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CHAPITRE 18
Myopie, myodésopsies et vitré

M.D. DE SMET

Introduction
Les myodésopsies sont fréquentes chez les myopes. Elles se présentent à un jeune âge, parfois même à l'adolescence [ 1 ]. Les altérations du vitré, sa liquéfaction ainsi que l'apparence précoce d'un décollement postérieur du vitré (DPV) contribuent à la formation des corps flottants [ 2 ]. La myopie, surtout d'origine axiale, en agrandissant les objets au plan rétinien, accentue d'autant la symptomatologie [ 3 ]. Néanmoins, la sévérité de la myopie ne semble pas influer sur la sévérité de la gêne qu'exprime le patient. D'autres facteurs tels que l'âge du sujet (surtout jeune), un caractère précis et méticuleux, une prédisposition psychologique, dont la présence d'un état de forte anxiété, dépressif (voire suicidaire) sont des facteurs prédisposants [ 4–6 ]. Il est difficile d'objectiver la gêne, bien qu'elle soit présente chez 70 % des myopes interpellés, possiblement en raison entre autres d'un usage de plus en plus important d'écrans, que ce soit ceux des ordinateurs, des tablettes ou des smartphones. On peine également à définir la source de cette gêne car elle dépend à la fois de phénomènes physiologiques, optiques, réfractifs et du positionnement relatif des corps flottants dans le vitré en regard de la macula. En définitive, seul le patient est en mesure de déterminer l'ampleur de sa gêne et de la nécessité d'intervenir. Il en résulte une définition fonctionnelle de « myodésopsies symptomatiques » (MS) correspondant à des mouches volantes suffisamment sévères pour causer des symptômes durant une période minimale de 3 mois et causant une gène visuelle suffisante pour que l'intéressé(e) explore des solutions thérapeutiques [ 7 ].
Sources des myodésopsies
La durée de 3 mois mentionnée ci-dessus permet de distinguer les MS d'un DPV aigu. Ce dernier normalement devient moins gênant dans ce laps de temps. Leur persistance au-delà de cette période est une indication de leur sévérité où de l'incapacité de l'intéressé(e) de s'adapter à cette nouvelle situation.
On peut donc distinguer deux types principaux de MS : 1) MS en l'absence de DPV; 2) MS avec DPV. Les MS peuvent également être primaires (en relation directe avec les collagènes du vitré) ou secondaires à une déchirure de la rétine, une hémorragie vitréenne, une hyalite, une amyloïdose, ou une hyalose astéroïde.
Le vitré est formé d'un gel hautement hydraté (98 % d'eau), dont la composante principale est le collagène II et le collagène V/XI qui en forment la structure fibrillaire. Le collagène IX présent à des intervalles réguliers le long de la surface des fibres maintient, par la présence de chondroïtine et d'aminoglycanes à sa surface, un espacement constant entre les fibres, prévenant ainsi leur agrégation [ 2 ]. En vieillissant, la perte de l'acide hyaluronique, substance intercalaire, et des aminoglycanes permet une condensation des fibres, et permet la formation de cavité ne contenant que du liquide (synérise). Vers 40 ans, 20 % du gel est liquide. Cette proportion atteint 50 % chez une personne de 80 ans [ 7 ]. La condensation des fibres induit également une traction antéropostérieure sur l'interface du vitré et de la rétine, menant à un DPV. Ces processus sont accélérés chez les patients myopes proportionnellement au degré de myopie. Ainsi, en moyenne, un DPV se déclare vers l'âge de 60 ans chez les emmétropes, vers 56 ans chez les myopes de –5 D, 52 ans chez les myopes de –10 D, et 43 ans en présence d'une myopie de –20 D [ 2 ].
La condensation des fibres forme des amas plus ou moins opaques. C'est l'ombre générée par ces opacités lorsqu'elle rejoint la rétine qui est perçue par le patient. Cette dernière est d'autant plus visible quand elle a un diamètre important, est près de la surface de la rétine et en présence d'une pupille de petite dimension (celle-ci allonge la distance sur laquelle une ombre est perçue) [ 2 , 8 ].
Le concept du vieillissement du vitré explique bien ces corps flottants que décrivent les patients comme étant des mouches volantes ou des ombres qui se déplacent devant le champ visuel. Sur l'OCT, celles-ci se manifestent par la présence de condensation dans le vitré, et elles sont souvent associées à la présence d'un DPV partiel ou complet ( fig. 18-1
Fig. 18-1
OCT de 30°, moyenne de 50 coupes.On observe une condensation dense du vitré où un décollement postérieur du vitré (DPV) est au stade initial de formation. La large condensation crée également une ombre visible sur la rétine. Elle correspond à une ombre sur l'image SLO (flèche).
). Elles sont également visibles à l'ultrason du centre de la cavité vers la rétine. Cette description classique des myodésopsies ne dépeint pas de façon adéquate la situation des jeunes patients où le vitré est toujours attaché, qui décrivent leur gêne comme un flou visuel en présence d'une source de lumière plus ou moins vive [ 9 ]. Dans ces cas, c'est la structure même du vitré qui semble en cause. On retrouve à l'OCT des condensations près de la rétine (au niveau de la bourse prémaculaire). Ces condensations forment des sources ponctuelles de lumière menant à un éblouissement lié à la dispersion de la lumière à l'intérieur de l'œil ( fig. 18-2
Fig. 18-2
OCT de 30°, moyenne de 40 coupes.On note sur la face antérieure de la bourse prémaculaire des condensations qui peuvent former des points de diffusion de la lumière incidente. Cette lumière diffuse génère un éblouissement qui gêne la lecture et brouille les contours des objets.
). Dans ce second contexte, les patients notent une baisse d'acuité en présence d'un éclairage plus ou moins intense (souvent considéré comme normal), la difficulté à lire les sous-titres sur les écrans, ou lorsqu'une personne est rétro-illuminée (devant une fenêtre) [ 9 ]. Dans ces circonstances, le vitré est souvent libre des opacités classiques.
Mesures de la gêne
Objectiver la gêne d'un patient n'est pas facile, car la simple présence d'une opacité ou d'une anomalie de structure ne veut pas dire que le patient est symptomatique et souffre de MS. Il est donc nécessaire de réaliser une série de mesures commençant par un examen détaillé à lampe à fente et l'ophtalmoscopie indirecte et de les compléter par les examens ci-dessous.
Le laser à balayage optique ( scanning laser ophthalmoscope [SLO]) permet, par son petit faisceau, d'objectiver la présence d'opacités près de l'axe visuel sous la forme d'une ombre ( fig. 18-3
Fig. 18-3
Image couleur multispectrale de 30°, montrant la présence de corps flottants dans la partie supérieure de l'image.L'ophtalmoscope à balayage laser, par son petit diamètre, permet de projeter les opacités sur la rétine. Le centre est en général dense, mais ce dernier est entouré d'une zone plus claire. Cette combinaison est particulièrement visible dans l'opacité de gauche.
). La forme projetée sur la rétine correspond fréquemment à celle décrite par le patient qui la reconnaît volontiers sur l'image générée.
L'OCT spectral permet de visualiser des opacités localisées près de la surface de la rétine. Puisque l'OCT est focalisé sur l'interface entre le vitré et la rétine, un décentrage du faisceau de +1,0 à +2,0 D peut permettre de visualiser des opacités présentes à une distance d'environ 2 mm. Le gel étant une matrice constamment en mouvement, plus le balayage est rapide, plus le vitré est visualisé, d'où l'avantage des nouveaux appareils de type swept. Un champ plus large permet également de mieux évaluer la structure du vitré et l'étendue du DPV s'il est présent.
L'échographie, particulièrement avec des sondes entre 15 et 20 MHz, permet de localiser les opacités dans la cavité vitréenne. Sauf pour des opacités de grandes tailles, qui sont toujours gênantes (visibles souvent par biomicroscopie), les opacités de plus petite taille qui sont problématiques sont situées dans la moitié postérieure du vitré. Certaines nouvelles modalités telles que l'ultrasonographie quantitative pourront peut-être à l'avenir mieux quantifier la gêne exprimée par les patients [ 4 ].
L'éblouissement causé par la dispersion intraoculaire de la lumière à partir des opacités et des anomalies du vitré se mesure grâce au C-Quant® (Oculus GmbH, Wetzlar, Allemagne) [ 9 , 10 ]. L'éblouissement chez des patients phaques est de 40 % supérieur dans l'œil affecté lors d'une gêne unilatérale. Cette différence statistiquement significative se traduit par une altération de la vision : perte de contraste et des couleurs, contour d'objet diffus, particulièrement en présence de rétro-illumination ( fig. 18-4
Fig. 18-4
Images prises par une caméra montrant sur la droite l'effet d'une myopisation à une vision de 0,4 et sur la gauche une augmentation de la dispersion de la lumière causant un éblouissement équivalent à log(s) = 1,47.Cette valeur est la gêne fréquemment enregistrée chez des patients se plaignant d'une baisse d'acuité due à la lumière. L'image centrale est l'image non modifiée.
(Source : Castilla-Marti M, van den Berg TJTP, de Smet MD. Effect of vitreous opacities on straylight measurements. Retina 2015; 35 : 1240–6. Wolters Kluwer Health, Inc.)
) [ 9 ].
Finalement, des tests tels que la sensibilité aux contrastes et des questionnaires standardisés peuvent aider à objectiver et quantifier la gêne lorsque des approches plus objectives en sont incapables [ 4 ].
Options thérapeutiques
L'approche la plus commune consiste à rassurer le patient sur la nature bénigne de son affection. Avec le temps, la symptomatologie devient moins sévère à la fois en raison de l'accoutumance et du déplacement du vitré vers l'avant de la cavité vitréenne. Si l'on peut réduire le niveau de lumière qui pénètre dans l'œil, cela peut réduire l'éblouissement généré. Une diminution de l'intensité lumineuse conduira également à un élargissement de la pupille, ce qui diminue d'autant la longueur de l'ombre générée et donc de la gêne. Une surface non réfléchissante, une lumière tamisée et indirecte pour la lecture sont autant de mesures simples et efficaces.
Les approches chirurgicales ne devraient être envisagées qu'après un examen approfondi, et après avoir bien exposé, sans pression, les risques d'une intervention. Le patient doit également bénéficier d'un temps de réflexion suffisamment long, afin d'éliminer tout élément de pression associé à sa décision. L'examen préopératoire devrait comprendre, si ce n'est déjà fait, l'anamnèse concernant un décollement de la rétine, une prématurité, une arthrite. À l'examen, la pars planite et les infiltrats à la base du vitré doivent être éliminés ainsi que la présence d'œdème maculaire et d'une membrane épirétinienne. Un examen étendu pourrait comprendre une angiographie fluoroscéinique afin d'éliminer des zones occultes de non-perfusion, et chez les myopes forts, dans certains cas, l'examen du palais et de l'audition. Cet examen approfondi est d'autant plus important que la majorité des patients ont une bonne vision.
Les interventions impliquent l'ablation des corps flottants, principalement par le biais de la vitrectomie sans suture ou leur lyse par laser Nd:YAG. On peut espérer à l'avenir voir apparaître une approche pharmacologique ciblant l'interface entre la rétine et le vitré, mais la microplasmine, par exemple, tend à augmenter le nombre de corps flottants plutôt qu'à les diminuer. Une combinaison avec une bulle de gaz serait plus efficace, mais augmenterait le risque de déchirure, rendant le risque associé à ce type d'intervention trop élevé pour le moment.
La vitréolyse au laser Nd:YAG s'effectue en focalisant le laser par le biais de lentilles de contact sur des corps flottants visibles à la lampe à fente. Il est important que ceux-ci soient suffisamment distants de la rétine et du cristallin pour éviter des complications. Le mécanisme d'action proposé consiste en la lyse des fibres qui maintiennent ces corps flottants près de l'axe visuel, ce qui permet de les déplacer vers la périphérie. Si l'énergie est suffisante, les corps flottants peuvent être vaporisés, mais cette vaporisation est rarement totale pour les condensations importantes pour lesquelles on propose un traitement. Plusieurs sessions avec de nombreuses applications sont souvent nécessaires pour obtenir un effet satisfaisant, en grande partie avec la conversion d'une grande tache obscure en de multiples petites taches moins visibles. La distance minimale à conserver par rapport à la rétine varie selon les auteurs de divers articles, mais elle serait de l'ordre de 2 à 4 mm. Plus on s'approche de la rétine, plus l'énergie doit être faible : ± 1,2 mJ par pulsation, en choisissant une onde de choc visant l'avant et non l'arrière du point de focalisation. L'approche a l'avantage d'éviter la pénétration de l'œil et donc une infection, mais elle n'est pas sans risque puisque des cas de trous dans la rétine, d'hémorragie choriorétinienne et dans le vitré ont été décrits. Quelques cas de cataractes et même de glaucome induits par le Nd:YAG ont été décrits dans la littérature.
L'ablation des myodésopsies par vitrectomie se pratique de plus en plus et on retrouve dans la littérature de nombreux articles positifs à ce sujet. La majorité des interventions se font par vitrectomie sans suture et de faible gauge (25 G ou 27 G). Les réglages sont ceux couramment utilisés pour la vitrectomie. L'induction d'un DPV n'est, en revanche, pas standard. Elle est fréquemment pratiquée chez des patients pseudophaques ou lors d'une intervention combinée, mais elle n'est pas routinière chez les patients jeunes. En effet, une vitrectomie limitée à la zone située au-dessus de la fovéa limite le risque de déchirure et de décollement de la rétine, ainsi que de la cataracte [ 4 ]. Il est possible que, lors de l'apparition spontanée d'un DPV à la suite de la vitrectomie, de nouveaux corps flottants se forment ou qu'une membrane épirétinienne apparaisse, mais ces risques sont limités sur 2 ans [ 4 ]. Le risque de cataracte est faible en dessous de 50 ans, surtout si la vitrectomie est limitée. La chirurgie résulte en une baisse des mesures de l'éblouissement [ 10 ]. Cette baisse est plus importante en présence d'un DPV préalable.
La figure 18-5
Fig. 18-5
Algorithme de prise en charge d'un patient atteint de myodésopsies symptomatiques.
récapitule la prise en charge du patient atteint de MS.
Points clés
  • Les myodésopsies peuvent se présenter à tout âge et sont fréquentes chez les patients myopes.
  • Elles sont plus fréquentes suite à un décollement postérieur du vitré partiel ou complet, mais peuvent être présentes dans un vitré intact en raison d'anomalies inhérentes au vitré.
  • La myopie axiale accentue la symptomatologie en agrandissant les objets sur le plan rétinien.
  • En présence d'un myosis, les corps flottants sont plus visibles.
  • Chaque corps flottant peut en son centre refléter la lumière mais en périphérie agir comme source de lumière diffuse causant un éblouissement plus ou moins intense.
  • L'éblouissement, lorsqu'il est présent, provoque une baisse de la clarté des couleurs et un flou visuel, particulièrement en rétro-illumination (écran) ou face à des objets lumineux (phares de voiture).
  • Dans des cas objectivés par des examens cliniques, la chirurgie peut améliorer substantiellement la symptomatologie et améliorer la vision.
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