Chapitre 31
Autisme : troubles envahissants du développement et troubles du spectre autistique

S. Milazzo, W. Basson, B. Jany

Les troubles envahissants du développement (TED) se définissent comme un groupe de troubles caractérisés par des altérations qualitatives des interactions sociales réciproques et des modalités de communication, sur un fond de répertoire d’intérêts et d’activités restreints, stéréotypés et répétitifs.

Ces anomalies qualitatives constituent un caractère envahissant du fonctionnement du sujet dans toute situation. Ces symptômes évoluent tout au long de la vie.

Les TED regroupent des situations cliniques différentes, entraînant des situations de handicap très hétérogènes. Cette diversité clinique peut être précisée sous forme de catégories (TED) ou sous forme dimensionnelle (troubles du spectre de l’autisme).

La classification de référence des TED est la classification internationale des maladies – 10e édition (CIM-10) (tableau 31-1) [1].

Dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders 5 (DSM-5), on parle de troubles du spectre autistique (TSA). L’autisme infantile représentant un tiers de ces TED [2]. De multiples facteurs étiologiques sont mis en cause avec une forte implication génétique de gènes déficitaires dans le développement cérébral et la communication interneuronale [3]. Le diagnostic des TED est clinique et il n’existe pas d’éléments biologiques en faveur du diagnostic.

Tableau  31-1  - Classification CIM-10 des TED [1].

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Prévalence

La prévalence est comprise entre 1/150 et 1/38 [4], avec une variabilité interethnique et une forte prédominance masculine (ratio de 4,5/1) [4]. Cette prévalence augmente du fait de la meilleure connaissance du diagnostic et de son corollaire, un dépistage plus performant des critères diagnostiques [4, 5, 6, 7]. Une incidence plus importante d’associations à d’autres malformations a été mise en évidence et suggère que l’anomalie développementale se situerait entre la 4e et la 6e semaine de l’embryogenèse [8]. La Haute autorité de santé (HAS) préconise, dans son rapport de 2010 sur l’état des connaissances des TED, la recherche de pathologies associées et d’éléments étiologiques dont un examen de la vision et de l’audition, une consultation neurologique et une consultation génétique.

Examen de l’enfant autiste

L’examen doit être mené au sein d’une consultation spécialisée, l’ophtalmologiste n’étant pas le seul acteur. La visite des lieux avant la consultation, la mise à disposition de photos du personnel et des appareils dans le but de se familiariser avec ceux-ci est absolument nécessaire. Pendant la consultation, les soignants sont habillés en civil et une infirmière du centre de référence autisme est présente. Les examens sont menés dans une salle au calme, avec un horaire spécialement aménagé et un temps dédié conséquent (20 à 30 minutes par enfant). Les enfants bénéficient d’un examen orthoptique puis d’une consultation ophtalmologique. L’examen comporte une réfraction objective avec cycloplégie éventuelle par autoréfractomètre automatique ou portable (Rétinomax®), une mesure d’acuité visuelle, un examen du segment antérieur et du fond d’œil par ophtalmoscopie directe ou indirecte. Les appareils sont amenés progressivement à l’enfant avec possibilité pour lui de les toucher et de les regarder avant l’examen. Les autoréfractomètres automatiques portables à distance PlusoptiX® et 2win® peuvent être proposés chez certains enfants dont l’approche est difficile. Plusieurs consultations sont parfois nécessaires pour être informatives.

Anomalies oculaires

Pour définir la présence ou non des pathologies réfractives, nous utilisons les critères de l’American Association for Pediatric Ophthalmology and Strabismus (AAPOS) 2013 [9] définissant les seuils pour lesquels il existe des facteurs de risque d’amblyopie, c’est-à-dire :

  • chez les enfants de 12 à 30 mois : hypermétropie ≥ 4,5 D, myopie ≥ 3,5 D, astigmatisme ≥ 2 D, anisométropie ≥ 2,5 D ;

  • chez les enfants de 31 à 48 mois : hypermétropie ≥ 4 D, myopie ≥ 3 D, astigmatisme ≥ 2 D, anisométropie ≥ 2 D ;

  • chez les enfants de plus de 49 mois : hypermétropie ≥ 3,5D, myopie ≥ 1,5 D, astigmatisme ≥ 1,5 D, anisométropie ≥ 1,5 D.

Les données de la littérature montrent une forte proportion de pathologies potentiellement amblyogènes [10, 11, 12, 13, 14, 15]. Les troubles réfractifs ainsi que l’incidence du strabisme sont résumés dans le tableau 31-2. Le strabisme, l’hypermétropie et l’astigmatisme sont les principales pathologies rencontrées.

Une deuxième consultation est systématiquement prévue pour compléter l’examen chez certains enfants dont l’approche est difficile et pour lesquels les réfractomètres automatiques portables à distance (PlusoptiX® et 2win®) s’avèrent utiles. McCurry et al. ont retrouvé une sensibilité de 94 % , une valeur prédictive négative (VPN) de 93 % (une spécificité de 48 % , une valeur prédictive positive [VPP] de 52 % ) pour le PlusoptiX® S08 comme outil de dépistage des facteurs de risque d’amblyopie dans une population d’enfants présentant des TED [16]. Singman et al. ont retrouvé quant à eux une sensibilité de 88 % et une VPN de 78 % (spécificité de 87 % , VPP de 94 % ) [17]. Ces études démontrent l’intérêt de ces appareils comme outil de dépistage des facteurs de risque d’amblyopie dans cette population d’enfants dont l’approche est délicate.

Autres anomalies associées

Des neuropathies optiques en vitamine B12 ainsi que des xérophtalmies sévères, avec rétinopathies par atteinte des bâtonnets par déficit en vitamine A, ont été rapportées chez des enfants autistes [18, 19, 20, 21]; ces troubles relevaient de régimes alimentaires carencés secondaires aux troubles autistiques. Des anomalies de saccades sont également retrouvées chez ces patients atteints de TED [22]; elles seraient dues à un dysfonctionnement du cervelet et du tronc cérébral.

Conclusion

La mise en place d’une consultation dédiée est indispensable pour le dépistage ophtalmologique des enfants autistes, plus atteints de troubles réfractifs amblyogènes que la population générale. Un environnement serein pour les parents et l’enfant, l’accueil dans une salle d’attente dédiée et la prise en charge sans attente permettent un examen plus performant. Les parents et les équipes soignantes sont satisfaits de cette prise en charge par une équipe spécialisée.

Tableau  31-2  - Comparaison des différentes données de la littérature.

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* Celles en caractères gras indiquent qu’elles ont utilisé les critères de l’AAPOS 2013 [9].

AV : pourcentage (% ) de patients chez lesquels l’acuité visuelle a été mesurée ; H/F : homme/femme ; NC : non commenté ; Path. OPH : pathologies ophtalmologiques.

BIBLIOGRAPHIE

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