en l’explorant par le toucher, puis l’odorat et le goût pour apprendre à unifier l’information. Toutes les activités quotidiennes de la vie familiale peuvent être source d’apprentissage et le rôle des parents est primordial. Le déficit d’expérimentations sensorielles se traduit très vite chez le tout petit par un retard d’évolution.

Déficience visuelle et handicaps associés
HANDICAP VISUEL ET TROUBLES DU SPECTRE AUTISTIQUE (TSA)

Les TSA sont considérés comme un ensemble de troubles caractérisés par deux grandes classes d’anomalies : des altérations qualitatives des interactions sociales réciproques et un répertoire restreint d’intérêts et d’activités [5].

Les enfants atteints de TSA présentent des particularités sensorielles : hyper– ou hyposensibles à certains stimuli, ils peuvent avoir des réactions inhabituelles. Leur développement psychomoteur est marqué par des stéréotypies, des particularités de langage (écholalie), des difficultés d’attention conjointe et de mise en place de la théorie de l’esprit. S. Baron-Cohen appelle ce retard « mindblindness » [6].

Six grands signes d’alerte sont retenus par l’étude d’A.-L. Simonnot et de P. Mazet : indifférence à l’égard du monde extérieur, troubles tonico-posturaux précoces, anomalies du regard (fuite du regard, regard périphérique, désinvestissement du regard central), non-apparition des organisateurs de Spitz (sourire social, angoisse de l’étranger), « phobies » massives en écho aux particularités sensorielles, et troubles somatiques et fonctionnels (oroalimentaires, sphinctériens, du sommeil) [7].

Il existe d’évidentes similitudes, chez certains enfants, entre déficit visuel et TSA : troubles de l’investissement du regard, altération de la communication non verbale, troubles tonico-posturaux, stéréotypies, difficultés de l’attention conjointe et du langage, etc. Néanmoins, ces signes ne sont pas identiques et il ne faut pas tomber dans l’amalgame déficit visuel/risque autistique. Pour certains auteurs anglo-saxons comme Hobson [8], les traits autistiques des déficients visuels ne sont pas les mêmes que chez les voyants : information sensorielle plus accessible, plus de stéréotypies motrices, moins de troubles d’entrée en relation chez les déficients visuels. L’hypothèse est posée d’un diagnostic de TSA temporaire chez certains enfants déficients visuels. Cette notion est à rapprocher du « developmental setback » (régression du développement psychomoteur qui apparaît entre 16 et 14 mois) qui est identifié comme un facteur de risque de développer des TSA. Or, un tiers des enfants en état de cécité (stades 4 et 5 de l’OMS) et 2 % des enfants déficients visuels (stades 2 et 3 de l’OMS) présentent ce trouble. Bonmartin, dans son mémoire consacré à la prise en charge d’enfants suspectés d’autisme déficients visuels, note que la précocité d’un abord sensorimoteur, d’un éveil sensoriel et d’un accompagnement familial permet à des enfants autistes malvoyants, aveugles mais aussi voyants, d’investir leur potentiel visuel [9]. L’éventualité d’un diagnostic de déficience visuelle temporaire peut être envisagé chez ces enfants. Une prise en charge multidisciplinaire pourrait leur apporter une amélioration sur la multiplicité des expérimentations et sur leurs possibilités relationnelles.

HANDICAPS MULTIPLES

De 30 à 50 % des enfants déficients visuels présentent un handicap associé. Orssaud a décrit les retentissements fonctionnels dans les différentes situations cliniques :

  • handicap visuel mental/cognitif : la reconnaissance du handicap visuel est souvent difficile sur le plan diagnostique, demandant des adaptations spécifiques. Outre la basse vision, il peut s’agir de cécité corticale ou d’origine cérébrale (agnosie visuelle, difficulté de mémorisation) et/ou de perturbations du champ visuel (souvent amputation supérieure ou inférieure);

  • handicap visuel et handicap moteur : ici, les difficultés sont inhérentes à la mise en place des techniques de rééducation et de compensation optique spécifiques aux difficultés de posture et aux limitations motrices. Difficultés de coordination oculomanuelle, port de tête et position du regard limités, port d’une minerve sont pris en charge de façon pertinente en interdisciplinarité (par exemple orthoptie/kinésithérapie);

  • malvoyance et surdité : le syndrome d’Usher est le plus connu, mais malvoyance et malentendance existent par ailleurs chez les enfants (par exemple complications d’otite séreuse). La précocité du suivi est ici primordiale; un audiogramme de dépistage doit être systématique chez les petits déficients visuels afin de limiter les conséquences sur le langage et tous les supports de communication;

  • la surdicécité : les enfants en état de surdicécité présentent des difficultés d’interaction sociale, de communication et des comportements restreints et répétitifs [10]. Ces attitudes sont similaires à celles d’enfants voyants et entendants autistes et demandent une vigilance clinique particulière.

JEUNES POLYHANDICAPÉS

Cela concerne des enfants ou adolescents présentant un handicap grave à expression multiple associant déficit moteur et déficience mentale sévère ou profonde. Cela entraîne une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de relation. Dans ces polyhandicaps, les moyens de communication sont souvent minimes et, même si les possibilités visuelles sont réduites, c’est souvent le canal sensoriel qui est le plus adéquat pour échanger avec ces jeunes, et tenter de leur donner quelques éléments d’autonomie. Le handicap visuel n’est pas le plus prégnant mais, paradoxalement, prendre en charge ce type de basse vision, par un travail sur l’instrumentation du regard par exemple, est primordial pour assurer une qualité de vie à ces enfants. L’idéal, pour intervenir dans ces établissements qui n’ont pas de professionnels dédiés au handicap visuel, est de proposer des prises en charge conjointes entre établissement et service d’accompagnement à l’acquisition de l’autonomie et à l’intégration scolaire (SAAAS) ou, à défaut, de faire intervenir des orthoptistes libéraux dans ces structures. Les bonnes volontés existent, mais les contraintes administratives sont souvent très lourdes.

Conclusion

Selon ses possibilités, chaque enfant a sa propre évolution, sa propre histoire au sein de son environnement familial. Les conséquences du handicap visuel ne sont ni systématiques, ni uniformes, et souvent elles ne sont pas corrélées à l’étiologie du déficit et d’importance très variable.

Certains enfants vont acquérir d’excellentes compensations et ne présentent aucun retard d’évolution dans quelque domaine que ce soit. D’autres petits vont se développer sur un mode hétérogène; par exemple très performants dans le verbal, mais en difficulté sur le plan de la motricité fine ou de la maturité affective.

Enfin, dans certains cas, ce sont les troubles de la communication et de la relation qui sont au premier plan.

Dans tous les cas, ce sont bien sûr la précocité du diagnostic et l’orientation vers une structure de prise en charge qui doivent être au premier plan des préoccupations de l’ophtalmologiste.

BIBLIOGRAPHIE

[1]  Hatwell Y Psychologie cognitive de la cécité précoce Paris: Dunod (2003)

[2]  Cyrulnik B, Bustany P, Oughourlian JM, et al. Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner Paris: Librairie Générale Française (2014).

[3]  Bullinger A Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses avatars Toulouse: Érès (2004).

[4]  De Ajuriaguerra J, Marcelli D Psychopathologie de l’enfant Paris: Masson (1984)

[5]  Pry R Trouble du spectre autistique et cécité congénitale: Un casuiste pour la psychopathologie développementale Enfance 2014 ; 1 : 107-116

[6]  Baron-Cohen S Autism: the Empathizing-Systemizing (E-S) theory Annals of the New York Academy of Sciences 2009 ; 1156 : 68-80

[7]  Simonnot AL, Mazet P Les tout premiers troubles susceptibles de précéder l’apparition d’un syndrome d’autisme infantile: perspectives nouvelles Perspectives Psy 1996 ; 35(1) : 23-27.

[8]  Hobson P, Lee A Reversible autism among congenitally blind children? a controlled follow-up study J Child Psychol Psychiatry 2010 ; 51(11) : 1235-1241

[9]  Bonmartin A. Dédicience visuelle et troubles du spectre autistique: Qui de l’Œuf ou de la poule? Mémoire diplôme universitaire de techniques de compensation du handicap visuel, Université René Descartes-Paris V, 2015.

[10]  Dammeyer J Symptoms of autism among children with congenital deafblindness J Autism Dev Disord 2014 ; 44 : 1095-1102

3 – Complications de la déficience visuelle

C. Meyniel , F. Gerin- Roig, B. Le Bail

Une déficience visuelle a de lourdes conséquences psychologiques (autonomie, confiance en soi) et fonctionnelles (adaptation de la vie quotidienne au déficit visuel). Le sujet adulte qui devient malvoyant doit assumer la perte de la vision et les changements qu’elle provoque. Cet effort de compensation est d’autant plus difficile que le sujet est âgé, et que diverses complications viennent majorer les déficits.

Complications psychologiques

L’atteinte de la vision ramène l’individu à une notion de perte. Aussi, selon sa solidité ou sa fragilité, en lien avec son histoire, la déficience visuelle représente un terrain à fort risque d’engendrer un vécu dépressif. En effet, l’émotionnel de la dépression peut fragiliser la vision et la perte va engendrer l’état dépressif. Ce lien entre déficience visuelle et dépression fait l’objet de nombreuses publications de psychiatrie, gériatrie et d’ophtalmologie [1].

La première étude d’envergure effectuée en 1998 par William et al. montre la profonde réduction de la qualité de vie des patients atteints de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). En 1999, Brody et al. montrent à partir d’une étude portant sur 151 personnes atteintes de DMLA sévère (avec acuité visuelle [AV] < 3/10) que 33 % de ces personnes présentent une dépression, soit plus du double de ce qui est observé dans une population de cet âge.

En parallèle, les études qui demandent aux patients combien d’années de vie ils sont prêts à perdre en échange du retour à une vision parfaite montrent l’impact certain d’une atteinte visuelle sur la qualité de vie. En effet, la plupart des personnes malvoyantes sont prêtes à échanger plus d’un tiers de leur vie restante.

Pour la DMLA, les études nous donnent les indications suivantes :

  • la dépression est une complication fréquente et grave de la DMLA. Les taux de dépression chez les personnes atteintes de DMLA sont alarmants et comparables à ceux rapportés dans d’autres maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et le cancer. La déficience visuelle chez les personnes âgées est même un facteur de risque de suicide;

  • plusieurs études suggèrent que la qualité de vie des personnes atteintes de DMLA est pire que celle des personnes atteintes d’autres maladies chroniques, comme les maladies pulmonaires obstructives et le sida;

  • il est important de dépister une dépression débutante en cas de DMLA car elle risque d’en aggraver les conséquences fonctionnelles et de représenter ainsi un facteur de risque important de passage en dépression grave;

  • la prise en compte de la dépression est un élément majeur pour le maintien de l’indépendance et de la qualité de vie d’une personne atteinte de DMLA. En outre, comme dépression et atteinte de la fonction visuelle sont étroitement liées dans le cadre d’une DMLA, la prise en charge de l’atteinte dépressive intégrée à la prise en charge globale réadaptative paraît être la meilleure solution.

Majoration des processus de dégénérescence cognitive

Une étude montre qu’une mauvaise vision est clairement associée au risque de développer un vieillissement cérébral majoré chez les « séniors » [2]. Le risque de démence augmente de plus de 50 % à la perte de chaque palier de l’échelle d’évaluation de la vision (échelle de six niveaux spécifique à cette étude). Le risque de développer des troubles cognitifs sans démence est quant à lui multiplié par cinq. Ainsi, les chercheurs estiment que la correction des problèmes visuels peut retarder l’apparition d’un vieillissement cognitif problématique.

Chez les patients présentant déjà des troubles cognitifs, la prise en charge en compensation d’un handicap visuel va se trouver compliquée du fait des difficultés de compréhension des consignes et d’appropriation des différentes techniques. Il est alors indispensable de compléter le bilan d’évaluation fonctionnelle du patient par une évaluation neuropsychologique qui oriente les méthodologies de prise en charge de façon spécifique : adaptation de la verbalisation des consignes, diminution de la longueur des séances, répétition ritualisée de certaines tâches, etc.

Instabilité posturale et risques de chute

Lors de la survenue d’un déficit visuel, ce sont principalement les altérations de la vision des contrastes et les réductions du champ visuel (CV) qui sont source d’instabilité posturale et de troubles de l’équilibre [3]. Il est important de souligner que si la réduction du CV relève de certaines pathologies comme le glaucome ou les rétinites pigmentaires, les altérations de la vision des contrastes se retrouvent chez la plupart des personnes présentant une atteinte visuelle sévère.

Les patients contrôlent moins bien leur équilibre et leurs performances de mobilité sont diminuées par rapport à la population témoin [4, 5].

La peur de la chute se traduit par une inhibition motrice : l’intéressé n’ose plus quitter son domicile. Cette limitation des déplacements retentit sur son autonomie sociale (aller faire ses courses, voir ses amis), sur le suivi médical (aller consulter son médecin référent), et participe à la création de l’isolement et aux pertes d’activités qui font le lit de la dépression.

Concernant les chutes, les différentes études [6, 7] montrent que celles-ci surviennent avec une fréquence multipliée par trois chez les personnes déficientes visuelles. Reconnues comme facteur déclenchant des redoutables fractures de hanche, elles sont fréquemment source d’entrée dans la dépendance [8].

Majoration des autres atteintes sensorielles ou motrices

Les autres atteintes sensorielles ou motrices interfèrent avec les incapacités dues au déficit visuel [9]. Elles majorent ces dernières et rendent encore plus complexe l’aide à apporter. Les difficultés rencontrées pour effectuer une tâche sont amplifiées par une autre déficience; par exemple, une arthrose cervicale limite les mouvements de la tête et majore un déficit visuel du champ périphérique; DMLA et presbyacousie, fréquemment associées, majorent tous les troubles de la communication et sont source d’isolement.

Majoration des autres pathologies

Diverses pathologies sont potentialisées en cas de handicap visuel [10]; par exemple :

  • le diabète avec la problématique de l’autosurveillance de la glycémie et du dosage de l’insuline;

  • la maladie de Parkinson avec ses conséquences motrices et les troubles de l’équilibre;

  • les séquelles motrices ou langagières des AVC.

D’une manière plus générale, il faut souligner les dangers en cas de polypathologie et donc de polymédication. Gérer la réalisation d’un pilulier fiable permettant une bonne observance des traitements n’est pas aisé en cas de malvoyance, ce d’autant plus que les intéressés ne sont souvent pas conscients de cette difficulté. C’est une source fréquente d’effet iatrogène relevée par les aides à domicile et souvent ignorée.

Conclusion

Le handicap visuel ne s’additionne pas à d’autres déficits mais les multiplie et les majore de façon exponentielle. La personne déficiente visuelle voit la perte de son autonomie amplifiée, le maintien à domicile plus problématique et le risque de la nécessité d’une institutionnalisation se profiler.

BIBLIOGRAPHIE

[1]  Casten R, Rovner B Depression in age-related macular degeneration J Vis Impair Blind 2008 ; 102(10) : 591-599

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[5]  Brown B, Brabyn L, Welch L, et al. Contribution of vision variables to mobility in age-related maculopathy patients Am J Optom Physiol Opt 1986 ; 63 : 733-739

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[7]  Tran THC, Nguyen Van Nuoi D, Baiz H, et al. Déficit visuel chez les sujets âgés chuteurs JFO 2011 ; 34 : 723-728

[8]  Dargent P, Breart G Epidemiology and risk factors of osteoporosis Curr Opin Rheumatol 1993 ; 5 : 339-345

[9]  Holzschuch C, Mourey F, Manière D Gériatrie et basse vision. Pratiques interdisciplinaires Paris: Masson (2002).

[10]  Campbell AJ, Reinken J, Allan BC, Martinez GS Falls in old age: a study of frequency and related clinical factors Age Ageing 1981 ; 10 : 264-270

4 – Cécité et atteinte des fonctions non visuelles de l’oeil

D. Miléa

L’œil a une double fonction : celle de voir, mais aussi celle, moins connue, d’entraîner et de synchroniser différentes fonctions cérébrales, non visuelles, impliquées dans le maintien des rythmes circadiens. La photoréception oculaire visuelle est bien distincte de la photoréception non visuelle. Des découvertes relativement récentes ont montré qu’en dehors des populations de photorécepteurs rétiniens classiques (cônes et bâtonnets), une autre population de photorécepteurs, localisée dans la rétine interne, joue un rôle capital dans les fonctions non visuelles de la rétine. Ces cellules rétiniennes ganglionnaires spécialisées, exprimant la mélanopsine, ont un rôle essentiel dans la synchronisation des rythmes circadiens internes, en les mettant en résonance avec les variations diurnes de la lumière ambiante (Fig. 4-8). Les cellules exprimant la mélanopsine sont intrinsèquement photosensibles; elles sont peu nombreuses (quelques milliers seulement par œil), et elles répondent spécifiquement, et de manière tonique, aux stimulations photiques par les courtes longueurs d’onde (lumière bleue, à un pic de 470 nm). Les fibres efférentes des cellules exprimant la mélanopsine se dirigent : 1) vers les centres mésencéphaliques responsables du réflexe pupillaire et 2) vers l’horloge biologique centrale, le noyau suprachiasmatique (NSC), dans la partie antérieure de la région hypothalamique. Le NSC a des connexions avec la glande pinéale, lieu de sécrétion de la mélatonine, qui est impliquée dans la rythmicité des cycles veille/sommeil. Le NSC a de nombreuses fonctions : régulation de la production hormonale, de la température de l’organisme, de la sécrétion de cortisol, maintien de l’éveil cognitif, rythmicité du cycle veille/sommeil, etc. [1].

La lumière (du jour) est essentielle pour la synchronisation des rythmes internes avec les rythmes photiques externes (cycle de 24 heures jour/nuit), les deux rythmes ayant une périodicité différente, qui est plus courte pour le NSC. Ce dernier, qui représente le cerveau biologique de l’homme, a besoin d’informations photiques provenant des cellules rétiniennes exprimant la mélanopsine, pour une fonctionnalité optimale.

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Fig. 4-8 Connexions intracérébrales des cellules ganglionnaires photosensibles.

Les cellules ganglionnaires exprimant la mélanopsine (CGM) sont des cellules photosensibles qui sont en connexion avec le noyau suprachiasmatique (NSC), contribuant ainsi à la régulation du rythme circadien. Le NSC régule ensuite la production de mélatonine par la glande pinéale (P), via son innervation sympathique qui passe par le noyau paraventriculaire (NPV) de l’hypothalamus, le noyau intermédiolatéral (NIML) de la moelle et le ganglion cervical supérieur (GCS). Les CGM contribuent au réflexe photomoteur par leur connexion avec le noyau prétectal olivaire (NPO). Elles pourraient contribuer à la perception visuelle par leurs projections vers le corps géniculé latéral (CGL) et le feuillet intergéniculé (FIG).

Les anomalies des fonctions non visuelles de l’œil et qui sont associées à la cécité ont été reconnues depuis longtemps, sans que l’on comprenne réellement pourquoi certaines pathologies ophtalmologiques cécitantes étaient plus délétères que d’autres, dans le maintien des rythmes internes, de l’humeur, du cycle veille/sommeil, dans le maintien en état d’alerte, etc. Les patients atteints de cécité relatent souvent que les troubles circadiens associés à la cécité (somnolence, troubles de l’humeur, etc.) sont parfois plus difficiles à supporter que la cécité elle-même. La cécité a des conséquences cérébrales, et plus généralement, somatiques; elle pourrait même influencer le système de reproduction chez les femmes, qui auraient, en cas de cécité, des ménarches plus précoces, voire une fertilité réduite.

Le siège lésionnel rétinien a un impact majeur sur les conséquences non visuelles de la cécité : une atteinte isolée de la rétine externe (cônes ou bâtonnets) interfère peu avec la photoréception non visuelle, qui naît loin, au sein des couches internes, dans les cellules rétiniennes exprimant la mélanopsine. Il est ainsi probable que les réponses circadiennes, neuroendocrines et neurocomportementales à la lumière soient conservées chez des patients ayant une atteinte spécifique et isolée de la rétine externe (par exemple rétinopathie pigmentaire). À l’inverse, une neuropathie optique affectant la couche des cellules ganglionnaires (comme le glaucome à angle ouvert) entraîne une dysfonction des cellules exprimant la mélanopsine. En pratique ophtalmologique, cela se traduit par une altération du réflexe photomoteur évalué par pupillométrie (diminution de l’amplitude de contraction pupillaire, accélération de la redilatation pupillaire après arrêt de la stimulation photique), surtout en réponse à la lumière bleue. Le glaucome est également associé à une fréquence plus élevée de troubles de l’humeur, comme la dépression, et à une qualité diminuée du sommeil (plus grande latence d’endormissement, durée globale du sommeil plus courte, somnolence diurne, etc.). Il est possible que, dans le glaucome, les altérations du sommeil ne soient pas uniquement liées à la dépression réactionnelle à la cécité, mais aussi à un dysfonctionnement du NSC.

De manière plus large, il est maintenant reconnu qu’une cécité complète, due à une cause qui altère le fonctionnement des cellules exprimant la mélanopsine (glaucome, rétinopathie de la prématurité, énucléation bilatérale, etc.), altère la sécrétion de mélatonine et, par voie de conséquence, les rythmes internes, le sommeil, l’état de veille, etc. Il existe une exception dans le cadre des neuropathies optiques, imparfaitement expliquée. Il s’agit des neuropathies optiques héréditaires (neuropathie optique de Leber et atrophie optique dominante), dans lesquelles il existe une relative résistance à la neurodégénérescence des cellules à mélanopsine, expliquant la conservation de l’entraînement circadien et des réflexes photomoteurs, malgré une acuité visuelle basse et une atrophie des cellules ganglionnaires classiques.

La conservation d’une perception, même faible, de la lumière réduit considérablement le risque de dysfonctionnement des rythmes circadiens chez les aveugles ayant une atteinte des cellules ganglionnaires. À l’inverse, les pathologies qui n’affectent pas les cellules exprimant la mélanopsine (rétinopathies pigmentaires, dégénérescence maculaire liée à l’âge, pathologies du segment antérieur) ont peu de conséquences sur les rythmes circadiens. Il est possible que la photoréception non visuelle, conservée dans ces derniers cas, soit suffisante pour assurer un entraînement équilibré de l’horloge biologique de l’organisme. La cataracte, qui réduit la transmission de la lumière bleue, peut avoir une influence sur l’équilibre des systèmes circadiens. Les scores de dépression, de qualité de sommeil, etc. sont sensiblement améliorés par une intervention chirurgicale de cataracte, probablement par le biais de l’amélioration à la fois de la fonction visuelle et de l’amélioration de la photoréception non visuelle, évaluée par la sécrétion de mélatonine, de paramètres actigraphiques ou de réponses pupillaires à la lumière. De manière intéressante, l’utilisation des implants intraoculaires jaunes, filtrant la lumière bleue, ne semble pas altérer la photoréception non visuelle, et n’entraîne pas de trouble de sommeil ou de l’humeur, en comparaison avec les implants intraoculaires neutres.

La suppression de la photoréception non visuelle chez les aveugles provoque un dysfonctionnement du NSC, qui obéira alors à sa propre rythmicité, sans être synchronisé avec la durée de 24 heures d’un jour terrestre. Par voie de conséquence, la fonction de la glande pinéale sera aussi déréglée, se soldant par des anomalies de la sécrétion circadienne de la mélatonine et des troubles du sommeil (insomnies nocturnes, somnolence diurne). Ces déficits provoquent des troubles de la vigilance, de l’attention, etc., qui seraient présents chez plus de 50 % des patients aveugles. Dans ce contexte, il a été rapidement tentant de proposer la mélatonine et ses dérivés comme solution palliative de ce déficit hormonal. Une étude récente, randomisée, masquée, a montré l’efficacité du tasimelteon (le premier agoniste de mélatonine agréé par la Food and Drug Administration [FDA] et par l’Agence européenne du médicament (European Medicines Agency [EMA]) dans le traitement des troubles du sommeil chez des aveugles ayant un trouble des rythmes circadiens [2].

BIBLIOGRAPHIE

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[2]  Lockley SW, Dressman MA, Licamele L, et al. Tasimelteon for non-24-hour sleep-wake disorder in totally blind people (SET and RESET): two multicentre, randomised, double-masked, placebocontrolled phase 3 trials Lancet 2015 ; 386(10005) : 1754-1764