Chapitre 16
Dix propositions pour ptimiser la prise en charge des personnes déficientes visuelles en France

F. Gérin- Roig, G. Dupeyron, B. Le Bail , B. Bodaghi , J. ‑A . Sahel , C. Corbé, P. -Y. Robert

Le début du XXIe siècle marque la reconnaissance de la réadaptation des personnes déficientes visuelles en tant qu’activité professionnelle pluridisciplinaire, au-delà des soins ophtalmologiques, et avant le relais par le tissu associatif. La conférence de consensus de l’OMS (Rome 2015) constitue un pas important dans cette reconnaissance à l’échelle mondiale (voir chap. 15).

Dans les années qui viennent, les besoins en réadaptation des personnes déficientes visuelles vont augmenter, du fait du vieillissement de la population et des progrès de traitement des pathologies cécitantes. L’optimisation de la prise en charge du handicap visuel est également susceptible de réduire fortement le coût de la dépendance, et s’inscrit notamment dans la politique de prévention du mauvais vieillissement.

Néanmoins, cette prise de conscience s’effectue dans un contexte économique difficile :

  • les médecins ophtalmologistes, de moins en moins nombreux, sont amenés à se focaliser encore davantage sur l’activité de soins, au détriment de la réadaptation;

  • les difficultés financières pour accéder aux soins se multiplient (notamment les frais d’appareillage et de transport);

  • la mise en place, voire le maintien d’équipes pluridisciplinaires spécialisées est plus que jamais difficile.

Dans ce contexte, notre réflexion doit porter sur l’amélioration de la prise en charge des personnes en situation de handicap visuel en général, et pas uniquement sur l’optimisation de l’offre de soins en réadaptation.

Nous listons ci-dessous dix propositions, destinées à optimiser la prise en charge des personnes déficientes visuelles en France pour les années qui viennent :

1 – Encourager l’implication des ophtalmologistes

L’ophtalmologiste est par essence la clé de voûte et le chef d’orchestre du processus de réadaptation des personnes déficientes visuelles. Il a la responsabilité du dépistage, de l’annonce, de l’adressage vers les structures de réadaptation et du suivi des pathologies cécitantes.

Si les ophtalmologistes se désintéressaient de la déficience visuelle, c’est la crédibilité de toute la profession qui s’en trouverait affectée.

La commande de ce rapport Déficiences visuelles par la Société française d’ophtalmologie (SFO) en 2017 est un signe fort, qui montre que la sensibilisation massive des ophtalmologistes est en marche.

2 – Identifier, recenser et mobiliser les ressources existantes

En raison d’une absence de consensus de prise en charge, des initiatives très variées ont vu le jour dans de nombreuses régions (professionnels isolés ou structures pluridisciplinaires), et il demeure très difficile de répertorier l’existant. Il est possible d’optimiser la prise en charge en identifiant l’ensemble des acteurs, et en faisant reconnaître leur caractère professionnel, notamment à la lumière des nouvelles recommandations de l’OMS (voir chap. 15).

3 – Diffuser le numéro vert national gratuit – 0800 013 010

Ce numéro vert a été créé pour être diffusé tant auprès des professionnels que du grand public, avec un triple objectif :

  • permettre aux personnes concernées (professionnels et patients) de pouvoir accéder aux services;

  • mettre en lien les ressources existantes;

  • disposer d’un service social hyperspécialisé dans la déficience visuelle.

4 – Promouvoir la communication entre les différents acteurs

La prise en charge des personnes déficientes visuelles ne se conçoit que pluridisciplinaire et sur une longue durée. Il est donc indispensable de permettre aux différents acteurs de communiquer et de travailler ensemble, dans un échange rapide et efficace d’informations.

  • L’utilisation systématique du certificat ophtalmologique devant toute personne en situation de handicap visuel devrait permettre aux ophtalmologistes de communiquer rapidement avec le médecin généraliste et les acteurs de réadaptation (voir chap. 11, paragraphe « Le certificat ophtalmologique »). Ce certificat ne se limite pas au lien avec les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), mais constitue un formulaire à vocation universelle pour tous les acteurs.

  • Le développement de réseaux de soins à l’échelle d’un département ou d’une région doit être encouragé. L’avènement récent des groupements hospitaliers de territoire (GHT) peut y contribuer.

5 – Consolider les structures pluridisciplinaires spécialisées et en créer de nouvelles

Le nombre des structures existantes est bien en dessous des besoins en France. Il faut créer de nouvelles structures pluridisciplinaires :

  • structures de proximité, privilégiant une prise en charge ambulatoire et séquentielle, de type service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH);

  • structures de recours avec hospitalisation, de type soins de suite et de réadaptation (SSR).

Ces structures pluridisciplinaires spécialisées doivent apporter une réponse très spécialisée (incluant tous les professionnels nécessaires à la prise en charge d’une personne déficiente visuelle) et s’inscrire dans un fort maillage partenarial sanitaire, médico-social, social et associatif.

La consolidation des structures existantes et la création de nouvelles structures passent probablement par une réévaluation de la valorisation des actes de réadaptation (voir chap. 14).

6 – Optimiser l’accessibilité pour les personnes déficientes visuelles

Améliorer l’accessibilité implique autant des changements du cadre environnemental (personnel et professionnel) que l’information de personnes (famille et entourage professionnel). La méconnaissance de l’entourage joue un rôle majeur dans le processus de production du handicap (PPH).

7 – Faire connaître la réadaptation des personnes déficientes visuelles

Les propositions, les résultats, les opportunités d’une réadaptation visuelle sont très peu connues du grand public, et du corps médical en général. Encore trop souvent, les patients viennent aux structures de réadaptation par bouche à oreille ou par opportunité, au terme d’un long parcours solitaire. Une information large est encore à promouvoir.

8 – Coordonner les formations des acteurs sur un socle commun

La prise en charge des personnes déficientes visuelles souffre d’un déficit de formation des différents acteurs. De nombreux efforts sont faits actuellement pour inclure l’enseignement des spécificités du handicap visuel dans les études des nombreuses professions médicales et paramédicales concernées. On pourrait aller plus loin, par exemple par une formation commune avec enseignement d’un tronc commun théorique, qui pourrait ensuite conduire aux différentes spécialités de la rééducation des personnes déficientes visuelles. On pourrait également créer des possibilités de passerelle entre ces différentes qualifications, ce qui permettrait, notamment au sein des institutions, de disposer d’une relative polyvalence.

On pourrait également organiser des formations pratiques adaptées, destinées aux professionnels susceptibles d’intervenir au domicile des personnes déficientes visuelles : ergothérapeutes, aides à domicile, infirmiers, aide-soignants, aidants, etc. (voir chap. 12).

9 – Promouvoir la recherche

Les pathologies cécitantes sont actuellement dans une phase d’exploration sans précédent, porteuse de grands espoirs pour les patients.

Parallèlement, il importe de développer aussi des axes de recherche en relation avec la neurophysiologie, les moyens d’exploration, l’épidémiologie, ou les techniques de rééducation, destinées à promouvoir et améliorer la réadaptation des personnes déficientes visuelles.

10 – Unifier les acteurs au sein de l’ARIBa

La déficience visuelle en France souffre d’un morcellement de ses instances représentatives, et les professionnels de la réadaptation visuelle peinent souvent à parler d’une même voix.

La reconnaissance de la réadaptation visuelle professionnelle en France nécessite un organisme de représentation qui soit apolitique, professionnel, sans conflit d’intérêt, représentatif du caractère multidisciplinaire, et en connexion avec les sociétés savantes et les universités.

L’Association francophone des professionnels de basse vision (ARIBa) vient de fêter ses 20 ans et est aujourd’hui reconnue comme la Société francophone de réadaptation visuelle. Elle a la caution de la SFO et du collège des ophtalmologistes universitaires de France. Nous souhaitons qu’elle développe dans les années qui viennent son rôle d’interlocuteur privilégié des tutelles ministérielles et des organismes financeurs.