Chapitre 12Formes cliniques des strabismes

F. Audren, M.-A. Espinasse-Berrod, N. Gambarelli, A. Sauer, C. Speeg-Schatz, D. Thouvenin

I - Syndrome de strabisme précoce

D. Thouvenin

Le strabisme précoce, ou plutôt le « syndrome de strabisme précoce », correspond à l'ensemble des signes oculomoteurs et visuels survenant progressivement quand une déviation permanente des axes visuels est présente avant l'apparition des liens binoculaires, en pratique avant l'âge de six mois de vie.

Il traduit un dérèglement définitif de l'acquisition de la vision binoculaire, d'autant plus profond que l'apparition est précoce dans la vie. Son identification a permis de s'en servir de borne dans la classification des strabismes [30], séparant deux sortes de strabismes en fonction de ce qu'on peut espérer des résultats du traitement :

  • les strabismes apparaissant après acquisitions de la vision binoculaire, ou strabismes normosensoriels, pour lesquels le traitement peut faire espérer une guérison motrice et sensorielle ;

  • les strabismes précoces, apparaissant en cours de ce développement et l'entravant profondément ; le traitement ne peut alors que limiter les conséquences, sans jamais obtenir de guérison.

L'ensemble de signes sensoriels ou moteurs qui le constituent forme le syndrome. Certains signes en sont caractéristiques, directement liés à l'origine du trouble. D'autres sont moins spécifiques. Par exemple, la déviation strabique horizontale n'est qu'une facette non spécifique du syndrome ; on l'observe en grande majorité en convergence (ésotropie) mais parfois aussi en divergence (exotropie) voire en quasi-orthotropie (microstrabisme). D'ailleurs, cette déviation peut évoluer au cours de la vie, comme beaucoup d'éléments du syndrome.

Le terme de « strabisme précoce » (infantile strabismus) est préférable à celui de strabisme congénital, car le strabisme n'est pas toujours présent ou évident dès la naissance [37]. En revanche, le dérèglement oculomoteur et sensoriel initial trouve toujours son origine durant les six premiers mois de vie, phase de maturation fondamentale du système optomoteur, et laissera des séquelles durant toute la vie, quelle que soit la qualité du traitement médico-chirurgical [9]. Le terme « essentiel » - « strabisme essentiel à début précoce » de Hugonnier [17] - est parfois rajouté pour signifier l'absence de cause connue, notamment paralytique, musculaire ou accommodative.

Le syndrome est assez fréquent, entre 2 % et 5 % de la population générale, représentant 30 % à 50 % des désordres oculomoteurs.

Historique

L'étude de son historique est particulièrement intéressante car elle synthétise les courants de pensée et l'évolution de la strabologie récente. Beaucoup de grands noms de la strabologie du xxe siècle sont associés à l'identification du syndrome de strabisme précoce : C. Worth, B. Chavasse, F. Costenbader, M.M. Parks, C. Cüppers, J. Lang, G. von Noorden, A. Ciancia, M.-A. Quéré, A. Spielmann, E. Birch, L. Tychsen et bien d'autres. L'histoire du syndrome de strabisme précoce inclut les partisans d'une origine sensorielle par absence congénitale ou disparition très précoce de la fusion binoculaire (Worth, 1903) et les partisans d'une origine motrice empêchant le développement de la fusion (Chavasse, 1939). Cette opposition est importante puisque, dans un cas, il existe un déficit irrécupérable, dans l'autre une intervention précoce devrait permettre de laisser la fusion s'établir. Ceci n'est toujours pas prouvé :

  • Costenbader (1966) [11], puis Parks [34], puis Stager et Birch [4], fervents partisans de l'intervention précoce, ont montré que celle-ci donne de meilleurs résultats sensoriels, mais sans jamais de guérisons et au prix d'interventions souvent multiples ;

  • à l'opposé, von Noorden [36], Helveston [16] et plus généralement l'étude des résultats du traitement, aussi précoce soit-il, semblent en faveur d'un déficit sensoriel initial et irrécupérable. Les travaux visant à tenter de normaliser la correspondance rétinienne se sont soldés par des échecs systématiques. Le meilleur résultat sensoriel possible après traitement aussi précoce soit-il est l'obtention d'un microstrabisme, avec fusion et stéréoscopie de bas grade ou « union binoculaire » de Quéré.

Le lien entre les éléments cliniques du syndrome s'est fait progressivement :

  • nystagmus manifeste latent : Faucon, Kestenbaum, Crone (1880 à 1950) ;

  • divergence verticale dissociée (DVD) : Ohm, Verhage, Anderson, Keiner, Crone (1920 à 1950) ;

  • réunion des éléments du syndrome, notamment le lien avec l'attraction vers l'adduction : Ciancia (Buenos Aires) en 1962 [10] puis Cüppers et Adelstein (1966) ;

  • description complète du syndrome par Lang (1967) [18] ;

  • études des déviations dissociées, du caractère tonique des déviations : Spielmann (1989) [25].

Des études électrophysiologiques étayent certains éléments du syndrome :

  • études oculomotrices confirmant l'asymétrie du nystagmus optocinétique (Bourron [6], Birch [5]) et décrivant le nystagmus manifeste latent (Quéré [22], Dell'Osso) ;

  • études montrant l'asymétrie de la transmission des potentiels évoqués visuels (Birch [3]), au profit des voies croisées, ce qui avait déjà été montré en cartographie cérébrale (Thouvenin [29]).

Enfin, des études expérimentales animales ont prouvé ce qui était pressenti cliniquement :

  • travaux fondamentaux de Hubel et Wiesel sur le développement normal et anormal des couches monoculaires et binoculaires corticales et des voies visuelles [38] ;

  • Tychsen publie les principaux travaux traitant des conséquences corticales de strabismes expérimentaux chez le singe [33], notamment concernant la sévérité de l'atteinte en fonction l'âge d'apparition et l'absence de réversibilité totale malgré la précocité du traitement (disparition des cellules binoculaires de la couche V dans les strabismes permanents [32]). Il évoque toutefois la possibilité de connexions entre colonnes de dominance peu éloignées (4°), expliquant la meilleure binocularité en cas de microstrabisme. Dans les facteurs de gravité, à côté de la précocité d'installation du strabisme, il introduit la notion de durée du strabisme.

Facteurs de risque

La ou les causes du syndrome de strabisme précoce n'ont pas été isolées jusqu'ici. Si ce syndrome apparaît dans la grande majorité des cas de manière fortuite, chez 2 % à 5 % de la population, certaines situations sont clairement plus pourvoyeuses de syndrome de strabisme précoce. On parlera donc plus de facteurs de risque [13] que de causes.

HÉRÉDITÉ

La présence dans la famille directe d'autres cas de syndrome de strabisme précoce, voire d'anomalies plus frustes du développement de la vision binoculaire (syndrome de déficience fusionnelle de Parks avec neutralisation maculaire monolatérale [21]) est fréquente. Une origine héréditaire a donc été évoquée. Jusqu'à présent, les études de la transmissibilité du syndrome de strabisme précoce manquent d'homogénéité concernant les strabismes étudiés ; des conclusions claires sur le type de transmission ne sont pas établies. Denis retrouve une prévalence de l'hérédité de 33 % tous strabismes confondus et 20 % pour le seul strabisme précoce. Ce caractère héréditaire justifie une surveillance systématique des enfants dont un parent proche au moins est porteur du syndrome.

Certains syndromes dysgénétiques, tels que la trisomie 21, sont plus fréquemment associés au syndrome de strabisme précoce, sans doute par la fragilité neurologique associée mais peut-être aussi par une prédisposition spécifique.

LÉSIONS NEUROLOGIQUES PÉRINATALES

Les lésions neurologiques prénatales ou néonatales, par souffrance neurologique, hydrocéphalie, embryo-fotopathies, etc., sont associées à une haute fréquence de strabismes précoces (20 % à 40 % selon les auteurs), en raison de la perturbation évidente qu'ils provoquent sur le développement de la vision binoculaire.

C'est dans cette population qu'on retrouve le plus d'exotropies, à tel point que la présence d'une exotropie précoce doit faire pratiquer un bilan neuropédiatrique systématique.

PRÉMATURITÉ

La prématurité est associée à une haute fréquence de strabismes précoces, sans doute car les structures permettant le développement de la vision binoculaire ne sont pas prêtes anatomiquement et/ou fonctionnellement lors des premières stimulations visuelles qui enclenchent le processus.

PRIVATION VISUELLE UNILATÉRALE PRÉCOCE

Le syndrome de strabisme précoce n'est pas toujours inné. Des anomalies oculaires apparues très tôt après la naissance ou présentes à la naissance peuvent le provoquer : dans la cécité congénitale unilatérale (malformation, cataracte unilatérale, etc.), la vision binoculaire ne peut se développer et on voit apparaître un syndrome de strabisme précoce ou plutôt un hémi-syndrome - « syndrome du monophtalme congénital » de Spielmann [24]. Il s'agit d'un strabisme précoce « acquis », preuve que les strabismes précoces ne sont pas tous de cause prénatale [27]. Ils sont non alternants ; mais nous avions montré [28] que le traitement de l'amblyopie le transforme en un syndrome de strabisme précoce alternant classique.

FACTEURS MINEURS
AMÉTROPIES

Des amétropies importantes peuvent être responsables du syndrome, par leur facteur accommodatif ou par privation visuelle ; toutefois, le syndrome de strabisme précoce n'est pas obligatoirement associé à des amétropies fortes.

L'amétropie est le plus souvent modérée : 40 % d'hypermétropes légers (moins de 2 ?), 40 % d'hypermétropes moyens (2 ? à 5 ?), 10 % de myopes, 10 % d'hypermétropes forts pour Costenbader (in von Noorden [37]), statistiques confirmées ailleurs. Il est en revanche nécessaire de répéter les évaluations sous cycloplégique dans les premières années, un facteur accommodatif pouvant se démasquer secondairement.

Une situation doit attirer l'attention car elle est sans doute plus fréquente qu'on ne le pense : un enfant présentant une anomalie précoce mais fruste du développement de la fusion (microstrabisme, syndrome de monofixation) et ayant une hypermétropie peut décompenser ultérieurement un strabisme après deux ans quand il stimule plus son accommodation. L'absence de fusion correcte provoque la décompensation de la déviation. Ces cas sont parfois difficiles à différencier de strabismes normosensoriels tardifs, surtout si une neutralisation profonde voire une amblyopie existent au moment de la décompensation. La mise en place de la correction optique amène au mieux à la situation de microstrabisme ou laisse persister une déviation avec signes évidents de correspondance rétinienne anormale, prouvant l'origine précoce de ce strabisme.

DIVERS

Divers facteurs ont été incriminés (intoxication tabagique, alcoolique, prise d'antibiotiques, etc.). Toutefois, les études ne sont pas homogènes sur ce plan et il semble que si on trouve plus de strabismes dans ces cas, c'est plus par les lésions neurologiques ou malformatives associées que par réelle prédisposition au strabisme précoce.

Toutes ces situations montrent que le développement initial de la vision binoculaire est complexe et fragile et qu'il peut s'interrompre pour des causes très variables, mais parfois sans aucune raison évidente.

Si le syndrome de strabisme précoce survient le plus souvent de manière fortuite chez 2 % à 5 % de la population, il existe clairement des situations à risque. Dans ces situations, un dépistage systématique est nécessaire :

  • hérédité de syndrome de strabisme précoce dans la famille proche ;

  • syndromes dysgénétiques ;

  • souffrance néonatale, prématurité ;

  • privation unilatérale précoce ;

  • amétropie forte.

Syndrome de strabisme précoce

Le syndrome de strabisme précoce associe de manière plus ou moins complète les signes sensoriels et oculomoteurs observés tout au long de la vie quand un strabisme permanent est présent ou apparaît durant la phase de maturation de la vision binoculaire (en pratique avant l'âge de six mois) [31].

ÂGE D'APPARITION

Par définition, le syndrome de strabisme précoce débute avant l'âge de six mois. Il n'existe en fait probablement pas d'âge limite précis pour déclencher un syndrome de strabisme précoce. Entre six et dix-huit mois existe une phase de transition entre les deux formes de strabisme (précoce et normosensoriel). Plus l'âge de déclenchement est précoce, plus le syndrome sera complet tant sur le plan sensoriel qu'oculomoteur.

Toutefois, plusieurs remarques doivent être faites à ce propos :

  • le strabisme n'est pas toujours mis en évidence dès son apparition, notamment en cas de microstrabisme : on peut le découvrir tardivement devant une anomalie de la vision monoculaire (amblyopie) ou binoculaire (absence de stéréoscopie) ;

  • un microstrabisme peut devenir un macrostrabisme tardivement, pour des raisons accommodatives par exemple (cf. supra) ;

  • certains strabismes, même présents précocement, ne seront examinés que tardivement (délai ou retard d'examen.).

Ces cas où le strabisme ne devient apparent que tardivement seront identifiés par la profondeur du trouble de la vision binoculaire et éventuellement la présence de quelques signes moteurs, parfois latents, spécifiques du syndrome, notamment l'asymétrie du nystagmus optocinétique.

Le syndrome de strabisme précoce débute avant six mois d'âge. Il existe une période de transition entre strabismes précoces et strabismes normosensoriels, de six à dix-huit mois. Certains strabismes déclenchés après dix-huit mois sont en fait des strabismes précoces dont la déviation horizontale devient apparente mais qui étaient présents auparavant sous forme de microstrabismes comme le montrent les anomalies profondes de la vision binoculaire.

ANOMALIE DE LA VISION BINOCULAIRE

L'anomalie de la vision binoculaire est d'autant plus profonde et irrécupérable que le strabisme est apparu précocement et que sa durée se prolonge. Elle est caractérisée par :

  • l'absence de correspondance rétinienne normale (CRN) : instrumentalement, on retrouve une correspondance rétinienne anormale (CRA), mais elle ne peut s'expliquer sur le plan cellulaire, sauf dans les microstrabismes (Tychsen [3233], cf. supra). Cet état prouve l'origine précoce du strabisme. Il est sans doute pathognomonique du syndrome. Il est possible qu'il existe plusieurs degrés dans l'anomalie en fonction de l'âge de déclenchement du strabisme, les liens binoculaires étant d'autant plus abîmés que le strabisme est apparu tôt dans la vie ;

  • l'absence de fusion bifovéale : au mieux, il existe une pseudo-fusion, d'origine périphérique, de mauvaise qualité, et ne permettant pas de maintenir une orthotropie si le tonus de vergence est excessif ;

  • la neutralisation de l'oil dévié (non spécifique du syndrome) : cette neutralisation est bénéfique si le strabisme est alternant, car elle protège de la diplopie. Si le strabisme n'est pas alternant, elle est pourvoyeuse d'amblyopie. Dans le syndrome de strabisme précoce, sur le plan binoculaire, elle doit être respectée et contre-indique toute rééducation pléioptique déneutralisante qui risque de la lever définitivement et provoquer une diplopie intraitable car il n'existe pas de correspondance rétinienne. De manière générale, en cas de strabisme, la rééducation binoculaire n'est indiquée que si on a fait la preuve de la présence d'une correspondance rétinienne normale sous-jacente : ceci n'est jamais le cas dans le syndrome de strabisme précoce ;

  • la mauvaise qualité de la stéréoscopie : cette qualité dépend directement de l'importance de la déviation (meilleure en microstrabisme) et de la précocité du traitement. Elle n'est jamais normale.

L'anomalie sensorielle pathognomonique du syndrome de strabisme précoce est l'absence irréversible de correspondance rétinienne normale :

  • l'examen retrouve instrumentalement une correspondance rétinienne anormale ;

  • la neutralisation protège de la diplopie et doit impérativement être respectée dans le syndrome de strabisme précoce ;

  • la fusion binoculaire et la stéréoscopie sont absentes ou, au mieux, de mauvaise qualité en cas de microstrabisme.

AMBLYOPIE

Elle est retrouvée dans 10 % à 40 % des cas en l'absence de prévention. Cet aspect à lui seul justifie la prise en charge médicale précoce de tout strabisme de l'enfant. Elle est liée à la neutralisation permanente de l'oil dévié dans un strabisme non alternant et n'est donc pas spécifique du syndrome de strabisme précoce.

L'amblyopie apparaît spontanément dans 10 % à 40 % des strabismes précoces. Ce risque justifie à lui seul le dépistage et la prise en charge précoce des strabismes de l'enfant.

ANOMALIE MOTRICE : LE STRABISME

Sur le plan moteur, il existe un ensemble de signes qu'on retrouve plus ou moins selon la précocité d'installation du syndrome. Ces signes peuvent apparaître ou se modifier tout au long de la vie. Les signes spécifiques du syndrome concernent avant tout l'oil fixateur. Ils sont les témoins de l'asymétrie du développement visuel et du « biais temporo-nasal ». Celui-ci est représenté par la persistance de l'attraction motrice temporo-nasale, la préférence innée pour repérer et s'intéresser à ce qui « rentre » dans le champ de vision, venant de la tempe vers le nez, et la prédominance fonctionnelle de la rétine nasale (champ temporal) sur la rétine temporale. Il doit normalement disparaître dans les six premiers mois de vie lors du développement normal de la vision binoculaire au profit d'une symétrisation.

TYPE DE STRABISME

La déviation horizontale n'est pas spécifique du syndrome de strabisme précoce. On peut en retrouver divers types. Ce sont surtout les signes associés qui caractérisent le syndrome.

Ésotropies dans 80 % des cas

L'importance de l'angle est variable d'un cas à l'autre. Le plus souvent, on observe une déviation majeure, apparaissant assez rapidement après la naissance, devenant le plus souvent permanente, en convergence d'au moins 30 ?, sans grande variation en cours d'examen et sans grande différence selon la distance de fixation.

Cette déviation est initialement le reflet de l'excès de convergence tonique, habituel chez l'enfant et rendu apparent par l'absence de fusion mais aussi de l'attraction vers l'adduction liée à l'absence de maturation de la vision binoculaire et du contrôle de l'oculomotricité. Elle est donc essentiellement d'origine dystonique et non musculaire, comme le montrent la positivité des signes de détente et la diminution voire l'annulation de l'angle sous anesthésie. L'angle est susceptible de varier dans le temps, le plus souvent vers une diminution de l'ésodéviation et l'augmentation de l'exodéviation. Parfois même une ésotropie initiale peut devenir spontanément une exotropie quelques années plus tard. L'étude ELISSS [23] retrouve près de 20 % d'ésotropies précoces dont l'angle diminue suffisamment dans les deux premières années de vie pour éviter l'intervention. La raison est sans doute liée à la diminution de la vergence tonique avec l'âge. Toutefois, une déviation persistante va finir par s'anatomiser : les droits médiaux se rétractent et la déviation devient fixée. Chez l'adulte et le grand enfant, la plupart des ésotropies opérées gardent un angle quasiment inchangé sous anesthésie, ce qui prouve l'anatomisation de la déviation.

Exotropies dans 10 % des cas

L'exotropie précoce est une situation assez rare. Elle est souvent associée à des troubles neurologiques néonataux. Si une IRM cérébrale est réalisée, elle retrouve une anomalie dans plus de 80 % des cas [2]. La constatation d'une exotropie permanente de la petite enfance doit faire pratiquer un bilan neurologique.

La déviation peut être variable et il ne faut surtout pas confondre exotropie précoce et exophorie décompensée. La présence de la correspondance rétinienne anormale contre-indique bien sûr formellement leur rééducation binoculaire.

Microstrabismes dans 10 % des cas

Les microstrabismes primitifs restent le plus souvent stables, sans doute en raison de liens binoculaires plus solides. Dans le cadre des strabismes précoces, c'est la seule situation où il existe des connexions binoculaires cérébrales de correspondance rétinienne anormale. Elles expliquent sans doute cette plus grande stabilité. Ce syndrome a été bien étudié par Lang [19]. Il s'agit du stade le plus évolué du syndrome de monofixation de Parks. Les stades mineurs de ce syndrome avec neutralisation maculaire sans déviation sont retrouvés avec une plus grande fréquence chez les ascendants d'enfants présentant un strabisme précoce.

Dans certains cas, un macrostrabisme peut se déclencher secondairement. Cette situation doit être reconnue afin de ne pas confondre ce microstrabisme précoce en correspondance rétinienne anormale avec un strabisme normosensoriel, le but du traitement étant bien différent.

La raison de cette décompensation est liée :

  • soit à un approfondissement de la neutralisation, avec amblyopie surajoutée (souvent dans un contexte d'anisométropie) ;

  • soit à une hypermétropie importante : dans ce cas, la vergence accommodative déborde les possibilités fusionnelles dès que l'enfant stimule son accommodation de manière régulière, à partir de deux à trois ans.

Types de strabisme précoce

  • 80 % d'ésodéviations :

    • typiquement de grand angle, assez stable ;

    • la déviation est d'origine tonique les premières années et s'anatomise progressivement le plus souvent ;

    • elle peut aussi diminuer spontanément voire s'inverser ;

  • 10 % d'exodéviations, à ne pas confondre avec une exophorie décompensée ; un contexte neurologique est à rechercher ;

  • 10 % de microstrabismes, pouvant décompenser secondairement en raison d'une amétropie importante ou d'une amblyopie.

SIGNES SUR L'OIL FIXATEUR

Ce sont les signes les plus spécifiques, pathognomoniques du syndrome, liés à l'immaturité du système oculomoteur et témoins de l'attraction vers l'adduction.

Attraction vers l'adduction (fixation en adduction)

Il s'agit d'un signe plus ou moins fréquent et intense qui est directement lié à la physiopathologie du syndrome avec dérive temporo-nasale. Elle est responsable d'une attitude de fixation en torticolis, tête tournée du côté de l'oil fixateur, celui-ci se portant spontanément en adduction. Contrairement à beaucoup de torticolis d'origine oculomotrice, comme dans les paralysies ou les fibroses musculaires, il n'est pas lié à une atteinte musculaire ou neurologique périphérique. Son origine est supranucléaire, comme pour les nystagmus congénitaux.

Le torticolis change de direction selon l'oil fixateur. Il s'agit d'une position de meilleur confort visuel que le patient prend spontanément et qu'on observe facilement dans la vision « libre » mais aussi lors de l'examen de l'acuité visuelle en monoculaire ou de l'occlusion alternée. Dans cette position, l'acuité visuelle est souvent meilleure et, s'il existe un nystagmus manifeste latent, celui-ci est moindre voire absent.

L'attraction vers l'adduction est responsable de la fixation « croisée », oil droit fixant à gauche et oil gauche fixant à droite.

Elle est souvent accompagnée d'un aspect de paralysie de l'abduction. C'est en fait une pseudo-paralysie, ne résistant pas à la stimulation du réflexe optovestibulaire par la manouvre des yeux de poupée. L'abduction est par ailleurs toujours excellente dans les suites opératoires immédiates ou après injection de toxine botulique.

Elle est indépendante de l'importance de la déviation. On la retrouve aussi bien dans de grandes ésotropies que dans des microstrabismes voire des exotropies.

Dans de rares cas, un torticolis de fixation en abduction est observé, plutôt dans les exotropies précoces, probablement lié à une situation de repos musculaire.

Il faut respecter ce torticolis lors du traitement médical du strabisme en évitant de priver l'enfant de cette situation de repos moteur. On évitera notamment les secteurs binasaux quand il est présent. Le traitement chirurgical doit le neutraliser (en tout cas ne pas l'aggraver). Ceci explique la nécessité d'opérer de manière bilatérale s'il est présent, afin de redresser aussi la position de fixation de chaque oil (fig. 12-1 et 12-2).

L'attraction vers l'adduction est pathognomonique du syndrome de strabisme précoce :

  • elle est responsable de la fixation croisée et du torticolis de fixation ;

  • elle doit être respectée lors du traitement médical car c'est une zone de confort visuel ;

  • elle doit être prise en compte lors de la chirurgie.

image

Fig. 12-1 Syndrome de strabisme précoce typique chez un nourrisson avec grand angle de déviation en ésotropie, fixation en adduction alternante selon l'oil fixant.

image

Fig. 12-2 Torticolis de fixation en abduction alternant dans une exotropie précoce.

Nystagmus manifeste latent

Il s'agit d'une forme particulière de nystagmus, spécifique et pathognomonique du syndrome de strabisme précoce. Sa physiopathologie, mais aussi son aspect clinique sont totalement différents de celle des nystagmus congénitaux patents [20]. En effet, dans les nystagmus manifestes latents, le nystagmus est le témoin de la dérive vers l'adduction. Le nystagmus manifeste latent est une pathologie de l'oil fixateur, rendue plus évidente lorsqu'on le prive du soutien pourtant imparfait de l'autre oil.

Le nystagmus manifeste latent s'observe et s'analyse assez facilement à l'examen clinique, éventuellement aidé par l'observation au biomicroscope, mais il est au mieux décrit en électro-oculographie (EOG) (Quéré [22]). C'est un nystagmus à ressort dont la phase lente a une vitesse croissante. Caractéristique spécifique, il bat (phase rapide) du côté de l'oil fixant et son sens s'inverse donc selon l'oil fixant. Il est le plus souvent horizontal, mais présente parfois une composante torsionnelle ou verticale, apparaissant ou augmentant lors de l'occlusion (composante latente). Les deux yeux ouverts, on observe souvent un nystagmus moins important (composante manifeste). Son intensité diminue en adduction et augmente en abduction ; il est d'ailleurs souvent associé au torticolis de fixation en adduction. Le nystagmus manifeste latent est retrouvé à une fréquence variable selon les auteurs dans les strabismes précoces, de 40 % à 90 % des cas. Le nystagmus peut dominer le tableau du syndrome et être suffisamment intense pour provoquer une amblyopie nystagmique. Plus encore que l'amblyopie, il fait toute la gravité potentielle du syndrome de strabisme précoce.

Le nystagmus manifeste latent est pathognomonique du syndrome de strabisme précoce :

  • manifeste : présent en fixation bi-oculaire ; latent : apparaissant à l'occlusion ; manifeste latent : présent en bi-oculaire et augmentant à l'occlusion ;

  • il bat du côté de l'oil fixateur ;

  • souvent associé à la fixation en adduction et à la DVD ;

  • s'il est manifeste, il peut être, à lui seul, responsable d'une malvoyance.

Inexcitabilité naso-temporale du nystagmus optocinétique

L'aspect du nystagmus optocinétique est pathognomonique des syndromes de strabisme précoce. Il répond aussi à la dérive vers l'adduction. On observe, en fixation monoculaire, un aspect d'hypoexcitabilité ou d'inexcitabilité optocinétique dans le sens naso-temporal, alors que celui-ci est présent quand la cible se déplace dans le sens temporo-nasal. Le phénomène s'inverse selon l'oil fixateur. En réalité, on observe plus souvent une asymétrie d'amplitude du nystagmus optocinétique qu'une abolition complète, et il est donc préférable de parler d'hypoexcitabilité optocinétique naso-temporale. Cet aspect persiste toute la vie et permet de dater l'âge d'apparition du strabisme chez un adulte.

Incyclotorsion de fixation

Ce signe est moins prononcé et moins fréquent que la fixation en adduction (fig. 12-1 et 12-3). La fixation se fait tête penchée sur l'épaule de l'oil fixateur, afin de compenser une incyclotorsion de fixation. La physiopathologie n'est pas aussi claire que pour l'attraction vers l'adduction ; elle est sans doute liée à celle de la DVD.

image

Fig. 12-3 Aspect typique du syndrome de strabisme précoce.

OG fixant en adduction et incyclotorsion (tête tournée du côté de l'OG et penchée sur épaule gauche). OD en ésotropie et élévation. Il est difficile de dire si l'élévation de l'OD est liée à une DVD ou une hyperaction de l'oblique inférieur.

SIGNES SUR L'OIL DÉVIÉ
Déviations « dissociées »

Ce sont des déviations apparaissant ou se modifiant lorsque la stimulation visuelle devient asymétrique, comme lors de l'occlusion. Parfois, elles peuvent se décompenser spontanément. Leur physiopathologie est incomplètement expliquée. Elles sont d'origine centrale, supranucléaire, et échappent donc aux lois de correspondance motrice (Hering) et d'innervation réciproque (Sherrington).

Divergence verticale dissociée (DVD)

Elle est la plus connue des déviations dissociées.

Dans sa forme habituelle, elle réalise une élévation lente et progressive de l'oil occlus, accompagnée d'une excyclorotation. Lors de la reprise de la fixation, l'oil s'abaisse voire dépasse la ligne horizontale et réalise une incyclorotation. Il ne s'agit pas d'une déviation concomitante puisque l'autre oil ne s'abaisse pas lors de l'occlusion alternée ; au contraire, il réalise à son tour un mouvement de DVD. La DVD est en général bilatérale et asymétrique, prédominant sur l'oil non fixateur.

Comme pour le nystagmus manifeste latent, il peut exister une part manifeste et une part latente de la DVD. La part latente est toujours présente : c'est elle qu'on voit apparaître sous écran. La part manifeste est liée à un certain degré de rétraction du droit supérieur, en général sur un seul oil. Elle est responsable d'une hauteur permanente et concomitante sur l'oil présentant la plus forte DVD. Quand cet oil prend la fixation, on voit initialement une de l'oil occlus, puis un mouvement de DVD latente, annulant l'hypotropie voire l'inversant, mais de manière instable. Cela peut être trompeur chez un monophtalme congénital présentant une DVD patente du bon oil, car l'oil amblyope oscille entre hypotropie (liée à la DVD patente de l'oil fixateur) et hypertropie par DVD latente. En cas de chirurgie, il faut alors traiter la DVD des deux yeux.

La DVD est souvent associée à l'incyclotorsion de fixation et au nystagmus manifeste latent, notamment sa forme cyclotorsionnelle.

Elle peut être difficile à mettre en évidence, notamment chez le tout petit et quand la déviation horizontale est importante, où elle peut être confondue avec une hyperaction des muscles obliques. On dit classiquement qu'elle apparaît progressivement entre dix-huit mois et cinq ans ; elle est sans doute présente plus tôt mais difficile à mettre en évidence.

Il ne s'agit pas d'une simple hyperaction du droit supérieur puisqu'associée à une excyclorotation.

Sa physiopathologie n'est pas élucidée. Il est probable qu'il s'agisse en fait d'un trouble autonome de la maturation oculomotrice, même si elle est retrouvée essentiellement dans les strabismes précoces. La DVD ne serait pas un signe spécifique mais une association fréquente des strabismes précoces (von Noorden, Lang). Pour Guyton [15], la DVD serait liée à un mécanisme de compensation des composantes cycloverticales du nystagmus manifeste latent. Pour Brodsky [7], elle serait liée à la persistance d'un réflexe vestigial (réflexe lumineux dorsal) lié à la rupture de développement de la vision binoculaire.

Déviation horizontale dissociée (DHD)

Il s'agit d'une apparition ou d'une majoration de l'ésotropie sous écran unilatéral. Ce n'est pas une phorie puisqu'elle disparaît sous écran bilatéral. Elle est peut-être une réaction de l'oil sous écran à l'attraction vers l'adduction contrariée de l'oil fixant.

Déviation torsionnelle dissociée (DTD)

Il s'agit en fait de l'observation de la part torsionnelle de la DVD : l'oil perdant la fixation part en élévation et en excyclorotation. Il s'agit donc d'un phénomène associé à la DVD.

Déviations cycloverticales non spécifiques

Ce sont des déviations apparaissant hors occlusion, lors de l'étude de la motilité oculaire, parfois concomitantes. Elles ne sont pas spécifiques des strabismes précoces.

Élévation en adduction

Ce n'est pas toujours une hyperaction des muscles obliques inférieurs et il faut en connaître les différents mécanismes.

Hyperaction des obliques inférieurs

C'est la cause la plus fréquente des élévations en adduction. Dans le cadre du syndrome de strabisme précoce, l'élévation en adduction par hyperaction des obliques inférieurs est identifiable par son caractère permanent, reproductible. Toutefois, il n'y a que rarement de signes d'hypoaction de l'oblique supérieur associé : la manouvre de Bielschowsky est rarement positive ; il n'existe pas de déviation secondaire avec hypotropie en abduction de l'autre oil. Von Noorden la retrouve dans 68 % des cas sur quatre cents ésotropies précoces. Sa fréquence semble diminuer avec le temps, puisque Calcutt ne la retrouve plus que dans 5 % des cas de syndromes de strabisme précoce non traités examinés à l'âge adulte.

Déviations verticales dans le syndrome de strabisme précoce

  • La DVD est quasi pathognomonique du syndrome de strabisme précoce. C'est une déviation dissociée, non concomitante, prédominant en abduction mais pouvant aussi simuler une hyperaction de l'oblique inférieur.

  • L'hyperaction de l'oblique inférieur, non spécifique mais fréquente chez l'enfant présentant un syndrome de strabisme précoce, est responsable d'une élévation en adduction franche, plus ou moins intense et symétrique. Elle a tendance à régresser dans le temps dans ses formes modérées. Son traitement chirurgical doit donc être réfléchi.

  • Une élévation en adduction peut être liée à une hyper action de l'oblique inférieur (le plus souvent) mais aussi à une DVD ou à un droit médial hyperactif sur l'oil non fixateur en excyclorotation ou encore une anomalie de position des poulies ténoniennes.

  • Les syndromes alphabétiques, chez l'enfant, sont plutôt en « V », associés à une hyperaction de l'oblique inférieur. Mais ils peuvent s'inverser avec le temps et devenir en « A », alors souvent associés à une DVD.

Droit médial hyperactif sur un globe en extorsion (car non fixateur)

Ce mécanisme est sans doute fréquemment impliqué, au moins dans les élévations modérées en adduction dont beaucoup disparaissent après une intervention simple sur les droits médiaux.

Anomalies de position des poulies ténoniennes

Suspectées depuis longtemps, analysées depuis peu [12], elles sont sans doute responsables de bon nombre de syndromes alphabétiques associés.

DVD

L'occlusion « naturelle » de l'oil non fixateur en convergence par l'arête nasale, entraîne l'élévation.

Ces considérations doivent bien sûr rendre prudent sur les conséquences chirurgicales de la découverte d'une élévation en adduction.

Syndromes alphabétiques

Ils sont souvent associés aux strabismes précoces, sans en être spécifiques. Leur mécanisme n'est pas univoque. Pour Gomez de Llano [14], 50 % des syndromes « V » sont associés à des hyperactions des muscles obliques inférieurs, et 75 % des syndromes « A » à une hyperaction des obliques supérieurs. On retrouve classiquement plus de syndrome en « V » chez l'enfant, mais l'évolution spontanée semble montrer une diminution de leur fréquence et une prépondérance des syndromes en « A » chez l'adulte (55 % de syndrome « A » pour 15 % de syndrome « V » dans l'étude de Calcutt [8]). Ceci doit encore une fois rendre prudent quant au traitement systématique des obliques inférieurs dans la petite enfance.

Syndrome du monophtalme congénital

Ce syndrome a été décrit depuis plusieurs années. Sa dénomination francophone est due à Spielmann [24].

Il peut être observé chez des patients présentant une cécité ou une malvoyance profonde unilatérale congénitale.

On y retrouve en fait les signes du syndrome de strabisme précoce, non alternants, de manière plus ou moins complète. Si le tableau est dominé par le torticolis de fixation, c'est la présence du nystagmus manifeste latent qui en fait toute la gravité potentielle puisqu'il peut réduire l'acuité visuelle du bon oil.

SUR L'OIL SAIN

Il existe avant tout un nystagmus avec toutes les caractéristiques du nystagmus manifeste latent. C'est un nystagmus à ressort qui bat du côté de l'oil sain, diminuant en adduction et augmentant en abduction. Plus rarement, la position de moindre battement est en position primaire ou en abduction. Il est parfois très fin et peut avoir une composante rotatoire. Ce nystagmus est associé à une asymétrie de la réponse optocinétique.

Il apparaît progressivement une position de fixation anormale, en adduction ou dans la position de moindre battement du nystagmus, rarement avant dix-huit mois. Dans cette position de fixation, recherchée par le patient, l'acuité visuelle s'améliore. Toutefois, si le nystagmus ne s'annule pas totalement, l'acuité visuelle du bon oil peut rester réduite.

Roussat retrouve ce syndrome plus ou moins complet chez 20 % à 30 % d'enfants monophtalmes congénitaux.

SUR L'OIL AMBLYOPE

Il existe une déviation strabique, qui a les mêmes caractères que dans le syndrome de strabisme précoce, donc le plus souvent en convergence. Mais un microstrabisme est possible ainsi qu'une exodéviation.

On peut aussi observer une DVD et, comme nous l'avons dit plus haut, si cette DVD est bilatérale mais prédominant sur l'oil sain, elle peut se manifester par une hypotropie de l'oil amblyope avec des mouvements non contrôlés d'élévation puis abaissement.

Toutes les caractéristiques de ce syndrome le rapprochent d'un « demi-syndrome de strabisme précoce », non alternant. Nous avions d'ailleurs montré que le traitement de l'amblyopie, quand il est possible, transforme ce syndrome en syndrome de strabisme précoce classique alternant [27].

Le traitement est le même que pour tout strabisme précoce (cf. infra), mais il faut vraiment insister sur :

  • l'acharnement à traiter l'amblyopie si c'est possible : en effet, le nystagmus pouvant à lui seul aggraver le tableau en rendant le bon oil malvoyant, tout ce qui est possible pour récupérer un peu de vision de l'oil initialement amblyope doit être fait ; c'est une motivation majeure du traitement de ces amblyopies mixtes complexes, dont font partie cataractes unilatérales précoces, malformations rétiniennes partielles. ;

  • l'intervention du strabisme peut aider à traiter le torticolis et stabiliser le nystagmus manifeste latent : il faut pour cela traiter l'oil sain (fig. 12-4), ce qu'il faut bien expliquer au patient et sa famille ; le reste de la déviation est traité sur l'oil amblyope ; en cas de DVD, le geste doit souvent être bilatéral si on ne veut pas aggraver l'hypotropie de l'oil amblyope.

  • Le syndrome du monophtalme est un « hémi-syndrome de strabisme précoce » pouvant apparaître (20 % à 30 %) chez des enfants porteurs d'une cécité congénitale unilatérale.

  • L'oil sain présente un nystagmus manifeste latent plus ou moins intense et une position de fixation en adduction avec torticolis.

  • L'oil dévié est le plus souvent en convergence et présente parfois une DVD.

  • La présence du nystagmus peut être responsable d'une amblyopie du bon oil et donc d'une malvoyance, qui fait toute la gravité du syndrome. Ceci doit motiver à tout faire pour traiter l'amblyopie de l'oil initialement amblyope.

  • L'intervention peut améliorer le torticolis et le nystagmus manifeste latent mais, pour cela, doit toucher l'oil sain.

image

Fig. 12-4 Syndrome de monophtalme.

OD : non voyant. OG : fixation en adduction majeure.

Physiopathologie
ATTEINTE SENSORIELLE DE LA VISION BINOCULAIRE

Du syndrome aux neurones visuels, l'expérimentation animale [135] a permis d'arriver aux conclusions suivantes :

  • il existe un profond remaniement des réseaux neuronaux si on interrompt la maturation de la vision binoculaire : une déviation oculaire permanente dans les premiers mois de vie entraîne un profond remaniement de la couche V du cortex visuel primaire strié, d'autant plus important que le strabisme est de survenue précoce ;

  • l'occlusion alternée (défendue depuis longtemps par M.-A. Quéré et A. Jampolsky) limite la profondeur des dégâts neuronaux ;

  • la seule correspondance rétinienne anormale expliquée expérimentalement est celle du microstrabisme :

    • un neurone d'un champ récepteur central peut se connecter avec celui d'un champ récepteur adelphe adjacent mais plus large (2°). La connexion est de moins bonne qualité, mais réelle. Ceci explique la vision binoculaire subnormale et la stabilité angulaire retrouvée dans les microstrabismes. Ces connexions neuronales anormales survivent sans doute en partie lors du syndrome de strabisme précoce et expliqueraient ainsi la relative stabilité et la meilleure binocularité qu'on retrouve quand un syndrome de strabisme précoce est remis en microtropie ;

    • aucune connexion stable entre les colonnes de dominance d'une fovéa et celles de champs récepteurs plus périphériques n'a été mise en évidence : la correspondance rétinienne anormale du strabisme précoce n'existe pas sur le plan cellulaire (sauf dans les microstrabismes) ; elle est plutôt une absence de correspondance rétinienne normale ;

  • deux éléments semblent influencer la qualité finale de la récupération, sans qu'aucun cas de guérison n'ait été obtenu chez l'homme :

    • la durée de déviation strabique : la réparation partielle des connexions binoculaires est possible en cas de traitement ultraprécoce du strabisme chez le singe (avant trois semaines chez le singe macaque, équivalent à trois mois chez l'enfant) ; cela n'a jamais été le cas chez l'homme malgré des interventions avant trois mois ;

    • l'angle de déviation postopératoire doit être minime, si possible inférieur à 2° si on veut « réveiller » les connexions de correspondance rétinienne anormale qu'on retrouve dans le microstrabisme.

GRAVITÉ ET PRÉCOCITÉ

La gravité des signes moteurs du syndrome de strabisme précoce est corrélée à la précocité de son installation. Il existe des degrés d'atteinte.

Les anomalies oculomotrices spécifiques du syndrome de strabisme précoce sont liées à une maturation anormale irréversible du système optomoteur :

  • persistance d'une influence prédominante du système optique accessoire sous-cortical, sans développement suffisant des projections venant du cortex visuel primaire : ceci explique clairement l'asymétrie optocinétique, le nystagmus manifeste latent, l'attraction vers l'adduction, et tout le biais temporo-nasal ;

  • persistance ou réveil de réflexes visuovestibulaires primitifs, comme le réflexe lumineux dorsal qui pourrait explique la DVD.

DEGRÉS D'ATTEINTE

Il existe plusieurs degrés d'atteinte motrice dans le cadre du syndrome de strabisme précoce :

  • la forme la plus grave de syndrome de strabisme précoce est celle d'installation très précoce, où on note un strabisme avec limitation de l'abduction et un nystagmus en abduction (Ciancia [10]), la présence du nystagmus manifeste latent, des déviations dissociées ;

  • à l'opposé, certaines formes, même congénitales, peuvent rester assez simples : l'atteinte est dominée par les anomalies sensorielles. En la recherchant instrumentalement, on retrouvera toutefois l'asymétrie temporo-nasale, par exemple à l'enregistrement EOG, où on retrouvera l'asymétrie optocinétique et souvent un nystagmus manifeste latent fruste. C'est le cas du microstrabisme primitif ;

  • il existe enfin des formes intermédiaires, ou frontières, dans lesquelles on retrouve les anomalies sensorielles mais beaucoup moins de déséquilibre optomoteur. Ce sont souvent des cas de strabismes apparus après six mois mais avant dix-huit mois ou des strabismes accommodatifs précoces.

CAUSE INITIALE DU SYNDROME DE STRABISME PRÉCOCE

La cause initiale n'est pas connue et n'est pas univoque.

Si on n'explique que partiellement - mais de mieux en mieux - les anomalies observées dans le syndrome de strabisme précoce, on ne connaît pas de cause unique au syndrome. Il est probable que le strabisme précoce puisse découler de situations différentes, mais toutes présentes aux moments clefs de l'acquisition de la fusion et, au plan cellulaire, des connexions binoculaires dans la couche V1 du cortex visuel primaire. Si ce développement ne se fait pas en temps voulu, le système visuel sensoriel continue à évoluer sur un mode plus ou moins archaïque, et ce de manière irréversible. Une origine motrice ou sensorielle peut donc de la même manière être responsable du syndrome :

  • une situation motrice très instable, liée à une anomalie majeure de la vergence tonique ou à une anomalie oculomotrice primitive par exemple, peut perturber ce développement ;

  • une souffrance cérébrale ou une grande immaturité (prématurité) survenant au moment de ce développement peut aussi l'entraver ;

  • une cécité unilatérale congénitale empêche à l'évidence le développement de la binocularité.

Il existe sans doute un codage génétique complexe de ce développement qui pourrait expliquer la fréquente hérédité du syndrome ou sa constatation dans des syndromes dysgénétiques.

Enfin, il faut se souvenir que le syndrome de strabisme précoce est relativement fréquent et qu'il apparaît le plus souvent sans situation prédisposante. Ceci rend compte de la complexité et de la fragilité du développement sensorimoteur, acquis tardivement dans le développement phylogénétique des espèces.

Quelle que soit la cause initiale, la fusion bifovéolaire ne se développe pas et laisse le système visuel se développer sur un mode plus ou moins archaïque. Le strabisme, quant à lui, est le reflet de l'importance de la vergence tonique sous-jacente, qui n'est plus bridée par la fusion. Elle est le plus souvent excessive, ce qui explique la prédominance des ésotropies (fig. 12-5).

image

Fig. 12-5 Physiopathologie du syndrome de strabisme précoce.

Traitement

Ne pouvant guérir réellement un strabisme précoce, le but du traitement est d'en limiter les conséquences visuelles, motrices, esthétiques. Il repose sur trois aspects fondamentaux :

  • stabiliser au mieux les vergences (lunettes, toxine botulique) ;

  • traiter ou prévenir l'apparition de l'amblyopie ;

  • réduire le strabisme à un état de microtropie, et traiter les anomalies de la motilité.

Le traitement doit bien sûr être entamé au plus tôt afin de profiter d'une meilleure plasticité cérébrale. La chirurgie est proposée certes le plus tôt possible mais une fois le strabisme stabilisé et équilibré, donc rarement avant dix-huit mois.

Le résultat idéal du traitement est d'obtenir un microstrabisme (lunettes portées), sans torticolis de fixation, avec une motilité oculaire harmonieuse et une vision symétrique des deux yeux. Ce résultat est susceptible de se modifier dans le temps : une surveillance est nécessaire tout au long de la vie. L'évolution des protocoles chirurgicaux essaie de tenir compte des modifications de l'état oculomoteur et des vergences dans la vie, afin d'éviter notamment la dérive progressive en exotropie.

TRAITEMENT MÉDICAL

Le traitement médical est fondamental. Il précède et suit l'étape chirurgicale.

TRAITEMENT OPTIQUE

Le syndrome de strabisme précoce n'est pas particulièrement lié à un dérèglement accommodatif, mais il peut l'être.

La vergence accommodative est la seule sur laquelle nous ayons un traitement simple et efficace à proposer par le biais de la correction optique. Équilibrer cet aspect du strabisme, quelle qu'en soit son importance, est donc indiscutable, quels que soient l'âge auquel l'enfant est examiné et le moment du traitement, y compris à l'âge adulte.

Par ailleurs, le port de lunettes est le support de bien des traitements aidant ou permettant l'alternance de fixation, voire traitant l'amblyopie : caches sur lunettes, pénalisations optiques, secteurs, etc.

La skiascopie doit être réalisée d'emblée et vérifiée tous les six mois pendant les premières années car la réfraction du petit enfant évolue fréquemment, parfois rapidement. Il ne faut pas hésiter à réaliser cette skiascopie chez l'adulte porteur d'un syndrome de strabisme précoce et demandant un avis thérapeutique car, très souvent, les lunettes ne sont plus portées et un facteur accommodatif persiste.

La correction optique reste portée après intervention et, d'ailleurs, l'intervention ne traitera « que » l'angle persistant avec correction optique.

TRAITEMENT OU PRÉVENTION DE L'AMBLYOPIE

Il s'agit d'un aspect fondamental du traitement et sans doute notre seule obligation. Le risque spontané d'amblyopie dans un syndrome de strabisme précoce est de 40 %, ramené à moins de 5 % en cas de prise en charge adaptée. Le traitement peut être simple à très complexe en cas de nystagmus manifeste.

En cas d'amblyopie ou de strabisme non alternant

Le traitement comporte deux phases : le traitement de l'amblyopie ou la récupération de l'alternance, puis la consolidation de ce résultat.

Il faut débuter par un traitement de récupération ou d'attaque. Il repose avant tout sur l'occlusion sur peau, de l'oil sain, jusqu'à récupération d'une alternance de fixation ou d'une isoacuité visuelle.

Le traitement de consolidation permet de maintenir l'alternance de fixation jusqu'à stabilité. Sa durée dépend de l'âge de début du traitement et de la tendance spontanée ou non à l'alternance. On peut alterner les caches sur peau ou passer par des pénalisations alternées. Certains sont habitués à l'utilisation des secteurs opaques sur lunettes, mais il faut les éviter en cas de fixation en adduction ou de nystagmus manifeste latent. En cas d'amblyopie ou de forte dominance, ce traitement est poursuivi au minimum jusqu'à six ans voire plus et une surveillance étroite est impérative jusqu'à dix ans.

En cas d'alternance spontanée sans amblyopie

Une occlusion alternée est malgré tout conseillée chez le petit enfant, car elle diminue la profondeur de l'anomalie sensorielle et peut aider à améliorer la motilité, notamment vers l'abduction. Cette occlusion est en général proposée jusqu'à l'intervention.

Surveillance

Jusqu'à dix ans, elle fait partie du traitement.

Qu'il y ait eu amblyopie ou non, qu'il y ait intervention ou non, dans tout strabisme de l'enfant, une surveillance régulière de l'acuité visuelle est nécessaire jusqu'à dix ans, fin de la période de risque d'amblyopie.

TRAITEMENT BINOCULAIRE ?

La normalisation médicale de la correspondance rétinienne (prismes, pléoptique.) a été montrée comme vouée à l'échec, voire comme étant source de complications graves (diplopie permanente par déneutralisation).

Une rééducation binoculaire est donc formellement contreindiquée dans les strabismes précoces.

TOXINE BOTULIQUE

Le traitement par toxine botulique est exposé au chapitre 17. Au prix d'un geste peu agressif, son intérêt dans le traitement des syndromes de strabisme précoce est multiple s'il est utilisé suffisamment tôt (entre six mois et deux ans) [26] :

  • la toxine botulique diminue de manière durable l'angle de déviation dans 90 % des cas, voire elle évite l'intervention dans 40 % à 65 % des cas. Quand une intervention est nécessaire, c'est d'ailleurs souvent en raison du déséquilibre vertical associé et non pour le strabisme horizontal ;

  • elle évite ou diminue l'anatomisation de la déviation et facilite le cas échéant la chirurgie ultérieure ;

  • elle provoque probablement une reprogrammation de l'équilibre des vergences, qui sera d'autant plus durable que l'injection est réalisée précocement.

TRAITEMENT CHIRURGICAL

Son but est d'obtenir un angle de déviation le plus faible possible, stable dans le temps, et de normaliser au mieux l'oculomotricité.

CHIRURGIE DE LA DÉVIATION HORIZONTALE
Chez l'enfant

Les objectifs doivent tenir compte de la physiopathologie de la déviation strabique en différenciant :

  • le traitement de la part tonique de la déviation, variable, disparaissant sous doubles écrans, à l'éblouissement et surtout sous anesthésie générale. Cette part de la déviation répond parfaitement aux techniques de fixation postérieure des droits médiaux. Cette technique est aussi parfaitement indiquée pour limiter l'attraction vers l'adduction et ses manifestations : torticolis, nystagmus manifeste latent notamment ;

  • le traitement de la part anatomisée de la déviation, responsable de l'angle minimal de l'ésodéviation et, surtout, persistant sous anesthésie générale. Cette part est bien analysée aux tests d'élongation musculaire peropératoires. Elle sera traitée par reculs des droits médiaux et/ou résection des droits latéraux.

L'utilisation d'une chirurgie unilatérale ou bilatérale est liée aux habitudes du chirurgien, mais aussi au caractère alternant ou non et aux constatations sous anesthésie générale. En revanche, en cas de torticolis de fixation, l'intervention doit toucher l'oil fixateur et elle est donc souvent bilatérale.

Chez l'adulte

Les déviations sont souvent anatomisées et, sauf indications particulières, la chirurgie est plus conventionnelle, utilisant essentiellement reculs et résections. L'utilisation de la chirurgie réglable peut être utile, notamment dans les reprises chirurgicales pour ésotropie résiduelle ou exotropie consécutive, ou quand les zones de neutralisation sont étroites.

CHIRURGIE DE LA DÉVIATION VERTICALE
Divergence verticale dissociée

La DVD peut nécessiter un geste spécifique si elle devient visible ou si elle est accompagnée d'un torticolis de fixation en incyclotorsion. Le plus souvent, la DVD n'apparaît que tardivement et son intervention est donc réalisée après celle de la déviation horizontale.

Le choix de la technique chirurgicale est discuté car aucune ne donne pleinement satisfaction : recul des droits supérieurs, recul des obliques supérieurs. En théorie, puisqu'il s'agit d'une déviation essentiellement tonique, il faudrait la traiter comme la déviation horizontale : recul des droits supérieurs pour la part anatomisée de la déviation vertical, fixation postérieure des droits supérieurs pour la part tonique. La réalisation pratique du sanglage postérieur des droits supérieurs nécessite de bien tenir compte des particularités anatomiques de ce muscle. C'est une intervention délicate mais efficace.

Élévation en adduction

Elle doit être traitée en fonction du mécanisme qui en est responsable :

  • si elle est peu importante : il vaut mieux la tolérer et ne traiter que l'horizontalité, notamment chez l'enfant ;

  • si elle est à l'évidence liée à une hyperaction de l'oblique inférieur : on réalise un recul dosé de l'oblique inférieur, le plus souvent bilatéral ;

  • si elle est à l'évidence liée à une DVD, mais que la hauteur prédomine vraiment en adduction : les choix sont partagés entre traiter les obliques inférieurs ou d'emblée les droits supérieurs. L'âge, la déviation associée interviennent dans le choix.

Syndromes alphabétiques

Ils sont traités classiquement, selon l'anomalie horizontale et surtout verticale associée. Par principe, on ne les traite que s'ils dépassent 15 ? d'incomitance et qu'ils persistent dans le temps. On traitera avant tout les muscles obliques si une dysfonction de ces muscles est notée, avant d'utiliser des techniques de translation ou reculs obliques des droits horizontaux.

QUAND OPÉRER ?

L'intervention précoce (avant un an) expose fortement à une modification secondaire du strabisme et à avoir besoin de plusieurs temps opératoires. Ses résultats sensoriels et moteurs ne semblent pas meilleurs - en tout cas, aucune guérison n'a jamais été observée.

Il n'y a pas non plus de raison d'attendre un âge tardif pour opérer. Les techniques anesthésiques permettent d'opérer sereinement à tout âge après un an et l'examen clinique permet d'avoir des renseignements suffisants pour l'opération à partir de deux ans le plus souvent.

En pratique, le choix raisonné du moment de l'intervention tient compte :

  • du traitement médical : port de lunettes contrôlées, alternance de fixation depuis au moins six mois ;

  • de la stabilité de l'état oculomoteur : le strabisme doit être en phase de stabilité depuis au moins dix mois.

En fonction du strabisme et de l'âge de début de la prise en charge, on opère donc à partir de dix-huit mois à deux ans, sans limite d'âge.

QUI OPÉRER ?

Chez l'enfant, on propose l'intervention dans les conditions prérequises ci-dessus :

  • s'il persiste une déviation horizontale importante (en général supérieure à 15 ? d'angle minimal) ;

  • en cas de variabilité majeure (spasmes de près ou inconstants) ;

  • en cas d'anomalie de fixation ou de motilité importante.

Chez l'adulte :

  • s'il le demande. ;

  • sur les mêmes indications que chez l'enfant, auxquelles s'ajoutent toutes les déviations apparues secondairement, qu'il y ait eu intervention préalable ou non ;

  • après s'être assuré de la bonne qualité de la neutralisation à l'angle objectif ; les diplopies postopératoires réelles étant excessivement rares.

Conclusion

Le syndrome de strabisme précoce garde toujours certains mystères, notamment concernant son primum movens. Il représente en tout cas la conséquence clinique d'une entrave au développement initial de la vision binoculaire. Ses conséquences sont définitives sur le plan sensoriel binoculaire par l'absence de développement de la correspondance rétinienne normale. Le patient n'aura donc jamais de lien binoculaire normal, quelle que soit la précocité du traitement. L'analyse clinique d'un patient porteur du syndrome doit s'intéresser avant tout à l'oil fixateur pour en retrouver les signes spécifiques : nystagmus manifeste latent, fixation en adduction. Le traitement repose sur des règles simples et strictes : port de la correction optique adaptée, quel que soit l'âge, prévention et traitement de l'amblyopie, intervention si besoin, visant à obtenir une microtropie, traiter les anomalies de fixation et de motilité. Il s'agit d'un syndrome qui évolue sur toute la vie : une surveillance prolongée est bien sûr conseillée.

Bibliographie

[1]  Audren F. Organisation neuronale de la sensorialité anormale et conséquences thérapeutiques : le trépied binoculaire. In : La sensorialité. XXXVe Colloque de Nantes (2010). FNRO, Nantes, 2011 : 139-156.

[2]  Baeteman C, Denis D et al. Exotropie précoce : importance de l'IRM cérébrale. J Fr Ophtalmol, 2008 ; 31 : 287-294.

[3]  Birch EE, Fawcett S, Stager D. Co-development of VEP motion response and binocular vision in normal infants and infantile esotropes. Invest Ophthalmol Vis Sci, 2000 ; 41 : 1719-1723.

[4]  Birch EE, Stager DR Sr. Long-term motor and sensory outcomes after early surgery for infantile esotropia. J AAPOS, 2006 ; 10 : 409-413.

[5]  Bosworth RG, Birch EE. Motion detection in normal infants and young patients with infantile esotropia. Vision Res, 2005 ; 45 : 1557-1567.

[6]  Bourron-Madignier M. Validité du test du nystagmus optocinétique dans le diagnostic de l'âge d'apparition d'un strabisme. Bull Soc Opht France, 1994 ; 94 : 413-417.

[7]  Brodsky MC. Dissociated Vertical Deviation: a righting reflex gone wrong. Arch Ophthalmol, 1999 ; 117 : 216-222.

[8]  Calcutt C, Murray AD. Untreated essential esotropia: factors affecting the developpement of amblyopia. Eye (Lond.), 1998 ; 12 : 167-172.

[9]  Campos EC. Essential infantile esotropia: a controversial subject. In : ESA Lecture. Trans 25th ESA meeting. Spiritus M (ed.). Lisse, Aeolus press, 1999 : 4-11.

[10]  Ciancia AO. On infantile esotropia with nystagmus in abduction. Bielschowskilecture. ISA 1994. J Ped Ophtalmol Strabismus, 1995 ; 32 : 280-288.

[11]  Costenbader FD. Infantile esotropia. Trans Am Ophtalmol Soc, 1961 ; 59 : 397.

[12]  Demer JL. Orbital connective tissues in binocular alignment and strabismus. In : Advances in strabismus research: basic and clinical aspects. Lennerstrand G, Ygge J (eds). London, Portland Press Ltd, 2000 : 17-32.

[13]  Denis D, Wary P, Bernard C. Facteurs de risque de l'ésotropie précoce. In : Le strabisme précoce. Cahiers de sensorio-motricité. XXVIIe Colloque de Nantes. FNRO, Nantes, 2002 : 19-25.

[14]  Gomez de Llano P. Hyperactions des petits et grands obliques. In : Le praticien et les facteurs verticaux. XVIe Colloque de Nantes. Quéré M-A pour Lissac Opticien, 1991 : 88-98.

[15]  Guyton DL. Dissociated Vertical Deviation: etiology, mechanism and associated phenomena. Costenbader lecture. J AAPOS, 2000 ; 4 : 131-144.

[16]  Helveston EM. The aetiology of essential infantile (congenital) esotropia. In : Advances in strabismus research: basic and clinical aspects. Lennerstrand G, Ygge J (eds). London, Portland Press Ltd, 2000 : 135-152.

[17]  Hugonnier R, Hugonnier S. Strabismes, hétérophories et paralysies oculomotrices. 4e édition. Paris, Masson, 1981.

[18]  Lang J. Der kongenitale oder frükindliche Strabismus. Ophtalmologica, 1967 ; 154 : 201-208.

[19]  Lang J. Strabisme : diagnostic, formes cliniques, traitement. 2e édition. Berne, Hans Hubert, 1981.

[20]  Leigh RJ, Zee DS. The neurology of eye movements. Oxford, Oxford university press, 1999.

[21]  Parks MM. The monofixation syndrome. Trans Am Ophthalmol Soc, 1969 ; 67 : 609-657.

[22]  Quéré M-A. Physiopathologie clinique de l'équilibre oculomoteur. Paris, Masson, 1983.

[23]  Simonsz HJ, Kolling GH, Unnebrink K. Final report of the early vs. late infantile strabismus surgery study (ELISSS), a controlled, prospective, multicenter study. Strabismus, 2005 ; 13 : 169-99. Erratum in : Strabismus, 2006 ; 14 : 127-128.

[24]  Spielmann A. Les soi-disant syndromes de blocage : adduction, esodéviation et élévation dans les strabismes précoces. Le syndrome optomoteur des monophtalmes congénitaux. Ophtalmologie, 1988 ; 2 : 1-4.

[25]  Spielmann A. Les strabismes. De l'analyse clinique à la synthèse chirurgicale. Paris, Masson, 1989.

[26]  Thouvenin D, Lesage-Beaudon C, Arné J-L. Injection de toxine botulique dans les strabismes précoces. Efficacité et incidence sur les indications chirurgicales ultérieures. À propos de 74 cas traités avant l'âge de 36 mois. J Fr Ophtalmol, 2008 ; 31 : 42-50.

[27]  Thouvenin D, Nogue S, Fontes L, Norbert O. Strabismus after treatment of unilateral congenital cataracts. A clinical model for strabismus physiopathogenesis? De Faber (ed.). Trans 28th meeting ESA. Lisse, Swets & Zeitlinger, 2003 : 147-152.

[28]  Thouvenin D, Taurines E, Noblet P. Oculomotor status in treated monocular congenital cataracts. De Faber (ed.). Trans 26th meeting ESA. Lisse, Swets & Zeitlinger, 2000 : 44-50.

[29]  Thouvenin D, Tiberge M, Arne J-L, Arbus L. Brain electrical activity mapping in the study of visual development and amblyopia in young children. J Pediatr Ophtalmol Strabismus, 1995 ; 32 : 10-17.

[30]  Thouvenin D. Le syndrome du strabisme précoce, paradigme d'une sensorialité anormale. In : La sensorialité. XXXVe Colloque de Nantes (2010). FNRO, Nantes, 2011 : 163-178.

[31]  Thouvenin D. Strabismes précoces. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris). Ophtalmologie, 21-550-A-02, 2002, 8p.

[32]  Tychsen L, Wong AM, Burkhalter A. Paucity of horizontal connections for binocular vision in V1 of naturally strabismic macaques: Cytochrome oxidase compartment specificity. J CompNeurol, 2004 ; 474 : 261-275.

[33]  Tychsen L, Wong AM, Foeller P, Bradley D. Early versus delayed repair of infantile strabismus in macaque monkeys. II - Effects on motion visually evoked responses. Invest Ophthalmol Vis Sci, 2004 ; 45 : 821-827.

[34]  Tychsen L. Can ophthalmologists repair the brain in infantile esotropia? Early surgery, stereopsis, monofixation syndrome, and the legacy of Marshall Parks. J AAPOS, 2005 ; 9 : 510-521.

[35]  Tychsen L. Causing and curing infantile esotropia in primates: the role of decorrelated binocular input (an American Ophthalmological Society thesis). Trans Am Ophthalmol Soc, 2007 ; 105 : 564-593.

[36]  Von Noorden GK. A reassessment of infantile esotropia. XLIV Edward Jackson memorial lecture. Am J Ophthalmol, 1988 ; 105 : 1-10.

[37]  Von Noorden GK. Nystagmus. In : Binocular vision and ocular motility. 4th ed. Saint Louis, CV Mosby Company, 1990 : 435-454.

[38]  Wiesel TN. Postnatal development of the visual cortex and the influence of environment. Nature, 1982 ; 229 : 583-591.

II - Strabisme accommodatif

A. Sauer, C. Speeg-Schatz

La théorie de Donders, selon laquelle l'hypermétropie non corrigée peut conduire au strabisme convergent, constitue toujours une des pierres angulaires de la strabologie. Cependant, les avancées dans la connaissance des principes physiopathologiques du strabisme ont permis de mettre en évidence de nouvelles entités où l'hypermétropie n'est plus l'unique déclencheur, mais un facteur de risque majeur. Le strabisme accommodatif regroupe ainsi un ensemble d'entités physiopathologiques différentes, aux limites parfois imprécises, dans lesquels le rôle de l'hypermétropie est certain. Les différences qu'offrent ces tableaux cliniques sont parfois difficiles à cerner, mais le diagnostic nosologique précis est une condition nécessaire à la réussite du traitement. En effet, le traitement d'une ésotropie accommodative pure, celui d'un strabisme accommodatif partiel ou d'un excès de convergence ne sont pas superposables [3].

  • Les strabismes accommodatifs regroupent toute une série d'entités cliniques différentes.

  • Un examen clinique complet et attentif doit permettre de classer correctement le strabisme.

  • De cette analyse sémiologique dépend la prise en charge adéquate de chaque patient.

Accommodation

L'accommodation constitue les modifications oculaires adaptatives permettant d'assurer la netteté des images pour des distances différentes de vision. Le système dioptrique de l'oil s'adapte ainsi à la vision rapprochée en accommodant. Via les fibres parasympathiques du nerf oculomoteur commun (III), un influx nerveux symétrique parvient aux muscles ciliaires des deux yeux. La contraction du muscle ciliaire autorise le relâchement des fibres zonulaires. La mémoire élastique du cristallin jeune modifie alors sa configuration et augmente son pouvoir réfractif. Cet accroissement de puissance résulte essentiellement des modifications de la courbure antérieure, mais également d'un changement d'indice de réfraction et d'un déplacement antéropostérieur du cristallin. La réponse accommodative est un phénomène rapide et précis. Elle est de l'ordre de 4,6 ? par seconde et son temps de latence est de l'ordre de 400 millisecondes [34].

Par définition, le point visible le plus proche au prix d'une accommodation maximale est dénommé punctum proximum, et le point le plus éloigné punctum remotum. Le sujet emmétrope est adapté à la vision nette à l'infini (punctum remotum), en l'absence de toute impulsion accommodative. Lors du passage en vision de près, la vision nette d'un objet situé à 1 mètre nécessite une accommodation théorique de 1 ? ; si l'objet est approché à 0,33 m, l'accommodation requise est de 3 ?. L'amplitude d'accommodation, ou parcours accommodatif, constitue ainsi la distance qui sépare le punctum proximum d'accommodation et le punctum remotum d'accommodation [5].

La convergence et la contraction pupillaire, couplées à l'accommodation, constituent la triade synergique de la vision de près [2].

Convergence

La convergence se définit par une direction des axes visuels telle qu'il se rencontre en un certain point. Elle se mesure en dioptries (?) ou en degrés (°). Le point sur lequel se rejoignent les deux axes lors d'un effort de convergence maximal est appelé punctum proximum de convergence. L'angle de convergence va dépendre de la distance à l'objet et de la distance interpupillaire. Ainsi, l'angle de convergence requis est d'autant plus grand que la distance à l'objet est petite et que l'écart pupillaire est grand.

Divers stimulus participent à la fonction de convergence. La convergence volontaire peut s'entraîner et consiste à converger ou à surconverger à la demande. La convergence proximale est suscitée par le rapprochement d'un objet fixé et donc par le rapport visuel à la distance. La convergence tonique est l'expression de l'innervation de convergence de base qui prédomine dans la première année de la vie et se relâche par la suite. La convergence accommodative est couplée à l'effort accommodatif. La convergence fusionnelle est un phénomène réflexe qui permet de percevoir, en vision binoculaire simple, des objets séparés par une faible distance [3].

Relation accommodation-convergence

Cette relation peut être représentée sur un système de coordonnées où l'accommodation est reportée en ordonnée et la convergence en abscisse, ce qui constitue le diagramme de Donders (cf. fig. 21-93), base du calcul du rapport AC/A de la convergence accommodative (AC) sur l'accommodation (A). Pour une quantité donnée d'accommodation, il est encore possible de varier légèrement la convergence ; une convergence constante est encore compatible avec une variation de l'accommodation [3]. Dans cette aire, qui témoigne de la souplesse du système, le sujet emmétrope est capable de fusionner et de voir net. À la distance de fixation de 1 mètre, si l'écart pupillaire est de 6 cm, la convergence nécessaire est de 6 ?, chaque oil fournissant 3 ? de convergence. À la distance de 50 cm, la convergence est multipliée par deux ; à 0,33 cm, elle atteint 18 ?. Si on reporte les mesures angulaires obtenues chez un patient donné sur le diagramme de Donders, la ligne de convergence qui en résulte (droite de Donders) peut présenter une pente de 45°, indiquant par là une relation accommodation-convergence normale. Une déviation de la ligne vers l'horizontale témoigne au contraire d'une anomalie de la relation, la convergence obtenue étant, dans ce cas, supérieure à l'accommodation : il y a excès de convergence [5].

Excès de convergence accommodative (rapport AC/A élevé)

Si une quantité donnée d'accommodation (A) entraîne une part excessive de convergence accommodative (AC, pour accommodative convergence), le rapport AC/A est élevé. Cet excès de convergence se manifeste par un angle de strabisme plus marqué en fixation rapprochée, réalisant une incomitance loin-près de l'angle égale ou supérieure à 10 ?. La disparition de cette différence loin-près après ajout d'une addition à la correction optique totale de + 3 ? confirme la nature accommodative du phénomène. Au contraire, une résistance de l'angle de près au test des lentilles positives révélerait un excès de convergence non accommodatif.

L'excès de convergence accommodatif peut résulter de deux mécanismes différents : hypercinétique ou hypoaccommodatif. Dans la forme hypercinétique, la plus fréquente, l'accommodation (A) est normale mais le tonus de convergence (AC) est accru : à toute sollicitation normale de l'accommodation correspond une réponse de convergence anormalement élevée. À l'inverse, la forme hypoaccommodative, beaucoup plus rare, se caractérise par un pouvoir accommodatif faible (A faible), comparable à une « presbytie juvénile » : la capacité accommodative réduite sollicite une innervation élevée qui entraîne une hyperconvergence [3].

Classification des strabismes accommodatifs

Le strabisme convergent accommodatif entre dans la catégorie des strabismes acquis. On en distingue deux types qui se rencontrent avec une fréquence équivalente :

  • type réfractif : strabisme convergent par hypermétropie non corrigée, qui est subdivisé en deux formes :

    • strabisme convergent accommodatif pur ;

    • strabisme convergent accommodatif partiel ;

  • type innervationnel : strabisme convergent par excès de convergence accommodatif ; cette anomalie de la relation accommodation-convergence peut exister sur un fond d'hyper métropie, d'emmétropie ou même de myopie. Le type innervationnel comprend également deux formes :

    • excès de convergence accommodatif hypercinétique ;

    • excès de convergence accommodatif hypoaccommodatif.

Mais les types réfractifs et innervationnels peuvent se combiner, de telle sorte qu'en clinique, on distingue essentiellement six groupes :

  • strabisme convergent accommodatif pur avec rapport AC/A normal ;

  • strabisme convergent accommodatif partiel avec rapport AC/A normal ;

  • strabisme convergent accommodatif pur avec rapport AC/A élevé ;

  • strabisme convergent accommodatif partiel avec rapport AC/A élevé ;

  • microstrabisme convergent avec rapport AC/A élevé ;

  • strabisme divergent avec rapport AC/A élevé.

Mesure du rapport AC/A

Les méthodes de l'hétérophorie et du gradient sont les mieux connues :

  • la méthode de l'hétérophorie est un test de l'écran alterné pratiqué en fixation à distance après correction de l'erreur de réfraction, puis, le sujet accommodant, l'hétérophorie est mesurée de près à 33 cm ;

  • dans la méthode du gradient, la distance de fixation reste constante durant l'examen. L'hétérophorie est d'abord mesurée avec la seule correction du vice de réfraction éventuel, puis après interposition de verres convexes (+ 1 ?, + 3 ?) et concaves (- 1 ?, - 3 ?). Par exemple, un patient orthophorique à distance qui développerait une ésophorie de 12 ? après interposition de verres - 3 ?, nous indiquerait que chaque dioptrie d'accommodation est responsable de 4 ? de convergence : le rapport AC/A serait de 4/1.

Quelle que soit la méthode utilisée, la valeur normale du rapport AC/A de l'adulte est comprise entre 3,5 et 5, selon la méthode utilisée. La méthode de l'hétérophorie est probablement plus proche de la réalité parce qu'elle met en jeu une différence de proximité. Ces méthodes sont applicables aux situations simples, les déviations restant latentes et la sensorialité normale. Elles deviennent difficiles à appliquer aux tableaux cliniques mixtes où la déviation phorique s'ajoute à une tropie de base.

Formes cliniques
STRABISME ACCOMMODATIF SANS EXCÈS DE CONVERGENCE
STRABISME ACCOMMODATIF PUR AVEC RAPPORT AC/A NORMAL (vidéo 12-1)

En cas d'hypermétropie, le patient doit accommoder d'autant de dioptries qu'il est hypermétrope pour voir net à distance. De près, à 33 cm, l'accommodation requise augmente encore de 3 ? supplémentaires. Ainsi, sans correction de l'hypermétropie, la convergence associée à l'accommodation serait très importante de loin comme de près. À l'inverse, le port d'une correction supprime l'angle de convergence de loin comme de près. Selon la définition, le patient se trouve débarrassé de sa déviation strabique pour toute distance de fixation par la seule correction optique de son hypermétropie. Le diagnostic se pose ainsi après correction optique totale (correction dictée par la détermination objective de la réfraction sous cycloplégique) de l'hypermétropie. Dans le cas particulier de l'ésotropie accommodative pure, la démarche diagnostique se révèle donc également thérapeutique puisque la correction optique totale entraîne une orthophorie pour toute distance de fixation.

Ces formes de strabisme bénéficient d'une correspondance rétinienne normale (CRN), qui ne peut s'expliquer que par leur apparition tardive chez un enfant qui a déjà eu l'occasion d'organiser sa correspondance rétinienne et d'entraîner sa fusion. Le début se manifeste souvent par une diplopie intermittente.

La majorité des opérateurs du strabisme considèrent que la forme pure du strabisme accommodatif constitue une contre-indication chirurgicale. Cependant, s'il persiste une ésophorie gênante, celle-ci peut faire l'objet d'un traitement chirurgical. Quelques auteurs ont préconisé le traitement chirurgical des strabismes accommodatifs purs, arguant du fait que des dysfonctions musculaires, en particulier des muscles obliques, seraient la cause des décompensations. Cette attitude produit souvent des divergences consécutives qui nécessitent alors une réintervention ou une suraccommodation pour maintenir l'état parallèle.

STRABISME ACCOMMODATIF PARTIEL AVEC RAPPORT AC/A NORMAL

Dans ces cas, la correction optique de l'hypermétropie réduit l'angle de strabisme mais laisse subsister un angle résiduel d'égale importance en fixation à distance et en fixation rapprochée. La correction optique totale de l'hypermétropie entraîne la guérison du strabisme accommodatif pur, mais laisse subsister un angle résiduel si l'ésotropie est partiellement accommodative ; si le rapport AC/A est normal, l'angle résiduel de près est égal à l'angle résiduel à distance. Cet angle de base est ancré par une correspondance rétinienne anormale (CRA) qui témoigne d'un trouble binoculaire apparu précocement dans la vie de l'enfant. Pour certains, le strabisme accommodatif partiel représenterait l'aggravation d'un strabisme accommodatif pur non traité ou insuffisamment corrigé. Les auteurs anglo-saxons utilisent à ce propos le terme assez bienvenu de « détérioration ». Pour d'autres, cette forme de strabisme serait la combinaison de l'élément accommodatif surajouté à l'ésotropie précoce préexistante.

Dans la forme partielle, ces strabismes à composante accommodative constituent une entité disparate où se mêlent des ésotropies précoces et des strabismes plus tardifs, aggravés par l'élément accommodatif. L'importance de l'hypermétropie et la réduction angulaire qu'entraîne la correction optique totale sont très variables d'un cas à l'autre. Le traitement de l'amblyopie, fréquente dans ces cas, ainsi que le dosage de l'indication opératoire après correction optique totale sont des conditions préopératoires incontournables. La chirurgie doit en effet rester prudente et le dosage opératoire s'aligne de préférence sur l'angle minimal. Selon l'importance de l'angle résiduel, un traitement chirurgical peut être proposé par une technique conventionnelle : double recul des droits médiaux ou opération combinée par recul-résection des droits horizontaux d'un oil. L'enjeu du traitement n'est pas ici la restitution d'une vision binoculaire.

STRABISMES ACCOMMODATIFS AVEC EXCÈS DE CONVERGENCE

L'excès de convergence peut s'ajouter à toute forme de strabisme mais en particulier aux formes réfractives, pour constituer le groupe majoritaire des strabismes accommodatifs à rapport AC/A élevé.

STRABISME CONVERGENT ACCOMMODATIF PUR AVEC RAPPORT AC/A ÉLEVÉ

La correction optique totale de l'hypermétropie entraîne une orthotropie à distance et laisse subsister une ésotropie de près. Il y a donc excès de convergence. La nature accommodative de cet excès de convergence est signalée par sa disparition après addition d'une valeur optique positive pour la vision de près - en général inférieure ou égale à la correction sphérique de loin + 3 ?.

La correction optique bifocale ou progressive (qui présente un avantage esthétique) est une prise en charge efficace. Si la correction optique totale de l'hypermétropie reste toujours de mise, l'addition en revanche peut être modulée à la valeur liminaire, suffisante pour permettre la compensation fusionnelle de près. Ces patients demandent une surveillance étroite, car les décompensations sous correction optique totale et verres bifocaux ou progressifs ne sont pas rares. Pour de nombreux auteurs, les verres bifocaux sont à préférer aux verres progressifs. En effet, les verres progressifs présenteraient l'inconvénient d'induire des effets prismatiques en raison de la surface réduite du foyer optique véritablement compétent, mettant à rude épreuve la capacité fusionnelle, déjà limitée, de ces patients. D'autres auteurs proposent l'instillation de myotiques afin de diminuer la convergence.

Plus rarement, le traitement chirurgical peut être proposé en cas d'ésophorie persistante sous écran alterné avec orthotropie à distance. Si l'angle de cette déviation latente recouvre la déviation manifeste de près, une chirurgie peut être proposée. Reposant sur le principe du raccourcissement du bras de levier au point d'ancrage, la myopexie rétro-équatoriale de Cüppers sur les deux droits médiaux entraîne une forte diminution de l'incomitance loin-près.

STRABISME CONVERGENT ACCOMMODATIF PARTIEL AVEC RAPPORT AC/A ÉLEVÉ

Dans ces cas, très fréquents, la correction optique totale de l'hypermétropie réduit sensiblement l'angle de strabisme mais laisse persister une ésotropie résiduelle avec un angle de près plus important (incomitance loin-près). On considère que le rapport AC/A est élevé si l'angle de près est supérieur de 10 ? à l'angle à distance, mais cette incomitance atteint et dépasse souvent 25 ?. La correspondance rétinienne est souvent anormale pour toute distance de fixation.

Le traitement de ces cas est difficile. Certains préconisent la correction chirurgicale de l'angle de base, mesuré à distance après correction optique totale, puis la prescription de verres bifocaux ou progressifs, ou l'instillation de collyres miotiques, pour diminuer l'angle résiduel de près lié à l'excès de convergence. En réalité, l'enjeu est essentiellement esthétique et le choix du traitement se fait au cas par cas.

MICROSTRABISME AVEC RAPPORT AC/A ÉLEVÉ

Le microstrabisme avec excès de convergence accommodative représente une variante, particulière et fréquente, du strabisme accommodatif partiel avec rapport AC/A élevé où l'angle de base est une microtropie. Un excès de convergence peut s'ajouter à un microstrabisme primaire connu ou méconnu et la petitesse de l'angle, délicate à repérer chez le petit enfant, rend le diagnostic très difficile.

Ces patients commencent souvent à loucher de manière visible et monolatérale vers l'âge de deux à trois ans et le début du strabisme n'entraîne aucun trouble subjectif, aucune diplopie. Avant l'apparition de ces symptômes, la reconnaissance précoce du microstrabisme est ainsi compliquée. L'amblyopie monolatérale est très fréquente. La correction optique totale semble restituer une rectitude, mais l'examen attentif à l'écran monolatéral révèle le micromouvement de redressement. De plus, une hétérophorie surajoutée est souvent présente, révélée par l'écran alterné. Lorsque l'enfant devient plus facile à examiner, le test maculo-maculaire de Cüppers permettra de confirmer le diagnostic. Enfin, les microstrabismes ont souvent une réfraction anisométropique, l'oil microtropique étant le plus hypermétrope et plus astigmate.

L'objectif du traitement est de restituer la situation initiale : la microtropie avec correspondance rétinienne anormale. Le traitement de ces patients relève, comme tous les cas d'excès de convergence, de la correction optique totale. Les verres bifocaux, les miotiques et, dans une plus faible mesure, le traitement chirurgical (fils de Cüppers sur les droits médiaux) sont parfois associés.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL DES STRABISMES ACCOMMODATIFS À RAPPORT AC/A ÉLEVÉ

Le diagnostic se pose a posteriori, après prescription de la correction optique totale.

Bien que très rare, l'excès de convergence hypoaccommodatif doit être connu du strabologue car il constitue une contre-indication chirurgicale. En effet, ces patients souffrant d'un pouvoir accommodatif réduit (comparables à de très jeunes presbytes) seraient pénalisés par une chirurgie musculaire qui n'aurait aucune efficacité sur la cause du strabisme et entraînerait d'inutiles incomitances motrices. L'excès de convergence hypoaccommodatif atteint plus souvent les filles que les garçons. Cliniquement, la présentation rapprochée d'un optotype de petite taille provoque une réaction de recul caractéristique associé une forte contraction pupillaire. Le traitement est exclusivement optique, par correction optique totale de loin et addition de + 3 ? en verres progressifs.

L'excès de convergence hypercinétique est le deuxième diagnostic différentiel des strabismes à rapport AC/A élevé. Il est le plus représenté des excès de convergence accommodatifs. Le traitement classique consiste en la correction optique totale avec une addition de près pouvant être inférieure à + 3 ?. Cette addition peut souvent être réduite progressivement à partir de l'âge de onze ans, en raison de l'accroissement de l'écart pupillaire qui consomme une partie de l'excès de convergence. Les formes résistantes à l'optique peuvent bénéficier d'un traitement chirurgical par recul des deux droits médiaux ou mise en place d'un fil de Cüppers sur les deux droits médiaux. Cependant, la chirurgie conventionnelle expose au risque d'exotropie consécutive.

Enfin, le troisième diagnostic différentiel est l'excès de convergence non accommodatif. Dans ce cas, l'addition de valeurs optiques positives à la correction optique totale n'influence pas l'incomitance loin-près de l'angle et le myosis serré en fixation rapprochée fait défaut. Ces formes ne répondent qu'au traitement chirurgical, en particulier par myopexie des droits médiaux, fortement réductrice de l'incomitance loin-près.

STRABISME DIVERGENT AVEC ÉLÉMENT ACCOMMODATIF

Cette situation, en apparence paradoxale, peut exister sous forme essentielle ou secondaire.

La forme essentielle, à rapport AC/A élevé, n'est pas rare et se traduit par un angle d'exotropie nettement moins marqué ou absent en fixation rapprochée. Ces patients montrent parfois une correspondance rétinienne normale de près et une suppression à distance. Le tableau est constant, contrairement à celui du strabisme divergent intermittent. Ainsi, l'excès de convergence préopératoire est souvent masqué par la divergence de près et ne sera révélé qu'après le traitement chirurgical (incomitance loin-près postopératoire). Le traitement repose en général sur les verres bifocaux. Le traitement chirurgical est plus complexe et propose en général un recul des droits latéraux associé à l'opération du fil sur les droits médiaux.

Les cas secondaires sont des situations iatrogènes. La chirurgie intempestive appliquée aux strabismes accommodatifs ou à l'excès de convergence hypoaccommodatif produit des exotropies consécutives avec incomitance loin-près.

Conclusion

Les strabismes accommodatifs regroupent toute une série d'entités cliniques différentes. Un examen clinique complet et attentif doit permettre de classer correctement le strabisme. De cette analyse sémiologique dépend la prise en charge adéquate de chaque patient.

Bibliographie

[1]  Anderson HA, Glasser A, Manny RE, Stuebing KK. Age-related changes in accommodative dynamics from preschool to adulthood. Invest Ophthalmol Vis Sci, 2010 ; 51 : 614-622.

[2]  Fincham EF, Walton J. The reciprocal actions of accommodation and convergence. J Physiol, 1957 ; 137 : 488-508.

[3]  Glasser A. Accommodation: mechanism and measurement. Ophthalmol Clin North Am, 2006 ; 19 : 1-12.

[4]  Myers GA, Stark L. Topology of the near response triad. Ophthalmic Physiol Opt, 1990 ; 10 : 175- 181.

[5]  Wick B, Currie D. Dynamic demonstration of proximal vergence and proximal accommodation. Optom Vis Sci, 1991 ; 68 : 163-167.

III - Ésotropie acquise

M.-A. Espinasse-Berrod

L'ésotropie acquise non accommodative correspond à une ésotropie concomitante apparaissant après l'âge de huit mois et non améliorée de façon significative par la correction optique de l'hypermétropie. Sa principale caractéristique est d'apparaître après l'installation des liens binoculaires normaux. Mais si l'ésotropie s'installe avant deux ans et demi, le déséquilibre oculomoteur entraîne très vite neutralisation et anomalies de correspondance rétinienne car la binocularité est encore fragile. Si, en revanche, l'ésotropie s'installe après trois ans, la binocularité est solide et restera normale (ésotropie normosensorielle). Différents tableaux sont possibles en fonction du mode d'apparition, des signes associés et de la réfraction.

  • Burian a décrit trois types d'ésotropies acquises non accommodatives.

  • La possibilité d'une association à un problème neurologique doit toujours être évoquée.

  • Une ésotropie acquise est à différencier d'un microstrabisme décompensé.

  • La vision binoculaire doit être normale en fin de traitement.

Clinique
DÉBUT

L'ésotropie apparaît le plus souvent entre deux et huit ans. Le mode d'installation du strabisme peut être aigu ou progressif avec une déviation au départ intermittente (le matin ou le soir) puis qui s'aggrave rapidement. L'apparition du strabisme est parfois rapportée à une fatigue, une forte fièvre ou un choc psychologique ou, beaucoup plus rarement, secondaire à une occlusion. Il faut toujours avertir les parents de ce risque avant de démarrer une occlusion prolongée de plusieurs jours pour une amblyopie non strabique.

SIGNES CLINIQUES

Une diplopie peut être rapportée chez le grand enfant ou l'adulte avec fermeture d'un oil. Mais en général, en particulier chez l'enfant, les signes disparaissent en quelques jours. La motilité est normale. Il n'existe pas d'amblyopie. L'anomalie réfractive retrouvée sous cycloplégie est le plus souvent modérée, mais certains cas peuvent être associés à une myopie ou à une hypermétropie moyenne ou forte. Il n'existe pas de composante accommodative significative. L'examen du fond d'oil est normal, ce qui permet d'éliminer une ésotropie sensorielle secondaire à une pathologie organique, et un odème papillaire ou une atrophie optique témoins d'un problème neurologique. La correspondance rétinienne est normale et les fusions motrices et sensorielles possibles.

ÉVOLUTION

En général, l'angle se majore rapidement et devient assez important. Rares sont les régressions spontanées. Exceptionnellement s'installe un rythme cyclique. L'ésotropie apparaît alors à des intervalles réguliers. Le cycle régulier de quarante-huit heures est classique avec, un jour, rectitude avec vision binoculaire normale et, le jour suivant, ésotropie avec suppression et absence de diplopie. Parfois le rythme n'est pas aussi régulier. En général, les épisodes tropiques deviennent de plus en plus fréquents et un strabisme constant se développe.

Diagnostic différentiel
ÉSOTROPIE ACCOMMODATIVE

La correction totale de l'hypermétropie (et éventuellement une addition de près) corrige dans ce cas totalement la déviation. Le diagnostic d'ésotropie acquise non accommodative ne peut donc être confirmé qu'après avoir revu le sujet porteur de la correction optique totale. Et si la part accommodative du strabisme est importante, il faut répéter les cycloplégies pour révéler l'hypermétropie maximale.

MICROTROPIE DÉCOMPENSÉE

Une ésotropie « apparemment » acquise résulte fréquemment de la décompensation d'une microtropie passée inaperçue. Mais ce diagnostic est souvent difficile. L'absence de signe fonctionnel et l'existence d'une amblyopie sont en faveur d'une microtropie préexistante. Et le bilan retrouve des anomalies de correspondance rétinienne. Le résultat sensoriel du traitement ne sera pas parfait puisque la vision binoculaire ne s'est pas développée normalement, mais autour d'un petit angle de déviation.

AFFECTION NEUROLOGIQUE
SIGNES ÉVOCATEURS

Une affection neurologique sous-jacente doit toujours être éliminée lors d'une ésotropie acquise. Elle doit être particulièrement évoquée en présence de certains signes cliniques - a fortiori s'ils sont associés.

Signes généraux

L'interrogatoire s'inquiète de l'existence de céphalées, nausées, vertiges ou une atteinte de l'état général.

Strabisme brutal avec diplopie

L'existence d'une diplopie (persistante) associée à un strabisme apparu brutalement est classiquement un signe d'orientation vers un trouble oculomoteur d'origine neurologique [1] :

  • limitation d'abduction, unilatérale ou bilatérale ;

  • cette limitation signe une atteinte du VI ;

  • incomitance de la déviation.

Une ésotropie qui se majore en vision de loin par rapport à la vision de près (incomitance loin-près), quand un oil est fixateur (incomitance selon l'oil fixateur) ou dans le regard latéral doit aussi rendre méfiant l'ophtalmologiste [1]. Un syndrome « V » associé peut être en faveur d'une parésie du VI [11]. Un syndrome « A » avec abaissement en adduction peut s'associer à une malformation d'Arnold-Chiari de type 1.

Nystagmus

La recherche d'une pathologie neurologique s'impose aussi devant l'association avec un nystagmus dans le regard latéral [67].

Mauvaise qualité de la fusion

L'impossibilité d'obtenir une vision binoculaire simple avec les prismes ou la chirurgie peut rentrer dans le cadre d'une perte de fusion résultant de l'existence d'une tumeur cérébrale [67].

Signes absents

L'absence d'antécédent familial de strabisme ou d'hypermétropie doit aussi rendre vigilant [10].

Fond d'oil

Odème ou pâleur papillaire impose une imagerie cérébrale.

Récidive du strabisme

Un bilan neuroradiologique s'impose devant toute récidive d'ésotropie acquise.

ABSENCE DE SIGNE ÉVOCATEUR

Tous les signes vus ci-dessus peuvent être absents. Un début progressif ou une parfaite concomitance n'élimine pas une cause neurologique : malformation d'Arnold-Chiari [15], hydrocéphalie [5] ou processus tumoral. Le mécanisme exact par lequel une tumeur produit un strabisme concomitant n'est pas clair : parésie du VI ou atteinte des aires de contrôle des vergences [26] ? Les signes neurologiques peuvent aussi apparaître après le strabisme [16].

C'est pourquoi, en l'absence de circonstance déclenchante particulière comme un traitement par occlusion unilatérale, il est recommandé de demander systématiquement un bilan neurologique lors d'une ésotropie acquise non accommodative, même si ce bilan est négatif dans l'immense majorité des cas [11]. L'exploration neuroradiologique idéale est la réalisation d'une IRM.

Classifications
CLASSIFICATION DE BURIAN

Burian et Miller [36] ont distingué trois types qui ont en commun une installation brutale, une valeur assez importante de l'angle, un excellent pronostic binoculaire et l'absence de pathologie neurologique associée.

TYPE 1 DE SWAN

La déviation apparaît après une occlusion thérapeutique (amblyopie secondaire à une anisométropie ou une lésion cornéenne) ou une baisse d'acuité visuelle unilatérale (plaie de cornée ou odème prolongé des paupières, par exemple).

TYPE 2 DE BURIAN-FRANCESCHETTI

L'ésotropie acquise est parfois initialement intermittente puis rapidement constante. La réfraction est variable dans la description initiale, mais une faible hypermétropie est souvent un critère pour classer les patients dans cette catégorie [14]. Un choc physique ou psychique peut être un facteur déclenchant. Ce type 2 correspond à la majorité des ésotropies acquises non accommodatives.

TYPE 3 DE BIELSCHOWSKY

La myopie caractérise ce groupe [3]. L'ésotropie y est plus importante en vision de loin qu'en vision de près avec une diplopie et une myopie d'importance moyenne. Mais débordant cette description, les tableaux cliniques d'ésotropie acquise associée à une myopie sont en pratique très variables : la myopie peut être forte et la déviation relativement égale de loin et de près ; le tableau s'aggrave parfois progressivement et l'angle peut devenir majeur.

CLASSIFICATION ANGLO-SAXONNE

Von Noorden distingue les ésotropies « acquises » (d'installation progressive), les ésotropies « acquises aiguës » (de début brutal) et les ésotropies associées à la myopie [12]. L'âge moyen est de trente et un mois pour l'ésotropie « acquise » et plus élevé (enfant de plus de cinq ans ou adulte) pour l'ésotropie « aiguë » [11].

Étiologie

L'origine de l'ésotropie acquise reste souvent obscure. Une ésophorie préexistante ou une limitation de la divergence ont été évoquées [8]. Chez les sujets myopes, la convergence accommodative en vision de près joue un rôle important dans le déclenchement de l'ésotropie acquise, en particulier chez des sujets myopes non ou sous-corrigés. Une ésotropie peut aussi être déclenchée par une augmentation de la correction myopique ou une simple modification de monture qui augmente l'hypermétropie induite de près et donc l'excès d'accommodation et, secondairement, de convergence. L'accent a été mis récemment sur le rôle que pourrait avoir le muscle droit latéral, soit par une atteinte directe, soit à cause d'un glissement vers le bas, faisant rentrer ces strabismes dans le cadre de strabismes restrictifs avec désordres périphériques. Ces hypothèses mécaniques expliquent certains strabismes associés aux fortes myopies. Mais les désordres innervationnels en rapport avec les particularités de la vision et de l'accommodation chez le sujet myope restent responsables de grand nombre d'ésotropies acquises, en particulier dans les myopies moyennes.

Pronostic

Le pronostic sensoriel d'une ésotropie acquise est classiquement excellent. Ceci est d'autant plus vrai que l'ésotropie apparaît tardivement dans l'enfance. En effet, schématiquement à partir de deux ans et demi, la vision binoculaire est suffisamment solide pour que la correspondance rétinienne et les possibilités de vision stéréoscopiques ne soient pas altérées par l'existence du strabisme. La potentialité d'une vision binoculaire normale est même un élément diagnostique important. Mais la récupération d'une vision binoculaire normale (test de Lang positif) peut nécessiter plusieurs mois de suivi après le traitement [14]. Et, durant cette période, le doute diagnostique avec un microstrabisme peut persister. La durée du temps écoulé entre l'apparition du strabisme et le traitement ne semble pas être un facteur déterminant pour la restauration de la vision binoculaire [14]. Une vision stéréoscopique parfaite peut être récupérée après une chirurgie effectuée chez un adulte porteur d'un strabisme acquis depuis l'enfance.

Traitement
TRAITEMENT MÉDICAL

La correction optique d'une hypermétropie (en général faible) ne modifie pas ou peu la déviation. La correction de la myopie est obligatoire même si elle aggrave l'ésotropie. Des prismes peuvent être indiqués si le potentiel binoculaire est bon et spécialement en cas de diplopie. Ils doivent permettre de rétablir fusion et vision stéréoscopique. Ils peuvent être incorporés si la déviation est modérée, mais ils représentent le plus souvent une solution d'attente pour la chirurgie et parfois une aide au protocole [13].

TOXINE BOTULIQUE A

L'injection de toxine botulique permet dans certains cas de ne pas avoir recours à la chirurgie [4].

TRAITEMENT CHIRURGICAL

La chirurgie est le plus souvent nécessaire dans ces strabismes acquis [11]. Si le strabisme est apparu avant l'âge de quatre ans, elle devra être effectuée assez rapidement pour éviter le risque de suppression et d'altérations sensorielles secondaires. En revanche, si l'enfant est plus âgé, la chirurgie n'est pas urgente. Son but doit être l'orthophorie pour espérer récupérer une vision binoculaire normale.

Conclusion

L'ésotropie acquise non accommodative doit être reconnue pour deux raisons pratiques : la possibilité d'une affection neurologique sous-jacente et l'exigence du traitement médico-chirurgical, qui est d'obtenir le plus rapidement possible l'orthophorie avec vision binoculaire normale.

Bibliographie

[1]  Bagolini B. Aspects of paralytic and comitant stabismus. Documenta Ophthalmologica, 1969 ; 26 : 606-616.

[2]  Biousse V, Newman NJ, Petermann SH, Lambert SR. Isolated comitant esotropia and Chiari malformation. Am J Ophthalmol, 2000 ; 130 : 216-220.

[3]  Burian HM, Miller JE. Comitant convergent strabismus with acute onset. Am J Ophthalmol, 1958 ; 45 : 55-64.

[4]  Dawson ELM, Marshman WE, Adams GG. The role of botulinum toxin A in acute-onset esotropia. Ophthalmology, 1999 ; 106 : 1727-1730.

[5]  Harcourt RB. Ophthalmic complications of meningomyelocele and hydrocephalus in children. Br J Ophthalmol, 1968 ; 52 : 670-676.

[6]  Hoyt CS, Good WV. Acute onset concomitant esotropia: when is it a sign of serious neurologic disease? Br J Ophthalmol, 1995 ; 79 : 498-501.

[7]  Hoyt GS, Fredrick DR. Serious neurologic disease presenting as comitant strabismus. In : Clinical strabismus management. Principles and surgical techniques. Rosenbaum AL, Santiago AP (eds). Philadelphia, WB Saunders, 1999 : 152-158.

[8]  Krohler GB, Tobin LB, Hartnett ME, Barrows NA. Divergence paralysis. Am J Ophthalmol, 1982 ; 94 : 506-510.

[9]  Lang J. Strabisme. Diagnostic. Formes cliniques. Traitement. Paris, Maloine, 1981 : 92-93.

[10]  Lyons CJ, Tiffin PAC, Oystreck D. Acute acquired comitant esotropia: a prospective study. Eye, 1999 ; 13 : 617-620.

[11]  Mohney BG. Acquired nonaccommodative esotropia in childhood. J Pediatr Ophthalmol, Strabismus, 2001 ; 5 : 85-89.

[12]  Von Noorden GK, Campos EC. Binocular vision and ocular motility theory and management of strabismus. 6th edition. St Louis, Mosby, 2002 : 336-340.

[13]  Repka MX, Connett JE, Scott WE. The one-year surgical outcome after prism adaptation for the management of acquired esotropia. Ophthalmology, 1996 ; 103 : 923-927.

[14]  Sturm V, Menke NM, Knecht PB, Schöffer C. Long term follow-up of children with acute acquired concomitant esotropia. J Pediatr Ophthalmol Strabismus, 2011 ; 15 : 317-320.

[15]  Weeks CL, Hamed LM. Treatment of acute comitant esotropia in Chiari 1 malformation. Ophthalmology, 1999 ; 106 : 2368-2371.

[16]  Williams AS, Hoyt GS. Acute comitant esotropia in children with brain tumors. Arch Ophthalmol, 1989 ; 107 : 376-378.

IV - Microstrabisme

M.-A. Espinasse-Berrod

Le terme microstrabisme a été utilisé pour la première fois par Joseph Lang au premier symposium international sur le strabisme en 1966. Lang définit le microstrabisme comme un strabisme d'angle inférieur à 5° associé à une correspondance rétinienne anormale (CRA), une vision stéréoscopique grossière et une amblyopie légère [6-8]. Pour l'auteur, le microstrabisme primaire trouve son origine dans une anomalie sensorielle (correspondance rétinienne anormale) et se maintient donc le plus souvent constant à ce petit angle en raison de la puissance des liens sensoriels anormaux. Lang distingue trois formes de microstrabisme en fonction de la qualité de la fixation, qui peut être centrale, excentrique siégeant entre la fovéa et le centre de localisation de la CRA, ou excentrique coïncidant avec le centre de localisation de la CRA. Si la fixation est centrale, l'examen à l'écran met en évidence la déviation. Si la fixation est excentrique, l'examen à l'écran peut ne pas révéler de mouvement. Enfin, Lang distingue le microstrabisme primaire, le microstrabisme primaire décompensé et le microstrabisme secondaire, ou consécutif.

Les définitions des auteurs anglo-saxons sont différentes [13]. Parks décrit le « syndrome de monofixation » chez des patients avec un scotome maculaire, une fusion périphérique et une vision stéréoscopique grossière [10]. Mais ce syndrome regroupe les microstrabismes et les amblyopies non strabiques avec correspondance rétinienne normale : il s'agit plus d'un « symptôme » de suppression que d'un vrai « syndrome ». Pour von Noorden, la « microtropie » correspond au type 3 de Lang, où il n'existe aucun mouvement visible de restitution à l'écran mais simplement des anomalies sensorielles : amblyopie, fixation excentrique et correspondance rétinienne anormale [13]. Certains auteurs parlent de microtropie « avec identité » [4] quand la même zone de fixation est utilisée en monoculaire et en binoculaire et donc sans mouvement au test à l'écran.

Il existe donc dans la littérature une certaine confusion de terminologie. En pratique clinique, nous retenons que le microstrabisme se caractérise par :

  • un strabisme d'angle inférieur à 8 ? ;

  • associé à une correspondance rétinienne anormale ;

  • mais à de bonnes possibilités binoculaires.

Il existe un scotome central de neutralisation mais des possibilités fusionnelles périphériques et une vision stéréoscopique présente quoiqu'imparfaite. Le microstrabisme peut être une ésodéviation ou une exodéviation mais les ésodéviations sont plus fréquentes [8]. Cette condition affecte 1 % à 3 % de la population [7].

Il existe en pratique deux tableaux cliniques [9] :

  • une microtropie au test à l'écran ;

  • une fixation excentrique avec une absence de mouvement au test à l'écran.

  • Lang a réalisé la première définition du microstrabisme.

  • Le microstrabisme s'accompagne souvent d'amblyopie.

  • La vision stéréoscopique est présente mais imparfaite.

  • Le microstrabisme est le but thérapeutique dans un strabisme précoce.

Étiologie

La théorie de l'origine sensorielle du microstrabisme de Lang est toujours d'actualité mais est discutée. Pour Helveston la suppression fovéale est à l'origine du microstrabisme ; une cause serait l'amblyopie par anisométropie. À l'opposé, d'autres auteurs évoquent une simple adaptation sensorielle à une déviation oculaire, comme dans les strabismes à grand angle [2]. L'étiologie reste donc méconnue. Mais le tableau de microstrabisme semble bien correspondre à un lien binoculaire directement lié à l'angle du strabisme et à la distance entre les neurones des colonnes de dominance oculaire au niveau du cortex. Cette distance conditionne en effet la possibilité de connexions synaptiques entre deux neurones (en fonction de la longueur maximale des axones). La présence de connexions synaptiques possibles dans le microstrabisme explique l'existence d'une certaine stéréoacuité (fig. 12-6 et 12-7) [12]. Ces connexions sont en partie innées.

image

Fig. 12-6 Distance traversée par un axone horizontal moyen de V1 chez le primate normal ou strabique.

a. Normal : chez un primate sans strabisme, la colonne de dominance oculaire représentant la fovéola de l'oil gauche (G) est immédiatement adjacente à la colonne de dominance représentant la fovéola de l'oil droit (D). Dans ce cas, la disposition côte à côte des colonnes de dominance oculaire fovéolaires (flèches blanches) autorise une connexion horizontale permettant à ces colonnes de parfaitement communiquer pour la fusion binoculaire. b. Microésotropie : chez un primate avec un microstrabisme, un neurone d'une colonne de dominance oculaire peut seulement traverser une distance de 7 mm dans le cortex visuel, correspondant à un angle de strabisme d'environ 4 ?.

(D'après Tychsen, 2005 [13].)

image

Fig. 12-7 Carte en deux dimensions représentant V1 de l'hémisphère cérébral droit (hémichamp visuel gauche) d'un primate présentant une microésotropie.

Un axone horizontal, ayant pour origine la représentation fovéale d'une excentricité comprise entre 0° et 1°, peut établir des liens avec un champ récepteur décalé d'une distance de 2,5° (4,4 ?). Deux neurones en série peuvent se faire joindre des champs récepteurs séparés de 5° (8,7 ?). La conclusion qui en ressort est que la limite des 8 ? pourrait être explicable par une combinaison de la taille innée du neurone de V1 et de la topographie de V1. Le système visuomoteur du primate strabique atteint ainsi une fusion binoculaire subnormale, mais stable tant que l'angle de déviation reste confiné à une distance correspondant au maximum à deux neurones de V1.

(D'après Tychsen, 2005 [13].)

Éléments de diagnostic

Le diagnostic est parfois facile s'il existe un petit angle au test à l'écran avec une vision stéréoscopique imparfaite. Mais la mise en évidence d'un microstrabisme peut être difficile, en particulier en dépistage ou dans le cadre du bilan d'une amblyopie. La conjonction de différents signes d'examen aide alors au diagnostic.

TEST À L'ÉCRAN

Au test à l'écran, on retrouve une déviation minime de quelques dioptries (si la fixation est centrale) ou une absence de mouvement (si le mouvement est trop petit et/ou si la fixation n'est pas centrale). Une hétérophorie est souvent associée au microstrabisme. Il faut bien faire le test de l'écran monoculaire avant de le faire alterner pour distinguer le microstrabisme de la part phorique surajoutée.

PRISME DE 4 DIOPTRIES

Le test de 4 ? base temporale de Jampolsky étudie les mouvements de vergence fusionnelle induits par le prisme. On place le prisme base temporale devant un oil et on observe un mouvement d'adduction de cet oil. L'autre oil réalise un mouvement d'abduction (loi de Hering) puis une adduction témoin de la vergence fusionnelle (fig. 12-8a). En cas de microstrabisme, si le prisme est placé devant l'oil pathologique, le déplacement de l'image reste à l'intérieur du scotome de neutralisation et on n'observe aucun mouvement. Si le prisme est placé devant l'oil sain, celui-ci réalise un mouvement d'adduction entraînant une abduction de l'autre oil mais sans mouvement de vergence fusionnelle (fig. 12-8b).

image

Fig. 12-8 Prisme de 4 ? de Jampolsky.

a. Un prisme de 4 ? base temporale devant l'oil droit induit un mouvement d'adduction de l'oil droit et d'abduction de l'oil gauche, puis de vergence fusionnelle en adduction de l'oil gauche. b. En cas de microtropie de l'oil droit, le prisme placé devant l'oil droit n'induit aucun mouvement oculaire en raison du scotome central présent dans cet oil. Si le prisme est mis devant l'oil gauche, on observe un mouvement d'adduction de l'oil gauche puis d'abduction de l'oil droit. Mais comme l'image de l'oil droit reste à l'intérieur du scotome, il n'existe pas de stimulus de refixation et donc une absence de mouvement fusionnel en adduction de cet oil.

BIPRISME

Le biprisme de Gracis est formé de deux prismes carrés d'une valeur de 6 ?. Ces deux prismes sont de bases opposées et situés l'un au-dessus de l'autre. La cible de fixation est placée à 40 cm. On étudie les mouvements de version induits par le prisme. Le biprisme est placé base temporale devant un oil. On observe un mouvement d'adduction de cet oil et un mouvement d'abduction de l'autre oil. Ensuite, on déplace rapidement le biprisme vers le haut et on observe les déplacements inverses (fig. 12-9). L'intérêt des deux prismes superposés est d'amplifier le mouvement de version car on passe d'un prisme à l'autre sans attendre le mouvement compensateur de vergence fusionnelle. La même manouvre est réalisée pour chaque oil. Quand existe un microstrabisme, si le prisme est placé devant l'oil pathologique, on n'observe aucun mouvement, et si le prisme est placé devant l'oil sain, la réponse est normale.

image

Fig. 12-9 Biprisme de Gracis.

Le prisme base temporale devant l'oil droit induit une adduction de l'oil droit et une abduction de l'oil gauche. Puis le déplacement rapide du biprisme vers le haut induit les versions inverses.

VISION STÉRÉOSCOPIQUE

Une perte de vision binoculaire existe en présence d'une déviation oculaire quelle que soit sa mesure angulaire. Cependant le microstrabisme est associé à une adaptation du système visuel permettant de récupérer une partie de la binocularité [2]. Le test de Wirt/Titmus est fréquemment positif jusqu'au pion 6 (80'') - le sujet peut décrire le pion décalé vers le haut et un peu sur le côté. Il semble même que le Titmus puisse parfois être vu en totalité jusqu'au pion 9 (40'') [389]. Mais le test de Lang est classiquement négatif - le sujet peut deviner les formes mais ne les reconnaît pas toutes les trois - et il est exceptionnel qu'un sujet avec une microtropie arrive à une acuité stéréoscopique inférieure à 100'' au TNO. Cette discordance de résultats entre les tests à contours définis (Titmus) mesurant la stéréoscopie locale (grossière), et ceux fondés sur le principe des points aléatoires (Lang, TNO) mesurant la stéréoscopie globale (fine), caractérise les microstrabismes [9]. Le Titmus doit donc être interprété après l'étude de la correspondance rétinienne. L'évaluation de la stéréoscopie par des tests à points aléatoires est un outil efficace en dépistage de microstrabisme.

ÉTUDE DE LA FIXATION

L'étude de la fixation est réalisée en faisant fixer l'étoile d'un ophtalmoscope par exemple, l'autre oil étant occlus ; l'observateur situe la zone de fixation par rapport à la fovéa.

SYNOPTOPHORE

Au synoptophore, les réponses peuvent sembler normales avec une fusion et une stéréoscopie. Mais on trouve une différence de 2° ou 3° entre l'angle objectif et l'angle subjectif en utilisant de très petites mires.

AUTRES TESTS

Le test de Worth positif témoigne d'une fusion sensorielle [3].

Les verres striés de Bagolini mettent parfois en évidence une union binoculaire avec un scotome de neutralisation - les alentours de la lumière sont absents sur un trait. Sinon une croix normale peut aussi témoigner d'anomalies de la correspondance rétinienne associées à un petit angle [3].

L'épreuve maculo-maculaire de Cüppers étudie l'état sensoriel à partir de la fixation. On demande au sujet de fixer un point lumineux et on projette sur la macula de l'oil non fixateur l'étoile de l'ophtalmoscope. Un écart entre la lumière et l'étoile signe une correspondance rétinienne anormale. Cet examen n'est plus réalisé en pratique courante.

Différentes formes cliniques de microstrabisme
MICROSTRABISME PRÉCOCE (PRIMAIRE)

Il est souvent méconnu et diagnostiqué à l'âge verbal lors d'une découverte d'amblyopie. Il est plus rare que le microstrabisme secondaire.

DIAGNOSTIC PRÉCOCE

Ce diagnostic est difficile puisque les reflets cornéens peuvent sembler centrés et le test de l'écran ne pas révéler de mouvement de restitution facilement visible à l'oil nu, en particulier chez l'enfant. Biprisme de Gracis ou test de 4 ? sont utiles. La fixation étudiée à l'aide de l'ophtalmoscope peut être excentrée. Le test de Lang est négatif.

DIAGNOSTIC TARDIF
Amblyopie

Le microstrabisme peut être diagnostiqué lors de la découverte d'une amblyopie à l'âge verbal. Cette amblyopie est en général modérée, accompagnée d'un scotome de neutralisation central et souvent d'une anisométropie. L'amblyopie existe dans 70 % des microstrabismes. L'anisométropie pourrait être due à une non-emmétropisation de l'oil amblyope [8]. La mise en évidence d'une fixation non fovéolaire signe le diagnostic de microstrabisme. Le traitement de l'amblyopie doit suivre les règles générales du traitement d'amblyopie en commençant par une occlusion totale [5], avec le risque de majoration de l'angle et la nécessité d'en informer les parents. Un microstrabisme favorise la rechute d'amblyopie à la fin du traitement. On n'obtient en effet jamais d'alternance. Des difficultés à la lecture de près avec l'oil anciennement amblyope peuvent persister [6]. Le traitement de l'amblyopie peut améliorer la vision stéréoscopique, voire donner le sentiment de normaliser le tableau sensoriel [146].

Microstrabisme précoce décompensé

Il est fréquent de soupçonner un microstrabisme décompensé chez un enfant présentant un strabisme apparu cliniquement tardivement et paraissant donc acquis, mais avec un bilan sensoriel de mauvaise qualité. Dans ce cas, le sujet ne présente en général aucun signe fonctionnel lors de la décompensation. Cette dernière a pu être favorisée par une hypermétropie, un excès de convergence, une diminution des capacités fusionnelles ou une amblyopie. La décompensation se fait le plus souvent en ésotropie, mais parfois en exotropie [3]. Dans tous les cas, on ne retrouve jamais d'orthophorie avec vision binoculaire normale malgré un traitement médico-chirurgical bien mené.

MICROSTRABISME SECONDAIRE, OU CONSÉCUTIF

Un strabisme précoce à grand angle peut évoluer spontanément avec les années vers un microstrabisme. Et ce sont parfois les signes cliniques associés - divergence verticale dissociée (DVD), élévation en adduction - qui deviennent les signes cliniques les plus apparents.

Ce microstrabisme (angle horizontal inférieur à 8 ? et angle vertical inférieur à 4 ?) est le but thérapeutique final pour un strabisme précoce [10].

On recherche ce microstrabisme par la correction optique, les injections de toxine botulique et/ou la chirurgie. Les connexions synaptiques entre les neurones de colonnes de dominance assez proches permettent alors un certain niveau de vision binoculaire. Le caractère probablement inné de ces liens pourrait expliquer l'absence de différence spectaculaire entre chirurgie précoce et chirurgie différée dans les résultats du traitement chirurgical du strabisme précoce [12].

Conclusion

Le microstrabisme représente l'exemple type d'anomalie de correspondance rétinienne à respecter. Il autorise en effet, grâce à l'installation de liens binoculaires, l'existence d'une certaine vision stéréoscopique. Il ne faut pas chercher à lever le scotome central de neutralisation au risque d'obtenir une diplopie. Seul le traitement de l'amblyopie associée est indiqué. Le micro strabisme est ainsi un élément capital pour le bon équilibre du patient strabique, imagé par le trépied de Charles Rémy (cf. fig. 1-1 au premier chapitre). Dans tous les cas, la vision binoculaire reste défi nitivement un élément angledépendant.

Bibliographie

[1]  Cleary M, Houston CA, McFadzean RM, Dutton GN. Recovery in microtropia: implications for aetiology and neurophysiology. Br J Ophthalmol, 1998 ; 82 : 225-231.

[2]  Harweth RS, Fredenburg PM. Binocular vision with primary microstrabismus. Invest Ophthalmol Vis Sci, 2003 ; 44 : 4296-306.

[3]  Helveston EM, Von Noorden GK. Microtropia: A newly defined entity. Arch Ophthalmol, 1967 ; 78 : 272-281.

[4]  Houston CA, Cleary M, Dutton GN, McFadzean RM. Clinical characteristics of microtropia - Is microtropia a fixed phenomenon ? Br J Ophthalmol, 1998 ; 82 : 219-224.

[5]  Ibironke JO. Microtropia: clinical findings and management for the primary eye care practitioner. Optometry, 2011 ; 82 : 657-661.

[6]  Lang J. Management of microtropia. Br J Ophthamol, 1974 ; 58 : 281-292.

[7]  Lang J. Microtropia. Int Ophthalmol, 1983 ; 6 : 33-36.

[8]  Lang J. Strabisme. Diagnostic. Formes cliniques. Traitement. Maloine, Paris, 1981 : 98-105.

[9]  Pageau M, de Guise D, Saint-Amour D. Stéréopsies locale et globale chez l'enfant microstrabique. Can J Ophthalmol, 2011 ; 46 : 271-275.

[10]  Quéré M-A, Lavenant F, Péchereau A, Doutetien C. Étude comparative de la binocularité des orthomicrotropies et des strabismes résiduels : évolution post-thérapeutique des ésotropies. Ophtalmologie, 1988 ; 2 : 5-8.

[11]  Simonsz HJ, Kolling GH, Unebrink K. Final Report of the Early vs. Late Infantile Strabismus Surgery Study (ELISSS), a controlled, prospective, multicenter study. Strabismus, 2005 ; 13 : 169-199.

[12]  Tychsen L. Bases scientifiques du strabisme. In : Strabologie : approches diagnostique et thérapeutique. Espinasse-Berrod M-A (éd.). 2e édition. Paris, Elsevier-Masson, 2008 : 39-52.

[13]  Von Noorden GK, Campos EC. Binocular vision and ocular motility. 6th edition. St Louis, Mosby, 2002 : 340-345.

V - Exotropie précoce

F. Audren

L'exotropie précoce est définie comme un strabisme divergent constant apparu avant l'âge de six mois de vie et qui persiste après cet âge. D'un point de vue anatomique, la fin de grossesse et les premiers mois de vie sont marqués par la fin du processus de sagittalisation des orbites, dont les axes ne seront jamais parallèles mais formeront un angle d'environ 45° en divergence. Cette divergence est responsable de la divergence « passive » des axes visuels, qui est normalement compensée par les différents mécanismes de convergence (fusionnelle, accommodative, proximale et tonique) pour assurer le parallélisme des axes visuels.

Des divergences congénitales, intermittentes ou constantes, sont retrouvées chez 30 % à 50 % des nouveau-nés, à la différence des ésotropies congénitales qui sont rares [1012]. L'alignement des axes oculaires se met en place en même temps que se développent la fixation et les mécanismes fusionnels [13] ; passé le sixième mois de vie, les exotropies sont rares (fig. 12-10). Des anomalies anatomiques pourraient être responsables des exotropies précoces, comme un déséquilibre entre la force exercée par les muscles droits latéraux au détriment de celle des droits médiaux (déséquilibre des forces passives avec point d'équilibre temporal) [5]. Certaines anomalies orbito-faciales (dysmorphies) pourraient aussi être tenues pour responsables. À l'inverse de ces hypothèses « anatomiques », une hypothèse « innervationnelle », plus probable, rapporterait les exotropies à une dystonie par défaut de convergence : l'exotropie précoce serait causée par l'arrêt du développement du système de convergence pendant une période précoce critique, sans qu'on sache s'il s'agit d'une anomalie primaire du système vergentiel ou d'une anomalie du développement des fonctions binoculaires sensorielles (corticales) [6]. Les formes héréditaires sont exceptionnelles mais décrites [2].

Si on s'en tient à la définition stricto sensu donnée ci-dessus, nous excluons de ce chapitre les exotropies dues à des anomalies des ductions (paralysies, syndromes restrictifs). Cependant, il est difficile de ne pas en rapprocher les deux autres entités cliniques que sont les strabismes divergents intermittents, qui peuvent apparaître précocement (dès trois mois), ainsi que les strabismes sensoriels qui sont apparentés (tableau 12-I) [8].

Les exotropies précoces sont souvent associées à des pathologies ophtalmologiques ou générales, ce qui est une de leurs spécificités [4].

  • Les exotropies précoces sont des formes rares de strabisme.

  • Le diagnostic d'une exotropie précoce doit toujours faire rechercher une cause ophtalmologique ou générale (contexte de prématurité, pathologie neurologique, retard psychomoteur).

  • Le traitement médical ne diffère pas de celui des autres strabismes.

image

Fig. 12-10 Alignement oculaire de nourrissons normaux examinés à différents âges.

(D'après Sondhi et al., 1988 [12].)

image

Tableau 12-I -  Caractéristiques de 235 enfants présentant une exotropie (d'après Mohney et Huffaker, 2003 [8]).

Description clinique

Le diagnostic est le plus souvent facile en cas d'exotropie à grand angle. Elle peut être alternante ou non. Une amblyopie est retrouvée dans 25 % des cas, généralement due au strabisme plutôt qu'à une anomalie réfractive. La distribution des anomalies réfractives dans les exotropies précoces ne diffère pas de celle de la population générale.

Le plus souvent, il s'agit d'un strabisme à grand angle, la plupart des séries rapportant des angles de 20 ? à 90 ?, généralement supérieurs à 35 ? [6]. Comme tout strabisme précoce, un nystagmus manifeste latent, une DVD ou une élévation en adduction peuvent être observés, mais leur fréquence est moindre et leur amplitude souvent moins marquée que dans les ésotropies précoces. Les syndromes alphabétiques sont en revanche fréquents (syndromes « V », « X » ou « A »). Différentes hypothèses ont été proposées pour expliquer les syndromes alphabétiques souvent associés, notamment en cas d'exotropie à très grand angle, les syndromes « X » parfois observés seraient dus à des droits latéraux restrictifs. La divergence est plus importante dans l'élévation et l'abaissement avec une limitation modérée de l'adduction unilatérale ou bilatérale et une élévation ou un abaissement en adduction. Ces anomalies des ductions seraient dues à des hyperactions des obliques ou au glissement du droit latéral autour du globe oculaire par un effet de bride ou au fait que le globe a plus de place pour l'élévation ou l'abaissement quand il n'est pas en adduction maximale [6].

L'examen clinique ne comporte pas de spécificité par rapport à celui des autres strabismes, mais on portera une attention particulière aux antécédents (histoire de la grossesse, accouchement) et on recherchera systématiquement des anomalies oculaires ou générales associées.

L'évolution spontanée des exotropies précoces se fait vers la stabilité ou vers l'augmentation de l'angle au cours du temps.

Épidémiologie, associations
DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES

Les données épidémiologiques sur les strabismes sont limitées. Les principaux résultats disponibles proviennent de la Rochester epidemiology study, une étude d'incidence réalisée chez des patients de moins de dix-neuf ans nés entre 1985 et 1994 dans le comté d'Olmsted dans le Minnesota (106 470 habitants en 1990) [7]. Une autre source intéressante est une étude rétrospective réalisée à Johnson City dans le Tennessee, chez des patients de moins de dix-neuf ans vus entre 1995 et 2001 (sur une zone géographique couvrant 52 545 habitants en 1995) [3]. Ces deux études rapportent chacune une série de patients présentant une exotropie (deux cent cinq pour la première et deux cent trente-cinq pour la seconde) avec la prévalence des différents types d'exotropies observées.

Au sein de ces séries, le type « exotropie précoce » représentait les exotropies apparues avant l'âge de six mois chez des enfants indemnes de toute pathologie neurologique, ophtalmologique ou autre. Ces cas étaient rares : un cas (0,5 %) et quatre cas (1,7 %) dans les deux séries respectivement. Ceci s'explique par le fait que les exotropies associées à des anomalies neurologiques sont classées dans une autre catégorie, sans considération d'âge d'apparition, qui représente trente cas (14,6 %) et cinquante cas (21,4 %) respectivement. Les exotropies sensorielles (exotropies dues à une perte de la vision ou une baisse sévère de la vision d'un oil) représentent quant à elles dix-sept cas (8,25 %) et vingt-quatre cas (10,2 %) respectivement. Il est très intéressant de remarquer que les âges médians d'apparition de ces différents types de strabismes se situent autour de six mois (tableau 12-I).

Une exotropie infantile constante doit donc faire évoquer systématiquement une pathologie associée, générale ou ophtalmologique.

ASSOCIATIONS
PATHOLOGIES OPHTALMOLOGIQUES ASSOCIÉES

La fréquence des anomalies oculaires associées aux exotropies justifie un examen ophtalmologique soigneux. Les anomalies le plus fréquemment rencontrées seraient les cataractes et les hypoplasies du nerf optique, mais toute pathologie oculaire ou du nerf optique susceptible d'entraîner une mauvaise vision peut potentiellement être rencontrée [348].

PATHOLOGIES GÉNÉRALES ASSOCIÉES

Des anomalies neurologiques variées peuvent être associées à l'exotropie précoce, mais les plus fréquemment rencontrées sont les infirmités motrices cérébrales, les retards psychomoteurs (quelles qu'en soient les causes) et les antécédents de prématurité [348].

DISCUSSION

L'idée qu'il faille systématiquement rechercher une anomalie générale ou ophtalmologique devant un patient présentant un strabisme divergent précoce est communément admise. Cette notion mérite sans doute d'être un peu nuancée.

En effet, si on considère les associations pathologiques entre les strabismes précoces et les pathologies neurologiques ou périnatales de façon générale, on ne parle pas de causalité directe mais d'une association significative, le strabisme pouvant être seulement un élément parmi d'autres témoignant d'une anomalie du développement cérébral. Tout strabisme précoce (divergent ou convergent) peut être concerné, même si les associations pathologiques sont plus fréquentes en cas d'exotropie [4]. De même les strabismes divergents intermittents peuvent être associés à des anomalies neurologiques, même si cela est plus rare que pour les strabismes divergents constants [4].

Si on s'intéresse à la prévalence des strabismes dans les populations d'enfants présentant un retard psychomoteur, on constate qu'on rencontre autant d'ésotropies que d'exotropies précoces [9], de même chez les grands prématurés [11].

En toute rigueur, tout strabisme précoce, qu'il soit divergent ou convergent, mérite donc qu'on se pose la question d'une association avec une pathologie générale. Souvent cette anomalie est déjà connue en cas de contexte périnatal pathologique, une prématurité ou s'il existe un retard psychomoteur évident, mais la conduite diagnostique à tenir en cas d'exotropie isolée chez un nourrisson par ailleurs en bonne santé n'est pas codifiée. Il semble qu'une imagerie systématique par IRM retrouve très fréquemment des anomalies cérébrales en cas d'exotropie précoce (73 % des cas dans la série de Baeteman et al. [1]), mais la corrélation entre ces anomalies et leur retentissement clinique n'est pas claire. Une IRM normale chez un petit enfant peut être rassurante, mais certaines pathologies n'ont pas de manifestation précoce en imagerie et certains retards psychomoteurs peuvent se rencontrer chez des enfants sans traduction en imagerie IRM. La réalisation systématique d'une IRM (nécessitant une anesthésie générale) chez des nourrissons qui présentent une exotropie précoce isolée est donc discutable. En revanche, il ne faudra pas hésiter à demander un avis neuropédiatrique ou à attirer l'attention du pédiatre sur la possibilité d'une anomalie associée au strabisme si elle n'est pas déjà connue.

Prise en charge

La prise en charge d'une exotropie précoce ne diffère pas de celle de tout strabisme : correction optique si nécessaire, traitement d'une amblyopie éventuelle. En général, un traitement chirurgical sera indiqué après la prise en charge médicale du strabisme et quand l'âge de l'enfant le permet. En raison de la tendance à l'augmentation de la divergence au cours du temps, les réinterventions ne sont pas rares.

L'existence d'une pathologie associée doit être recherchée comme évoqué plus haut (avis neuropédiatrique et éventuellement imagerie cérébrale). Le plus souvent une pathologie neurologique ne modifie pas le traitement du strabisme (occlusion pour une amblyopie notamment) mais cette prise en charge devra être discutée avec le reste de l'équipe soignante si ce traitement est une entrave au développement psychomoteur ou à la rééducation (psychomotrice entre autres) de l'enfant.

Conclusion

Les exotropies précoces sont des formes rares de strabisme, moins fréquentes que les ésotropies précoces et que les strabismes divergents intermittents. Outre la divergence, l'examen clinique peut retrouver des signes de strabisme précoce mais généralement moins marqués que dans les ésotropies précoces. Le diagnostic d'une exotropie précoce doit toujours faire rechercher une cause ophtalmologique ou générale (contexte de prématurité, pathologie neurologique, retard psychomoteur). Le traitement médical ne diffère pas de celui des autres strabismes (correction optique, rééducation d'une éventuelle amblyopie). Suivant le traitement médical, un traitement chirurgical est généralement indiqué.

Bibliographie

[1]  Baeteman C, Denis D, Loudot C, et al. Intérêt de l'IRM cérébrale dans les exotropies précoces. J Fr Ophtalmol, 2008 ; 31 : 287-294.

[2]  Brodsky M, Fritz K. Hereditary congenital exotropia: a report of three cases. Binocul Vis Eye Muscle Surg Q, 1993 ; 8 : 133-136.

[3]  Govindan M, Mohney BG, Diehl NN, et al. Incidence and types of childhood exotropia: a population-based study. Ophthalmology, 2005 ; 112 : 104-108.

[4]  Hunter DG, Ellis FJ. Prevalence of systemic and ocular disease in infantile exotropia: comparison with infantile esotropia. Ophthalmology, 1999 ; 106 : 1951-1956.

[5]  Kraft S. Selected exotropia entities and principles of management. In : Clinical strabismus management. Rosenbaum AL, Santiago AP (eds). Philadelphia, Saunders, 1999 : 176-201.

[6]  Kraft S. Special forms of concomitant exotropia. In : Pediatric ophtalmology and strabismus. Taylor D, Hoyt CS (eds). Philadelphia, Elsevier-Saunders, 2005 : 903-911.

[7]  Mohney BG. Common forms of childhood strabismus in an incidence cohort. Am J Ophthalmol, 2007 ; 144 : 465-467.

[8]  Mohney BG, Huffaker RK. Common forms of childhood exotropia. Ophthalmology, 2003 ; 110 : 2093-2096.

[9]  Nielsen LS, Skov L, Jensen H. Visual dysfunctions and ocular disorders in children with developmental delay. II. Aspects of refractive errors, strabismus and contrast sensitivity. Acta Ophthalmol Scand, 2007 ; 85 : 419-426.

[10]  Nixon RB, Helveston EM, Miller K, et al. Incidence of strabismus in neonates. Am J Ophthalmol, 1985 ; 100 : 798-801.

[11]  O'Connor AR, Stephenson TJ, Johnson A, et al. Strabismus in children of birth weight less than 1 701 g. Arch Ophthalmol, 2002 ; 120 : 767-773.

[12]  Sondhi N, Archer SM, Helveston EM. Development of normal ocular alignment. J Pediatr Ophthalmol Strabismus, 1988 ; 25 : 210-211.

[13]  Tychsen L. Strabismus: the scientific basis. In : Pediatric ophtalmology and strabismus. Taylor D, Hoyt CS (eds). Philadelphia, Elsevier-Saunders, 2005 : 836-845.

VI - Exophorie-tropie, ou strabisme divergent intermittent

M.-A. Espinasse-Berrod

Les exotropies sont moins fréquentes que les ésotropies et touchent davantage les femmes. Les strabismes divergents intermittents sont les plus fréquents des strabismes divergents.

  • Le strabisme divergent est constant mais sa compensation est intermittente.

  • L'appréciation du contrôle de la déviation est essentielle dans le bilan d'un strabisme divergent intermittent.

  • La correction totale de l'hypermétropie est nécessaire dans le bilan d'un strabisme divergent intermittent mal contrôlé.

  • Le bilan préopératoire doit être réalisé à distance de toute rééducation orthoptique.

  • La chirurgie doit se fonder sur l'angle maximum.

  • La nécessité de plusieurs temps opératoires est fréquente.

Historique et étiologie

Duane (1896) pense que les exodéviations sont causées par un déséquilibre innervationnel entre mécanismes de convergence et de divergence. Bielschowsky (1934) suggère une position anormale de repos des yeux en divergence en rapport avec des facteurs anatomiques. Selon Burian (1971) [3], les exodéviations sont causées par la conjonction de facteurs statiques et dynamiques innervationnels. Il est probable qu'il existe, dans la majorité des cas, une anomalie du tonus de vergence et une position de repos en divergence associées à des phénomènes compensateurs en convergence, qu'il s'agisse de convergence accommodative, proximale ou fusionnelle. Le strabisme n'est donc pas divergent par intermittence : la divergence est permanente et c'est sa compensation qui est intermittente [4] (fig. 12-11).

image

Fig. 12-11 Divergence de loin de l'oil gauche chez un enfant de 6 mois avec bon contrôle de la déviation à la fixation de près.

Âge et circonstances d'apparition

La déviation strabique apparaît initialement surtout en vision de loin. Le début d'apparition est donc souvent méconnu. Les périodes d'exotropie apparaissent fréquemment lors de fatigue, maladie, rêverie ou inattention visuelle (fig. 12-12). Un patient concentré peut totalement compenser sa déviation durant l'examen : il faut penser à observer le sujet dès la salle d'attente et lors de l'interrogatoire. La prise d'alcool ou de traitement neurosédatif peut aggraver la déviation chez l'adulte. Les exotropies intermittentes sont plus fréquentes dans les pays très ensoleillés. Elles sont aussi favorisées par les anomalies craniofaciales et les déficits neurologiques. Mais les strabismes divergents intermittents sont moins fréquemment associés à une affection neurologique que les exotropies constantes [1119].

image

Fig. 12-12 Facteurs de décompensation et de contrôle d'un strabisme divergent intermittent.

Évolution

L'évolution est souvent défavorable, la déviation tropique s'aggravant en fréquence et en durée dans 75 % des cas. Mais 10 % des patients ont un état oculomoteur stable et 15 % des cas s'améliorent sans traitement [21]. Les facteurs favorisant l'amélioration spontanée sont la rareté des passages en exotropie et la déviation inférieure à 20 ? [9]. Sinon, l'aggravation est en rapport avec la baisse de la convergence tonique, la diminution du pouvoir accommodatif, l'exagération de la suppression et la divergence accrue des orbites avec l'âge. Après un temps d'évolution variable, le strabisme divergent intermittent peut se transformer en exotropie constante. Il faut donc toujours rechercher, lors du bilan d'une exotropie constante, la notion d'une intermittence antérieure. Cette évolution variable et relativement imprévisible nécessite un suivi minimum d'un strabisme divergent intermittent pour juger de son évolutivité.

Interrogatoire

Les signes fonctionnels sont rares en raison de la suppression typique d'un strabisme divergent intermittent. Le patient peut fermer un oil à la forte luminosité (en été, par exemple). Ce signe peut précéder l'exotropie intermittente. La diplopie est rare. Le patient peut rapporter une vision « panoramique » lors des épisodes tropiques. Le patient chez qui l'exotropie apparaît à un âge plus avancé peut se plaindre d'asthénopie, de vision trouble, de céphalées, de diplopie, de confusion ou de difficulté à la lecture avec perte des lignes, surtout après un travail de près prolongé. Mais l'importance des signes fonctionnels oriente plus le diagnostic vers une « exophorie décompensée » que vers un « strabisme divergent intermittent », en raison de la suppression caractéristique du strabisme divergent intermittent. Néanmoins, il existe des formes intermédiaires entre ces deux formes cliniques de divergence intermittente. Une micropsie ou une myopisation avec baisse d'acuité visuelle de loin peuvent témoigner d'un excès d'accommodation-convergence. Il faut toujours rechercher ces signes fonctionnels par l'interrogatoire, même s'ils sont théoriquement le plus souvent absents. En effet, un enfant ne les rapporte pas toujours spontanément.

Il est aussi important d'évaluer le ressenti subjectif du patient : sensation de différence, mésestime de soi, ressenti négatif du regard des autres [56].

Bilan sensoriel
ACUITÉ VISUELLE

L'acuité visuelle binoculaire de loin peut être inférieure à l'acuité monoculaire si la convergence accommodative est sollicitée pour compenser la déviation [22]. L'amblyopie est absente ou modérée et le plus souvent en rapport avec une anisométropie.

VISION BINOCULAIRE

Le bilan de la vision binoculaire doit toujours être effectué en début d'examen pour, en particulier, étudier la vision stéréoscopique lors des périodes de phorie avant toute décompensation angulaire. La correspondance rétinienne est initialement normale et la vision stéréoscopique de bonne qualité durant les périodes phoriques. Une excellente fusion s'est développée en raison de la rectitude des yeux durant la petite enfance lors de l'installation des liens corticaux binoculaires. Mais si les épisodes tropiques deviennent fréquents et prolongés, la vision stéréoscopique peut s'altérer, même durant les épisodes phoriques. Cette dégradation de la vision stéréoscopique de près serait néanmoins tardive [10] et la variabilité de sa mesure nécessite des examens répétés [78]. La vision stéréoscopique de loin est altérée plus précocement que celle de près mais son étude n'est pas réalisée en pratique courante. Les amplitudes de fusion sont variables : les amplitudes en convergence sont souvent normales de près alors qu'elles sont bonnes ou médiocres de loin ; les amplitudes en divergence peuvent être excellentes ou médiocres. Un microstrabisme décompensé en divergence peut simuler un strabisme divergent intermittent mais, dans ce cas, la correspondance rétinienne est anormale [15].

Bilan moteur
MESURE DE L'ANGLE HORIZONTAL

La mesure est souvent difficile car le strabisme est très variable et plus ou moins compensé en fonction des conditions d'examen et de l'état général du sujet. On cherche surtout à mesurer l'angle maximum, à obtenir une mesure égale en vision de loin et en vision de près et à comprendre ce qui aide le patient à minorer l'angle de déviation dans certaines situations. Le patient doit porter sa correction optique. Une première appréciation de la déviation en vision éloignée doit être réalisée si possible au-delà de 5 m. Sinon, en vision de loin, la fixation de petits optotypes est préférable à celle d'une lumière. En effet la lecture d'optotypes (4/10 ou plus petits) peut nécessiter le relâchement d'un spasme accommodatif. La mesure en vision de près nécessite la fixation d'un petit objet si on veut solliciter l'accommodation. La mesure peut aussi être réalisée sur une lumière pour relâcher le contrôle accommodatif.

L'examen à l'écran unilatéral est réalisé dans un premier temps pour apprécier si le sujet est tropique ou phorique. Puis l'écran bilatéral alterné est effectué de manière prolongée pour mesurer la déviation maximale.

Une épreuve de Burian-Marlow (occlusion monoculaire) est nécessaire pour éliminer la vergence fusionnelle si la déviation de près est inférieure à celle de loin ; l'occlusion est appliquée sur peau pendant une heure et la mesure à l'écran doit être réalisée dès l'ablation de l'occlusion. Le rôle de la vergence fusionnelle est confirmé si l'occlusion permet d'égaliser la déviation de près avec celle de loin. Le rôle de la vergence accommodative est confirmé si une addition de + 3 ? en vision de près permet d'égaliser la déviation de près avec celle de loin.

Si l'angle de près reste inférieur à celui de loin malgré l'épreuve de Burian-Marlow et l'addition + 3 ? ou, à l'inverse, si l'angle de près est supérieur à celui de loin, un test d'adaptation prismatique peut permettre de connaître la correction prismatique maximale supportée en vision de loin comme en vision de près, et ainsi l'angle maximum qui servira de base pour la chirurgie en limitant les risques de diplopie postopératoire par ésotropie consécutive [18].

ÉTUDE DE LA MOTILITÉ

Un examen minutieux doit être effectué avec la correction optique dans toutes les directions du regard et tout spécialement regard en haut, regard en bas et versions latérales. Une incomitance latérale induit une diminution ou une augmentation de l'angle dans les regards latéraux et peut être responsable d'un torticolis tête tournée sur le côté. Un syndrome « V » (plus rarement « A ») est fréquemment associé à un strabisme divergent intermittent et peut aussi expliquer un torticolis menton levé (ou abaissé). Une paralysie de l'oblique supérieur peut aussi être observée ; une hypertropie en position primaire favorise alors la décompensation de l'exophorie et entraîne parfois une position de tête tournée sur le côté. Les déviations verticales dissociées sont beaucoup plus rares [16].

CLASSIFICATIONS

Burian [3] puis Kushner [14] ont étudié la classification des strabismes divergents intermittents en fonction des valeurs angulaires de loin et de près. Il existe fréquemment une diminution de l'angle en vision de près dans un strabisme divergent intermittent. Les épreuves d'occlusion et d'addition +3 ? en vision de près permettent souvent d'égaliser l'angle de près avec celui de loin. Ces manouvres permettent de distinguer différents tableaux cliniques (fig. 12-13). On peut schématiquement regrouper ces derniers en trois formes.

image

Fig. 12-13 Mesures angulaires à l'écran alterné prismatique d'un strabisme divergent intermittent.

EXOTROPIES BASIQUES

La déviation de loin est égale à celle de près dès la première mesure à l'écran alterné.

EXOTROPIES AVEC EXCÈS DE CONVERGENCE

La déviation de près est inférieure à celle de loin au premier bilan à l'écran alterné. Il existe une exotropie en vision de loin et une exophorie minime en vision de près ou une différence entre l'angle de loin et celui de près supérieure à 10 ?. Mais la déviation de près est majorée après l'occlusion si la vergence fusionnelle permettait la minoration de l'angle de près, et avec l'addition + 3 ? si la vergence accommodative permettait la minoration de l'angle de près. Si l'angle de près reste minime malgré ces deux manouvres, c'est probablement grâce à la vergence proximale, mais cette forme est très rare.

EXOTROPIES PAR INSUFFISANCE DE CONVERGENCE

Il existe une exophorie en vision de loin et une exotropie en vision de près. Cette forme d'exotropie, dite par insuffisance de convergence, peut s'expliquer par un déséquilibre musculaire, une convergence accommodative faible ou une diminution de la fusion en convergence.

APPRÉCIATION DU CONTRÔLE DE LA DÉVIATION

L'étude du contrôle de la déviation est capitale pour apprécier l'évolution et décider de la conduite à tenir, en particulier pour discuter d'une intervention chirurgicale. En effet, les mesures d'angle ne suffisent pas pour quantifier un strabisme divergent intermittent. Il est important de savoir si le patient est souvent tropique dans la vie courante. Mais, là encore, le contrôle peut être différent entre les conditions de l'examen et celles de la vie courante. Son appréciation reste donc toujours sujette à caution et peut nécessiter des examens répétés.

MÉTHODES SUBJECTIVES

Il faut essayer d'évaluer à la fois la fréquence et la durée des passages en exotropie dans la vie quotidienne. Le score de Newcastle [2] tient compte de l'observation de l'entourage dans la vie courante et du contrôle observé durant la consultation. Mais l'avis des parents est source d'imprécision et ce score est donc complexe et difficile à utiliser. Une échelle de contrôle uniquement fondée sur l'évaluation au cabinet est donc plus reproductible et a été détaillée par certains auteurs en précisant le temps d'observation du patient et le temps de restitution (tableau 12-II) [17]. Ce score, réalisé en vision de loin et de près (score global de 0 à 10), reste fluctuant d'un examen à l'autre et la répétition des examens est nécessaire [7]. Une évaluation plus simple est de considérer que le contrôle est « mauvais » si le passage en exotropie se fait spontanément, « moyen » si le patient se décompense et refusionne en clignant ou avec un effort de fixation, et « bon » si le sujet arrive à refusionner spontanément [20] (fig. 12-14 et 12-15).

image

Tableau 12-II -  Étude du contrôle d'un strabisme divergent intermittent (d'après Mohney et Holmes, 2006 [17]).

image

Fig. 12-14 Étude du contrôle d'un strabisme divergent intermittent. Le patient est observé en fixation de loin et de près sans décompenser ; puis l'examinateur décompense à l'écran unilatéral de loin et de près et note les possibilités de contrôle.

a. Exotropie constante de loin de l'oil droit. b, c. Exophorie-tropie de près. d. Avec restitution facile (simple clignement).

image

Fig. 12-15 Étude du contrôle d'un strabisme divergent intermittent. Le patient est observé en fixation de loin et de près sans décompenser ; puis l'examinateur décompense à l'écran unilatéral de loin et de près et note les possibilités de contrôle.

a, b, c. Exophorie-tropie de loin sans restitution possible. d, e, f. Exophorie de près.

MÉTHODES OBJECTIVES

L'acuité stéréoscopique de près (Lang, Titmus, TNO) peut être conservée longtemps et ne représente pas un très bon témoin du contrôle de la déviation.

Traitement

Le caractère variable du strabisme divergent intermittent, son évolution imprévisible et la difficulté de quantifier son niveau de gravité rendent sa prise en charge difficile. Mais on s'accorde pour prendre en charge les strabismes divergents intermittents mal contrôlés, alors qu'un strabisme divergent intermittent bien contrôlé nécessite une simple surveillance.

CORRECTION OPTIQUE

Une cycloplégie est indispensable comme dans tout strabisme. La distribution des anomalies réfractives se rapproche de celle d'une population non strabique. Mais une vision inégale représente un obstacle à la fusion et peut favoriser la suppression et donc l'aggravation du strabisme divergent intermittent. C'est pourquoi astigmatisme et anisométropie nécessitent tout particulièrement d'être corrigés. Une correction myopique doit être donnée dans sa totalité : l'aggravation de la myopie favorise la décompensation du strabisme divergent intermittent. En cas d'hypermétropie, plusieurs situations sont envisagées. Si l'hypermétropie est faible, le strabisme divergent intermittent bien contrôlé et en absence de signe fonctionnel, une simple surveillance peut être envisagée chez un enfant. Mais si l'hypermétropie est forte ou le strabisme divergent intermittent mal contrôlé, a fortiori si une chirurgie est envisagée, il faut absolument obtenir des mesures avec la correction optique totale de l'hypermétropie ou au moins la correction maximale supportée si le sujet est plus âgé. L'angle maximal d'exotropie obtenue avec cette correction est en effet capital à connaître avant la chirurgie. La correction d'une forte hypermétropie peut en effet aggraver un strabisme divergent intermittent, mais elle peut aussi permettre un meilleur contrôle en améliorant la convergence fusionnelle [13]. À l'âge de la presbytie, une hypermétropie corrigée favorise souvent la décompensation tardive d'un strabisme divergent intermittent.

TRAITEMENT PRISMATIQUE

Une correction prismatique peut être indiquée dès l'âge de trois ans si la déviation est modérée. Les prismes doivent alors permettre une phorie stable et améliorer le contrôle fusionnel. Les press-on peuvent gêner l'acuité visuelle mais les prismes ne peuvent être incorporés que s'ils sont de puissance relativement modérée en raison de l'esthétique et du poids. Leur puissance peut souvent être inférieure à celle de la déviation et les premiers essais sont en général réalisés avec une puissance correspondant à la moitié de la déviation. Mais les sujets peuvent devenir dépendants des prismes car ils n'ont plus besoin de faire d'efforts en convergence et, avec le temps, la puissance des prismes nécessaires peut progressivement augmenter. Ce n'est donc en général qu'une solution d'attente et d'observance dans les petites déviations surtout en présence d'une asthénopie.

Certains pratiquent un test d'adaptation prismatique systématique avant chirurgie pour mettre en évidence la déviation maximale. On peut dans ce but faire porter des press-on quelques heures par jour, surtout si la déviation est très variable et/ou incomitante.

OCCLUSION INTERMITTENTE

Une occlusion de l'oil préféré, une à trois heures par jour en fonction de l'âge, a peut-être un effet favorable en limitant la suppression [12].

RÉÉDUCATION ORTHOPTIQUE

Des exercices pour déneutraliser et améliorer les amplitudes de fusion peuvent être proposés dans les petites déviations si la vergence fusionnelle est instable et la correspondance rétinienne normale. Mais ils ne doivent pas faire retarder l'âge opératoire. Un bilan préopératoire devra être fait à distance de toute rééducation pour ne pas méconnaître l'angle maximum. Des séances de rééducation peuvent aussi être proposées en postopératoire pour consolider le résultat si la correspondance rétinienne est normale. Mais il ne faut en aucun cas essayer de traiter des anomalies de correspondance rétinienne ni dépasser douze séances de rééducation par an.

TRAITEMENT CHIRURGICAL
INDICATIONS

Une intervention est indiquée dans différentes circonstances :

  • fréquence et/ou importance de la déviation tropique (préjudice esthétique et risque binoculaire), c'est-à-dire mauvais contrôle et/ou angle supérieur à 15 ? ;

  • signes fonctionnels (diplopie ou asthénopie) persistant malgré la correction optique ;

  • apparition ou dégradation de la vision stéréoscopique à plusieurs examens.

PROTOCOLE

La chirurgie peut consister en un recul des droits latéraux et/ou résection des droits médiaux ou recul/résection unilatéral. Les publications comparant les différentes techniques (recul des deux droits latéraux ou recul/résection ou plissement unilatéral) n'ont pas montré de supériorité de l'une ou de l'autre. L'indication opératoire repose sur la valeur de l'angle maximum. La chirurgie sera ensuite orientée par la position des yeux sous anesthésie et les tests d'élongation musculaire. Il faut aussi envisager le risque fréquent d'une réintervention pour récidive.

SUIVI

Il faut avertir le patient et/ou la famille du risque de diplopie en postopératoire et/ou de la nécessité transitoire de prismes (surtout si diplopie) ou de doubles foyers (si un excès de vergence accommodative crée une ésotropie en vision de près). Une légère surcorrection (environ 10 ?) est en général souhaitable en postopératoire immédiat pour le résultat à long terme. Mais il faut faire attention chez l'enfant de moins de quatre ans à ne pas laisser s'installer une ésotropie à petit angle avec tous ses risques sensoriels (altération de la vision binoculaire et amblyopie). Ce risque fait souvent préférer une chirurgie après l'âge de quatre ans. Une sous-correction chirurgicale n'est pas de bon pronostic : une réintervention ultérieure est souvent nécessaire. Les facteurs favorisant cette sous-correction sont : la méconnaissance de l'angle maximal, la minoration de l'angle préopératoire en vision de près, l'association à un syndrome alphabétique ou à une hypertropie, ou la non-correction préalable d'une hypermétropie.

Conclusion

Le but du traitement des strabismes divergents intermittents est de restaurer l'usage permanent d'une binocularité normale. Mais l'évaluation clinique d'un strabisme divergent intermittent peut être délicate et les places respectives des traitements médicaux et chirurgicaux ne sont pas parfaitement délimitées. La décision d'opérer se prend au cas par cas. Il faut bien rechercher l'angle maximal du strabisme à opérer et expliquer au patient (ou à ses parents) qu'il y aura peut-être plusieurs temps opératoires. L'argument que la chirurgie n'est pas efficace et que l'oil « repart toujours » ne devrait plus avoir cours [1].

Bibliographie

[1]  Audren F. Strabismes divergents intermittents. EMC (Elsevier-Masson SAS, Paris). Ophtalmologie, 21-550-A-04, 2010.

[2]  Buck D, Hatt SR, Haggerty H, Hrisos S, Strong NP, Steen NI. The use of the Newcastle Control Score in the management of intermittent exotropia. Br J Ophthalmol, 2007 ; 91 : 215-218.

[3]  Burian HM, Franceschetti AT. Evaluation of diagnostic methods for the classification of exodeviations. Am J Ophthalmol, 1971 ; 71 : 34-41.

[4]  Espinasse-Berrod M-A. Strabologie : approches diagnostique et thérapeutique. Paris, Elsevier, 2008 : 131-138.

[5]  Hatt SR, Leske DA, Adams WE, Kirgis PA, Bradley EA, Holmes JM. Quality of life in intermittent exotropia: child and parent concerns. Arch Ophthalmol, 2008 ; 126 : 1525-1529.

[6]  Hatt SR, Leske DA, Yamada T, Bradley EA, Cole SR, Holmes JM. Development and initial validation of quality of life questionnaires for intermittent exotropia. Ophthalmology, 2010 ; 117 : 163-168.

[7]  Hatt SR, Liebermann L, Leske DA, Mohney BG, Holmes JM. Improved assessment of control in intermittent exotropia using multiple measures. Am J Ophthalmol, 2011 ; 152 : 872-876.

[8]  Hatt SR, Mohney BG, Leske DA, Holmes JM. Variability of stereoacuity in intermittent exotropia. Am J Ophthalmol, 2008 ; 145 : 556-561.

[9]  Hiles DA, Davies GT, Costenbader FD. Long-term observations on unoperated intermittent exotropia. Ophthalmology, 1968 ; 80 : 436-442.

[10]  Holmes JM, Leske DA, Hatt SR, Brodsky MC, Mohney BG. Stability of near stereocuity in childhood intermittent exotropia. J AAPOS, 2011 ; 15 : 462-467.

[11]  Hunter DG, Ellis FJ. Prevalence of systemic and ocular disease in infantile exotropia: comparison with infantile esotropia. Ophthalmology, 1999 ; 106 : 1951-1956.

[12]  Iacobucci I, Henderson JW. Occlusion in the preoperative treatment of exodeviations. Am Orthopt J, 1965 ; 15 : 42.

[13]  Iacobucci IL, Archer SM, Giles CL. Children with exotropia responsive to spectacle correction of hyperopia. Am J Ophthalmol, 1993 ; 116 : 79-83.

[14]  Kushner BJ, Morton GV. Distance/near differences in intermittent exotropia. Arch Ophthalmol, 1998 ; 116 : 478-486.

[15]  Kushner BJ. The occurence of monofixational exotropia after exotropia surgery. Am J Ophthalmol, 2009 ; 147 : 1082-1085.

[16]  Lim HT, Smith DE, Kraft SR, Buncic JR. Dissociated vertical deviation in patients with intermittent exotropia. J AAPOS, 2008 ; 12 : 390-395.

[17]  Mohney BG, Holmes JM. An office-based scale for assessing control in intermittent exotropia. Strabismus, 2006 ; 14 : 147-150.

[18]  Ohtsuki H, Hasebe S, Kono R, Yamane T, Fujiwara H, Shiraga F. Prism adaptation response is useful for predicting surgical outcome in selected types of intermittent exotropia. Am J Ophthalmol, 2001 ; 131 : 117-122.

[19]  Philips PH, Fray KJ, Brodsky MC. Intermittent exotropia increasing with near fixation: a « soft » sign of neurologic disease. Br J Ophthalmol, 2005 ; 89 : 1120-1122.

[20]  Rosenbaum AL. John Pratt-Johnson Lecture: evaluation and management of intermittent exotropia. Am Orthopt J, 1996 ; 46 : 94.

[21]  Von Noorden GK, Campos EC. Binocular vision and ocular motility. Theory and management of strabismus. St Louis, Mosby, 2002 : 356-376.

[22]  Walsh LA, Laroche GR, Tremblay F. The use of binocular visual acuity in the assessment of intermittent exotropia. J AAPOS, 2000 ; 4 : 154-157.

VII - Strabismes de l'adulte

F. Audren, N. Gambarelli, A. Sauer, C. Speeg-Schatz

Classification des strabismes de l'adulte

A. Sauer, C. Speeg-Schatz

ÉPIDÉMIOLOGIE
  • Le strabisme de l'adulte est relativement fréquent.

  • Les strabismes de l'adulte peuvent être classés schématiquement en deux types : les strabismes apparus dès l'enfance et les strabismes acquis.

  • Le traitement des adultes atteints de strabisme inclut plusieurs options chirurgicales et non chirurgicales qui offrent de nombreux bénéfices fonctionnels. Elle permet de rétablir un alignement satisfaisant et, chez une majorité de patients, on note une résolution des symptômes préopératoires avec un faible risque de complications, incluant la diplopie.

  • Même s'ils ne sont pas responsables d'une symptomatologie fonctionnelle, les strabismes de l'adulte peuvent avoir un retentissement psychologique, social et professionnel majeur, qui justifie qu'ils soient pris en charge de façon appropriée.

  • Les traitements ont un retentissement positif en matière de qualité de vie des patients.

La prévalence du strabisme de l'adulte est estimée à environ 4 %. Cette prévalence est cependant difficile à établir du fait des difficultés de recensement liées aux patients perdus de vue ou à ceux faussement informés du risque de diplopie postopératoire refusant l'éventualité d'une nouvelle intervention.

Le strabisme qui se manifeste après l'âge de la maturité visuelle peut avoir dans environ 50 % des cas son origine dans la petite enfance ou l'enfance, mais il peut survenir pour la première fois chez des patients plus âgés (microstrabismes décompensés, strabismes accommodatifs devenus atypiques). Dans de nombreux cas, la déviation des yeux a été traitée au cours des premières années de sa survenue par la chirurgie ou des méthodes non chirurgicales, mais la déviation oculaire est réapparue (strabismes récidivants dans le même sens que la déviation initiale) ou n'a pas été totalement corrigée (strabismes résiduels) ou la déviation s'est inversée par surcorrection chirurgicale du strabisme initial (strabismes consécutifs). La chirurgie durant l'enfance peut donner des résultats satisfaisants pendant de nombreuses années, mais la correction du strabisme peut se détériorer à la suite d'un certain nombre de facteurs, incluant une modification de la réfraction, d'autres interventions chirurgicales ophtalmologiques (chirurgie de la cataracte ou chirurgie réfractive), une baisse de vision unilatérale, des maladies systémiques et/ou un traumatisme. Les adultes atteints d'un strabisme qui a persisté depuis l'enfance ne présentent habituellement pas de symptômes subjectifs. La vision binoculaire anormale est la conséquence des strabismes précoces. Néanmoins en cas de microstrabisme, décompensé ou non, la vision binoculaire préexiste certainement à la déviation [40]. La vision binoculaire normale d'un strabisme tardif se détériore aussi au fil du temps lorsque ce strabisme n'est pas traité, surtout si la déviation est devenue permanente. Le phénomène de suppression pour éliminer la diplopie qui apparaît durant l'enfance, continue après la maturité visuelle [34].

À l'inverse, d'autres patients peuvent ne pas avoir eu l'opportunité de recevoir un traitement de leur strabisme pendant leur enfance (environ la moitié des cas) et consulter pour la première fois à l'âge adulte (strabismes négligés) ou présenter un strabisme de novo. Le strabisme acquis à l'âge adulte peut être dû à de nombreuses causes, qui peuvent être subdivisées en étiologies paralytiques (paralysie des nerfs crâniens) ou restrictives (orbitopathies dysthyroïdiennes, fracture du plancher de l'orbite, chirurgie du décollement de rétine ou de la cataracte, myopie forte). Par opposition aux strabismes acquis dans l'enfance, le strabisme de novo chez des adultes produit souvent un ou plusieurs des symptômes suivants : diplopie, confusion visuelle (la perception de deux images différentes dans la même direction visuelle), asthénopie. Les adultes peuvent adopter une position de la tête compensatrice afin de maintenir la fusion binoculaire si le strabisme est incomitant et s'il y a une région de vision binoculaire simple dans leur champ binoculaire [34].

Que les strabismes de l'adulte soient secondaires ou jamais traités dans l'enfance, ils posent des problèmes spécifiques d'ordre esthétique, fonctionnel, psychologique et professionnel. Différents problèmes dès lors se posent :

  • l'amblyopie fonctionnelle est importante, la rééducation n'ayant pas été suivie ou ayant été négligée ou les patients n'ayant pas consulté précocement. L'amblyopie est plus fréquente dans le strabisme divergent que dans le strabisme convergent ;

  • l'âge d'apparition du strabisme est souvent difficile à préciser dans l'interrogatoire ; néanmoins, le pronostic sur le plan binoculaire sera bien sûr d'autant plus mauvais que le strabisme est installé précocement ;

  • les motifs d'examen : chez l'adulte, le motif le plus fréquent est la déviation visible souvent rapportée comme majorée au cours des dernières années, motivant la prise en charge chirurgicale. Si les patients comprennent rapidement que leur amblyopie est irréversible, d'autres attendent beaucoup d'une chirurgie lorsqu'ils présentent une asthénopie ou une diplopie ;

  • le risque de diplopie, souvent préexistant, dont la chirurgie réglable a diminué l'incidence.

CLASSIFICATIONS CLINIQUES
POSITION DES YEUX EN POSITION PRIMAIRE

Les strabismes de l'adulte se caractérisent tout d'abord par la répartition des déviations primaires. On retrouve en moyenne 25 % d'ésotropie isolée, 20 % d'exotropie isolée et 25 % de déviation verticale isolée. Dans près de 30 % des cas, l'association d'une déviation horizontale et d'une déviation verticale est notée [3]. Les chiffres récents extraits d'une étude sud-américaine sur neuf cent trente-cinq patients trouvent une ésotropie dans 44,52 % des cas avec une prédominance masculine (p = 0,001) et une exotropie dans 12,25 % des cas [28].

CLASSIFICATION DES STRABISMES DE L'ADULTE

Il est intéressant de classer les strabismes concomitants de l'adulte (les strabismes paralytiques sont traités au chapitre 14) selon l'âge de début du strabisme et selon la binocularité. Ainsi, dans les strabismes à binocularité anormale, nous distinguerons les microstrabismes décompensés, les strabismes accommodatifs devenus atypiques et les strabismes secondaires. Dans les strabismes normosensoriels, nous distinguerons les strabismes tardifs intermittents ou constants, convergents ou divergents, et les décompensations d'hétérophorie.

Les strabismes peuvent aussi être classés selon la position primaire des yeux. Il en résulte les entités suivantes :

  • les ésotropies constantes de l'adulte : ésotropies de l'enfance non traitées monoculaires avec amblyopie ou alternantes (fig. 12-16) et ésotropies aiguës par décompensation d'une ésophorie préexistante ;

  • les exotropies secondaires : exotropies par amblyopie tardive (secondaires à une cataracte unilatérale, à un traumatisme.) et exotropies secondaires à une ésotropie, parmi lesquelles nous distinguerons (fig. 12-17 et 12-18) :

    • l'exotropie consécutive par évolution spontanée d'une ésotropie, qui évolue spontanément avec l'âge vers la divergence, s'accompagnant le plus souvent d'une amblyopie ;

    • l'exotropie consécutive postopératoire d'une intervention d'ésotropie dans l'enfance avec évolution secondaire vers la divergence.

À ces deux catégories, on peut rajouter :

  • les strabismes verticaux (divergence verticale isolée, syndrome alphabétique, paralysie de l'oblique supérieur, « oil lourd » du myope fort, élément vertical de l'hyperthyroïdie) ;

  • les syndromes de rétraction (syndrome de Stilling-Duane et de Brown).

image

Fig. 12-16 Ésotropie de l'adulte.

a. Avant chirurgie. b. Après chirurgie.

image

Fig. 12-17 Exotropie de l'adulte.

image

Fig. 12-18 Exotropie de l'adulte.

EXAMEN CLINIQUE

L'examen clinique d'un strabisme de l'adulte doit donc être rigoureux et procéder par étapes. L'interrogatoire précise les antécédents personnels et familiaux, à la fois généraux et ophtalmologiques, ainsi que la prise éventuelle de médicaments. L'anamnèse recense l'ancienneté des troubles, leur mode de découverte, leur variabilité et les éventuelles thérapeutiques déjà mises en place. Cette partie de l'examen peut être facilitée par l'étude de photographies d'âges différents.

Bilan sensoriel

Cf. chapitre 11.

Bilan moteur

Cf. chapitre 11.

LES DIFFÉRENTES FORMES DE STRABISMES ET LEUR PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE

Par simplification, nous diviserons les strabismes de l'adulte en trois grandes catégories :

  • les strabismes de l'adulte jamais traités ;

  • les strabismes de l'adulte déjà traités dans l'enfance ;

  • les formes particulières.

STRABISMES DE L'ADULTE NON TRAITÉS DANS L'ENFANCE (OU STRABISMES NÉGLIGÉS)

Ils comprennent :

  • les ésotropies sur amblyopie (plus ou moins profonde, monoculaire), les ésotropies alternantes et les ésotropies aiguës ;

  • les exotropies, soit monoculaires avec amblyopie (myopie forte unilatérale ou secondaire à une pathologie acquise : choriorétinopathie toxoplasmique, cataracte, traumatisme datant de l'enfance.), soit bilatérales et constantes par passage d'un strabisme intermittent négligé à un strabisme constant ;

  • les strabismes verticaux : divergence verticale dissociée, hyperaction d'un muscle à action verticale, « oil lourd » du myope fort.

Ésotropies négligées

Cf. infra, « Strabismes précoces négligés de l'adulte ».

Exotropies négligées

Cf. infra, « Strabismes précoces négligés de l'adulte ».

STRABISMES TRAITÉS DANS L'ENFANCE (ANGLE RÉSIDUEL)

Les trois formes habituelles de déviation seront observées : ésotropie, exotropie et hypertropie. Ces strabismes peuvent poser des problèmes cliniques du fait d'un syndrome restrictif associé d'origine iatrogène chirurgicale, moteurs par limitation de la motilité de l'un ou des deux yeux, ou fonctionnels en raison d'une diplopie dans une ou plusieurs positions du regard.

Trois raisons motiveront la chirurgie du strabisme chez l'adulte :

  • la tentative de restauration d'une fusion binoculaire et d'élimination d'une diplopie ;

  • la majoration du champ visuel binoculaire chez un patient présentant une ésotropie ;

  • l'amélioration du statut psychosocial de l'individu par l'amélioration du critère esthétique.

Nous nous intéressons dans cette section :

  • aux ésotropies récidivantes ;

  • aux exotropies secondaires tardives.

Ésotropies récidivantes

Il s'agit de l'adolescent ou de l'adulte ayant été opéré d'une ésotropie (précoce ou non) dans l'enfance et qui récidive à un âge avancé. Dans ce cas, on évaluera :

  • l'acuité visuelle, notamment par la recherche d'une amblyopie par anisométropie, peut être à l'origine de cette récidive ;

  • une anomalie locale : altération de la structure musculaire, cicatrice, adhérence nécessitant dans tous les cas un test de duction forcée, évaluation de la position des yeux sous anesthésie générale, test d'élongation musculaire, voire une exploration par IRM ;

  • les anomalies sensorielles : en recherchant une éventuelle diplopie aux effets prismatiques.

Les ésotropies récidivantes ou résiduelles seront divisées en ésotropies plus ou moins stables inférieures ou égales à 20 ? et en ésotropies à angle variable dépassant au moins par intermittence 20 ?. Il conviendra en outre d'étudier l'importance de la variabilité ainsi que d'évaluer les incomitances résiduelles, telles que les syndromes alphabétiques, les limitations de la motilité, les incomitances verticales ou obliques, les divergences verticales et torsionnelles. Il conviendra également de mentionner les désordres associés pouvant persister, tels qu'un nystagmus ou un torticolis. Outre la récidive motrice, on évaluera la situation en fonction de l'état sensoriel binoculaire du sujet.

Lorsque la correspondance rétinienne est anormale, un traitement chirurgical complémentaire est bien sûr nécessaire. Dans les ésotropies récidivantes, outre les données de l'examen préopératoire et peropératoire, l'IRM notamment dans son mode ciné, pourra avoir un intérêt par l'évaluation de l'état musculaire et de sa fonction, par la recherche d'adhérences anormales des muscles à la sclère, de plusieurs muscles entre eux ou d'un ou plusieurs muscles à la capsule de Tenon [4950]. Lorsqu'elles existent, ces adhérences anormales devront être sectionnées et le tissu fibreux hyperplasique excisé. D'éventuelles lames résorbables interposées entre les différents plans à l'endroit des adhérences représentent une alternative intéressante. Dans ces formes, il ne faut pas hésiter à pratiquer un ou des reculs ajustables. Nous rappelons que la position des yeux sous anesthésie fournit en cas de réintervention des indications essentielles ; en effet, elle indiquera :

  • le changement intervenu à la suite de la précédente intervention en comparant la position des yeux sous anesthésie lors de la première intervention ;

  • l'oil qui reste le plus dévié en cas de récidive du strabisme ;

  • le déséquilibre entre les forces passives du droit médial et du droit latéral.

En cas de réintervention, le muscle est souvent hypoextensible et il faudra tenir compte du test d'élongation musculaire pour ajuster le dosage opératoire pour ne pas trop s'approcher de la limite des possibilités d'extension de ce muscle si celui-ci doit être renforcé. En cas de récidive, il peut s'agir :

  • d'un dosage insuffisant du recul des droits médiaux ;

  • de l'opération combinée unilatérale.

Dans cette situation, on complétera par un renforcement de l'un ou des deux droits latéraux ou par une opération combinée sur les droits horizontaux de l'oil non opéré :

  • soit l'ancrage postérieur n'a pas été placé suffisamment loin en arrière ;

  • soit l'ancrage postérieur unilatéral s'avère insuffisant ;

  • soit on observe une ésodéviation récidivante à angle variable par migration des passages scléraux vers l'avant, ou par lâchage de l'un ou des deux ancrages postérieurs par rupture des passages scléraux. Dans ces cas, il faudra replacer l'ancrage postérieur à bonne distance en complétant le recul musculaire selon l'angle minimum et l'extensibilité musculaire.

Exotropies consécutives de l'adulte

Cf. infra, « Déviations consécutives de l'adulte ».

FORMES PARTICULIÈRES DE STRABISMES DE L'ADULTE

Il s'agit des cas de strabisme chez le myope fort, consécutifs à un décollement de rétine traité, des strabismes paralytiques, des syndromes de rétraction, des exotropies des traumatismes faciaux et des troubles moteurs de l'ophtalmopathie basedowienne.

Strabisme et myopie forte

En cas de myopie forte, l'apparition d'un strabisme est le plus souvent la conséquence d'un mécanisme restrictif. L'association d'une myopie axile à une ésotropie acquise ainsi qu'une hypotropie est classique. Ce type de strabisme est généralement associé à une limitation de l'élévation et de l'abduction. Ce phénomène porte également le nom de syndrome de l'« oil lourd ». Les premières études expliquaient l'ésodéviation et, surtout, l'hypotropie par le poids plus élevé du globe oculaire en cas de myopie axile. Bagolini [1] a noté, par le biais d'échographies orbitaires, que la parésie du muscle droit latéral pouvait être une conséquence de sa compression contre la paroi latérale de l'orbite. Dans une étude d'imagerie, Demer et von Noorden [13] ont montré la restriction des mouvements du globe oculaire dans son orbite, conséquence de l'augmentation de son volume et de la présence éventuelle d'un staphylome. Krzizok [35] a observé sur des clichés d'IRM orbitaires, l'insertion généralement plus inférieure du muscle droit latéral, tandis que le droit médial aurait tendance à s'insérer au-dessus de l'équateur.

Strabisme post-décollement de rétine

Une diplopie apparaît chez 3 % à 30 % des patients opérés de décollement de rétine. Tous les types de déviation peuvent se voir et même s'associer. Différents facteurs expliquent sa survenue : le traumatisme opératoire, les reprises chirurgicales, la taille, la localisation et le type d'indentations sclérales utilisées. Cette diplopie peut être transitoire, ignorée par le patient, surtout si la vision de l'oil opéré est basse. Elle peut également nécessiter l'adaptation de prismes ou le port d'une occlusion en cas de gêne majeure dans la vie courante. Elle peut nécessiter l'ablation du matériel d'indentation sclérale, tout en respectant un délai minimum pour permettre une réapplication de la rétine (trois à six mois). Elle peut, enfin, conduire à une chirurgie musculaire si elle persiste après ablation de l'indentation [61].

Strabismes paralytiques

Cf. chapitre 14.

Syndromes de rétraction

Cf. chapitre 14.

Troubles moteurs de l'ophtalmopathie basedowienne

Cf. chapitre 14.

Place de la chirurgie réglable par rapport aux procédés chirurgicaux classiques

La plupart des ajustements peropératoires en un ou deux temps se réalisent sous anesthésie de contact ou sous anesthésie locorégionale. L'ajustement postopératoire le jour même ou le lendemain de l'intervention se réalise une fois l'anesthésie générale passée et nécessite pour ce faire une suture adaptée, afin qu'elle puisse être serrée ou desserrée sans réintervention chirurgicale. Les techniques de sutures varient selon les auteurs, les brins de fils préposés étant noués sous la conjonctive non suturée ou passés à travers la conjonctive pour être noués au-dessus d'elle [25]. Les brins peuvent être réunis par une boucle de fils noués autour d'eux ou noués au moyen d'un noeud simple doublé d'un noeud de lacet. Lors de l'ajustement, le patient est assis et on lui demande de fixer un point éloigné pendant qu'on applique le test de l'écran unilatéral orientant l'ajustement. On répète le test de l'écran et ainsi plusieurs fois de suite, le muscle pouvant être tendu ou retendu ou relâché selon le résultat des cover-tests. La suture de la conjonctive peut être effectuée ou complétée après l'ajustement.

Chez l'adulte, ce type de technique est utile lorsque les facteurs d'imprévisibilité sont accrus, notamment lors de réintervention ou de strabisme consécutif, de processus cicatriciel ou lorsqu'il existe un risque de diplopie. Ces techniques de chirurgie réglable permettent d'éviter un temps opératoire supplémentaire [70].

RÉSULTATS DE LA PRISE EN CHARGE DU STRABISME DE L'ADULTE : UNE SIMPLE PROBLÉMATIQUE ESTHÉTIQUE?
AMÉLIORATION FONCTIONNELLE SUITE À LA CHIRURGIE DU STRABISME

Il  existe une idée erronée que le strabisme de l'adulte est difficile voire impossible à prendre en charge et que les adultes ayant un strabisme depuis l'enfance n'ont aucun bénéfice à attendre du traitement. La chirurgie du strabisme chez l'adulte conserve ainsi une réputation de « chirurgie esthétique ». Il ne fait évidemment aucun doute que le réalignement d'un oil non aligné offre un avantage esthétique au patient en termes d'apparence, mais ce changement transforme une situation anormale en une situation plus normale ou naturelle. Le terme de chirurgie « reconstructrice » semble ainsi plus approprié. Cependant, la chirurgie du strabisme de l'adulte apporte de nombreux bénéfices fonctionnels non négligeables : inversion possible de l'amblyopie, disparition de la symptomatologie, amélioration de la vision binoculaire, amélioration du champ statique de vision binoculaire, bénéfice psychosocial et calcul du coût/efficacité de la chirurgie du strabisme de l'adulte [11].

AMBLYOPIE ET STRABISME DE L'ADULTE

Cf. chapitre 6.

DISPARITION DE LA SYMPTOMATOLOGIE

Deux des symptômes les plus gênants chez les patients adultes atteints de strabisme sont la diplopie (60 % des patients) et le torticolis. Le taux de succès de la chirurgie du strabisme pour éliminer la diplopie varie de 55 % à 94 %, avec une moyenne de 71 % [42]. Les torticolis peuvent être causés par diverses affections liées au strabisme et une chirurgie de réalignement réussie peut éliminer les positions compensatrices de la tête dans plus de 80 % des cas [33].

AMÉLIORATION DE LA VISION BINOCULAIRE ET DE LA FUSION

Un grand nombre d'études ont confirmé que chez les patients qui ont dépassé la maturité visuelle, le taux de récupération de la fusion sensorielle binoculaire reste élevé [62]. Les résultats de ces études doivent cependant être nuancés par la très grande variabilité et la fiabilité des tests de la fonction binoculaire utilisés (quatre points de Worth, verres striés de Bagolini, stéréotests de Titmus ou Lang). Une autre observation importante est que la récupération de la fusion n'est pas limitée aux patients qui ont développé un strabisme après l'âge de la maturité visuelle. Selon quelques études, 50 % des patients atteints de strabisme apparu pendant l'enfance ont récupéré la vision sensorielle binoculaire après une chirurgie à l'âge adulte, qu'ils aient ou non subi une chirurgie antérieure pendant leur enfance [36]. De nombreux patients adultes qui subissent une chirurgie et ne montrent pas de fusion sensorielle aux tests de fusion ou de stéréopsie après l'intervention obtiennent néanmoins une petite amélioration motrice stable à long terme au niveau de l'angle de strabisme. Cela suggère que la fusion motrice peut jouer un rôle dans la stabilisation du résultat, même en l'absence de fusion sensorielle démontrable [3].

AMÉLIORATION DU CHAMP VISUEL BINOCULAIRE

L'un des bénéfices insuffisamment reconnu de la chirurgie du strabisme de l'adulte est la normalisation du champ de vision binoculaire ou, au moins, l'augmentation de son étendue. Cet avantage est particulièrement important pour les patients atteints d'ésotropie, qui présente une étendue horizontale du champ binoculaire tronquée dans une proportion allant jusqu'à 30 % [60]. La chirurgie de l'ésotropie réussie à rétablir l'étendue du champ binoculaire à la normale chez plus de 90 % des patients dans deux séries [37]. L'expansion du champ visuel vertical est également possible après une chirurgie correctrice des muscles oculaires verticaux [32]. Cette amélioration du champ visuel est utile pour la conduite automobile en diminuant le risque d'accident [26].

BÉNÉFICE PSYCHOSOCIAL

De nombreuses études se sont penchées sur les difficultés sociales et psychologiques des adultes atteints de strabisme. L'amblyopie et le strabisme ont un évidemment impact négatif sur le fonctionnement visuel subjectif, l'image de soi, les relations, le travail et les loisirs. Une étude menée auprès de deux cent quatre-vingt-dix-neuf patients adultes atteints de strabisme a révélé que la chirurgie a entraîné une amélioration importante dans l'exécution des tâches non professionnelles de la vie quotidienne (marche, conduite, lecture et activités de loisirs) et les problèmes liés au travail [3]. Une enquête révèle que jusqu'à deux tiers des adultes interrogés qui présentaient des antécédents de strabisme ont rapporté des conséquences indésirables, comme des difficultés pour obtenir un emploi. Une chirurgie de réalignement réussie peut ainsi éliminer de nombreux stress négatifs sociaux et psychologiques.

AUTRES PRISES EN CHARGE DU STRABISME
LE TEMPS COMME FACTEUR DE GUÉRISON

Certaines anomalies peuvent se résorber d'elles-mêmes ou ne nécessitent pas un traitement actif. Un exemple est la fréquente parésie d'un nerf crânien due à une cause microvasculaire (comme le diabète), bien qu'un traitement temporaire de la diplopie puisse être nécessaire chez certains patients. En l'absence de tout autre facteur entraînant des complications, la parésie se résorbe généralement en quelques semaines à quelques mois. Un autre exemple est la prévisible diplopie postopératoire des exotropies, étant donné que les dosages chirurgicaux sont souvent choisis pour créer une surcorrection temporaire de l'angle de déviation en position primaire. La récupération survient progressivement au cours des six à huit semaines suivant la chirurgie. Enfin, une légère hétérophorie qui se dissocie occasionnellement avec le stress ou à la fatigue ne nécessite pas une intervention, si elle n'entrave pas les activités quotidiennes ou la qualité de vie du patient [33].

EXERCICES OCULAIRES

Dans le domaine de l'ophtalmologie, il existe très peu d'anomalies pour lesquelles on estime que les exercices oculaires peuvent avoir un effet bénéfique démontré ou être utilisés intensivement et tous nécessitent une vision binoculaire normale. Les exercices oculaires sont indubitablement bénéfiques dans les cas d'insuffisance de convergence à l'origine d'une asthénopie. La forme typique survient généralement chez les jeunes adultes qui présentent une exophorie symptomatique en vision proche, ainsi que des amplitudes fusionnelles de convergence réduites. Cette affection doit être confirmée par une évaluation quantitative des amplitudes à l'aide de prismes. Le traitement consiste en des exercices de convergence comprenant des tâches stéréoscopiques et de fusion prescrites. Il entraîne la résolution des symptômes dans plus de 70 % des cas. Certains cas régressent avec le temps et le patient a besoin de refaire périodiquement des exercices de convergence. Dans les cas plus sévères, les amplitudes de fusion peuvent être améliorées par des exercices avec prismes, alors que les cas plus extrêmes peuvent nécessiter l'usage constant de prismes pour la vision de près. C'est notamment souvent le cas dans les insuffisances de convergence après traumatisme crânien [22].

PRISMES

Les prismes sont utilisés dans deux situations principales lors de la prise en charge des strabismes de l'adulte : tests diagnostiques et rétablissement ou maintien de la fusion.

Les prismes peuvent être utiles dans l'évaluation préopératoire d'une ésotropie par excès de convergence (angle de déviation plus important en vision de près qu'en vision de loin). Le test consiste à prismer le patient afin de compenser totalement l'ésotropie de près et à voir si le patient parvient à maîtriser l'exotropie induite en vision de loin. Les prismes peuvent également être utilisés pour déterminer l'angle cible pour l'exotropie [67]. Les prismes peuvent être utilisés en préopératoire pour évaluer la signification relative d'une déviation verticale et horizontale lorsque les deux sont présentes. Si la déviation verticale ne prévient pas la fusion lorsque la déviation horizontale est corrigée, le chirurgien n'a pas à se préoccuper de corriger simultanément l'hétérotropie verticale. De même, si un patient a un problème de cyclotorsion avec une déviation verticale ou horizontale, on peut utiliser un prisme pour compenser ce dernier vecteur, afin de déterminer si les amplitudes de cyclotorsion du patient peuvent permettre de contrôler la composante torsionnelle [33].

On prescrit le plus souvent un prisme pour maîtriser la diplopie, le symptôme le plus gênant pour les adolescents ou les adultes présentant un mauvais alignement des yeux. Les prismes peuvent corriger la diplopie due à une hétérotropie horizontale ou verticale ou à ces deux troubles associés. Ils sont également utiles pour maintenir la fusion dans les cas d'hétérophorie symptomatique, tels que les cas d'exophorie en vision proche causant une asthénopie [72]. Les prismes peuvent être utilisés pour l'entraînement des vergences pendant un certain nombre de semaines dans les cas de diverses affections, incluant l'insuffisance de convergence et l'hétérophorie verticale décompensée [68].

Deux types de prismes sont utilisés dans le traitement du strabisme : prismes intégrés et prismes temporaires (appliqués). La décision concernant le type de prisme à utiliser est dictée par des considérations en matière de coût, la dimension de l'angle, si l'on prévoit que l'anomalie du muscle oculaire est temporaire ou non et s'il y aura des changements sur une courte période. Avec les prismes intégrés, la prescription prismatique a été intégrée dans les verres ou les lentilles de contact. Un prisme intégré dans un verre de lunettes devient gênant lorsqu'il mesure plus de 8 ?. Par conséquent, ce type de prisme n'est pas pratique pour un usage à long terme lorsque la correction prismatique totale est supérieure à 15 ? ou 16 ?. C'est par définition un traitement à long terme. Les prismes adhésifs sont généralement utilisés sur une base temporaire. La puissance prismatique limite dans une lentille de contact est de 2 ? à 3 ? et cette puissance est presque exclusivement utilisée pour le traitement de la diplopie verticale. La forme intégrée offre encore l'avantage de la clarté, étant donné que le prisme temporaire crée un léger flou dû à la matière plastique. À l'inverse, les prismes temporaires sont une option raisonnable pour les plus grands angles (jusqu'à 40 ?), agrémentée d'un faible coût, d'un poids léger et de possibilités de modifications aisées [68].

OCCLUSION

Les cas de diplopie gênante ou de diplopie monoculaire qu'on ne peut pas résoudre par des méthodes chirurgicales ou non chirurgicales, peuvent nécessiter un blocage de la vision de l'oil dévié. La solution la plus simple est le pansement occlusif. Cependant, il existe actuellement d'autres options qui sont plus esthétiques, notamment les filtres Ryser (filtres de Bangerter), un verre dépoli ou un ruban chirurgical translucide.

TRAITEMENT PHARMACOCHIRURGICAL

Certaines formes de strabisme de l'adulte, telles que le syndrome de Brown acquis, sont causées par une inflammation locale et peuvent être traitées par l'injection de stéroïdes dans l'orbite.

Les injections de toxine botulique dans les muscles oculomoteurs ont été utilisées comme alternative à la chirurgie du strabisme depuis la fin des années soixante-dix et leur usage s'est depuis généralisé. Une infime quantité de toxine est injectée dans le muscle oculaire. L'expérience chez les adultes a confirmé que cette méthode est moins efficace que la chirurgie pour l'alignement à long terme des yeux déviés. Notamment, le taux de succès d'une chirurgie strabique avec sutures ajustables est beaucoup plus élevé à long terme que celui des injections de toxine botulique [8]. Les injections de toxine botulique étaient considérées dans le passé comme une option utile pour traiter une parésie aiguë du VI en relâchant temporairement le muscle droit médial de l'oil et en permettant la récupération du droit latéral faible. Cependant, la récupération de la fonction du droit latéral n'est pas plus efficace qu'une guérison normale [24]. La toxine botulique est encore un complément utile de la chirurgie pour traiter le strabisme à grand angle, en particulier l'exotropie à grand angle et la paralysie totale du III et du VI.

COMPLICATIONS DE LA PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE DU STRABISME DE L'ADULTE
DIPLOPIE SECONDAIRE

Cf. infra « Diplopie et strabisme de l'adulte ».

ÉCHECS DE LA CHIRURGIE DU STRABISME DE L'ADULTE

Dans la chirurgie du strabisme de l'adulte, les taux de succès rapportés pour réduire l'angle de déviation à quelques dioptries prismatiques, varient de 70 % à 92 % selon les études avec un recul allant jusqu'à dix ans [42]. Ces taux sont comparables à ceux pour la chirurgie chez les enfants. Une étude prospective récente a démontré que le taux de réalignement réussi chez des patients ayant atteint l'âge de la maturité visuelle était similaire au taux chez ceux au-dessous de cet âge [4]. De plus, plusieurs études ont confirmé que la durée du strabisme ne limite pas l'amélioration potentielle de l'alignement des yeux, l'étendue du champ de vision ou la récupération de la fusion. Les bénéfices attendus du traitement du strabisme de l'adulte sont ainsi bien réels.

Conclusion

Dans le domaine du strabisme de l'adulte, de nombreux progrès ont été effectués au cours de ces dernières années dans les sciences fondamentales, le diagnostic et les traitements ; on a notamment confirmé que l'amblyopie peut être inversée chez de nombreux patients à l'âge de huit ou neuf ans. Le traitement des adultes atteints de strabisme inclut plusieurs options chirurgicales et non chirurgicales qui offrent de nombreux bénéfices fonctionnels. Elle permet de rétablir un alignement satisfaisant et, chez une majorité de patients, on note une résolution des symptômes préopératoires avec un faible risque de complications, incluant la diplopie.

Strabismes précoces négligés de l'adulte
F. Audren

Les strabismes de l'adulte peuvent être classés schématiquement en deux types : les strabismes apparus dès l'enfance et les strabismes acquis. Nous traitons dans cette section les strabismes précoces « négligés » de l'adulte, entendant par cela les strabismes précoces retrouvés chez des adultes et justifiant d'une prise en charge - et souvent n'en bénéficiant pas.

Ce sujet a fait l'objet d'une attention particulière dans la littérature ophtalmologique depuis quelques années pour plusieurs raisons :

  • le nombre important de ces cas de strabismes ;

  • la demande de prise en charge de ces patients, qu'elle soit pour des raisons fonctionnelles ou « esthétiques » ;

  • la prise de conscience (ou plutôt la formalisation) que l'aspect d'un patient présentant un strabisme visible a de multiples retentissements psychologiques (voire psychiatriques), sociaux, professionnels, qui dépassent largement le cadre de l'esthétique ;

  • les patients présentant un strabisme visible, même en l'absence de trouble fonctionnel, présentent un réel handicap ;

  • ce handicap, s'il est traité, modifie les perspectives sociales, professionnelles et économiques du patient.

Cette prise en charge mérite bien d'être distinguée d'un traitement esthétique et justifie donc d'être pris en charge par la collectivité.

ÉPIDÉMIOLOGIE, GÉNÉRALITÉS

Il n'existe pas de données épidémiologiques précises sur les strabismes précoces négligés de l'adulte. La plupart des auteurs considèrent généralement que 4 % des adultes présentent un strabisme. Les plus grandes séries d'adultes strabiques dont les données sont facilement accessibles sont à notre connaissance trois séries nord-américaines de patients chirurgicaux [32363] et la série médico-chirurgicale de l'équipe de Nantes [58]. Parmi ces populations d'adultes, les strabismes présents depuis l'enfance représentaient de 30 % à 62 % des cas, pour des patients âgés en moyenne de trente-cinq à quarante ans (extrêmes allant de quinze ans à quatre-vingt-neuf ans) ; le reste des patients était constitué des strabismes acquis, qui incluent les paralysies oculomotrices et les pathologies orbitaires. Parmi les cas de strabismes précoces négligés de l'adulte, 39 % à 62 % des cas avaient déjà bénéficié d'au moins une intervention chirurgicale [3235863].

Les formes de strabismes précoces rencontrés sont essentiellement :

  • les strabismes horizontaux : les ésotropies ou les exotropies (dont les strabismes divergents intermittents) jamais opérées, les ésotropies ou les exotropies résiduelles, les strabismes consécutifs (inversion de l'angle du strabisme après chirurgie, parfois des décennies après l'intervention initiale), les strabismes sensoriels ;

  • plus rarement, les strabismes verticaux ou des syndromes rares.

MOTIFS DE CONSULTATION

Les motifs de consultation sont de deux ordres (ne s'excluant pas) : une plainte fonctionnelle ou une demande esthétique. Les principales plaintes chez les adultes présentant un strabisme précoce négligé sont une déviation apparente (45 % à 78 % des cas) ou une symptomatologie fonctionnelles (40 % à 55 % des cas) [358].

SYMPTOMATOLOGIE FONCTIONNELLE

Les principaux symptômes fonctionnels dont se plaignent les patients sont la diplopie, la restriction du champ visuel, une vision floue, une diminution de la perception de la profondeur, des difficultés à la lecture, une sensation de tiraillement oculaire et/ou orbitaire ou des céphalées, des difficultés à conduire ou à travailler [3]. Les symptômes les plus fréquents sont les troubles asthénopiques (20 % des cas environs) et la diplopie (10 % à 33 % des cas).

Les troubles asthénopiques peuvent avoir plusieurs causes : troubles réfractifs non ou mal corrigés, tentative de contrôle de l'angle du strabisme par le patient (efforts de convergence dans un strabisme divergent). Plus rarement, chez des patients déjà opérés, on suspecte que les contraintes du système oculomoteur remanié (fibrose cicatricielle, obstacle à la mobilité normale du globe), parfois associées à la compensation consciente ou non d'une déviation, sont responsables de douleurs mécaniques orbitaires parfois invalidantes.

Si on recherche de façon systématique une diplopie à l'interrogatoire, on s'aperçoit qu'elle n'est pas rare sur les terrains de correspondance rétinienne anormale, mais que bien souvent les patients ne s'en trouvent pas incommodés.

La diplopie est spontanément rapportée dans un certain nombre de cas :

  • soit il s'agit, sur un terrain de correspondance rétinienne normale, de la détérioration du contrôle d'un strabisme intermittent ;

  • soit il s'agit de l'apparition d'une déviation ou de l'aggravation récente sur un terrain de correspondance rétinienne anormale. Dans ce dernier cas, la diplopie peut avoir pour cause la modification spontanée de l'angle du strabisme ou un changement d'oil fixateur. Ce changement d'oil fixateur a lieu quand l'oil directeur se trouve en situation de moins bonne vision par rapport à l'oil habituellement non directeur ; ceci peut se rencontrer dans un certain nombre de circonstances :

    • la baisse d'acuité visuelle organique de l'oil directeur, quelle qu'en soit la cause ;

    • la modification de la réfraction du patient (presbytie, myopisation de l'oil directeur chez un patient initialement emmétrope, avec prise de fixation de l'oil non directeur de loin, chirurgie de la cataracte de l'oil non directeur, chirurgie réfractive, etc.) ;

    • une mauvaise adaptation de la correction optique [38] : ces diplopies sont sans doute plus fréquemment rencontrées chez les patients ayant bénéficié de rééducation orthoptique intempestive (contre-indiquée sur terrain de correspondance rétinienne anormale).

Les troubles du champ visuel sont assez rarement un motif de consultation, mais il est établi qu'en cas d'ésotropie à grand angle, il existe une restriction du champ visuel binoculaire du côté de l'oil dévié pouvant aller jusqu'à 30° [37].

Les attitudes vicieuses de la tête ne sont pas rapportées dans les grandes séries de strabismes de l'adulte, mais elles peuvent se rencontrer dans les strabismes horizontaux à grand angle (rarement le motif de consultation) et plus souvent dans les paralysies négligées de l'oblique supérieur.

De façon plus rare et non exceptionnelle, on rencontre des sujets strabiques présentant une association de tous ces signes : il s'agit souvent de patients déjà opérés, dont le strabisme est visible (ou non), présentant un trouble réfractif (hypermétropie) corrigé ou non (ou refusant de porter la correction), conscient d'une diplopie (correspondance rétinienne anormale). Ces sujets ont une conscience aiguë de leur état et adoptent de véritables stratégies sensorimotrices de contrôle de leur angle afin que celui-ci ne soit pas visible, par un torticolis, des efforts accommodatifs, un contrôle de leur diplopie, le tout au prix d'asthénopie, de douleurs orbitaires, de céphalées parfois handicapantes.

ANGLE APPARENT

L'aspect esthétique d'un strabisme est le principal motif de consultation des patients présentant un strabisme précoce négligé. Longtemps ces strabismes ont été négligés par les ophtalmologistes eux-mêmes, car l'aspect « esthétique » était considéré comme secondaire chez ces patients par rapport aux aspects fonctionnels. Il n'en est rien et la littérature ophtalmologique ne laisse aucun doute sur la réalité du retentissement d'un strabisme visible, même si celui-ci ne handicape pas le patient au niveau de sa fonction visuelle elle-même. Ce retentissement peut revêtir plusieurs aspects.

Le retentissement social d'un strabisme visible est précoce et il commence dès l'enfance (à partir de quatre ans et demi) [55]. Les a priori sur les patients strabiques sont nombreux, qu'ils soient conscients ou non. Par rapport à un sujet orthotropique, un sujet strabique est volontiers considéré comme moins intelligent, moins attentif, moins compétent, émotionnellement instable, moins apte à diriger et à communiquer, avec de moindres capacités d'organisation, ayant des risques d'avoir des difficultés à trouver un emploi ou à pratiquer des activités sportives [52]. Ceci est plus marqué pour les strabismes convergents que pour les divergents, et plus quand c'est l'oil droit qui est dévié [45]. Des études rigoureuses ont montré qu'à l'âge adulte, le strabisme à grand angle est un obstacle pour trouver un emploi, tout particulièrement pour les femmes [1046], et pour trouver un partenaire [47]. Le strabisme est le troisième caractère le plus préjudiciable socialement après l'acné sévère et le manque de dents [47]. Le strabisme à grand angle a non seulement un retentissement sur l'image des patients qu'en ont leur entourage et la société, mais il a également un fort retentissement sur l'image qu'a le patient de lui-même (retrouvé jusque chez 86 % des adultes), en termes d'estime de soi, de confiance en soi et de capacités relationnelles [44855]. Les difficultés à rentrer en « contact visuel » avec les interlocuteurs sont très fréquentes. Ceci peut avoir une conséquence immédiate qui est de tenter de masquer la déviation de différentes manières (port de verres teintés, mèche de cheveux recouvrant l'oil dévié). Les conséquences à long terme de cette altération de l'image personnelle ne sont pas précisément définies, mais les adultes strabiques ont un retentissement psychologique voire psychiatrique de leur déviation qui ne fait pas de doute. Dans une étude de Bez [5], 53 % d'entre eux présentent plus de phobie sociale - peur d'être ridicule ou humilié en société dans certaines situations, comme parler en public ou prendre part dans un groupe de personnes non familières -, contre 17 % des témoins. Ces patients strabiques et phobiques sont également plus déprimés [5].

Les strabismes de l'adulte regroupent donc des problématiques fonctionnelles et psychosociales qu'il est assez difficile d'appréhender de façon simple. Depuis quelques années ont été mis au point des questionnaires de qualité de vie spécifiques pour les patients strabiques, dont les adultes. Ce mode d'exploration permet de prendre en compte de façon globale le retentissement du strabisme, ainsi que d'évaluer les effets des traitements, notamment de la chirurgie [20].

PRISE EN CHARGE

Les patients présentant un strabisme précoce négligé ont tous une histoire et un parcours qui valent qu'on s'y intéresse. Un interrogatoire circonstancié et un examen sont toujours nécessaires pour faire le point sur la pathologie strabique, son évolution, ses précédents traitements, les motivations et les attentes du patient.

Notons tout d'abord qu'il n'est pas exceptionnel que le patient consulte alors que le problème est identifié depuis des années, voire des décennies. Une étude nord-américaine de Coats rapporte un délai moyen de vingt ans entre l'apparition du strabisme et le moment de la chirurgie, avec des extrêmes allant d'un an à soixante-douze ans [11]. Dans cette étude portant sur deux cent soixante-dix-sept patients, les réponses à la question « Pourquoi ne vous êtes-vous pas fait opérer auparavant ? » étaient :

  • la chirurgie n'avait jamais été proposée par l'ophtalmologiste (27 %) ;

  • la chirurgie avait été proposée mais refusée par les parents ou le patient (23 %) ;

  • le patient avait reçu un traitement médical satisfaisant (13 %) ;

  • le patient n'avait jamais cherché à se faire soigner (11 %) ;

  • le patient avait déjà eu une mauvaise expérience chirurgicale (6 %) ;

  • le patient avait reçu l'information par son ophtalmologiste que rien ne pouvait être fait ou que la chirurgie pourrait aggraver le problème (6 %) ;

  • le patient avait été informé qu'il était trop vieux pour la chirurgie (2 %) ;

  • autre raison ou absence de réponse (12 %).

Si les proportions de ces différentes réponses sont susceptibles d'être différentes en France, les causes de ces délais sont les mêmes et le manque d'information des patients par les ophtalmologistes est une réalité.

Nous ajouterons à cette liste la croyance commune de nombreux ophtalmologistes et d'orthoptistes que le risque de diplopie postopératoire chez l'adulte est tel qu'il s'agit d'une contre-indication à la chirurgie, ce qui est faux.

Il faut souhaiter qu'à l'avenir l'information par les ophtalmologistes soit meilleure, même si de nombreux patients trouvent de plus en plus seuls les informations qu'ils désirent (particulièrement sur Internet).

INFORMATION

La prise en charge d'un strabisme précoce négligé de l'adulte, s'il n'a pas été évalué depuis longtemps ou s'il n'a pas bénéficié des traitements adaptés, doit toujours comprendre un temps d'information du patient. Il faut savoir expliquer la pathologie, les traitements, leurs modalités théoriques et pratiques (correction optique, chirurgie, contre-indication à la rééducation orthoptique définitive en cas de correspondance rétinienne anormale), leurs risques (diplopie, stabilité de l'angle). Il nous semble essentiel qu'au sortir d'une consultation, le patient adulte strabique qui a une demande (fonctionnelle ou esthétique) ait compris :

  • les facteurs de sa pathologie qui posent problèmes ;

  • les solutions proposées et leurs conditions (port préalable de la correction optique avant chirurgie, risque de plusieurs interventions chirurgicales.).

CORRECTION OPTIQUE

Comme pour tout strabisme, la mesure de la réfraction subjective et objective est un temps essentiel. Les réserves accommodatives sont significatives jusqu'à au moins cinquante ans [57]. Le cycloplégique à utiliser à cet âge est le cyclopentolate (Skiacol®). Une correction optique adaptée doit toujours être prescrite quand elle est indiquée. Si la correction totale n'est pas supportée, il faudra prescrire le maximum supporté et savoir l'augmenter progressivement. Il faut saturer l'hypermétropie et corriger au mieux les yeux amblyopes. En cas de diplopie récente apparue sur un strabisme ancien, la correction optique, mesurée sous cycloplégique, permet de régler le problème dans la grande majorité des cas [38]. En cas de modification récente de l'angle occasionnant une diplopie, il faudra toujours chercher à savoir si le terrain de correspondance rétinienne est normal ou non et, éventuellement, s'aider d'essais prismatiques pour trouver l'angle supprimant la diplopie. L'objectif du traitement d'une diplopie sur correspondance rétinienne normale est toujours de supprimer cette diplopie (prismes, orthotropie si chirurgie). En cas de correspondance rétinienne anormale, les objectifs angulaires seront un peu différents (compromis esthétique/fonctionnel) et, dans ce dernier cas, l'orthotropie ne garantit pas la disparition totale de la diplopie. La nécessité de recourir à des pénalisations (optiques, filtres) voire à une occlusion est rare [38]. En l'absence de diplopie, la correction optique soulage les symptômes fonctionnels, ellesc012007 soulage les mécanismes de compensation sensorielle mais, à cet âge, elle n'apporte généralement pas une amélioration de l'acuité visuelle [57]. La correction optique va avoir en revanche une action sur l'angle du strabisme, soit en le diminuant (ésotropes chez lesquels l'hypermétropie est sous-corrigée), soit en l'augmentant voire en inversant l'angle (passage en exotropie d'une ésotropie avec une part accommodative non corrigée). Le port de la correction optique totale (lunettes ou lentilles de contact) est donc indispensable, puisqu'en diminuant l'angle du strabisme, le problème peut éventuellement être réglé et, dans les autres cas, elle constitue un préalable pour obtenir un angle stable avant une chirurgie, qui est très souvent indiquée dans ce contexte. Le port de la correction optique après l'intervention sera également un facteur du succès de la chirurgie et de sa stabilité.

Déviations consécutives de l'adulte

N. Gambarelli

DÉFINITIONS ET TERMINOLOGIE

Une des particularités des strabismes de l'adulte est de pouvoir apparaître ou se modifier au cours de la vie. Il y a souvent confusion entre strabisme secondaire et strabisme consécutif.

Une déviation peut être secondaire à une pathologie générale (maladie de Basedow, myasthénie, paralysie oculomotrice, etc.) ou à une affection oculaire (myopie forte, chirurgie de la cataracte, de décollement de rétine, chirurgie réfractive, etc.).

On parle de strabisme consécutif quand la déviation s'inverse au fil du temps : ésotropie transformée en exotropie transformée en ésotropie.

Une déviation peut, rarement, s'inverser spontanément au fil du temps [65] ; la plupart du temps, la déviation consécutive apparaît dans les suites d'une première intervention chirurgicale pour strabisme.

  • Les déviations consécutives peuvent apparaître des années après la chirurgie initiale.

  • Les exotropies consécutives sont fréquentes ; les ésotropies consécutives beaucoup plus rares.

  • Les résultats chirurgicaux sont satisfaisants.

TABLEAUX CLINIQUES
EXOTROPIES CONSÉCUTIVES

Les exotropies consécutives sont fréquentes. De nombreuses références bibliographiques ont trait à leur prise en charge chirurgicale.

Dans une série personnelle de 690 patients opérés, il y avait : 283 adultes (100 paralysies oculomotrices, 183 strabismes) ; parmi les strabismes, une prépondérance des exotropies (95), dont 31 exotropies consécutives. La divergence peut apparaître des années après la chirurgie initiale (jusqu'à quarante ans dans notre série).

L'interrogatoire « tentera » de se faire une idée de l'historique du strabisme. Souvent, malheureusement, les patients ne savent pas préciser si le strabisme initial était en convergence ou divergence, si l'intervention a porté sur un ou deux yeux.

L'examen sera classique, en insistant sur quelques points particuliers :

  • la réfraction sous cycloplégie évaluera en particulier l'hypermétropie totale ;

  • l'amblyopie est fréquente dans ce contexte ;

  • l'examen de la motilité oculaire recherchera tout particulièrement une anomalie des ductions, des versions (limitation de l'adduction), une incomitance loin-près, un élément vertical.

L'importance de l'essai de prismes a déjà été évoquée ; elle s'applique ici comme dans tout strabisme de l'adulte. Une association prisme et toxine botulique a été utilisée en préopératoire en cas d'éxotropie consécutive de grand angle avec diplopie [12].

Schématiquement, deux cas de figure sont le plus souvent rencontrés :

  • patient opéré dans l'enfance par recul (parfois généreux) des deux droits médiaux ; au fil du temps, la force des droits latéraux devient prépondérante et la divergence apparaît ;

  • patient opéré de façon unilatérale par recul du droit médial/résection du droit latéral, souvent sur un oil amblyope ; au fil du temps, la divergence apparaît, peut-être en raison du raccourcissement du droit latéral [66].

Quelques points particuliers sont à souligner concernant le geste chirurgical :

  • en cas de protocole initial inconnu (ce qui est fréquemment le cas) : repérage des cicatrices et éventuellement exploration des sites opératoires ;

  • dans tous les cas : importance du test de duction passive (fig. 12-19) et du test d'élongation.

Si on reprend les données de la littérature, deux tendances s'opposent, certains étant partisans d'une chirurgie de recul des droits latéraux [17, 41, 54], d'autres préférant un retour sur le droit médial reculé, associé ou non à un geste sur le droit latéral (parfois préalablement renforcé) [91644].

Les cas cliniques 1 et 2 servent d'illustration, soulignant qu'il semble logique de viser à rétablir au mieux chirurgicalement l'équilibre du couple droit médial/droit latéral.

image

Fig. 12-19 Test de duction.

Cas clinique 1

Lionel B., 21 ans, opéré dans l'enfance par recul de 7 mm des deux droits médiaux :

  • passage progressif en divergence consécutive ;

  • AVL sc ODG : 10/10, AVP : ODG : P2 ;

  • réfraction ODG : + 1,00 ? ;

  • motilité oculaire : exotropie 16° à 18° alternante, légère limitation de l'adduction ODG ;

  • intervention ODG : ré-avancement des deux droits médiaux de 5,5 mm.

Cas clinique 2

Martine B., 56 ans, opérée dans l'adolescence sur l'oil gauche amblyope ; protocole non connu, cicatrices sur les deux horizontaux de l'oil gauche :

  • exotropie consécutive ;

  • AVL asc OD : 10/10, OG : 2/10 ;

  • réfraction OD : + 1,50 ?, OG : + 3,00 ? ;

  • déviation asc : Xt OG 18 ? à 20 ?, limitation de l'adduction OG ++ (fig. 12-20) ;

  • intervention OG : remise à l'insertion du droit médial (reculé antérieurement de 6 mm) et recul du droit latéral de 6 mm (remanié, vraisemblablement réséqué) (fig. 12-21).

image

Fig. 12-20 a. Exotropie consécutive de l'oeil gauche en position primaire. b. Limitation de l'adduction de l'oeil gauche.

image

Fig. 12-21 a, b. Ré-avancement du droit médial. c, d. Recul du droit latéral préalablement réséqué.

Ésotropie consécutive avec spasmes de convergence.

ÉSOTROPIES CONSÉCUTIVES

Les ésotropies consécutives sont plus rares et les références bibliographiques à leur sujet beaucoup moins nombreuses. Dans notre série [16], sur 183 adultes opérés, on compte 73 ésotropies, dont 8 ésotropies consécutives. Elles sont effectivement souvent spontanément résolutives, en quelques semaines ou quelques mois [274353] ; lorsqu'elles persistent, elles sont gênantes fonctionnellement, nécessitant alors la chirurgie.

Les règles d'examen et de prise en charge sont analogues à ce que nous avons évoqué plus haut ; insistons sur l'importance de la diplopie, invalidante, et sur la fréquence de la limitation de l'abduction, due à de grands reculs des droits latéraux (cas clinique 3).

Cas clinique 3

Valérie B., 35 ans, opérée 4 ans plus tôt pour exotropie, protocole non connu, cicatrice au niveau du droit latéral gauche ; vue en ésotropie consécutive :

  • AVL asc OD : 10/10, OG : 9/10 ; AVP asc ODG : P2 ;

  • réfraction OD : + 1,50 ?, OG : + 1,00 ? ;

  • correction portée ODG : + 3 ? base temporale ;

  • motilité sc, asc, ± prisme, OG : centrée à spasme d'ésotropie de 20° à 24° (fig. 12-22) ; limitation de l'abduction OG + ;

  • intervention OG : le droit latéral est retrouvé reculé de 10 mm ; on le replace à l'insertion ; fil de Cüppers sur le droit médial.

image

Fig. 12-22 Ésotropie consécutive avec spasmes de convergence.

Conclusion

Chez l'adulte, le strabisme est toujours mal vécu et source de complexes. En cas de déviation secondaire, se rajoute la notion de l'échec de la chirurgie initiale. En cas d'exotropie consécutive, le préjudice est surtout d'ordre esthétique. En cas d'ésotropie consécutive, la gêne fonctionnelle prédomine, avec diplopie. Dans les deux cas, les patients attendent beaucoup de notre geste chirurgical. L'analyse clinique est plus importante que jamais, surtout lorsque le geste chirurgical initial est inconnu. Les résultats sont globalement bons, qu'on utilise ou non les sutures ajustables [43]. La satisfaction de ces patients est immense et n'a d'égale que celle du chirurgien.

Diplopie dans les strabismes de l'adulte

N. Gambarelli

DE QUELLE DIPLOPIE PARLE-T-ON ?

La diplopie est au cour des strabismes de l'adulte. Elle peut être le motif de la consultation, le patient venant chercher une explication et une solution à ce problème souvent récemment apparu. Elle peut être seulement redoutée, responsable de beaucoup d'hésitations et d'angoisses au moment de prendre une décision chirurgicale.

Nous excluons d'emblée ici les diplopies d'ordre neurologique, en rapport avec des paralysies oculomotrices, qui sont traitées au chapitre 14.

Nous ne prétendons pas parler de tous les strabismes de l'adulte, mais seulement de quelques cas où la diplopie domine la scène.

DEUX CONTEXTES DIFFÉRENTS
LE PATIENT CONSULTE POUR UNE DIPLOPIE NOUVELLEMENT APPARUE

Il s'agit des strabismes apparaissant chez des adultes jusque-là indemnes de diplopie. L'interrogatoire et le classique bilan réfractif et binoculaire permettront de faire le diagnostic ; on se trouve devant des troubles binoculaires secondaires :

  • à une maladie générale (maladie de Basedow, myasthénie), avec vision binoculaire sous-jacente : après prise en charge de la pathologie responsable, le problème binoculaire sera traité, le patient aspirant à la restitution de son confort antérieur ;

  • à une cause oculaire iatrogène : chirurgie du décollement de rétine, de la cataracte, chirurgie réfractive ; la diplopie est alors de cause mécanique ou en rapport avec la décompensation d'un état binoculaire précaire sous-jacent. Elle vient ici ternir le résultat de la précédente intervention. Quelle que soit la prise en charge, plus ou moins facile, comme on a pu le voir dans les chapitres concernés, on se trouve devant un patient demandeur d'une solution ;

  • à l'aggravation ou la modification d'un strabisme ancien : décompensation, souvent à l'âge de la presbytie, d'une ésotropie traitée avec succès médicalement ou chirurgicalement : le patient sent à nouveau son strabisme, au moins à la fatigue, avec diplopie plus ou moins gênante. Dans ces cas, bien souvent la réévaluation de la réfraction sous cyclopentolate (Skiacol®) et la mise en place de la correction optique totale suffiront à remettre les choses en place  :

    • décompensation d'une ésophorie, avec tendance à « manger » les prismes ;

    • apparition d'une diplopie chez un myope fort, surtout en cas de forte anisométropie avec syndrome de l'« oil lourd » du côté de l'oil le plus myope.

LE PATIENT CONSULTE POUR UN STRABISME, AVEC LA HANTISE D'UNE DIPLOPIE

On se trouve ici, la plupart du temps, dans le cadre des strabismes négligés de l'adulte, strabismes remontant souvent à l'enfance, avec correspondance rétinienne anormale. Nous voyons régulièrement dans nos consultations, des adultes porteurs de déviations de grand angle en ésotropie ou exotropie. En dépit d'un préjudice esthétique majeur, aucune solution chirurgicale ne leur a été proposée. Bien au contraire, ils ont la plupart du temps reçu des avis très négatifs, arguant d'effets nocifs à leur âge, avec en première ligne la diplopie.

Nous sommes à l'heure actuelle convaincus que ce risque de diplopie est infime. Il existe néanmoins et nos patients l'appréhendent. Il faut donc essayer de l'analyser le mieux possible et donner au patient toutes les explications nécessaires lorsqu'on décide une chirurgie.

  • La diplopie est le signe d'appel des strabismes récents de l'adulte.

  • Dans les strabismes négligés de l'adulte, le risque de diplopie postopératoire est finalement faible, limité à quelques cas particuliers.

ANALYSE DE LA DIPLOPIE
PRISMES

Au moyen de la barre de prismes, on corrige la déviation jusqu'au moment où il n'y a plus de mouvement au test à l'écran alterné. En cas de diplopie, on augmente ou diminue la correction prismatique jusqu'à la disparition de la double image.

Un essai de prismes prolongé peut être réalisé en salle d'attente.

Un essai de prismes peut être réalisé au domicile du patient au moyen de press-on ; il est rarement probant. Il s'agit en général de prismes de forte puissance, gênant la vision et permettant mal de se faire une juste idée de la correction. Parfois, ils ont plutôt un effet « Ryser », en renforçant la neutralisation de l'oil dévié.

Ces essais de prismes ont donc des limites bien connues, reconnues par tous les auteurs [669].

TOXINE BOTULIQUE

Elle est utilisée par certaines équipes, en plus des essais de prismes, pour mieux évaluer le risque de diplopie.

Malgré tout, il n'est jamais possible d'avoir une réelle assurance sur l'état sensoriel postopératoire définitif [731], et il est difficile de gérer en pratique, chez un adulte en pleine activité professionnelle, les suites d'un tel traitement ; la toxine est une bonne indication chez des patients motivés pour une chirurgie et présentant un réel risque de diplopie postopératoire.

Signalons des travaux portant sur des strabismes récemment décompensés, où la toxine utilisée seule a permis d'éviter le geste chirurgical dans un bon nombre de cas [259]. Le même type d'effet a été obtenu en cas de sur- ou sous-correction chirurgicale, en permettant d'annuler ou de reporter une retouche chirurgicale [71].

RÉEL RISQUE DE DIPLOPIE
PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Le risque d'une diplopie transitoire est toujours annoncé aux adultes. Elle disparaît classiquement en quelques jours, au maximum quelques semaines. Nous avons vu précédemment à quel point il est difficile de prédire une diplopie persistante.

On sait que la tendance à la neutralisation diminue avec l'âge, d'où le risque accru de diplopie chez l'adulte. Cette disparition de la neutralisation peut être favorisée par des rééducations orthoptiques intempestives sur correspondance rétinienne anormale ou par des modifications d'un état binoculaire antérieur : emmétropisation d'un oil au préalable amblyope suite à une chirurgie de cataracte chez un myope fort, changement d'oil dominant après chirurgie réfractive.

Il existe une négligence relativement facile d'une image éloignée (horror fusionis, ou strabisme de fuite) ; le rapprochement des images constitue un risque de disparition de ce mécanisme compensateur. L'essai de prisme peut être ici un élément précieux, en montrant qu'il vaut mieux parfois ne pas corriger la totalité de la déviation.

À la fin de notre bilan orthoptique, il faut être absolument certain d'avoir éliminé ces cas réellement « à risque ».

Signalons un très intéressant travail [51] portant sur une série de soixante-deux patients porteurs de diplopie incoercible, motivant la consultation ; ils ont fait l'objet d'une exploration complète, et les résultats sont très significatifs :

  • amblyopie dans 71 % des cas ;

  • correspondance rétinienne anormale constante ;

  • chirurgie tardive, après l'âge de cinq ans chez quarante-cinq des cinquante patients opérés ;

  • prismes dans 30 % des cas ;

  • rééducation orthoptique en dépit d'une correspondance rétinienne anormale dans 93 % des cas.

La conclusion s'impose : les cas « à risque » sont ceux qui ont eu des traitements inadaptés au long de leur prise en charge.

DONNÉES DE LA LITTÉRATURE

La majorité des auteurs rapportant de grandes séries de patients opérés s'accordent à dire que le pourcentage de diplopie incoercible postopératoire est très faible [66], variant entre 1 % et 7 % suivant les études.

Pour Kushner [39], dans une étude portant sur quatre cent vingt-quatre adultes, le taux est de 0,8 % seulement, en dépit du résultat des essais de prismes qui donnait un pourcentage de 34 % de cas à risque.

NOTRE EXPÉRIENCE PERSONNELLE

Les adultes consultent de plus en plus et représentent un pourcentage important de notre activité chirurgicale, environ 40 %, tous types cliniques confondus [16].

Dans le cas des strabismes négligés, les plus susceptibles de développer une diplopie, notre ressenti est globalement très bon, à condition d'avoir éliminé les cas particulièrement « à risque », cités plus haut. En dehors de ces cas, rares, le risque de diplopie postopératoire, chez un patient qui n'a pas vu double auparavant, nous paraît très faible.

Au terme du bilan, le problème de la diplopie est abordé, expliqué et dédramatisé. Il est exceptionnel que le patient renonce à la chance que représente pour lui une solution chirurgicale. Nous n'utilisons pas la chirurgie réglable mais, pour certaines équipes [43], elle est d'un grand intérêt dans ce type d'indication.

Les vraies limites tiennent à l'état d'esprit du sujet : en cas de patients hyperanxieux, très pointilleux, une décision chirurgicale ne doit jamais être prise d'emblée ; c'est essentiellement dans ces cas-là que les essais de prismes, la toxine botulique ou tout simplement l'abstention sont indiqués. Et on a bien souvent la surprise de voir réapparaître ces patients plusieurs années plus tard, avec une vraie motivation, vraisemblablement parce que leur gêne a évolué.

Conclusion

Le risque de créer une diplopie postopératoire chez l'adulte est largement surestimé. Les sujets à risque sont très peu nombreux : il s'agit de patients porteurs depuis des années de diplopie incoercible, souvent consécutive à des rééducations intempestives sur des terrains de correspondance rétinienne anormale, ou de sujets hyperanxieux chez qui une décision chirurgicale impose une grande prudence. Dans la grande majorité des cas, le risque de diplopie ne doit pas priver le patient des bénéfices escomptés de la chirurgie oculomotrice.

Faut-il opérer les strabismes de l'adulte ?
N. Gambarelli

Au risque de paraître un peu schématique, on pourrait dire qu'en matière de strabisme de l'adulte, on se trouve dans une situation assez tranchée. Nous avons affaire à deux types de patients (fig. 12-23) :

  • d'une part des sujets indemnes de passé strabologique, qui présentent une diplopie récente, et qui viennent dans l'espoir qu'une chirurgie va tout régler ;

  • d'autre part, des sujets porteurs de déviations majeures, fortement inesthétiques, remontant parfois à des dizaines d'années, qui viennent prendre « un dernier avis, sans trop y croire, parce qu'on leur a toujours dit qu'on ne pouvait rien faire pour eux ».

image

Fig. 12-23 Différents strabismes de l'adulte.

DEUX CONTEXTES DIFFÉRENTS

Nous avons déjà évoqué, en parlant de la diplopie de l'adulte, ces deux situations bien différentes.

Le patient consulte pour une diplopie nouvellement apparue

Chez un patient sans passé binoculaire, l'apparition d'un strabisme, a fortiori d'une diplopie, crée une situation assez dramatique. Après avoir pris quelques renseignements, ces patients nous consultent, en espérant la solution miraculeuse et rapide. Les choses ne sont pas si simples : souvent le diagnostic étiologique n'est pas fait, souvent le traitement sera d'ordre général, médical, et notre rôle sera avant tout de prescrire la patience.

Si le patient est adressé par un correspondant, le cadre diagnostique est déjà tracé. S'il nous consulte en première intention, le diagnostic étiologique nous incombera.

L'interrogatoire sera de première importance, à la recherche d'un contexte ophtalmologique ou général. L'étude de la réfraction sera soigneuse, avec cycloplégie, de préférence au cyclopentolate (Skiacol®), surtout en cas d'hypermétropie. Nous verrons plus loin les bienfaits d'une correction optique correcte dans certaines décompensations strabiques de l'adulte. Le bilan binoculaire sera classique ; ces patients ont en général une vision binoculaire sous-jacente, permettant une étude coordimétrique et un bilan soigneux de la diplopie.

Devant une diplopie d'apparition récente chez un adulte, en l'absence de tout contexte ophtalmologique antérieur, surtout s'il existe des limitations musculaires et des incomitances, il faut en premier lieu éliminer une paralysie oculomotrice. Le bilan neurologique et neuroradiologique sera prescrit et la conduite thérapeutique adaptée en cas de résultat positif de ces examens. Nous ne parlerons pas de ces cas purement neurologiques, traités au chapitre 14.

La négativité du bilan neurologique fera approfondir le bilan général : devant une diplopie variable, accompagnée d'épisodes de ptosis, même fugaces, il faut penser à la myasthénie ; la prise en charge sera alors médicale, avec des résultats globalement satisfaisants. Le strabologue peut être à l'origine de la découverte d'une maladie de Basedow ; il s'agit alors de formes sans phase inflammatoire initiale, et il faudra être alerté par une discrète exophtalmie, avec ou sans signes palpébraux ; dans ces cas, on retrouve surtout une diplopie verticale avec limitation de l'élévation d'un oil. Là encore, après confirmation biologique, la prise en charge sera médicale. La chirurgie oculomotrice a une place de choix dans les ophtalmopathies basedowiennes, mais au stade séquellaire, sur un état endocrinien stabilisé.

L'interrogatoire retrouve souvent un contexte ophtalmologique. Il s'agit alors d'une pathologie oculaire iatrogène : chirurgie du décollement de rétine, de la cataracte, chirurgie réfractive ; la diplopie est alors de cause mécanique ou en rapport avec la décompensation d'un état binoculaire précaire sous-jacent. Elle vient ici ternir le résultat de la précédente intervention. En cas de décollement de rétine opéré, la diplopie est souvent annulée par un prisme de faible puissance chez un patient peu enclin à un nouveau geste chirurgical. En cas de déviation plus importante, la chirurgie oculomotrice peut être envisagée, avec ou sans ablation du matériel d'indentation [64]. Les diplopies secondaires à la chirurgie de la cataracte ont des mécanismes divers et il n'y a pas de prise en charge univoque : la chirurgie oculomotrice est indiquée en cas de décompensation gênante d'une paralysie d'un oblique supérieur, en cas de séquelles fibrotiques en rapport avec une anesthésie locale traumatisante - mais ces derniers cas sont devenus exceptionnels aujourd'hui [29]. La chirurgie de la cataracte devient de plus en plus « réfractive », créant de nouvelles pathologies : en cas d'emmétropisation d'un oil auparavant myope fort, amblyope relatif, la situation binoculaire est souvent délicate, surtout s'il y a eu changement d'oil fixateur ; de même, après implantation chez un patient porteur d'une aphaquie ancienne, non implantée dans le passé [30]. Les mêmes tableaux se retrouvent après chirurgie réfractive, en particulier en cas d'anisométropie. Dans tous ces cas, une vraie réflexion doit être conduite, à la recherche de la moins mauvaise solution.

La véritable réponse est d'ordre prophylactique [18], en sensibilisant les chirurgiens de la cataracte et les chirurgiens réfractifs à l'importance de l'état binoculaire de leurs patients, avec connaissance et prise en charge des cas à risque.

Le patient a un passé strabologique

Il peut s'agir de la modification ou de l'aggravation d'un strabisme ancien. Avec l'approche de la presbytie, certains sujets strabiques « ressentent » à nouveau leur strabisme, surtout à la fatigue, avec diplopie plus ou moins gênante. Certaines ésophories ont également tendance à se décompenser. Dans ces cas, bien souvent la réévaluation de la réfraction sous cyclopentolate (Skiacol®) et la mise en place de la correction optique totale suffiront à régler le problème. Dans le cas contraire, un geste chirurgical sera réalisé sur un angle résiduel si son importance le justifie, ou pour une ésophorie si le sujet a une trop forte tendance à « manger » les prismes. Dans les déviations consécutives - ésotropie transformée en exotropie, plus rarement exotropie transformée en ésotropie -, la solution est en règle chirurgicale [9]. C'est également le cas pour les strabismes du myope fort, apparaissant dans la deuxième partie de la vie, avec diplopie ; il s'agit de strabismes convergents, avec parfois hypotropie de l'oil amblyope le plus myope (syndrome de l'« oil lourd ») [35].

Dans la section traitant de la diplopie chez l'adulte (cf. supra), nous avons évoqué ces patients porteurs de strabismes remontant à l'enfance, avec probable correspondance rétinienne anormale : les strabismes « négligés ». En dépit d'un préjudice esthétique majeur, créé par des déviations de grand angle, en ésotropie ou exotropie, aucune solution chirurgicale ne leur a été proposée. En cas d'amblyopie d'un oil, on leur a prédit la récidive inéluctable. Dans les autres cas, le risque de diplopie a été présenté comme cause de contre-indication chirurgicale. Nous avions conclu plus haut que le risque de diplopie postopératoire était extrêmement faible, quasi inexistant si on excluait les cas « à risque », rééduqués sur correspondance rétinienne anormale ou les patients psychologiquement contre-indiqués [39]. Nous avons donc la plupart du temps conseillé la chirurgie à ces patients, au terme d'un bilan complet et après avoir abordé avec eux le problème de la diplopie, en l'expliquant et le dédramatisant.

RÉSULTATS DE CETTE CHIRURGIE

Un rapport de l'American Academy of Ophthalmology en 2004 fait une revue de la littérature sur le sujet [42]. La chirurgie s'avère plus efficace que la toxine botulique. Le taux de succès d'alignement oculaire varie de 68 % à 85 % suivant les séries. Les résultats fonctionnels sont analysés en considérant : l'effet sur la diplopie, l'amélioration de la stéréoscopie, l'augmentation du champ binoculaire, l'amélioration du torticolis. Les complications de la chirurgie sont également analysées : apparition d'une diplopie postopératoire, perforations sclérales ; leur fréquence est faible.

Il est important de distinguer les strabismes d'apparition récente [15], où on peut espérer des résultats binoculaires satisfaisants, et les strabismes anciens où, classiquement, on ne peut attendre que des résultats esthétiques. Paradoxalement, de nombreux auteurs décrivent dans ce groupe de patients de surprenantes améliorations sensorielles, associées à une extension du champ visuel binoculaire et à des bénéfices majeurs sur le plan psychologique et social [1466].

Enfin des articles récents [1921] analysent le ressenti des patients en tentant d'analyser l'amélioration de leur qualité de vie en postopératoire. Des questionnaires ont été étalonnés, concernant des critères fonctionnels et psychosociaux. Sur de grandes séries de patients opérés, interrogés en préopératoire puis six semaines et, enfin, un an après la chirurgie, on peut affirmer le bénéfice fonctionnel et social ressenti par le patient.

Conclusion

Dans le traitement des strabismes de l'adulte, la chirurgie a une place de choix. Il s'agit de cas complexes qui nécessitent une prise en charge rigoureuse : diagnostic étiologique, mise en place de la meilleure correction optique, bilan binoculaire précis. Chaque fois qu'elle est utile, la chirurgie doit être proposée, le risque de diplopie postopératoire, qui est infime, doit être expliqué au patient. Les adultes opérés sont heureux et reconnaissants, mais aussi étonnés d'avoir dû attendre si longtemps avec leur gêne, leur mal-être, leur disgrâce physique.

Nous souhaiterions que les ophtalmologistes non strabologues soient plus nombreux à conseiller à leurs patients de prendre un avis spécialisé. Pour éviter que nombre d'entre eux se retrouvent, encore aujourd'hui, « abandonnés sur le bord du chemin » (Alain Péchereau) [56].

Bibliographie

[1]  Bagolini B. Convergent strabismus late. Int Ophthalmol Clin, 1971 ; 11 : 111-113.

[2]  Bansal S, Khan J, Marsh IB. The role of botulinum toxin in decompensated strabismus. Strabismus, 2008 ; 16 : 107-111.

[3]  Beauchamp GR, Black BC, Coats DK, Enzenauer RW, Hutchinson AK, Saunders RA, Simon JW, Stager DR, Stager DR Jr, Wilson ME, Zobal-Ratner J, Felius J. The management of strabismus in adults - I. Clinical characteristics and treatment. J AAPOS, 2003 ; 7 : 233-240.

[4]  Beauchamp GR, Black BC, Coats DK, Enzenauer RW, Hutchinson AK, Saunders RA, Simon JW, Stager DR Jr, Stager DR Sr, Wilson ME, Zobal-Ratner J, Felius J. The management of strabismus in adults - III. The effects on disability. J AAPOS, 2005 ; 9 : 455-459.

[5]  Bez Y, Coskun E, Erol K, et al. Adult strabismus and social phobia: a case-controlled study. J AAPOS, 2009 ; 13 : 249-252.

[6]  Broniarczyk-Loba A, Nowakowska O, Goetz J. Diplopia as a complication after surgery for strabismus in adolescents and adults. Klin Oczna, 1996 ; 98 : 185-189.

[7]  Broniarczyk-Loba A, Nowakowska O, Laudanska-Olszewska I, Omulecki W. Advancements in diagnosis and surgical treatment of strabismus in adolescent and adults. Klin Oczna, 2003 ; 105 : 410-413.

[8]  Carruthers JD, Kennedy RA, Bagaric D. Botulinum vs adjustable suture surgery in the treatment of horizontal misalignment in adult patients lacking fusion. Arch Ophthalmol, 1990 ; 108 : 1432-1435.

[9]  Chatzistefanou KI, Droutsas KD, Chimonidou E. Reversal of unilateral medial rectus recession and lateral rectus resection for the correction of consecutive exotropia. Br J Ophthalmol, 2009 ; 93 : 742-746.

[10]  Coats DK, Paysse EA, Towler AJ, et al. Impact of large angle horizontal strabismus on ability to obtain employment. Ophthalmology, 2000 ; 107 : 402-405.

[11]  Coats DK, Stager DR Sr, Beauchamp GR, Stager DR Jr, Mazow ML, Paysse EA, Felius J. Reasons for delay of surgical intervention in adult strabismus. Arch Ophthalmol, 2005 ; 123 : 497-499.

[12]  Deacon MA. A case of paradoxical diplopia in large-angle consecutive exotropia. Strabismus, 2002 ; 10 : 31-37.

[13]  Demer JL, Von Noorden GK. High myopia as an unusual cause of restrictive motility disturbance. Surv Ophthalmol, 1989 ; 33 : 281-284.

[14]  Edelman PM. Functional benefits of adult strabismus surgery. Am Orthopt J, 2010 ; 60 : 43-47.

[15]  Fawcett SL, Stager DR Sr, Felius J. Factors influencing stereoacuity outcomes in adults with acquired strabismus. Am J Ophthalmol, 2004 ; 138 : 931-935.

[16]  Gambarelli N. La place de la chirurgie dans les strabismes de l'adulte. Revue Francophone d'Orthoptie, 2011 ; 4 : 115-119.

[17]  Gómez De Liaño Sánchez P, Ortega Usobiaga J, Moreno García-Rubio B, Merino Sanz P. Consecutive exotropia surgery. Arch Soc Esp Oftalmol, 2001 ; 76 : 371-378.

[18]  Gunton KB, Armstrong B. Diplopia in adult patients following cataract extraction and refractive surgery. Curr Opin Ophthalmol, 2010 ; 21 : 341-344.

[19]  Hatt SR, Leske DA, Bradley EA, Cole SR, Holmes JM. Development of a quality-of-life questionnaire for adults with strabismus. Ophthalmology, 2009 ; 116 : 139-144.

[20]  Hatt SR, Leske DA, Bradley EA, et al. Comparison of quality-of-life instruments in adults with strabismus. Am J Ophthalmol, 2009 ; 148 : 558-562.

[21]  Hatt SR, Leske DA, Liebermann L, Holmes JM. Changes in health-related quality of life 1 year following strabismus surgery. Am J Ophthalmol, 2012 ; 153 : 614-619.

[22]  Helveston EM. Visual training: current status in ophthalmology. Am J Ophthalmol, 2005 ; 140 : 903-910.

[23]  Hertle RW. Clinical characteristics of surgically treated adult strabismus. J Pediatr Ophthalmol Strabismus, 1998 ; 35 : 138-145.

[24]  Holmes JM, Beck RW, Kip KE, Droste PJ, Leske DA. Botulinum toxin treatment versus conservative management in acute traumatic sixth nerve palsy or paresis. J AAPOS, 2000 ; 4 : 145-149.

[25]  Jampolsky A. Adjustable strabismus surgical procedures. In : Symposium of strabismus. Trans New Orleans Acad Ophthalmol. St Louis, CV Mosby, 1978 : 321-349.

[26]  Johnson CA, Keltner JL. Incidence of visual field loss in 20,000 eyes and its relationship to driving performance. Arch Ophthalmol, 1983 ; 101 : 371-375.

[27]  Jung SH, Rah SH. The clinical course of consecutive esotropia after surgical correction. Korean J Ophthalmol, 2007 ; 21 : 228-231.

[28]  Kac MJ, Borges de Freitas Jr M, Kac SI, Pinheiro de Andrade E. Frequency of ocular deviations at the strabismus sector of the Hospital do Servidor Público Estadual de São. Paulo. Arq Bras Oftalmol, 2007 ; 70 : 939-942.

[29]  Karagiannis D, Chatzistefanou K, Damanakis A. Prevalence of diplopia related to cataract surgery among cases of diplopia. Eur J Ophthalmol, 2007 ; 17 : 914-918.

[30]  Khan AO. Persistent diplopia following secondary intraocular lens placement in patients with sensory strabismus from uncorrected monocular aphakia. Br J Ophthalmol, 2008 ; 92 : 51-53.

[31]  Khan J, Kumar I, Marsh IB. Botulinum toxin injection for postoperative diplopia testing in adult strabismus. J AAPOS, 2008 ; 12 : 46-48.

[32]  Kouri AS, Bessant DA, Adams GG, Sloper JJ, Lee JP. Quantitative changes in the field of binocular single vision following fadenoperation to a vertical rectus muscle. J AAPOS, 2002 ; 6 : 294-299.

[33]  Kraft SP, O'Donoghue EP, Roarty JD. Improvement of compensatory head postures after strabismus surgery. Ophthalmology, 1992 ; 99 : 1301-1308.

[34]  Kraft SP. Strabisme de l'adulte. Partie 1 : Mythes et réalité. Ophtalmologies - Conférences scientifiques, 2007 ; 5-5.

[35]  Krzizok TH, Schroeder BU. Measurement of recti eye muscle paths by magnetic resonance imaging in highly myopic and normal subjects. Invest Ophthalmol Vis Sci, 1999 ; 40 : 2554-2560.

[36]  Kushner BJ, Morton GV. Postoperative binocularity in adults with longstanding strabismus. Ophthalmology, 1992 ; 99 : 316-319.

[37]  Kushner BJ. Binocular field expansion in adults after surgery for esotropia. Arch Ophtalmol, 1994 ; 112 : 639-643.

[38]  Kushner BJ. Recently acquired diplopia in adults with long-standing strabismus. Arch Ophthalmol, 2001 ; 119 : 1795-1801.

[39]  Kushner BJ. Intractable diplopia after strabismus surgery in adults. Arch Ophthalmol, 2002 ; 120 : 1498-1504.

[40]  Lang J. Microstrabismus. Ophthalmologica, 1972 ; 165 : 236-240.

[41]  Marcon GB, Pittino R. Dose-effect relationship of medial rectus muscle advancement for consecutive exotropia. J AAPOS, 2011 ; 15 : 523-526.

[42]  Mills MD, Coats DK, Donahue SP, Wheeler DT; American Academy of Ophthalmology. Strabismus surgery for adults: a report by the American Academy of Ophthalmology. Ophthalmology, 2004 ; 111 : 1255-1262.

[43]  Mireskandari K, Cotesta M, Schofield J, Kraft SP. Utility of adjustable sutures in primary strabismus surgery and reoperations. Ophthalmology, 2012 ; 119 : 629-633.

[44]  Mohan K, Sharma A, Pandav SS. Unilateral lateral rectus muscle recession and medial rectus muscle resection with or without advancement for postoperative consecutive exotropia. J AAPOS, 2006 ; 10 : 220-224.

[45]  Mojon-Azzi SM, Kunz A, Mojon DS. The perception of strabismus by children and adults. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol, 2011 ; 249 : 753-757.

[46]  Mojon-Azzi SM, Mojon DS. Strabismus and employment: the opinion of headhunters. Acta Ophthalmol, 2009 ; 87 : 784-788.

[47]  Mojon-Azzi SM, Potnik W, Mojon DS. Opinions of dating agents about strabismic subjects' ability to find a partner. Br J Ophthalmol, 2008 ; 92 : 765-769.

[48]  Nelson BA, Gunton KB, Lasker JN, et al. The psychosocial aspects of strabismus in teenagers and adults and the impact of surgical correction. J AAPOS, 2008 ; 12 : 72-76e1.

[49]  Nishida Y. The observation of eye movement using magnetic resonance imaging. In : Campos EC (ed.). Strabismus and ocular motility disorders. Proceedings of the Sixth Meeting of the International Strabismological Association. London, Macmillan Press, 1990 : 137-142.

[50]  Nukina K, Nishida Y, NishidA E, Hayishi O, Mekeda A, Inatomi A, Kaami K. The observation of movement within the orbit using cinemode MRI. In : Tilson G (ed.). Advances in amblyopia and strabismus. Transactions of the Seventh International Orthoptic Congress. Lauf, Fahner Verlage, 1991 : 318-321.

[51]  Oger-Lavenant F. La diplopie post-thérapeutique de l'adulte. In : Les strabismes de l'adolescent et de l'adulte. XXe Colloque de Nantes (1995). A et J Péchereau éditeurs pour FNRO éditions, Nantes, 1995 : 31-34.

[52]  Olitsky SE, Sudesh S, Graziano A, et al. The negative psychosocial impact of strabismus in adults. J AAPOS, 1999 ; 3 : 209-211.

[53]  Park HJ, Kong SM, Baek SH. Consecutive esodeviation after exotropia surgery in patients older than 15 years: comparison with younger patients. Korean J Ophthalmol, 2008 ; 22 : 178-182.

[54]  Patel AS, Simon JW, Lininger LL. Bilateral lateral rectus recession for consecutive exotropia. J AAPOS, 2000 ; 4 : 291-294.

[55]  Paysse EA, Steele EA, McCreery KM, et al. Age of the emergence of negative attitudes toward strabismus. J AAPOS, 2001 ; 5 : 361-366.

[56]  Péchereau A et al. Les strabismes de l'adolescent et de l'adulte. XXe Colloque de Nantes (1995). A et J Péchereau éditeurs pour FNRO éditions, Nantes, 1995.

[57]  Péchereau A. La correction optique. In : Les strabismes de l'adolescent et de l'adulte. XXe Colloque de Nantes (1995). A et J Péchereau éditeurs pour FNRO éditions, Nantes, 1995.

[58]  Quéré M-A. Épidémiologie. In : Les strabismes de l'adolescent et de l'adulte. XXe Colloque de Nantes (1995). A et J Péchereau éditeurs pour FNRO éditions, Nantes, 1995.

[59]  Ripley L, Rowe FJ. Use of botulinum toxin in small-angle heterotropia and decompensating heterophoria : a review of the literature. Strabismus, 2007 ; 15 : 165-171.

[60]  Rosenbaum AL. The goal of adult strabismus surgery is not cosmetic. Arch Ophthalmol, 1999 ; 117 : 250.

[61]  Sauer A, Bouyon M, Bourcier T, Speeg-Schatz C. Diplopie dans les suites du traitement chirurgical de décollement de rétine par cryo-indentation. J Fr Ophtalmol, 2007 ; 30 : 785-789.

[62]  Scheiman MM, Hertle RW, Beck RW, Edwards AR, Birch E, Cotter SA, Crouch ER Jr, Cruz OA, Davitt BV, Donahue S, Holmes JM, Lyon DW, Repka MX, Sala NA, Silbert DI, Suh DW, Tamkins SM. Pediatric Eye Disease Investigator Group. Randomized trial of treatment of amblyopia in children aged 7 to 17 years. Arch Ophthalmol, 2005 ; 123 : 437-447.

[63]  Scott WE, Kutschke PJ, Lee WR. 20th annual Frank Costenbader Lecture - Adult strabismus. J Pediatr Ophthalmol Strabismus, 1995 ; 32 : 348-352.

[64]  Seaber JH, Buckley EG. Strabismus after retinal detachment surgery : etiology, diagnosis, and treatment. Semin Ophthalmol, 1995 ; 10 : 61-73.

[65]  Senior JD, Chandna A, O'Connor AR. Spontaneous consecutive exotropia in childhood. Strabismus, 2009 ; 17 : 33-36.

[66]  Speeg-Schatz, Sauer A. Strabisme de l'adulte. EMC (Elsevier-Masson SAS). Ophtalmologie, 21-550-A-25, 2010.

[67]  Spielmann A. Clinical rationale for manifest congenital nystagmus surgery. J AAPOS, 2000 ; 4 : 67-74.

[68]  Véronneau-Troutman S. Prisms in the medical and surgical management of strabismus. St Louis, CV Mosby, 1994.

[69]  Véronneau-Troutman S, Traykovski E, De Rosa J. The influence of the Prism Adaptation Test (PAT) on surgery for intermittent exotropia. In : Update on Strabismus and Pediatric Ophthalmology: Proceedings of the Joint Congress of the ISA and AAPOS, 1994. Lennerstrand G (ed.). CRC Press, 1995.

[70]  Weston B, Enzenauer RW, Kraft SP, Gayowsky GR. Stability of the postoperative alignement in adjustable-suture strabismus surgery. J Pediat Ophthalmol Strabismus, 1991 ; 28 : 206-211.

[71]  Wutthiphan S. Botulinum toxin A in surgically overcorrected and undercorrected strabismus. J Med Assoc Thai, 2008 ; 91 : S86-S91.

[72]  Wygnanski-Jaffe T, Trotter J, Watts P, Kraft SP, Abdolell M. Preoperative prism adaptation in acquired esotropia with convergence excess. J AAPOS, 2003 ; 7 : 28-33.

VIII - Strabismes sensoriels

F. Audren

Un strabisme sensoriel est défini comme une déviation oculaire due à une perte de la vision ou une baisse sévère de la vision d'un oil d'origine organique. Cette baisse de la vision est un obstacle aux fusions sensorielle et motrice, et peut entraîner une déviation en convergence ou en divergence. Cette déviation peut apparaître dans les jours ou les semaines suivant la baisse de vision ou des années après celle-ci.

La baisse de vision, quand elle est acquise, peut être due à de nombreuses causes. Quand elle est précoce, elle est également due à une pathologie organique. C'est entre autres le cas de l'amblyopie ex anopsia, ou amblyopie de déprivation, qui est une « amblyopie fonctionnelle attribuable à une insuffisance ou une absence de stimulus approprié atteignant la rétine, du fait d'un obstacle siégeant sur le trajet des rayons lumineux, et qui persiste après la suppression de cet obstacle » [8], mais il peut s'agir de toute pathologie (rétinienne, du nerf optique) entraînant une baisse visuelle.

  • Un strabisme sensoriel est défini comme une déviation oculaire due à une perte de la vision ou une baisse sévère de la vision d'un oil d'origine organique.

  • Les causes sont multiples.

  • Les strabismes sensoriels sont fréquents chez l'adulte (exotropie) comme chez l'enfant (ésotropie ou exotropie).

  • Ils posent le problème du diagnostic de la cause sous-jacente et de son éventuel traitement, qui doit précéder le traitement du strabisme lui-même (correction optique, chirurgie), indiqué si la déviation est inesthétique.

Épidémiologie et étiologie
ÉPIDÉMIOLOGIE

La fréquence des strabismes sensoriels est très diversement rapportée en fonction des auteurs. Elle serait comprise entre 5 % et 25 % des strabismes en fonction des populations étudiées [91013]. La Rochester Epidemiology Study, l'étude la plus fiable a priori, rapporte une prévalence de 6,7 % des strabismes avant l'âge de dix-neuf ans (4 % pour les ésotropies sensorielles et 2,7 % pour les exotropies sensorielles) [10]. Ceci va plutôt contre la notion habituelle de la plus grande fréquence rapportée des exotropies sensorielles, qui sont très largement majoritaires chez l'adulte et plutôt minoritaires chez l'enfant [14].

ÉTIOLOGIE

Les causes de baisse visuelle unilatérales sont extrêmement variées, congénitales ou acquises, qu'il s'agisse d'opacité des milieux, d'anomalies rétiniennes, du nerf optique (tableau 12-III). En principe, la définition du strabisme sensoriel exclut les baisses de vision unilatérales dues à des amblyopies strabiques, mais pas toujours les baisses de vision dues à des amblyopies réfractives chez certains auteurs [14] - alors que ces deux types d'amblyopie sont probablement souvent intriqués.

image

Tableau 12- III - Classifi cation des causes de strabismes sensoriels.

Physiopathologie

Dans les strabismes sensoriels, l'anomalie de l'afférence sensorielle unilatérale (mauvaise qualité et/ou quantité de l'information visuelle transmise) est un obstacle à la fusion sensorielle et a pour conséquence la perte de la fusion motrice chez le sujet adulte et l'absence du développement normal de celle-ci chez le jeune enfant. Dans les formes acquises, tardives, de l'adulte ou du grand enfant, les phénomènes anatomiques, « passifs », l'emportent, avec comme conséquence une exotropie. Chez le petit enfant, on rencontrera soit des exotropies soit des ésotropies. Si l'anomalie est congénitale ou survient pendant la période critique pendant laquelle se met en place la triade fixation/rectitude des axes visuels/vision binoculaire, une ésotropie pourra survenir, les mécanismes de convergence (actifs) étant prépondérants pendant cette période [16-18]. Cette ésotropie pourra présenter toutes les caractéristiques motrices de l'ésotropie précoce (nystagmus manifeste latent, DVD), réalisant dans sa forme la plus sévère le tableau clinique de syndrome du monophtalme fonctionnel [15]. Comme dans tout strabisme de l'enfant, les signes pourront avoir une intensité variable d'un patient à un autre.

Bien qu'un certain nombre de théories aient été proposées, le plus souvent rien ne permet d'expliquer pourquoi un strabisme sensoriel de l'enfant est convergent ou divergent. Il semblerait que chez l'enfant il y ait environ autant d'exotropies que d'ésotropies avant l'âge de cinq ans (fig. 12-24) [14]. Passé cet âge, les ésotropies sensorielles sont rares (voire exceptionnelles) mais décrites. Aucun facteur dans l'étiologie de la baisse visuelle ne semble déterminer le sens de la déviation en dehors de l'âge de l'apparition du strabisme. La réfraction notamment ne semble pas avoir de rôle dans le sens de la déviation. Il a été suggéré que les patients hypermétropes présenteraient plutôt une convergence mais ceci n'est retrouvé dans aucune série [1614]. Seul Awaya retrouverait un rôle de la réfraction, les myopes présentant selon eux plutôt une exodéviation mais exceptionnellement une ésodéviation [1].

image

Fig. 12-24 Distribution de la fréquence du type de déviation en fonction de l'âge de la baisse visuelle.

(D'après Sidikaro et von Noorden, 1982 [14].)

Clinique
FORMES PRÉCOCES

Dans les strabismes sensoriels d'apparition précoce, les anomalies sensorielles retrouvées sont surtout conditionnées par la qualité de la vision du mauvais oil : en cas de vision nulle, il y aura une absence de correspondance rétinienne ; s'il existe une vision, une correspondance rétinienne anormale sera possible et un certain degré de vision simultané peut rarement être objectivé (synoptophore, test de Worth) mais cette vision binoculaire est toujours fruste, spécialement si la fonction visuelle de l'oil dévié est très mauvaise. La fonction visuelle du meilleur oil sera variable : l'acuité visuelle est souvent normale ou subnormale, mais dans certaines formes précoces sévères, elle pourra être diminuée (comme dans le tableau du monophtalme congénital).

Jusqu'à l'âge de cinq ans, les ésotropies sensorielles seraient aussi fréquentes que les exotropies sensorielles, d'angle variable [1418]. L'étiologie de la baisse visuelle ne semble pas avoir d'influence sur le sens de la déviation, notamment en cas de cataracte congénitale, où l'on retrouve environ autant d'ésotropies que d'exotropie [19]. Un facteur réfractif a été incriminé par certains auteurs (plus d'ésotropies en cas d'hypermétropie) mais celui-ci n'est pas clair ; cependant, il semblerait qu'en cas de cataracte congénitale opérée, les strabismes soient moins fréquents chez le pseudophake [19] que l'aphake, ces derniers semblant plus souvent ésotropes (fig. 12-25) [3]. En cas de cataracte unilatérale et quelle que soit la compensation optique (implant ou lentille de contact), les strabismes sont extrêmement fréquents (au moins 75 % des cas) [7].

En cas d'apparition précoce, on pourra retrouver tous les signes moteurs des strabismes précoces : nystagmus latent, DVD et, en cas d'ésotropie, une fixation en adduction, un torticolis. Ces anomalies peuvent être très marquées, réalisant parfois le tableau extrême du syndrome du monophtalme congénital - vision nulle d'un oil et fixation en adduction de l'oil fonctionnel, avec nystagmus manifeste et acuité visuelle réduite, témoins d'un développement très pathologique de tout le système visuel. Des abaissements ou, plus souvent, des élévations en adduction sont fréquemment retrouvés, ainsi que des syndromes alphabétiques. L'absence ou la mauvaise qualité de la fusion sensorielle peut être responsable d'anomalies des vergences (insuffisance de convergence ou spasmes en convergence).

image

Fig. 12-25 Exemple d'une patiente présentant une ésotropie sensorielle, d'apparition précoce, compliquant une cataracte congénitale de l'oil gauche opérée dans l'enfance (aphakie, acuité visuelle non chiffrable).

FORMES TARDIVES

Dans les formes tardives, les signes sensoriels sont dominés par la vision diminuée de l'oil dévié et la fonction normale de l'oil adelphe. Les capacités binoculaires sont liées à la vision résiduelle de l'oil dévié. La diplopie peut se rencontrer en cas de pathologie touchant la vision centrale qui a un rôle prépondérant dans la fusion sensorielle, la vision résiduelle périphérique peut suffire alors à causer une diplopie ; cette éventualité est cependant rare. En cas de baisse visuelle et de strabisme ancien, des diplopies incoercibles après restauration de la vision (après cataracte ou décollement de rétine) peuvent également être observées, de causes multiples : trouble oculomoteur préexistant rendu asymptomatique par la baisse visuelle, décompensation d'un trouble oculomoteur (hétérophorie), traumatisme d'un muscle oculomoteur lors de la chirurgie (décollement de rétine [12]) ou une anesthésie péri-bulbaire [4], diplopie liée à une altération de la qualité de la vision obstacle à la fusion (aniséiconie, aberration optique, métamorphopsies, ou disparité de la vision des contrastes) [5]. Exceptionnellement cette diplopie est attribuée à une rupture centrale de la fusion [11].

Dans les strabismes sensoriels tardifs, la déviation est quasi exclusivement toujours en divergence (fig. 12-26). Il s'agit d'exotropies d'angle variable, correspondant soit à l'évolution d'une exophorie préexistante qui décompense quand la vision baisse, soit à une déviation apparaissant secondairement à cette baisse de la vision. Il s'agit en général de strabismes à grand angle (10 ? à 70 ? dans la série de von Noorden [1418]). En cas de très grand angle (supérieur à 30 ? ou 40 ?), des anomalies verticales peuvent apparaître (élévation ou abaissement en adduction, hypertropie, syndromes alphabétiques). Il existe plusieurs hypothèses pouvant expliquer ces facteurs verticaux (cf. « V - Exotropie précoce »). On peut rencontrer souvent une incomitance loin-près (angle de loin plus important que celui de près, ou l'inverse).

image

Fig. 12-26 Exemple d'une patiente présentant une exotropie sensorielle tardive, secondaire à une baisse visuelle dans les suites d'un traumatisme oculaire gauche.

SPÉCIFICITÉS DE L'EXAMEN CLINIQUE DES STRABISMES SENSORIELS

La mesure des angles d'un strabisme sensoriel utilise la mesure par prismes et test à l'écran unilatéral alterné quand c'est possible. Cela ne l'est souvent pas (absence de fixation, fixation instable ou excentrique) et, dans ce cas, la mesure se fera aux reflets par la méthode de Hirschberg et surtout de Krimsky (cf. chapitre 11). S'il n'existe pas de trouble des ductions, on placera le prisme sur l'oil dévié ou sur l'oil fixateur sans que cela n'ait de réelle importance - si ce n'est qu'il peut être plus facile de centrer le reflet cornéen de l'oil dévié avec le prisme sur l'oil fixateur, notamment quand l'angle de déviation est grand.

On s'attachera à retrouver des anomalies des ductions, notamment d'un antécédent traumatique ou de décollement de rétine opéré, la déviation dans ces cas pouvant être non seulement due à une rupture de la fusion mais aussi à des phénomènes restrictifs (cicatrices fibreuses postchirurgicales, matériel d'indentation, etc.).

Évolution

L'évolution des strabismes sensoriels va varier en fonction de la cause de la baisse de vision et d'un traitement éventuel pouvant améliorer la fonction visuelle de l'oil dévié. Dans les ésotropies sensorielles, et comme dans toutes les ésotropies précoces, l'angle aura plutôt tendance à diminuer avec le temps. L'évolution des exotropies sensorielles est marquée par l'augmentation progressive de l'angle au cours de la vie.

Traitement

Le traitement médical repose sur le traitement éventuel de la cause de la baisse de vision. Par exemple s'il existe un strabisme associé à une cataracte, la déviation est due à la cataracte : il faut d'abord opérer celle-ci puis, si nécessaire, le strabisme dans un second temps.

Si une correction optique est nécessaire, elle devra être prescrite et portée. Dans un certain nombre de cas, elle permet d'améliorer la vision, et pas dans d'autres, mais elle peut contribuer à la diminution de l'angle (diminution d'une ésotropie en cas d'aphakie chez l'enfant, par exemple) ou parfois elle peut même l'augmenter (divergence qui augmente avec le port d'une correction hypermétropique). L'augmentation de l'angle avec la correction pourra être un objectif préalable à une intervention chirurgicale dans laquelle on cherche à corriger l'angle maximal.

Chez l'enfant, quelle que soit la cause de baisse de vision, une part fonctionnelle de l'amblyopie devra être traitée à chaque fois que cela est possible et que cela améliore la vision.

En cas de diplopie associée à une exotropie sensorielle, une prismation pourra éventuellement être discutée mais, le plus souvent, elle est impossible vu l'importance des angles souvent observés.

Les traitements chirurgicaux sont très souvent indiqués. En cas d'ésotropie chez l'enfant, une intervention chirurgicale n'est jamais une urgence en raison d'une possible diminution de l'angle avec le temps et du risque de passage en divergence secondairement. L'injection de toxine botulique dans les muscles droits médiaux peut constituer une solution d'attente [2]. En cas d'exotropie, la chirurgie est envisagée à chaque fois que l'angle est inesthétique et a un retentissement social. On cherchera toujours à traiter l'angle maximal en raison de l'évolution naturelle de l'angle, qui a tendance à augmenter avec le temps ; le patient doit être prévenu de la possibilité de plusieurs temps chirurgicaux. Le traitement chirurgical est guidé par l'examen préopératoire (mesure de l'angle, présence d'un torticolis de fixation éventuel) et par l'examen sous anesthésie générale mais, le plus souvent, une première intervention aura lieu sur l'oil dévié à l'éveil. On ne décidera pas d'une éventuelle intervention sur l'oil bien voyant sans l'accord formel du patient. Si une deuxième intervention est nécessaire, elle pourra éventuellement être réalisée sur le même oil ou sur le bon oil en fonction du protocole de la première intervention.

En cas de strabisme sensoriel, quelle qu'en soit la cause, les possibilités d'une intervention oculomotrice à visée esthétique, même si elle n'a aucune finalité fonctionnelle, doivent être exposées au patient. Les strabismes sensoriels de l'adulte s'inscrivent en général dans un contexte de baisse souvent sévère de la vision d'un oil (expérience généralement douloureusement vécue) et les conséquences esthétiques de cette perte fonctionnelle ont souvent un retentissement psychologique et social ; ces patients sont souvent très demandeurs de chirurgie de leur strabisme et les résultats sont souvent très gratifiants. Si le segment antérieur de l'oil dont la vision est abaissée est remanié, la chirurgie oculomotrice devra éventuellement être complétée par un équipement prothétique (lentille esthétique, voire coque sclérale si elles sont tolérées). L'énucléation (éviscération) puis l'équipement par prothèse sclérale ne peuvent s'envisager qu'exceptionnellement, quand il n'y a aucune autre solution esthétique satisfaisante à proposer sur un oil non voyant (non-tolérance d'une prothèse sclérale sur oil en place).

Conclusion

Les strabismes sensoriels représentent une forme assez fréquente de strabisme, en particulier chez l'adulte. Le traitement de la cause de la baisse de vision aussi fréquemment que cela est possible, et la correction optique pour assurer la meilleure fonction visuelle possible doivent être systématiquement envisagés mais, le plus souvent, un traitement chirurgical sera à proposer pour améliorer l'aspect esthétique du strabisme.

Bibliographie

[1]  Awaya S, Miyake S. Form vision deprivation amblyopia: further observations. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol, 1988 ; 226 : 132-136.

[2]  Dawson EL, Sainani A, Lee JP. Does botulinum toxin have a role in the treatment of secondary strabismus? Strabismus, 2005 ; 13 : 71-73.

[3]  France TD, Frank JW. The association of strabismus and aphakia in children. J Pediatr Ophthalmol Strabismus, 1984 ; 21 : 223-226.

[4]  Hamada S, Devys JM, Xuan TH, et al. Role of hyaluronidase in diplopia after peribulbar anesthesia for cataract surgery. Ophthalmology, 2005 ; 112 : 879-882.

[5]  Hamed LM. Strabismus presenting after cataract surgery. Ophthalmology, 1991 ; 98 : 247-252.

[6]  Havertape SA, Cruz OA, Chu FC. Sensory strabismus - eso or exo? J Pediatr Ophthalmol Strabismus, 2001 ; 38 : 327-330.

[7]  Lambert SR, Lynn M, Drews-Botsch C, et al. A comparison of grating visual acuity, strabismus, and reoperation outcomes among children with aphakia and pseudophakia after unilateral cataract surgery during the first six months of life. J AAPOS, 2001 ; 5 : 70-75.

[8]  Lanthony P. Dictionnaire du strabisme. A et J Péchereau éditeurs, 1983 : 182.

[9]  Magramm I, Schlossman A. Strabismus in patients over the age of 60 years. J Pediatr Ophthalmol Strabismus, 1991 ; 28 : 28-31.

[10]  Mohney BG. Common forms of childhood strabismus in an incidence cohort. Am J Ophthalmol, 2007 ; 144 : 465-467.

[11]  Pratt-Johnson JA, Tillson G. Intractable diplopia after vision restoration in unilateral cataract. Am J Ophthalmol, 1989 ; 107 : 23-26.

[12]  Sauer A, Bouyon M, Bourcier T, et al. Diplopie dans les suites du traitement chirurgical de décollement de rétine par cryo-indentation. J Fr Ophtalmol, 2007 ; 30 : 785-789.

[13]  Scott WE, Kutschke PJ, Lee WR. 20th annual Frank Costenbader Lecture - Adult strabismus. J Pediatr Ophthalmol Strabismus, 1995 ; 32 : 348-352.

[14]  Sidikaro Y, von Noorden GK. Observations in sensory heterotropia. J Pediatr Ophthalmol Strabismus, 1982 ; 19 : 12-19.

[15]  Spielmann AT. The optomotor syndrome of congenital uni ocular organic amblyopia, in Trans 16th meeting European Strabismus Association. Gahmig Druck, Giessen, 1987 : 291.

[16]  Tychsen L. Binocular vision. In : Adler's physiology of the eye. Clinical application. Kaufman PL, Alm A (eds). 10th edition. St Louis, CV Mosby, 2002 : 773-853.

[17]  Tychsen L. Strabismus: the scientific basis. In : Pediatric ophthalmology and strabismus. Taylor D, Hoyt CS (eds). 3rd edition. Elsevier, 2005 : 836-848.

[18]  Von Noorden GK. Binocular vision and ocular motility. 6th edition. St Louis, CV Mosby, 2002.

[19]  Weisberg OL, Sprunger DT, Plager DA, et al. Strabismus in pediatric pseudophakia. Ophthalmology, 2005 ; 112 : 1625-1628.

IX - Traitement médical des strabismes

A. Sauer, C. Speeg-Schatz

La France compte environ 1 million d'amblyopes et 1,5 million de strabiques. La prise en charge de ces patients doit être faite par les ophtalmologistes et les orthoptistes. Le rôle des opticiens dans la délivrance d'une correction optique adaptée est non négligeable. De plus, il faut avoir à l'esprit que la prise en charge du strabisme est une urgence fonctionnelle. En effet, tout strabisme négligé conduira à une amblyopie [3].

L'articulation des moyens repose sur un trio : ophtalmologiste, orthoptiste, opticien. La prise en charge du strabisme est du ressort de l'ophtalmologiste. Il intervient dans le bilan diagnostic, le choix des méthodes et le suivi du patient. L'orthoptiste joue un rôle fondamental dans le bilan et le suivi du strabisme (test de correspondance rétinienne, mesure de la vision binoculaire, mesure de l'angle de déviation). Son rôle est particulièrement important dans le suivi de l'amblyopie. Le rôle de l'opticien est sensible puisqu'il doit délivrer une monture adaptée, qui représente une des clés de la réussite de la correction optique.

  • La prise en charge médicale du strabisme est une urgence fonctionnelle face au risque d'apparition d'une amblyopie.

  • La correction optique totale après mesure de la réfraction objective sous cycloplégique est toujours indiquée chez l'ensemble des patients strabiques quel que soit l'âge.

  • L'occlusion demeure la méthode de référence de traitement de l'amblyopie.

Enjeux du traitement médical

De nombreuses études ont montré l'intérêt du dépistage précoce et de la prise en charge urgente du strabisme. En effet, tout retard de prise en charge entraînera une amblyopie d'autant plus difficile à rééduquer. À l'inverse, un traitement précoce conduira à 95 % de succès [14]. De plus, le strabisme impose un bilan complet afin de ne pas méconnaître une lésion organique évolutive. Quelles que soient les méthodes thérapeutiques proposées, l'implication des parents est aussi nécessaire pour répondre aux objectifs du traitement. Une information précise sur la pathologie et surtout sur la nécessité d'une prise en charge toujours longue (plusieurs années) est indispensable pour garantir une compliance satisfaisante au traitement - la non-compliance est la principale cause d'échec [3].

Enfin, bien que le traitement chirurgical apporte de nombreux bénéfices, la prise en charge médicale du strabisme est toujours nécessaire  :

  • elle permet de traiter l'amblyopie ;

  • elle gomme la neutralisation et réduit la correspondance rétinienne anormale ;

  • elle supprime l'angle de déviation dans près de 20 % des cas (strabismes accommodatifs) et le réduit dans 60 % des cas (strabismes partiellement accommodatifs) [910].

Moyens du traitement médical
CORRECTION OPTIQUE

La correction optique s'impose pour deux raisons. Dans la plupart des strabismes, une amétropie unilatérale ou bilatérale conduit à un déficit sensoriel (baisse d'acuité visuelle) qu'il convient de corriger. L'amétropie est aussi à l'origine d'un dérèglement oculomoteur qui sera réduit par la correction [2]. Se fondant sur de nombreux substrats physiopathologiques (cf. sections précédentes), toutes les études s'accordent sur la prescription de la correction optique totale après mesure de la réfraction objective sous cycloplégiques. La cycloplégie peut être obtenue soit par l'instillation de cyclopentolate, soit par l'instillation d'atropine (tableau 12-IV). Le cyclopentolate a pour avantage sa facilité d'utilisation (protocole court permettant de connaître la réfraction dès la première consultation) et un nombre réduit d'effets indésirables. Son autorisation de mise sur le marché limite son indication aux enfants de plus d'un an, même si l'expérience clinique acquise dans de nombreux centres montre son innocuité avant un an. L'atropine est en revanche plus indiquée chez les patients mélanodermes ou en cas de réfraction douteuse sous cyclopentolate. Les effets indésirables systémiques de l'atropine sont réels et sa prescription doit être encadrée de multiples recommandations [68].

Une fois la réfraction obtenue, la correction optique totale passe en général par la prescription d'une paire de lunettes. La coopération avec des opticiens compétents et au courant des spécificités des montures pour enfant est indispensable. La monture de l'enfant de moins de six ans sera en général monobloc en plastique avec un pont bas. Parmi les corrections optiques, l'essor des verres progressifs s'est confirmé dans l'incomitance loin-près après cinq à six ans et permet de bons résultats. La durée de port de ces verres reste cependant difficile à prévoir. Les effets spectaculaires sont immédiats et la baisse de l'addition se fait sur plusieurs années [2].

La prescription de lentilles de contact est rare et repose uniquement sur les lentilles rigides perméables aux gaz. La chirurgie réfractive est bien évidemment contre-indiquée.

image

Tableau 12-IV -  Les différentes possibilités de cycloplégie.

OCCLUSIONS

Deux critères entrent en jeu lors de la prescription d'une occlusion : l'esthétique, qui est un aspect essentiel car elle conditionne la compliance au traitement, et l'efficacité. Parmi les moyens efficaces d'occlusion, le meilleur demeure toujours l'occlusion sur peau, qui constitue le traitement d'attaque de toutes les amblyopies. C'est le traitement le plus efficace de l'amblyopie. Sa durée sera fixée selon la profondeur d'amblyopie et le moment du suivi. En traitement d'attaque et à partir de deux ans, une semaine d'occlusion totale (24 heures sur 24 avec changement du patch dans le noir) par année d'âge est indiquée - par exemple, à trois ans, on fera trois semaines d'occlusion totale et on reverra l'enfant. En entretien, la durée d'occlusion sera progressivement réduite jusqu'à l'âge de six à huit ans. Elle permet de supprimer ou de réguler une dominance anormale. Enfin, l'occlusion permet de lever une partie du contentieux moteur en forçant l'oil à explorer l'ensemble de l'espace. Son principal défaut est le rejet psycho-cutané : après quelques mois à quelques années, de nombreux patients ne sont plus compliants en raison du préjudice esthétique induit par les caches. De plus, l'occlusion est spasmogène [14].

PÉNALISATIONS OPTIQUES

De nombreuses techniques de pénalisations optiques peuvent être utilisées dans des conditions bien définies. Les plus classiques sont la pénalisation de loin et, dans certaines indications précises, la pénalisation de près.

La pénalisation de loin (surcorrection de + 3 ? sur l'oil fixateur) est la méthode la plus usitée. Elle comporte de nombreuses indications, souvent en relais de l'occlusion : en alternance dans les strabismes précoces lorsqu'il existe une intolérance à l'occlusion, en unilatéral dans les strabismes monoculaires afin de lutter contre la dominance anormale, les amblyopies fonctionnelles négligées chez l'enfant d'âge scolaire refusant l'occlusion, la prophylaxie de la récidive d'amblyopie. La pénalisation de loin ne doit pas être utilisée lorsque la vision de l'oil dominé est inférieure à 4/10 ou 5/10, car l'enfant regardera naturellement au-dessus de sa monture.

La pénalisation totale (cycloplégie atropinique et sous-correction de - 4 ? à - 6 ?) trouve sa rare indication dans les rejets du traitement occlusif, mais est souvent contournée par l'enfant en regardant simplement au-dessus de son verre. La pénalisation de près (oil fixateur : correction optique totale et cycloplégie ; oil dominé : surcorrection optique de + 3 ?) permet de spécialiser l'oil amblyope en vision de près et trouve son indication dans les amblyopies rebelles à l'occlusion. Ces méthodes ne sont plus guère utilisées [14].

SECTORISATION ET PRISMES

La méthode historique est la sectorisation binasale des ésotropies précoces. Elle permet théoriquement à l'oil dominé de prendre la fixation et interdit la vision simultanée tant qu'une déviation non compensée persiste. Cette méthode était largement prescrite, mais ses indications se sont réduites avec l'émergence de la toxine botulique [157].

Le but des prismes est de permettre une vision binoculaire normale en compensant la déviation. Des tests d'adaptation avant la prescription sont indispensables. En principe, la présence d'une amblyopie est une contre-indication à la prismation, mais des résultats satisfaisants ont été obtenus dans des amblyopies légères [1]. Les prismes trouvent principalement leur place dans les paralysies oculomotrices à la phase séquellaire.

Conclusion

La prise en charge médicale du strabisme est une urgence fonctionnelle face au risque d'apparition d'une amblyopie et de méconnaissance d'une cause organique. Devant tout strabisme, la correction optique totale après mesure de la réfraction objective sous cycloplégique est la première étape du traitement.

Bibliographie

[1]  Campos EC, Fresina M. Medical treatment of amblyopia: present state and perspectives. Strabismus, 2006 ; 14 : 71-73.

[2]  De Respinis PA. Eyeglasses: why and when do children need them ? Pediatr Ann, 2001 ; 30 : 455-461.

[3]  Donahue SP. Clinical practice. Pediatric strabismus. N Engl J Med, 2007 ; 356 : 1040-1047.

[4]  Doshi NR, Rodriguez ML. Amblyopia. Am Fam Physician, 2007 ; 75 : 361-367.

[5]  Dutton JJ, Fowler AM. Botulinum toxin in ophthalmology. Surv Ophthalmol, 2007 ; 52 : 13-31.

[6]  Fan DS, Rao SK, Ng JS, Yu CB, Lam DS. Comparative study on the safety and efficacy of different cycloplegic agents in children with darkly pigmented irides. Clin Experiment Ophthalmol, 2004 ; 32 : 462-467.

[7]  Hutcheson KA. Childhood esotropia. Curr Opin Ophthalmol, 2004 ; 15 : 444-448.

[8]  Loewen N, Barry JC. The use of cycloplegic agents. Results of a 1999 survey of German-speaking centers for pediatric ophthalmology and strabology. Strabismus, 2000 ; 8 : 91-99.

[9]  Mocan MC, Azar N. Surgical timing for infantile esotropia. Int Ophthalmol Clin, 2005 ; 45 : 83-95.

[10]  Simonsz HJ, Kolling GH. Best age for surgery for infantile esotropia. Eur J Paediatr Neurol, 2011 ; 15 : 205-208.