Chapitre 14
Quel financement pour la réadaptation des personnes déficientes visuelles ?

F. Poher

Introduction

Le développement de la réadaptation visuelle en France est conditionné par la possibilité de financer les structures hospitalières de réadaptation. Plus que jamais, le financement pérenne de ces structures apparaît aujourd’hui fragile.

La question du financement d’un établissement de santé en général, ou en particulier d’une structure de soins de suite et de réadaptation (SSR) ou d’une structure hospitalière de réadaptation visuelle (SSR-DV), est contenue tout entière dans celle de la gestion des incertitudes, appelée dans un terme plus actuel gestion des risques.

Leur mesure conduit à poser trois questions préalables :

  • Combien de patients seraient concernés ?

  • Peuvent– ils accéder aux soins ?

  • Quel est le coût d’une prise en charge ?

Combien de personnes déficientes visuelles relèvent-elles chaque année d’une prise en charge en réadaptation ?

À ce jour, nous ne disposons malheureusement pas de réponse à cette première question.

Le nombre de déficients visuels est approximatif : 1,7 million, dont 207 000 malvoyants profonds et aveugles selon le premier bilan du plan handicap visuel (2008-2011) dont la source est l’enquête HID (Handicap, incapacités, dépendance) dite des Pays-de-Loire dont une bonne synthèse a été publiée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS, Études et Résultats, n° 416, juillet 2005).

La France ne dispose ainsi pas d’enquête épidémiologique sur la déficience visuelle.

Le besoin de réadaptation doit donc être construit de façon empirique, par exemple sur le fondement de l’expérience empirique de l’ARAMAV à Nîmes : 40 patients de la région y viennent chaque année en réadaptation, et ce depuis 10 ans.

Sachant qu’il existe également des services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH) dans son environnement (Avignon, Montpellier), cette demande, une fois extrapolée, établit le besoin national à 1000 séjours par an en SSR, que ce soit en hôpital de jour ou en hospitalisation complète.

L’accès à un programme de réadaptation pour les déficients visuels est-il assuré ?

À cette question sur l’offre, la réponse est là encore incertaine, à deux titres :

  • l’existence même des établissements et des programmes de réadaptation est encore mal connue des personnes déficientes visuelles et encore davantage des professionnels;

  • le maillage territorial est encore très incomplet et hétérogène.

Quel est le coût moyen d’un programme de réadaptation ?

Il s’agit pour le gestionnaire de produire un ensemble équilibré entre dépenses et recettes.

DÉPENSES

Les dépenses sont directement liées aux pratiques cliniques.

Suivant les méthodes employées et les pathologies prises en charge, un programme peut être extrêmement variable, allant de quelques séances d’hôpital de jour jusqu’à 6 mois en hospitalisation complète. La dépense, le coût moyen d’un programme peut donc varier de 3 500 à 35 000 € environ, soit un rapport de 1 à 10.

Un élément est cependant commun à tous les établissements, c’est la densité. En soins de suite polyvalent, un patient bénéficie au mieux de 10 à 15 heures de réadaptation par semaine. En SSR pour déficients visuels, on passe à 15 à 25 heures par semaine.

Le coût en ressources humaines d’un SSR-DV peut donc être supérieur de 15 à 20 % par patient par rapport aux SSR polyvalents, notamment en rééducateurs.

RECETTES

Les recettes sont cependant celles d’un SSR polyvalent.

La prise en charge de patients déficients visuels a été reconnue dans les décrets d’avril 2008 (décrets n° 2008-377 du 17 avril 2008 réglementant l’activité de soins de suite et de réadaptation) sans pour autant en faire une catégorie spécifique.

Le nouveau modèle de financement engagé à partir de 2017 fait peser une grande incertitude sur l’avenir de nos activités.

La tarification à l’activité (T2A) SSR repoussée plusieurs fois devrait s’appliquer à compter du 1er janvier sous le nom de dotation modulée à l’activité (DMA).

Chaque séjour devrait être rémunéré en fonction d’un mode de description des activités qui prend très peu en compte les ressources réellement consommées. Le dispositif des bornes hautes et basses, bien connu en MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) devrait également être appliqué, mécanisme qui n’est pas neutre pour nos pratiques cliniques.

Enfin, la dimension des unités est une source de fragilité tant organisationnelle que budgétaire.

Des professionnels en petit nombre, souvent à temps partiel, hautement qualifiés donnent peu de solutions au gestionnaire. Chaque absence ou départ est un casse-tête difficile à surmonter. Le principe « un patient – un rééducateur », gage de qualité, est mis à mal dès que le professionnel et/ou le patient s’absente. Les conséquences budgétaires tant en dépenses (heures supplémentaires, formations, etc.) sont tout aussi immédiates que les pertes de recettes.

De leur côté, les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), souvent par méconnaissance de nos spécificités, dressent l’obstacle de la prise en charge des transports, alors que c’est la rareté de l’offre qui génère ces coûts induits par la distance entre domicile et lieu de soins.

Conclusion

Le financement des établissements recevant des déficients visuels est non seulement incertain, mais de plus fera sans doute face dans les années qui viennent à une remise en cause sans précédent de ses pratiques. L’incertitude tient à l’absence de bases épidémiologiques qui quantifierait le besoin, et à la rareté de l’offre qui perdure encore aujourd’hui. La diversité des pratiques et la réforme de la tarification sont des risques majeurs qui pèsent sur la conduite médico-administrative des établissements pour les années à venir.

La pérennité de l’activité médicale de réadaptation de la déficience visuelle dépend de la capacité des acteurs de la « basse vision » d’élaborer et de défendre sans tarder un ensemble de bonnes pratiques. Des pratiques cliniques éprouvées, évaluées, partagées sont seules à même de décrire pathologie par pathologie, patient par patient, les programmes de réadaptation à préconiser. Cela suppose de disposer de bilans (ophtalmologiques, ergothérapiques, orthoptiques, etc.) à même de préparer la prescription médicale de réadaptation, que celle-ci s’exerce en ambulatoire, en hôpital de jour ou en hospitalisation complète. La prescription induit les ressources nécessaires et ainsi le coût du programme.

Sans ce travail, qui est déjà engagé entre professionnels au sein du groupe des SSR pour déficients visuels, les négociations pour obtenir une tarification adaptée seront difficiles sinon vaines.

Mais, au travers de notre spécificité, de l’innovation, de la formation des professionnels, etc., des opportunités se présenteront à nous pour compléter nos financements et assurer la pérennité des prises en charge au bénéfice des patients.

À l’heure où ces lignes sont écrites, rien ne permet de dire que le financement actuel de nos programmes de réadaptation est garanti au-delà de la période 2017-2022 de montée en charge de la réforme du financement. Il faut agir.