Préface

Lors de son Congrès de l’année 2009, la Société Française d’Ophtalmologie a choisi, par vote en assemblée générale, la strabologie pour son 123e Rapport à paraître en 2013.

Chaque Rapport est un événement majeur de la vie de la Société. Cette année-ci, il l’est doublement ; ce n’est, en effet, que le quatrième que notre Société consacre à la pathologie de la vision binoculaire depuis 1887, date du tout premier Rapport. Les deux premiers datent d’il y a 120 et 117 ans : le Rapport sur le traitement du strabisme de Henri Parinaud en 1893, le Rapport sur La vision binoculaire, sa perte et son rétablissement d’Édouard Meyer en 1896 ; le troisième, le Rapport sur la Chirurgie des strabismes de Pierre Vital-Bérard, Maurice Quéré, André Roth, Annette Spielmann et Marcel Woillez, parut, après un intervalle de 88 ans, en 1984. Deux Rapports ont été dévolus au nystagmus, Le nystagmus (tremblement oculaire) de Henri Coppez en 1913 et Les nystagmus de Denise Goddé-Joly et Aimé Larmande en 1973.

Plusieurs traités de strabologie ont toutefois été publiés dans différentes langues au cours de la seconde moitié du xxe et du début du xxie siècle ; ils expliquent en partie l’absence de Rapports plus nombreux sur le sujet durant cette période. Quatre d’entre eux ont plus particulièrement contribué à la diffusion du savoir strabologique : le traité de René Hugonnier et Suzanne Hugonnier-Clayette avec quatre éditions de 1959 à 1981, traduit en anglais et en espagnol, celui de Hermann Burian et Günter von Noorden, puis de Günter von Noorden et Emilio Campos, avec six éditions de 1974 à 2002, et le plus récent, édité par Hebert Kaufmann, paru en 1986, et à nouveau en 1995, 2004 et 2012. Parallèlement à ces traités, Joseph Lang a publié un abrégé de strabologie, Strabismus, qui a connu un grand succès, avec cinq éditions en allemand de 1971 à 2003 et des traductions en espagnol (1973), italien (1976), français (1981) et anglais (1984).

Le nouveau Rapport s’inscrit dans la lignée et la nécessaire continuation de ces ouvrages de référence ; il trace les voies du futur. Il est l’œuvre d’Alain Péchereau, de Danièle Denis et de Claude Speeg-Schatz et des 27 coauteurs dont ils se sont entourés. Il est l’aboutissement actuel d’un important effort d’enseignement, initié en France par Maurice Quéré dans les années 1970, repris par d’autres depuis lors, jamais interrompu. Tous les coauteurs y ont participé, pour certains après en avoir d’abord eux-mêmes bénéficié. C’est cette génération de strabologues et d’orthoptistes issue de cet effort qui prend ici collégialement la parole.

Ce Rapport montre que la vision n’est normale que si elle est binoculaire, que l’absence ou la perte de la binocularité est un handicap. Il montre que la strabologie est logique dans ses objectifs et ses méthodes pour prévenir ou traiter l’amblyopie et pour réajuster, au moment le plus opportun, l’équilibre dynamique de l’appareil oculomoteur, afin que la binocularité normale ou, à défaut, anormale mais effective puisse s’établir ou se rétablir, le but étant que le sujet (re)trouve la vision la meilleure et la plus confortable possible avec un regard acceptable.

Ce Rapport montre que la strabologie et, par voie de conséquence, sa pratique se sont considérablement clarifiées aujourd’hui, grâce à une quantité sans précédent de connaissances nouvelles, acquises au cours de la deuxième moitié du xxe et la première décennie du xxie siècle, dont nous bénéficions aujourd’hui. Trois avancées majeures ont marqué ces années : il est établi aujourd’hui (1) que le résultat obtenu en cas d’amblyopie fonctionnelle dépend de la précocité et de la rigueur de son traitement, (2) que le résultat moteur dépend de l’alternance sensorimotrice spontanée, sauvegardée ou récupérée (et par conséquent de la guérison de l’amblyopie) et de la correction microchirurgicale appropriée des différentes composantes du déséquilibre oculomoteur, et (3) que le résultat binoculaire dépend à la fois du résultat moteur et des potentialités binoculaires normales ou anormales du sujet.

Ce Rapport met les fondements, les enjeux, ainsi que les principes de base des traitements médicaux et chirurgicaux de la pathologie binoculaire à la portée de tout ophtalmologiste. Pour ceux qui ne pratiquent pas la strabologie, il aidera à mesurer la souffrance et l’attente des patients atteints d’un trouble binoculaire, à comprendre qu’il ne faut pas les abandonner au bord de la route, mais qu’il faut les orienter vers des confrères capables de les prendre en charge. À ceux qui en font leur spécialité, il permettra d’approfondir leurs connaissances et les guidera dans leur pratique de tous les jours. Ils mesureront à quel point le strabisme a, pour l’enfant comme pour l’adulte, un impact physique et émotionnel important.

André Roth