Chapitre 12
Les métiers de la déficience visuelle et l’offre de formation en France

G. Dupeyron

Les métiers de la basse vision
LES BASES DE LA RÉADAPTATION DE LA DÉFICIENCE VISUELLE EN FRANCE

L’expression « rééducation basse vision » (RBV), traduction de la langue anglo-saxonne, peut parfois prêter à confusion. Celle de réadaptation des déficients visuels (RDV) est plus adaptée à notre système d’organisation des soins, notamment pour deux particularités :

  • l’existence d’une spécialité paramédicale dédiée à la rééducation de la déficience visuelle : l’orthoptie;

  • la médicalisation en général de la prise en charge réadaptative des personnes en situation de handicaps moteurs, neurologiques, sensoriels, mentaux ou psychiques dans le cadre de la spécialité de médecine physique et de réadaptation (MPR) au sein de services de soins de suite et de réadaptation (SSR) spécialisés (Fig. 12-1).

Ce concept de médicalisation, qui fait toute la richesse de notre système organisationnel et permet en outre de grandes adaptabilité et évolutivité des pratiques professionnelles, est fondé sur des bases à la fois neurophysiologiques et psychocognitives : le principe de base est de considérer la vision en tant que représentation mentale, à savoir la reconstruction d’une image par le cerveau, à partir des informations reçues du monde extérieur à 80 % par le système visuel et à 20 % par les autres afférences : tact, audition, olfaction, goût, proprioception.

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Fig. 12-1 Un service de soins de suite et de réadaptation (SSR) pour déficients visuels, l’Institut ARAMAV.

LE PROJET MÉDICAL DE RÉÉDUCATION BASSE VISION EN FRANCE

Comme tout projet de MPR, la réponse médicale handicapologique à la déficience visuelle comporte deux grands chapitres (Fig. 12-2) décrits ci-après.

OPTIMISATION DE LA FONCTION DÉFICIENTE : LA VISION

C’est le rôle des trois « O » (ophtalmologiste, orthoptiste et opticien) qui, après évaluation de la vision fonctionnelle (par exemple vision restante ou résiduelle), vont mettre en place des stratégies neuromotrices et neurosensorielles ainsi que l’adaptation à des aides techniques et visuelles. C’est le cas par exemple avec le développement des points de fixation de suppléance (PFS) dans la prise en charge réadaptative des patients atteints de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) (Fig. 12-3 et Fig. 12-4).

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Fig. 12-2 Principes de la rééducation et de la réadaptation des déficients visuels en médecine physique et réadaptation (MPR).

RECOURS AUX SENS COMPENSATOIRES

Selon l’importance et l’efficacité de la vision fonctionnelle du patient, et lorsque la recherche d’autonomie maximale n’a pu être atteinte par la seule rééducation orthoptique, le développement des sens compensatoires est assuré par deux grandes spécialités :

  • l’ergothérapeute est chargé du développement du sens tactile, d’abord de façon analytique puis peu à peu adapté aux activités de la vie journalière (AVJ) (Fig. 12-5). D’autres activités sont développées par les ergothérapeutes : braille, dactylographie, informatique adaptée;

  • le psychomotricien est responsable du travail sur la perception souvent dégradée et perturbée du schéma corporel (posture, équilibre, tonus, proprioception). Il effectue un travail fondamental souvent nécessaire en préambule à une prise en charge des capacités de déplacements, décrites en France par le terme de locomotion (orientation et mobilité ou orientation and mobility des Anglo-Saxons).

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Fig. 12-3 Orthoptie.

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Fig. 12-4 Orthoptie.

LES MÉTIERS DE LA RÉADAPTATION DES DÉFICIENTS VISUELS (RDV) en France

De cette organisation découle le choix des diplômes permettant l’organisation de ces projets médicaux.

MÉTIERS SANCTIONNÉS PAR UN DIPLÔME D’ÉTAT

Les principaux métiers sanctionnés par un diplôme d’État (DE) sont : l’ophtalmologiste (le prescripteur); l’orthoptiste; l’opticien; l’ergothérapeute; le psychomotricien.

La reconnaissance par l’État de ces diplômes permet d’inscrire ces intervenants sur les lignes budgétaires des établissements concernés (soins de suite et de réadaptation [SSR], service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés [SAMSAH], service d’accompagnement à l’acquisition de l’autonomie et à la scolarisation [SAAAS], etc.).

Notons toutefois que si l’ophtalmologiste et l’orthoptiste ne rencontrent pas de difficultés pour une installation libérale, il n’en va pas de même pour les ergothérapeutes et les psychomotriciens, dont les actes en libéral ne se sont pas remboursés par la Caisse d’assurance maladie. Depuis peu de temps, beaucoup de mutuelles acceptent en revanche de participer plus ou moins à ces frais de prise en charge.

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Fig. 12-5 Ergothérapie.

AUTRES MÉTIERS

D’autres métiers sont nécessaires à la mise en place de ces projets de RDV. Ce sont souvent des surspécialités plus ou moins reconnues officiellement, mais indispensables au bon déroulement des projets médicaux. Citons :

  • la spécialisation d’instructeur en locomotion (Fig. 12-6);

  • la spécialisation d’instructeur en AVJ, plutôt destinée aux ergothérapeutes;

  • la spécialisation en basse vision pour les opticiens et les orthoptistes, voire les ophtalmologistes;

  • la spécialisation à la déficience visuelle des intervenants éducatifs et enseignants chez l’enfant déficient visuel (par exemple professeur de braille (Fig. 12-7) ou d’informatique adaptée).

Enfin, d’autres métiers moins ciblés sur la déficience visuelle sont souvent nécessaires à la mise en place des programmes médicaux les plus complets comme on les rencontre dans les institutions telles que les SSR; par exemple (liste non exhaustive) : médecin généraliste, neurologue ou neuro-ophtalmologiste, gériatre, psychiatre, médecin MPR, assistante sociale, infirmier, psychologue, kinésithérapeute, éducateur spécialisé, moniteur éducateur, aide médico-psychologique (AMP), orthophoniste, etc.

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Fig. 12-6 Instructeur en locomotion.

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Fig. 12-7 Instructeur en braille.

L’offre de formation en France

La formation aux métiers de la déficience visuelle en France comprend des formations menant aux diplômes d’État : ophtalmologiste, orthoptiste, opticien, ergothérapeute, psychomotricien. Elle comprend également des formations complémentaires aux diplômes d’État, en nombre relativement important, qui couvrent les spécificités variées de la prise en charge des déficients visuels : locomotion, AVJ, spécialisation d’opticien, etc. Cette diversité est la conséquence directe de la pluridisciplinarité de la réponse handicapologique à la déficience visuelle.

Le problème posé aux responsables des différents projets de rééducation est la reconnaissance de ces surspécialités et leur valorisation, tant en milieu libéral qu’en milieu institutionnel.

Aujourd’hui, une réflexion ministérielle est en cours pour un grand nombre de diplômes d’État, notamment à la faveur d’une universitarisation selon le système européen « Licence-Master-Doctorat » (par exemple le décret de 2014 pour les études d’orthoptie).

À la faveur de cette réingénierie en cours des diplômes d’État, les professionnels de la déficience visuelle appellent de leurs vŒux une réorganisation de ces surspécialités.

L’idéal serait de mettre en place une formation commune avec enseignement d’un tronc commun théorique, qui pourrait ensuite conduire aux différentes spécialités de la rééducation des déficients visuels. On pourrait également créer des possibilités de passerelle entre ces différentes qualifications, ce qui permettrait, notamment au sein des institutions, de disposer d’une relative polyvalence restreinte.

Conclusion

L’école française de réadaptation des déficients visuels propose une réponse médicalisée pluridisciplinaire, fondée sur les bases neurophysiologiques et psychocognitives. Cette approche est le gage d’une très grande richesse de tous ces projets, médicaux, médico-sociaux ou sociaux.

Cette particularité du système de soins français, développée par tous les intervenants d’horizons différents, est soutenue, défendue et analysée au sein de l’Association francophone des professionnels de basse vision (ARIBa).

C’est aussi un gage fondamental d’évolutivité et d’adaptation des pratiques professionnelles aux progrès des techniques et des connaissances dans le monde des neurosciences.