Chapitre 13Nystagmus avec strabisme

F. Oger-Lavenant, A. Péchereau

Nystagmus avec strabisme au premier plan
A. Péchereau

Il s’agit d’une situation classique, qui recouvre la totalité des strabismes précoces. Elle a été l’objet d’une discussion sans fin il y a une vingtaine d’années [12] : devait-on les classer dans les nystagmus ou dans les strabismes ? Les uns (les strabismes) sont une pathologie de l’équilibre réciproque ; les autres (les nystagmus) sont une pathologie de l’équilibre conjuguée (fig. 13-1). Comme ces deux équilibres se mettent en place sensiblement en même temps, et que l’un réagit sur l’autre et réciproquement, toute distinction est de ce fait quelque peu arbitraire et toute classification est recevable.

De ce fait, nous avons retenu comme principe que :

  • quand le strabisme est au premier plan de l’examen clinique, ces patients devaient être classés dans les strabismes. Ils sont même de façon quasi systématique dans le groupe des strabismes précoces ;

  • quand le nystagmus est au premier plan de l’examen clinique, ces patients devaient être classés dans les tropies nystagmiques (cf.  infra).

Ces patients présentent de façon quasi systématique une sensorialité anormale.

Rappelons que le nystagmus latent est pathognomonique d’une sensorialité anormale et d’une origine ophtalmologique. Contrairement à ce qui a été dit il y a une trentaine d’années, le nystagmus latent n’est jamais une contre-indication à la prescription d’une occlusion en cas d’amblyopie.

De ce fait, il est donc simple de comprendre que les nystagmus avec strabisme au premier plan seront retrouvés dans le chapitre du « strabisme précoce » (cf.  « I – Syndrome du strabisme précoce » au chapitre 12).

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Fig. 13-1 Répartition des différentes populations et leurs liens (la superficie de chaque surface n’a aucun lien avec les proportions réelles).

NML, nystagmus manifeste latent ; CRA, correspondance rétinienne anormale ; K.A. : syndrome de Kestenbaum-Anderson.

Strabisme avec nystagmus au premier plan
A. Péchereau

C’est une situation bien classique. L’importance du nystagmus n’a jamais posé de problème de classification. Ces patients ont toujours été classés dans les nystagmus. Cependant, dans les faits, l’association d’un strabisme et d’un nystagmus est souvent pathognomonique de l’association d’un strabisme précoce et d’un nystagmus. Ceci ayant des conséquences chirurgicales importantes (cf.  infra, « Nystagmus de l’adulte avec strabisme ») (fig. 13-2 et 13-3), il est de ce fait important de bien les individualiser. C’est pourquoi le professeur M.-A. Quéré les avait appelés les « tropies nystagmiques » [1].

Ces strabismes avec nystagmus au premier plan s’accompagnent de façon quasi systématique d’une sensorialité anormale.

Avec l’épreuve du temps, cette distinction nous semble toujours heureuse. Elle montre l’importance devant un nystagmus, comme devant tout trouble oculomoteur, de l’existence ou non d’une sensorialité normale. Comme nous l’avons déjà dit, cela a des conséquences chirurgicales majeures du fait que le thérapeute ne peut s’appuyer sur une sensorialité normale.

De plus, dans un certain nombre de situations et malgré un strabisme, l’œil dominé sera dans une position de rectitude par rapport à la tête dans la position de torticolis. De ce fait, l’opérateur devra veiller à faire porter son action sur l’œil dominant, sinon la diminution de la déviation strabique aura pour conséquence soit une inefficacité soit une aggravation du torticolis rendant la prise en charge encore plus difficile.

Ces patients présentent très souvent une amblyopie bilatérale du fait d’une pathologie organique associée et une amblyopie unilatérale de l’œil dévié. Ces cas doivent être traités par l’occlusion de l’œil dominant — contrairement à ce qui a été dit il y a une trentaine d’années. L’augmentation de la vision de l’œil dominé s’accompagne souvent d’une amélioration de l’œil dominant malgré l’occlusion, montrant que la réalité de ces patients est complexe (cf.  chapitre 6 consacré à l’amblyopie).

De ce fait, il est donc simple de comprendre que les strabismes avec nystagmus au premier plan seront retrouvés au chapitre 7 consacré aux nystagmus chez l’enfant et aux nystagmus chez l’adulte, ainsi que ci-dessous (« Nystagmus de l’adulte avec strabisme »).

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Fig. 13-2 Torticolis tête tournée à droite et (éso)tropie nystagmique.

a. Déviation strabique discrète (l’abduction de l’œil gauche est sensiblement égale à l’adduction de l’œil droit) ; patient à traiter par une procédure de Kestenbaum-Anderson. b. Torticolis d’adduction de l’œil droit avec une ésotropie égale au torticolis d’adduction. L’œil gauche est en rectitude. La chirurgie ne devra porter que sur l’œil droit et réglera le torticolis et l’ésotropie dans le même temps opératoire. c. Torticolis d’adduction de l’œil droit avec une ésotropie majeure. L’œil gauche est en adduction importante. Dans le premier temps opératoire, la chirurgie devra porter sur l’œil droit. Cette chirurgie corrigera le torticolis et une partie de la déviation. Du fait, du résultat mal prévisible de la chirurgie sur la déviation, il est préférable de séquencer la prise en charge chirurgicale. Le deuxième temps portera éventuellement sur l’œil gauche.

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Fig. 13-3 Torticolis tête tournée à gauche et (exo)tropie nystagmique.

a. Déviation strabique discrète (l’abduction de l’œil droit est sensiblement égale à l’adduction de l’œil gauche) ; patient à traiter par une procédure de Kestenbaum-Anderson. b. Torticolis d’abduction de l’œil droit avec une exotropie égale au torticolis d’adduction. L’œil gauche est en rectitude. La chirurgie ne devra porter que sur l’œil droit et réglera le torticolis et l’exotropie dans le même temps opératoire. c. Torticolis d’abduction de l’œil droit avec une exotropie majeure. L’œil gauche est en abduction importante. Dans le premier temps opératoire, la chirurgie devra porter sur l’œil droit. Cette chirurgie corrigera le torticolis et une partie de la déviation. Du fait, du résultat mal prévisible de la chirurgie sur la déviation, il est préférable de séquencer la prise en charge chirurgicale. Le deuxième temps portera éventuellement sur l’œil gauche.

Nystagmus de l’adulte avec strabisme
F. Oger-Lavenant

Devant un patient présentant un nystagmus associé à un strabisme, nous devons éliminer une pathologie organique ; donc, par un examen ophtalmologique complet, il faut rechercher le caractère acquis ou congénital des troubles oculomoteurs.

L’anamnèse, l’inspection, l’examen sensoriel (acuité visuelle, réfraction, vision binoculaire), l’examen oculomoteur et l’examen des globes oculaires permettent dans la majorité des cas de soupçonner une atteinte organique ou non et, dans le doute, le patient sera confié selon son âge au neuro-ophtalmologue ou au médecin interniste.

Nous envisagerons les principales situations rencontrées en pratique clinique :

  • nystagmus acquis chez un sujet strabique ;

  • déviation oculaire survenant chez un patient nystagmique ;

  • le cas particulier de la tropie nystagmique.

L’examen d’un patient adulte présentant un nystagmus et un strabisme nécessite de bien connaître les signes de précocité d’un strabisme et d’assurer une anamnèse soigneuse afin d’étayer le caractère acquis ou congénital du nystagmus.

NYSTAGMUS ACQUIS CHEZ UN ADULTE STRABIQUE

Notre vigilance est facilement alertée lorsqu’un patient qui connaît son strabisme depuis son enfance se plaint d’oscillopsies ou, si le nystagmus est de faible amplitude, de vision floue qui est expliquée à l’examen devant l’existence d’un nystagmus. Mais le patient vient parfois pour accentuation de son strabisme et impression de vision floue et l’examen retrouve un nystagmus sans composante latente.

À l’inverse, un patient peut ignorer qu’il présente une microtropie congénitale, que nous confirmerons par l’absence de vision binoculaire. Mais devant des oscillopsies le caractère acquis sera certain ; cependant ce patient peut se plaindre uniquement de vision floue et notre examen découvre à la fois une microtropie qu’il ignorait et un nystagmus de faible amplitude. Si l’examen oculomoteur découvre une composante latente nystagmique, il s’agit d’une tropie nystagmique donc d’une atteinte congénitale. En cas de non-amélioration de l’acuité visuelle lors de la consultation, il faut envisager une exploration complète des globes oculaires et, si ceux-ci sont normaux, des voies visuelles rétro-oculaires.

Dans les strabismes congénitaux avec nystagmus latent, on observe une asymétrie du nystagmus latent en raison du nystagmus acquis associé : un nystagmus latent bat toujours vers l’œil découvert ; ainsi, si le nystagmus acquis bat vers la droite, les secousses du nystagmus acquis et du nystagmus latent de l’œil droit vont s’additionner, à l’inverse sur l’œil gauche, les sens des nystagmus sont opposés et le nystagmus latent résultant paraîtra moins ample. Le nystagmus latent étant souvent plus important sur l’œil dominé voire amblyope que sur l’œil directeur, le tableau inverse doit attirer l’attention chez un patient sans antécédents de nystagmus patent connu.

L’anamnèse peut orienter vers une affection ORL si des épisodes de vertiges ont eu lieu ou directement en neuro-ophtalmologie si le tableau ophtalmologique est isolé ou associé à des troubles neurologiques extraoculaires.

DÉVIATION OCULAIRE SURVENANT CHEZ UN PATIENT ADULTE NYSTAGMIQUE

Devant un patient connaissant l’existence de son nystagmus et venant consulter pour une diplopie peuvent se poser deux questions : soit le patient déneutralise une déviation strabique ancienne soit le patient a un strabisme qui s’accentue véritablement.

DÉNEUTRALISATION

La déneutralisation a pu être favorisée par une rééducation active effectuée chez un patient sans vision binoculaire si son strabisme était précoce ou chez un patient amblyope.

APPARITION D’UNE DÉVIATION OCULAIRE

La déviation peut être due à une atteinte de nerfs oculomoteurs confirmée par l’existence d’une impotence de duction ; son étiologie sera évoquée en fonction de l’âge du patient (cf.  chapitre 14).

Une déviation qui s’accentue peut correspondre :

  • à la décompensation d’une microtropie qui, chez un adulte, est responsable d’une diplopie ; en règle il s’agit d’un strabisme précoce sans vision binoculaire et on ne trouve pas d’impotence ;

  • à la décompensation d’une exophorie ou d’une ésophorie : mais, si celle-ci n’était pas connue, chez un patient nystagmique apprécier une parésie n’étant pas évident, il est parfois nécessaire d’effectuer un bilan neuro-ophtalmologique ;

  • à l’augmentation de la déviation chez un patient fort myope nystagmique qui, en raison de la taille de ses globes, présente parfois une impotence horizontale ou verticale de duction nous conduisant à éliminer une atteinte neuro-ophtalmologique.

TROPIE NYSTAGMIQUE

La tropie nystagmique est l’association d’un strabisme précoce, convergent ou divergent, et d’un nystagmus. Comme le strabisme est précoce, le patient présente souvent une composante latente de son nystagmus, une divergence verticale dissociée (DVD) et un torticolis de fixation par l’œil directeur en adduction ou en abduction. Le torticolis peut être important alors que la déviation est minime ou modérée, conduisant l’adulte nystagmique à une demande de réduction du torticolis en raison de la gêne relationnelle engendrée ou de la gêne cervicale au fil du temps. Le syndrome du monophtalme congénital appartient à cette catégorie oculomotrice (cf.  « I – Syndrome du strabisme précoce » au chapitre 12). Comme pour toute pathologie oculomotrice, la correction optique totale déterminée sous cycloplégie est indispensable pour réduire les signes fonctionnels voire la déviation strabique.

La réduction du torticolis de fixation par l’œil directeur implique une chirurgie de la position de l’œil directeur. Le plus souvent, dans les ésotropies l’œil directeur fixe en adduction et dans les exotropies en abduction mais, dans de rares cas, le tableau est inverse, impliquant deux chirurgies. Lorsque le torticolis est plus important que la déviation, deux chirurgies sont également nécessaires : l’une sur l’œil directeur dans un premier temps pour réduire le torticolis et l’autre sur l’œil dominé pour traiter le strabisme résiduel.

Mais un patient porteur d’une tropie nystagmique peut présenter une pathologie organique surajoutée :

  • la perception d’oscillopsies et une diplopie doivent conduire à un bilan neuro-ophtalmologique ;

  • la baisse d’acuité visuelle non améliorable après avoir vérifié la réfraction implique la recherche d’anomalie du globe oculaire ou des voies rétro-oculaires.

Conclusion

Chez un patient porteur d’un nystagmus et d’un strabisme, après avoir éliminé le caractère organique d’un ou des deux symptômes, le meilleur confort visuel sera assuré par la prescription de la correction optique totale.

Bibliographie

[1]  Quéré M-A. Physiopathologie de l’équilibre oculomoteur. Paris, Masson, 1983.

[2]  Spielmann A. Les strabismes. De l’analyse clinique à la synthèse chirurgicale. 2e édition. Paris, Masson, 1991.