Chapitre 18Organisation professionnelle

Ch. Costet, N. Gambarelli, A. Péchereau

Organisation du cabinet médical
Ch. Costet, N. Gambarelli

La consultation de strabologie, adulte ou enfant, est souvent longue et délicate, qu’elle soit effectuée par un ophtalmologiste strabologue ou non spécialisé. La collaboration étroite avec les orthoptistes trouve ici une application particulièrement justifiée, que ce soit en milieu hospitalier ou libéral.

PRINCIPES GÉNÉRAUX
SÉLECTION DES PATIENTS

L’orientation du patient pour une consultation commence dès la prise des rendez-vous : s’agit-il d’un adulte, d’un enfant, d’un bébé ? quel est le problème qui motive la demande de rendez-vous ?

Si une notion de strabisme est évoquée, le patient est informé d’une consultation orthoptique précédant la consultation d’ophtalmologie.

Il est recommandé de prévoir la possibilité d’une dilatation pupillaire et donc d’être accompagné par un tiers. Le patient est prévenu que le temps global d’examen sera probablement long, mais évitera des déplacements itératifs et donnera d’emblée un bilan complet.

RÔLE DE L’ORTHOPTISTE

Les orthoptistes sont actuellement les auxiliaires paramédicaux les plus proches des ophtalmologistes : en France, leur démographie est en constante croissance, à l’opposé de la pénurie constatée des ophtalmologistes.

Depuis la création du diplôme de certificat de capacité d’aide orthoptiste en 1956 (renommé certificat de capacité d’orthoptiste en 1972), les relations de travail entre ophtalmologistes et orthoptistes n’ont cessé d’évoluer :

  • en 2005, une expérimentation de coopération entre ophtalmologistes et orthoptistes a été menée dans deux cabinets d’ophtalmologie de ville du Mans (Sarthe). La synthèse des résultats a été publiée en 2006, dans le Rapport Berland de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé [1] : bonne faisabilité du binôme ophtalmologiste-orthoptiste pour les examens de la vision, pas de perte de chance pour le patient (qualité et sécurité de l’examen assurées par la formation des orthoptistes, la possibilité d’une interaction permanente entre ophtalmologistes et orthoptistes), gain de temps médical. Dans les suites de ce Rapport, la loi de financement de la Sécurité sociale (modifiant le Code de la santé publique) a été complétée1 ;

  • l’amélioration de la formation des orthoptistes et l’augmentation de leur nombre ont fait partie, en 2006, des cinq propositions du SNOF, pour faire face aux besoins de la population en soins oculaires et aider à absorber un surcroît futur d’activité [2] ;

  • le décret des compétences des orthoptistes, qui datait de 2001, a été modifié le 27 novembre 2007 (décret 2007-1671)2 : il a permis de redéfinir les différents examens que peuvent pratiquer les orthoptistes en exercice libéral sur prescription médicale, ou en exercice salarié ; certains de ces examens ne peuvent être effectués que sous la responsabilité d’un médecin ophtalmologiste, uniquement en cabinet médical ;

  • le rapport Bressand en 2008 [3] a élargi encore les perspectives d’évolution des pratiques professionnelles des orthoptistes, en envisageant la création d’une consultation orthoptique avec série de tests et d’examens, auxquels le médecin pourrait se référer pour sa consultation.

La vocation initiale des orthoptistes nous conforte dans la nécessité du développement d’une collaboration entre les deux professions au sein de consultations spécifiques de strabologie.

Au sein d’un cabinet médical, l’orthoptiste peut exercer son activité selon un mode libéral ou salarié :

  • l’exercice des orthoptistes en libéral est réglementé par le Code de santé publique : les actes orthoptiques ne peuvent être effectués que sur prescription médicale (et pas seulement par des ophtalmologistes). Dans la nomenclature, tous les actes sont cotés exclusivement à partir d’une lettre clé AMY. L’orthoptiste doit établir les documents nécessaires à la prise en charge du remboursement du patient par la caisse de Sécurité sociale. Une convention nationale3 a été signée en 1999 : neuf avenants ont depuis modifié la réglementation des actes orthoptiques, la nomenclature et les tarifs conventionnels ; le dernier, datant de mai 2012, concerne l’obligation de télétransmission d’une part et la revalorisation de certains actes prouvant la continuelle évolution de la profession : « (…) Au regard des perspectives démographiques des professions de santé, les partenaires conventionnels sont convenus de la nécessité de développer de nouveaux rôles pour la profession d’orthoptiste afin d’améliorer l’accès aux soins des assurés sur le territoire national en matière de santé visuelle (…) » ;

  • si l’orthoptiste est salarié, il dépend de la convention des cabinets médicaux : c’est le médecin qui cotera et encaissera les actes orthoptiques en AMY en plus de ses actes médicaux ;

  • le bilan orthoptique est coté AMY10 et comprend, entre autres, l’évaluation de la réfraction, un bilan moteur et sensoriel de la vision binoculaire ; certains actes comme le Hess-Weiss ou le Lancaster peuvent s’ajouter avec une cotation AMY4 qui vient se rajouter à l’AMY10. Le bilan des troubles neurovisuels (dyspraxie, par exemple) doit bientôt bénéficier d’une nouvelle cotation (avenant n° 9 de mai 2012) ;

  • l’orthoptiste peut également, hors des plages de consultations du praticien, assurer la prise en charge des pathologies oculomotrices, les bilans préopératoires, le suivi postopératoire ou le suivi des amblyopies.

ORGANISATION DU CABINET

Les deux cabinets médicaux que nous avons pris pour type de description sont à forte orientation strabologique, bien que cette activité ne soit pas exclusive. Plusieurs demi-journées sont donc dévolues à cette pratique, mais les mêmes principes peuvent s’appliquer uniquement sur une ou deux demi-journées, pour des praticiens à activité strabologique plus restreinte.

Que l’ophtalmologiste strabologue travaille seul dans son cabinet ou au sein d’un cabinet de groupe avec d’autres ophtalmologistes à orientation différente, l’organisation du cabinet en matière de motricité oculaire doit garder son autonomie.

LOGICIEL INFORMATIQUE

Un logiciel spécifique assure le fonctionnement du cabinet et est à la base de l’organisation des dossiers :

  • gestion des agendas : il permet d’affecter un rendez-vous à un patient, de le déplacer, de noter les détails utiles et de visualiser la chronologie des consultations ;

  • gestion de toutes les données relatives aux patients dans une fiche d’état civil ;

  • gestion des courriers ;

  • gestion de la chirurgie : le logiciel est en réseau avec la clinique, permettant la transmission des programmes opératoires, ainsi que des prescriptions pré- et postopératoires ;

  • stockage des photos et des vidéos pré- et postopératoires.

Le logiciel est également en relation avec les différents appareillages optiques, frontofocomètres, autoréfractomètres, tonomètres, permettant l’enregistrement direct des données sur le dossier. L’utilisation de mots-clés permet l’identification des patients par pathologies ou par actes chirurgicaux. Le logiciel permet enfin la gestion de la comptabilité au jour le jour.

LOCAUX

Ils se composent de trois parties bien distinctes :

  • le secrétariat (fig. 18-1) : deux secrétaires y sont présentes la plus grande partie de la journée, l’une dédiée au téléphone, l’autre à l’accueil des patients ; en fin de journée, le standard est mis sur répondeur et une seule secrétaire assure la fin de la consultation jusqu’au départ du dernier patient ;

  • la salle d’attente (fig. 18-2) : elle est conviviale et présente une aire de jeu réservée aux enfants ; l’espace est coloré, agrémenté de jouets pour les tout-petits, de livres pour les plus grands :

    • dans un des deux cabinets, un aquarium captive l’attention des enfants ;

    • dans l’autre, les lettres d’alphabet qui ornent les murs et les stickers colorés qui agrémentent les parois de l’aire de jeu sont soumis à rude épreuve et nécessitent des renouvellements fréquents… ;

    • les enfants sont heureux dans ces espaces ; le stress est diminué ; l’attente est beaucoup mieux supportée ;

  • les bureaux d’examens, box d’orthoptie proche du bureau du médecin, permettent le bon déroulement de la consultation.

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Fig. 18-1 Secrétariats de cabinets d’ophtalmologie spécialisés en strabologie.

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Fig. 18-2 Salles d’attente de cabinets d’ophtalmologie spécialisés en strabologie.

PERSONNEL

En cabinet privé, à la différence de ce qui se passe à l’hôpital, le médecin n’est pas aidé par des internes ou autres collaborateurs médicaux dans son exercice quotidien. Le contact direct avec les patients s’en trouve renforcé, mais la charge de travail et de responsabilités en est également accrue.

C’est dire l’importance de l’« équipe » qui l’entoure :

  • la secrétaire médicale : premier interlocuteur avant le médecin, elle assure l’accueil au téléphone et au cabinet ;

  • l’orthoptiste : principal collaborateur de l’ophtalmologiste, elle assure le premier contact médical avec le patient.

MATÉRIEL

Le bureau du médecin est équipé de façon conventionnelle par une table tournante avec projecteur de test, lampe à fente et Javal, boîte de verres, ophtalmoscope, verres pour exploration du fond d’œil. Réfractomètre et lampe à fente portable sont d’un grand intérêt pour l’examen des tout-petits.

Les box d’orthoptie ont un équipement complet sur le plan matériel orthoptique (matériel classique, plus synoptophore et Hess-Weiss-Lancaster, planches de Bébé-Vision), mais disposent également d’un réfractomètre objectif et d’un tonomètre à air.

DÉROULEMENT DES CONSULTATIONS
Plannings de rendez-vous

Les rendez-vous sont pris par la standardiste et les secrétaires, soit par téléphone, soit au secrétariat lorsqu’il s’agit d’un renouvellement de rendez-vous après une consultation, soit par courriel.

Les consultations sont planifiées par demi-journées, dont certaines sont dévolues à la strabologie ; dans un des deux cabinets, il y a des demi-journées différentes pour les strabismes adultes ou enfants ; dans l’autre, cette séparation n’existe pas, mais les enfants en bas âge et les bébés sont vus dans les premiers créneaux du matin, afin de ne pas les faire attendre. De même, les enfants scolarisés, à partir de l’école primaire, sont prioritaires pour les consultations du mercredi.

Une demi-journée peut être consacrée uniquement aux contrôles postopératoires des strabismes, afin de limiter l’attente des patients et de permettre une analyse précise des résultats.

Pendant les demi-journées consacrées au bloc opératoire, une orthoptiste peut assurer des consultations de contrôle d’amblyopie ou de mesures préopératoires complémentaires : essai de prismes, contrôle de la déviation, test de Lancaster, photographies préopératoires.

Dans les plannings de rendez-vous, on assure enfin une répartition entre les patients venant pour la première fois et les anciens.

Consultation strabique

Le patient s’inscrit dès son arrivée auprès de la secrétaire de l’accueil ; il est alors signalé sur le planning informatique et son dossier est mis à jour ; les orthoptistes sont prévenues de l’arrivée des patients grâce à la mise en réseau de tous les ordinateurs du service.

L’orthoptiste pratique son bilan et signale sur le planning, avec un astérisque ou une marque colorée, le patient qu’elle est en train d’examiner, afin que les secrétaires sachent également à chaque instant où en est le déroulement de la consultation. L’examen orthoptique constitue donc le premier contact médical avec le patient. L’interrogatoire est soigneux et précise les antécédents familiaux, personnels des patients, sur le plan général et sur le plan ophtalmologique. La lettre du correspondant est demandée et insérée dans le dossier.

Le motif de la consultation est donc précisé : avis sur un traitement d’amblyopie, sur un diagnostic particulier ou une indication chirurgicale. En cas de patient suivi régulièrement dans le service, le ressenti sur l’état actuel ou sur les éventuelles préoccupations récentes doit être précisé en début de consultation.

La consultation d’orthoptie se déroule normalement : réfraction, étude la vision binoculaire et tests complémentaires (Lancaster, etc.) selon les besoins. Si l’orthoptiste le souhaite, l’ophtalmologiste peut venir à ce stade de la consultation regarder un point particulier de l’examen avant qu’on procède à la dilatation. C’est le cas, par exemple, en cas d’angle variable ou de problème anatomique, anisocorie ou toute autre anomalie. L’orthoptiste va commencer la dilatation :

  • pour les bébés, on utilise du tropicamide, instillé trois fois à cinq minutes d’intervalle ;

  • pour les enfants plus grands, en dehors des contre-indications classiques, on utilise principalement le cyclopentolate.

La première goutte est donc instillée par l’orthoptiste et les consignes sont données aux parents pour les gouttes suivantes. En cas de difficulté, les parents savent qu’ils peuvent s’adresser soit à l’orthoptiste, soit aux secrétaires pour avoir de l’aide. Les adultes sont également dilatés, souvent par Skiacol®, surtout en cas d’hypermétropie.

L’orthoptiste transfère le dossier au médecin, avec une note indiquant l’heure de la fin de dilatation, afin de gérer au mieux l’attente. Elle mentionne également les points particuliers : personnes sur fauteuil roulant, IMC, maman enceinte, etc., pour une meilleure prise en charge.

La consultation du médecin se déroule classiquement : l’examen à la lampe à fente et le fond d’œil sont toujours réalisés. À l’issue de la consultation, le médecin annonce le traitement à envisager, sur le plan médical ou sur le plan chirurgical.

S’il s’agit d’un avis spécialisé demandé par un ophtalmologiste non strabologue, le patient sera renvoyé à son ophtalmologiste traitant avec la réponse escomptée. S’il s’agit d’un enfant qui doit être suivi dans le service, les contrôles d’amblyopie intermédiaires seront planifiés dans les consultations d’orthoptie prévues à cet effet.

Organisation et planification de la chirurgie

Lorsque le moment de la chirurgie est arrivé, le principe et le déroulement sont expliqués soigneusement aux parents, avec éventuellement schéma ou photographies à l’appui (cf. chapitre 11).

La majorité des interventions de strabologie se déroulent en ambulatoire. Seuls sont exclus les patients habitant loin, qui peuvent alors entrer à la clinique la veille de la chirurgie.

Des formulaires sont préparés pour les consultations d’anesthésie. Celles-ci peuvent se dérouler dans le service ou à la clinique et, dans ce cas-là, un examen de contrôle par l’orthoptiste peut être prévu le même jour si nécessaire. Lorsque les patients habitent loin, la consultation d’anesthésie peut être réalisée dans leur ville, en produisant un courrier à l’anesthésiste de leur région. Le dossier est ensuite directement transmis à nos anesthésistes.

Les secrétaires précisent ensuite avec la famille la date exacte de l’intervention. Les formulaires d’information de la Société Française d’Ophtalmologie sont transmis aux patients qui devront les lire et les retourner signés. La secrétaire assure la liaison avec la clinique pour la constitution du dossier patient.

C’est la clinique qui assure la gestion de la chirurgie proprement dite.

Le lendemain de l’intervention, tous les patients opérés en ambulatoire sont rappelés téléphoniquement, afin de s’assurer qu’il n’existe pas de problème particulier et de répondre à toutes les questions qui peuvent inquiéter les familles. Suivant les structures, ce rappel est effectué par le personnel de l’ambulatoire ou, souvent, par le personnel du cabinet médical.

Cette prise en charge est extrêmement appréciée et les patients remercient régulièrement lorsqu’on les revoit en contrôle postopératoire. Ce contrôle postopératoire se situe dans un délai variable, dépendant des habitudes de chaque chirurgien.

Points forts et points faibles

Tout est mis en œuvre à la consultation pour que l’examen soit le plus complet et précis possible. Les rendez-vous sont pris des mois à l’avance, les patients viennent souvent de loin, et nous avons à cœur d’essayer de donner en une consultation le maximum d’éléments pour faire avancer le dossier.

Il nous est souvent fait le reproche d’une longue attente : le patient passe souvent deux ou trois heures dans le service. On essaie de lui faire comprendre dès la prise de rendez-vous qu’un maximum d’examens va être fait sur place en une seule fois. On lui rappelle qu’en d’autres temps ou d’autres lieux, plusieurs consultations sont nécessaires pour d’une part voir le médecin, une autre fois réaliser l’étude de la vision binoculaire, une autre fois encore la dilatation pupillaire. En cas de nécessité, d’autres examens (champ visuel, OCT…) peuvent être effectués lors de la consultation si la structure le permet.

En fin de semaine, l’équipe ophtalmologiste-orthoptiste prend toujours une ou deux heures pour étudier les dossiers des blocs de la semaine suivante et parler des cas importants de la semaine écoulée. Une fois par trimestre, une réunion est organisée avec les secrétaires et l’ensemble de l’équipe pour ajuster les plannings et régler les points particuliers qui le nécessitent.

Conclusion

En cabinet privé, l’ophtalmologiste strabologue a le devoir d’assurer une prise en charge de qualité, pour des patients venant parfois de loin rechercher un avis spécialisé. Ce but peut être atteint au prix d’une bonne organisation et grâce à l’efficacité de l’équipe réalisée par médecin, orthoptiste et secrétaire.

Bibliographie

[1]  Berland Y, Bourgueil Y, Observatoire national de la démographie des professions de santé. Coopération et délégation des tâches entre professions de santé. Paris, ONDPS, 2006.

[2]  Bour C, Corre C. L’ophtalmologie et la filière visuelle en France. Syndicat National des Ophtalmologistes de France. Paris, SNOF, 2006.

[3]  Bressand M, Abadie M-H, Husson R. Rapport à Madame la ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports, et de la Vie associative. Mission « Réflexions autour des partages de tâches et de compétences entre professionnels de santé ». Paris, ministère de la Santé et des Sports, 2008.

Les trois « O » : l’ophtalmologiste, l’orthoptiste et l’opticien
A. Péchereau

En ces temps de coopération entre les professionnels de santé, il est heureux de souligner combien cette coopération est ancienne et efficace dans le domaine de la strabologie. Dans le processus de la prise en charge de tout trouble sensorimoteur, chacun a une place bien précise.

L’OPHTALMOLOGISTE

Il est la clé de voûte de toute prise en charge de qualité. Il a la responsabilité du processus diagnostique et thérapeutique. La correction optique totale est de son seul ressort puisque la prescription des cycloplégiques lui est réservée. Le traitement moderne de l’amblyopie est encore de sa responsabilité — les textes, officiels ou non, n’y changeront rien. Les bilans nécessaires, la durée et les risques (l’échec étant le principal) liés à ce traitement qui a profondément évolué font que l’ophtalmologiste est à la fois la pierre angulaire et le chef d’orchestre de ce traitement.

Il en est de même du strabisme. Dans ce rapport, nous avons vu plusieurs fois ce qu’il fallait penser des thérapeutiques dites actives, en particulier en cas de correspondance rétinienne anormale.

Quant à la chirurgie tant dans ses indications, son protocole et sa réalisation, il est impensable qu’elle ne soit pas du ressort exclusif de l’ophtalmologiste.

L’ORTHOPTISTE

Dans la prise en charge des troubles sensorimoteurs, il est le collaborateur à qui sont délégués l’accompagnement, la surveillance et l’éducation thérapeutique parentale. Il est la cheville ouvrière des traitements par une orthoptie d’accompagnement — formulation très judicieuse du professeur André Roth (les indications de l’orthoptie active se réduisant d’année en année). Par une formation de qualité, par son expérience et par un dialogue permanent avec l’ophtalmologiste référent, sa zone de compétence et de liberté peut s’étendre considérablement à condition que l’ophtalmologiste et l’orthoptiste restent bien dans leur rôle.

L’OPTICIEN

Il est le troisième élément de ce trépied. La prise en charge actuelle des troubles sensorimoteurs passe de façon quasi systématique par un support optique (correction optique totale, surcorrections optiques unilatérale ou bilatérale, prismes, etc.). De ce fait, un équipement optique de qualité doit accompagner toute prescription. Les progrès tant dans les lunettes (nouveaux matériaux, dessins adaptés à l’enfant, etc.) que dans les verres (nouveaux matériaux, verres taillés, verres progressifs adaptés à l’enfant : protocole Essilor) ont été nombreux. En trente ans, la physionomie du produit « optique » s’est profondément modifiée. De nombreux professionnels proposent des produits adaptés et de qualité (cf. « Équipement optique de l’enfant » au chapitre 17) permettant un équipement remarquable.

ÉTAT DES LIEUX

Le tableau que nous venons de dresser est réel et nous connaissons de nombreux endroits où la prise en charge des patients correspond bien à la description faite. Cependant, il serait bien naïf de croire que cela correspond à la réalité de la majorité des prises en charge, les mémoires du Diplôme universitaire de strabologie l’attestent. Nous allons revoir la réalité pour les trois acteurs déjà vus.

LES OPHTALMOLOGISTES

Ils ont peu ou pas d’intérêt pour cette pathologie. Les raisons en sont multiples : formation initiale absente ou médiocre, absence de formation continue, désintérêt pour cette pathologie, intérêt prononcé pour d’autres pathologies, etc. Par ailleurs, la prise en charge de ces patients suivant les règles de l’art est source de conflit que les ophtalmologistes répugnent à assumer. L’orthoptiste sert alors de « dernier recours ». On lui confie tout ce que l’on ne sait pas, à charge pour lui de résoudre ces problèmes. Malheureusement, ce système ne fonctionne pas.

Que le lecteur se rassure, l’auteur ne veut pas convaincre tous les ophtalmologistes de l’intérêt des troubles sensorimoteurs. N’en déplaise à certains, il pense simplement que le concept d’ophtalmologiste généraliste est mort. La division de l’ophtalmologie en surspécialité est un phénomène inexorable. Tant par sa formation, ses pratiques et sa façon d’exercer, la strabologie (l’ophtalmopédiatrie peut y être jointe) fait partie de ces surspécialités. Pour une prise en charge de qualité, il faut que des ophtalmologistes se spécialisent dans cette discipline et que dans chaque service hospitalier important ou dans chaque cabinet de groupe, un ophtalmologiste (on pourrait également lui confier la neuro-ophtalmologie) se dédie à la prise en charge des troubles visuels de l’enfant et des troubles sensorimoteurs. Cette pratique est actuelle (cf. supra, « Organisation du cabinet médical »). Elle est efficace. Elle sera la règle. Il faut s’y préparer.

LES ORTHOPTISTES

Ce sont sans doute les professionnels qui sont les plus victimes de la situation actuelle comme l’attestent les mémoires du Diplôme universitaire de strabologie. Dans cette communauté (la pratique quotidienne le confirme), il existe un réel sentiment d’abandon de la part des ophtalmologistes. De ce fait (et d’autres), il existe une tentation fort grande d’emprunter des chemins qui ne suivent pas les données acquises de la science, la pratique ophtalmologique ne leur permettant pas (le port de la correction optique totale est au cœur de toute prise en charge de qualité) une telle démarche.

Cependant, à côté de ce constat déprimant, on constate des évolutions positives enthousiasmantes qui présentent toutes les mêmes caractéristiques :

  • formation commune de l’ophtalmologiste et de l’orthoptiste qui permettent aux deux d’avoir un langage commun ;

  • lieu d’exercice commun permettant de répondre aux interrogations de l’un et de l’autre ;

  • dialogue permanent entre les deux acteurs dans le souci du respect des connaissances et des pratiques de l’autre.

Tout ceci permet de mettre en place des systèmes efficaces pour le patient et pour les thérapeutes. On est tout à fait frappé des évolutions, de l’efficacité de la démarche et des satisfactions des professionnels qui se sont engagés dans cette démarche.

LES OPTICIENS

Là aussi la situation est très contrastée. À côté de professionnels avertis faisant un travail de grande qualité (fig. 18-3), on rencontre des montages inadaptés aux caractéristiques du visage et aux activités de l’enfant (fig. 18-4). Cette inadaptation peut avoir des conséquences importantes sur le poids des lunettes (fig. 18-5), rendant ce port déjà problématique encore plus incertain.

Il est de ce fait nécessaire de repérer plusieurs professionnels qui s’intéressent à l’équipement de l’enfant pour pouvoir donner des conseils pertinents en cas de problème. Là aussi, ce processus de spécialisation est en cours.

Conclusion

Des rapports apaisés et de qualité entre l’ophtalmologiste, l’orthoptiste et l’opticien sont à la base de toute prise en charge de qualité chez l’enfant. Il est absolument nécessaire que ces trois professionnels travaillent la main dans la main, ce qui suppose des lieux de formation et de discussion où ceux-ci se retrouvent et échangent. Comme pour le reste de la filière visuelle, nous assistons dans ce domaine à une évolution extrêmement rapide des pratiques et des structures. Cette évolution doit être encouragée. Elle est indispensable pour une prise en charge de qualité.

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Fig. 18-3 Deux paires de lunettes dont le montage est de qualité : type de la monture, position de la monture sur le visage et monture atteignant ou dépassant le sourcil.

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Fig. 18-4 Montures inadaptées pour des enfants : réduction de monture d’adulte, lunettes métalliques avec des patins !

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Fig. 18-5 Une monture non centrée entraînant mécaniquement un verre très épais chez cet hypermétrope.